"Are you a New York Skinhead?" Roget Miret (Agnostic Front), Jimmy Gestapo (Murphy's Law), Raybeez (AF puis Warzone), John Joseph & Harley Flanagan (Cro Mags) ne sont pas des héritiers spirituels de Woodstock, Monterey ou "Hair". Plutôt nés sous le signe du V (pour "violence"), référence Klub Des Casseurs. Comment en est-on arrivé là? "In New York, Bad Brains created a monster" dixit Ian Mc Kaye de Minor Threat. Les Bad Brains, passerelle entre le punk rock des Dead Boys ou Ramones et le mouvement hardcore, ont quitté Washington DC pour New York en mai 81. H.R. et ses comparses apparaissent sur "New York Thrash", testament de la première vague hardcore new-yorkaise (Heart Attack, The Undead, Kraut. The Mad, Beastie Boys...), ainsi que les Nihilistics, qui seront le premier groupe hardcore/skinhead local. Le Lower East Side peut se réveiller et les NYC skins occupent le terrain dès 1984, à cette époque les groupes phares tels Bad Brains, Heart Attack, Undead ont splitté, les Beastie Boys sont passés au rap, Kraut stagne. Le Hardcore new-yorkais a été kidnappé, qui peut le sauver? Pas Oxmo mais Cro-Mags. Le groupe naît de la rencontre entre Parris Mayhew (15 ans, guitare) et Harley Flanagan (13 ans batterie puis basse) début 82, et c'est un roadie de Black Flag qui fournit le patronyme (selon d'autres versions le groupe serait né vers 1980... cela dit Harley a aussi contribué à fonder Murphy's Law avec un certain Jimmy Gestapo âgé de... 12 ans!).

Harley Flanagan est un "tough guy", batteur dès l'âge de 11 ans dans le groupe de sa tante (Denise) The Stimulators, délinquant juvénile particulièrement violent (braquages, baston, drogues, et entre 82 et 84 il va consolider sa réputation au niveau national, en sillonnant les Etats-Unis en auto-stop), ce qui n'est pas vraiment le cas de Parris (étudiant en art et futur réalisateur du clip "Slam" de Onyx, avec... Biohazard). Le duo sera rejoint par un roadie de Bad Brains, adepte de la religion Krishna, John Joseph, un guitariste de Kraut, Doug Holland, et le batteur de Frontline, Mackie Jayson. C'est cette formation qui enregistre avec les frères Williams (qui avaient accueilli les Bad Brains dans leur studio/salle de concert/squat 171A) la démo "Age Of Quarrel" en 1985, qui aboutira à l'album du même nom. Les tensions entre John Joseph et Harley Flanagan, et l'évolution thrash metal du groupe vont provoquer une suite de splits et de reformations, chacun s'arrogeant la paternité du groupe, voire les droits d'auteur. Parris Mayhew a quitté Cro-Mags après "Best Wishes", le second album (1989), il est devenu réalisateur, John Joseph a fondé Both Worlds et continue à se quereller par magazines interposés avec Harley, Mackie Jayson a participé à quelques albums de Bad Brains ("I Against I" (86), "Quickness" (89), "Rise" (91)), Harley, en dehors de Cro Mags, a fondé White Devil avec Rocky George, puis Harley's War, une sorte de 2nd wave NYHC all stars band.

Tout ceci resterait anecdotique si on ne précisait pas que pour la scène hardcore actuelle (qui flirte beaucoup avec le thrash/death), CRO-MAGS est une énorme influence. Cela éveille votre intérêt. non?

