NAPALM DEATH - Utopia Banished (Earache) - 22/01/2012 @ 10h37
« Moteur, action, ça tourne ! »
Il fait froid en ce mois de septembre 1993. Brrrr tiens.
L’hiver est arrivé avec quelques semaines d'avance, broyant l’automne de ses attaques glaciales et martyrisant sans ménagement mes pauvres membres engourdis. Si l’état du corps laisse donc à désirer, je ne vous parle pas de son frérot le cerveau, maltraité par l’effort. La faute à cette rentrée scolaire qui réveille plus de deux mois d’abandon intellectuel total et zette zatanée fipère de prof d’allemand qui va nous mener la vie dure, pour sûr.
Bref, on broie du noir les copains, et par containers de 40 pieds…
Seule alternative pour échapper à ce marasme ambiant, dernier refuge devant les assauts conjugués de la rigueur hivernale couplés à ceux de la tyrannie du secondaire : la médiathèque.

Ce lieu moderne, chaleureux, apaisant. Où, une fois réfugié en son cocon accueillant, il est possible de lézarder, fouiner sans contrainte de temps, tout en se gaussant de ceux qui, dehors, hâtent le pas pour échapper aux frimas et retrouver bobonne après une dure journée de labeur.
Non, vous n’êtes pas chez Nature et Découvertes, mais bel et bien à la médiathèque de l’Atrium, à Chaville, haut-lieu de culture où sérénité et savoir règnent sans partage.
Oui, j’exagère (un brin), mais que voulez-vous, c’est le cœur qui parle ! A la simple évocation de ces larges bacs blancs mélaminés remplis d’heures, que dis-je, de journées entières de musique, je me sens défaillir. Gasp.
Je profite d’ailleurs de l’occasion pour passer une spéciale cacedédi à celui ou celle qui était responsable de l’approvisionnement desdits bacs. Je ne le ou la connais pas personnellement, mais il y a bien une chose dont je suis sûr : s’il s’agit d’un homme, sa paire de cojones devait malmener les pauvres coutures de son jean. S’il s’agit d’une femme, son soutien-gorge appartient alors à l’éternité.
Parce qu'entre nous, proposer au tout venant des albums de la fine fleur métallique aux côtés d’une marée de références s’étalant de la variétoche des années 80 aux rythmiques dodelinantes des Wailers… cela montre une sacrée ouverture d’esprit, doublée d’une prise de risques qui frôle l’inconscience.

Et c’est là, coincé entre deux références obscures, que ce disque de NAPALM DEATH, tel un trésor caché accessible aux seuls initiés, se cache, à l’abri de la lumière. Diantre, cette couv’ ! Des clous, une croix, des galoches, un beau nuage de pollution… mais dites-moi, ça respire la joie de vivre là-dedans !
Ni une, ni deux, voilà que je glisse fébrilement l’objet du délit dans ma besace affamée, l’accompagne d’une autre sauvagerie (probablement le « From beyond » de MASSACRE), passe ma carte d’adhérent dans le lecteur approprié puis file at home like Carl Lewis.
« Clap, on coupe! »

Presque 20 ans plus tard, il est impressionnant de voir à quel point cet album n’a pas pris une ride, tant sur la forme que sur le fond.

Tout d’abord, l’enveloppe sonore fait toujours office, à mon sens, de mètre-étalon dans le volumineux répertoire de la mie câline (Richardson). Précis, limpide et puissant, ce tsunami auditif permet à chaque instrument de remplir l’espace comme il se doit, garantissant un équilibre parfait, une osmose sans pareil entre chacun d’entre eux. Véritable injure aux prods hyper clean et synthétiques en vogue chez les playskool-métalleux, ce bloc de béton armé méchamment organique lamine, broie, écrase de tout son poids les esgourdes encore pucelles. Il fiste sans ménagement les étriers jouvenceaux, qui, quelques minutes plus tôt batifolaient encore au son de NIGHTSHADE, jurant pourtant que cela constituait le summum de la musique extrême.

