LAIBACH - Jesus Christ Superstars (Mute) - 27/10/2012 @ 21h54
Laibach. C'est le nom porté par la ville de Ljubljana (capitale de Slovénie) sous l'occupation nazi et c'est le patronyme choisi en 1980 par ces précurseurs de la musique industrielle. La réputation sulfureuse des Slovènes a traversé les décennies et le collectif a longtemps eu mauvaise presse en France. D'interdiction de concerts en campagne de calomnies (l'interview de La Mano Negra sur Canal + par exemple) nos médias se souciaient plus des ragots que de la musique du groupe. A l'époque, ma connaissance de Laibach se limitait à leurs remix de Morbid Angel et à la reprise d'un de leurs titres (Die Liebe) par Atrocity et Das Ich. Autrement dit trois fois rien. Dans un contexte frileux et paranoïaque, peu nombreux étaient ceux qui auraient pu prévoir le raz-de-marée qu'allaient provoquer leurs héritiers à la fin des années 90, à savoir Oomph!, Marilyn Manson et bien évidemment Rammstein, chez qui leur influence est la plus marquée. Coïncidence ou clairvoyance de leur part, les Slovènes sortent en 1996 leur album le plus accessible et proche de la sphère metal: Jesus Christ Superstars.

Avant d'en venir à cet album, profitons de l'occasion pour lever un coin du voile et tenter de cerner ce fameux groupe. Laibach c'est quoi? Tomaž Hostnik et Dejan Knez fondent Salte Moral en 1978 qui devient Laibach en 1980 sur les conseils du père de Dejan, un célèbre artiste peintre. D'après leur site officiel, Tomaž Hostnik a eu une influence considérable qui est restée vivace bien des années après son suicide en 1982. C'est à cette époque que 2 membres importants rejoignent Laibach. Il s'agit d'Ivan Novak et du chanteur Milan Fras. Le 1er va devenir, entre autres, leur porte-parole officiel, tandis que le 2nd va incarner (presque résumer) l'imagerie du groupe. Musicalement Laibach développe une forme d'indus martial minimaliste basé sur les percussions et des vocaux caverneux qui vont devenir une marque de fabrique (l'autre signe distinctif de Milan Fras étant son couvre-chef). Au fil du temps Laibach va intégrer d'autres influences, telles que la musique classique et la pop. Leur signature chez Mute (label de Depeche Mode) et le coup de pouce du fameux John Peel leur apportent le soutien (crédit?) promotionnel qui leur permet de développer certains projets, au rang desquels les reprises vont prendre une importance certaine. Queen, les Rolling Stones, ainsi que l'intégralité de l'album Let It Be des Beatles vont notamment y passer.

"Nous ne croyons pas à l'originalité dans la culture populaire. Tout a déjà été fait, recyclé. Nous ne disons pas que nous faisons des reprises, car nous pensons qu'il s'agit de chansons originales. (...) C'est notre propre interprétation de quelque chose qui existe et je crois que personne ne dira que nos titres ne sont pas originaux."
Ivan Novak (Laibach) dans le n°21 de mars 1997 de Hard Rock mag

Bien plus que de la musique, Laibach c'est une forme d'activisme artistique global, doublé d'un engagement philosophique et politique bien réel (même s'ils s'en sont longtemps défendu). C'est ainsi qu'en 1984 Laibach contribue à la création du NSK (Neue Slowenische Kunst), un collectif d'artistes slovènes comprenant entre autres une troupe de théâtre, des peintres, un studio de graphisme et un courant philosophique. Leur spécialité? Pasticher l'esthétique des régimes totalitaires tout en s'amusant à détourner les symboles idéologiques allant jusqu'à mélanger les opposés. La provocation artistique personnifiée. En 1991 le NSK devient un Etat qui se dote de papiers officiels (passeports, tampons et cachets postaux) qui auraient permis à des réfugiés de fuir le siège de Sarajevo (1992-1996). Entre des artistes jouant à fond la carte de la provocation et n'ayant que faire des réactions parfois violentes qu'ils suscitent, et des actions souvent difficiles à appréhender, le NSK ne laisse pas indifférent.

"Ils jouent le rôle d'un écran sur lequel les gens projettent leurs peurs et leur culpabilité née du passé. Laibach provoque ce genre de réactions. S'il leur arrive d'avoir des ennuis, ce n'est pas par ce qu'ils font, mais par les projections qu'ils suscitent."
Daniel Miller (patron de Mute records) en 2003 dans l'interview de Tracks sur Arte

"Les gens voient ce qu'ils veulent voir. Tout le monde a le choix. Nous donnons aux gens le choix de leur point de vue. Leur point de vue est plus révélateur d'eux-même que de nous."
Ivan Novak (Laibach) en 2003 dans l'interview de Tracks sur Arte