Entrons dans la caverne de Harley, Mackie, Doug, Parris et John. Première étape, la pochette, champignon nucléaire sur fond rouge sombre, lettrage gothique, on ne rigole pas chez Cro-Mags, Bad Brains se contentait d'un dessin, un éclair sur le Capitole (et d'un lettrage reggae, s'il vous plaît). Une pochette qui renvoie donc à... Crucifix, cependant Harley et ses potes sont loin, très loin de l'anarcho-punk, vous verrez (un gauchiste paranoïaque penserait même à la scène RAC, vu le lettrage d'ailleurs). Alors, le temps des embrouilles, ça parle de quoi, justement? Eh bien de "réalisme social" comme dirait Jon Savage à propos de Sham 69 et de la vague Oï anglaise de la fin des années 70. Confiance perdue, trahison, mensonges ("Don't Tread On Me", "Show You No Mercy"), violence gratuite ou représailles ("Street Justice", "It's The Limit"), interrogations métaphysiques, on ne se moque pas, John Joseph et Harley se rendaient (il est vrai entre deux bastons sans doute) dans des temples Krishna pour réfléchir, la pochette de "Best Wishes", le second album en témoigne, ainsi que les textes de "Seekers Of The Truth" ou "Signs Of The Times". On a aussi l'hésitation entre expression de la violence et attitude plus pacifique dans "We Gotta Know", "Malfunction" (problème de communication ou tentative avortée de prosélytisme?), ainsi qu'une adaptation "new-yorkaise" du "Positive Mental Attitude" des Bad Brains avec "Life Of My Own" et "By Myself" (un rapport avec le patronyme du groupe nancéen de HxC old school By My Fists?).

Enfin, pour ceux qui voudraient mettre Crucifix et Cro-Mags dans le même panier (d'abord il n'y a que 2 lettres en commun et Crucifix en a 8...), voici une infirmation claire et nette, "la paix dans le monde ne peut exister, l'anarchie c'est le bordel", ils ne sont pas RASH, les Cro-Mags, et encore moins hippies ("World Peace"). Et musicalement alors ? Là encore, hormis une poignée de morceaux, on est loin de l'axe Crucifix/Discharge. Cro-Mags surclasse aisément Warzone, et enfonce Agnostic Front (qui sera obligé de se réfugier dans le thrash metal, just joking). Fans de Minor Threat, The Freeze, DYS, MDC (bien sûr) passez votre chemin, fans des Dead Kennedys (pour la musique), Misfits, Black Flag, et de l'album "I Against I" de Bad Brains, vous pouvez rester. Car Cro-Mags innove, proposant un hardcore lourd, groovy, qui fera date et qui a davantage de points communs avec les Stooges, Dead Boys, Heartbreakers qu'avec Chaos UK, Wire, Slime.

New York et son charme vénéneux, illustré aussi bien par "Taxi Driver" que par le fameux titre des Pistols (qui se moque des New York Dolls alors que Johnny Thunders est une influence, tant musicale que ""pharmaceutique"", de Steve Jones), New York où Sid Vicious viendra échouer et mourir, New York où les paillettes du Studio 54 côtoient les cafards, seringues et débris de verre du "Message" de Melle Mel. Et si en plus on se réveille avec un canon sur la tempe ("Survival Of The Streets"), on ne risque pas de composer "Hanging On The Telephone" (Blondie). Certes "The Age Of Quarrel" propose comme ses pairs des morceaux courts et vifs, genre Suicidal Tendencies entre 83 et 87 ("Do Unto Others", "By Myself") ou Agnostic Front ("Survival Of The Streets"). Cependant, avec "Hard Times", "Face The Facts", Cro Mags poursuit le travail de Negative Approach (HxC de Detroit) dans ce qu'on appelle le "Oi!core". Sur cet album on trouve aussi du thrash très moyen, on sent que Cro-Mags n'est pas (encore) à l'aise dans ce style, avec "It's The Limit", "Seekers Of The Truth" qui me rappelle AC/DC époque Bon Scott et par conséquent Exodus avec Zetro Sousa, ou "Don't Tread On Me". Mais CRO-MAGS, ce sont avant tout ceux qui ont développé le concept du "mosh" ("mash it up" parts, certains breaks de Bad Brains notamment sur "Riot Squad" ou "Supertouch/ Shitfit"), des riffs de reggae durcis. Prenez "Malfunction", enlevez la distortion, mettez du contretemps, vous obtenez quoi? Du reggae roots ou du early reggae. "Show No Mercy" pourrait s'adapter en rocksteady, etc... cela dit vu le caractère "explosif" de H.R., rien ne peut mieux symboliser la tension entre la violence et la spiritualité. Les "mosh parts" qu'on retrouvera dans le thrash ("Caught In A Mosh") et le hardcore moderne (tough guy revenge...).

Cro-Mags, premier groupe de fusion des 80s (d'accord il y a Bad Brains mais le groupe a démarré en 78)? Après tout dans "Malfunction" il y a "funk"...

Plusieurs rééditions de cet album souvent avec "Best Wishes".


Rédigé par : Saul D | 1986 | Nb de lectures : 6804