Chacun en tirera ses propres conclusions, mais revenons à la musique. Lorsque sort Jesus Christ Superstars en 1996, les médias généralistes et la presse metal se saisissent avec un enthousiasme gêné de l'album, me permettant de découvrir ce groupe 'racé' et sulfureux. Ainsi outre les interviews et chroniques, j'ai eu l'occasion d'écouter God is God, qui ouvre l'album, sur le sampler Hard Rock et de voir son clip dans les fameux Best of Trash de M6. La raison de ce soudain regain d'intérêt? L'arrivée en force des guitares, présentes sur 6 des 9 compositions. Décrire cet album de Laibach est somme toute assez simple: de l'électro presque dansante boostée aux guitares heavy, le tout baignant dans une atmosphère post-apocalyptique amenée par des claviers symphoniques et des choeurs religieux. Cette définition, qui a de quoi faire fuir les puristes de l'extrême à toutes jambes, ne rend pourtant pas justice à un album envoutant qui tournait en boucle et qui m'accompagnait partout, de la jungle urbaine aux balades en pleine nature. Comme à son habitude, Laibach mélange ses propres compositions à des reprises qu'il s'approprie avec aisance. Sont concernés: God is God de Ben Watkins, Jesus Christ Superstar tiré d'un opéra-rock de 1970 et un morceau de Prince méconnaissable: The Cross.

Jesus Christ Superstars enchaîne les perles. Avec ses grosses guitares et les vocaux marquants de Milan Fras, God is God est un tube, de même le morceau titre avec ses choeurs mixtes et son final au piano. La montée en puissance de Kingdom of God prépare le terrain à l'un des sommets de l'album, le monumental Abuse & Confession. Laibach se permet un solo de guitare sur l'inquiétant Declaraton of Freedom. Message from the Black Star possède une bonne pêche et un rythme soutenu. Conduit par les claviers, The Cross voit le retour des choeurs lyriques avant l'effrayant To the New Light, climax développant une ambiance à la Aliens. Quant à Deus ex Machina, samples, claviers post-apocalyptiques et choeurs lyriques fantomatiques concluent cet opus de la plus funeste des façons. Une atmosphère de fin du monde qui ne vous empêchera sans doute pas d'appuyer sur replay... Avant de conclure, certains se demandent peut-être ce qui a poussé Laibach à se rapprocher du metal avec ce Jesus Christ Superstars.

"Les plus grandes popstars comme Mickael Jackson, Prince ou Madonna se réfèrent sans cesse à la religion. Depuis le début les rockstars ont été inspirées par Jesus-Christ avec ce look barbu aux cheveux longs. (...) Avec Jesus Christ Superstars nous voulions donner dans le heavy-metal (...) car c'est le type de musique qui illustre le mieux cette thématique." Ivan Novak (Laibach) dans le n°21 de mars 1997 d'Hard Rock mag

Si Jesus Christ Superstars n'est pas un album représentatif de la musique de Laibach, il s'inscrit parfaitement dans la logique du groupe. Non content d'être une tuerie, cet album de transition a eu le mérite d'initier certains d'entre nous à leur univers ET aux travaux de la scène allemande qui s'apprêtait à exploser par le biais de Rammstein et Oomph!. Le poids des ans n'a pas eu de prises sur ce Jesus Christ Superstars qui a conservé sa densité et son pouvoir hypnotique. La marque des grands albums.


Rédigé par : forlorn | 1996 | Nb de lectures : 2294


Auteur
Commentaire
godefroid
IP:109.210.53.52
Invité
Posté le: 28/10/2012 à 16h55 - (28311)
c'est vrai que paradoxalement le metalleu (enfin celui des origines lol) est une reference direct a jesus par son look et sa passion pour parler de religion chretienne(en bien ou en mal).

En ce qui concerne laibach le clip god is god m'avait paru ridicule et debile mais bon ce genre de musique n'est pas trop ma tasse thé il faut dire.

ZeSnake
Membre enregistré
Posté le: 28/10/2012 à 19h06 - (28314)
"Si Jesus Christ Superstars n'est pas un album représentatif de la musique de Laibach (...)"
en même temps, aucun de leurs albums pris à part n'est représentatif de leur musique... ^^

j'aime pas cet album. je le trouve basique, linéaire et sans intérêt pour peu qu'on ait un bagage conséquent en Metal-Indus. bon après je suis loin de l'avoir découvert à sa sortie mais voilà... le seul album que je retiens de Laibach, c'est WAT, qui est fantastique. après, même si certains albums sont bons dans leur globalité (l'éponyme, NATO), je retiens surtout quelques titres épars sur Let It Be, Volk ("Anglia"), la BO d'Iron Sky...

forlorn
Membre enregistré
Posté le: 28/10/2012 à 21h54 - (28316)
=> "aucun de leurs albums pris à part n'est représentatif de leur musique..."

Avant la sortie de JCS, ma vision de Laibach se résumait à l'austérité de Nova Akropola... Le vécu, le contexte toussa... J'estime que JCS reste un album en marge, le plus éloigné des fondamentaux de Laibach.

=> "je le trouve basique, linéaire et sans intérêt pour peu qu'on ait un bagage conséquent en Metal-Indus."

Avoir assisté à l'ascension des groupes US (Ministry, NIN) au début des 90s et au développement de la scène européenne (Samael en tête) ne m'empêche pas de continuer d'apprécier JCS de Laibach encore aujourd'hui. Ça doit être une question de goût plus que de bagage je pense.

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