La musique, elle, voit NAPALM DEATH délaisser sa formule 100% pur death enrichi qui fit les beaux jours de « Harmony Corruption », lui permettant pourtant de toucher un plus large public, pour durcir le ton et renforcer considérablement les parties brutal death et grind. Il en résulte un monument de brutalité, un take no prisoners vindicatif et revanchard. Pourtant les indicateurs n’étaient pas favorables à ce revirement sauvage.
Rappelez-vous… nous sommes alors en 1992, le death metal s'exp(l)ose aux quatre coins du globe, les ténors du genre lâchent des perles tandis qu’une tripotée de seconds couteaux émoussés les enfilent maladroitement. Un écart aux allures d’abîme se dresse inexorablement entre ceux qui tentent de faire leur trou et ceux qui, sans s’en rendre compte, l’ont déjà creusé à grand coup de décapeuse automotrice.

NAPALM DEATH n’a donc pas le choix.
Option 1 : les gentlemen balancent une bonne grosse branlée death metallique bien juteuse sauce Burn(e)s, gorgé de soleil floridien : la sécurité est de mise, la rentabilité vraisemblablement au rendez-vous.
Option 2 : les gentlemen passent en mode « ponceurs-fraiseurs » et s’affranchissent de cet affligeant carcan de banalité et de conformisme, ils basculent tous les indicateurs dans le rouge avec un seul objectif en ligne de mire : enterrer la concurrence.
Tiens, ça sonne bien ça.

L’option 2 retenue, nos cinq Grand-Britons s’entourent d’une équipe de choc, DJ Colin aux platines, et font le trajet inverse Floride-Pays de Galles pour produire tout ça au bled, en famille, entre two cups of tea et two tons of blast.

Et le résultat est à la hauteur des attentes. Les premières secondes de « I abstain », une fois l’intro bruitiste passée, ne laisse pas la moindre place au doute : The boys are back… and they’re not happy. Mais alors pas du tout.
Il faut dire que le contexte leur donne du grain à moudre en ce début de décennie : démission annoncée de Margaret Thatcher, émeutes qui éclatent aux quatre coins du pays (Londres, Leeds, Birmingham, Cardiff…) en réaction à la mise en place d’un impôt impopulaire, effritement de l’emploi industriel, hausse globale du chômage, récession de l’économie. La colère gronde, sourde et rampante : injustices sociales, aveuglement religieux, individualisme forcené et aliénation inévitable : l’esquisse est tracée au vitriol, les brûlures qui en résultent sont vives et profondes. La société britannique bat de l’aile et NAPALM DEATH ne se prive pas de le clamer haut et fort.

Les sujets abordés sur chaque morceau sont, à ce titre, autant de décharges douloureuses pour les consciences assoupies et autres esprits faiblards. « Christening of the blind » est un assaut contre l’hyper influence de l’église anglicane et ses préceptes dépassés, « Upward and uninterested » évoque l’interchangeabilité de l’employé dans le monde professionnel : un jour celui-ci est promu homme providentiel, le lendemain… il n’est plus rien, « Exile » fait la nique aux médias-girouettes qui abreuvent les masses de leur crasse mainstream… autant d’attaques aux allures de traumas qui sont symbolisés à travers deux mots : « Utopia banished ».
Deux mots qui renvoient la société parfaite, égalitaire et sans injustice, aux oubliettes. Solidarité ? Egalité ? Foutaises ! Place au pire des mondes dans lequel l’individu n’est plus rien : la tragédie est en marche, en voiture Simone !
Au-delà de ces textes lourds de sens, le choc des images est indélébile : la vision de l’apocalypse dépeinte sur l’artwork est troublante. Difficilement descriptible, celle-ci renvoie l’être humain à ce qu’il a de plus vil et abject : la souffrance, l’égoïsme, l’hypocrisie y côtoient l’absurde et le grotesque. C’est chacun pour soi, la fin du monde pour tous !

Cette frustration, cette colère, ce dégoût ne pouvaient donc être mis en musique autrement qu’à l’aide d’un style radical et sans la moindre concession. Pourtant, quelques relents death métalliques s'échappent encore ici et là (le terrifiant final de "Dementia access" en est le meilleur exemple) mais le one shot death de « Harmony corruption » n'est plus qu'un lointain souvenir. Ultra violent, abrasif à souhait, d'une intensité incroyable et bardé d'incessants changements de rythmes, « Utopia banished » envoie 13 expéditions audio-punitives à destination des plus intrépides. Et ce n’est pas la frappe méthodique de Danny Herrera, besogneux remplaçant de Mick Harris, qui me fera dire le contraire.
Aucun répit, aucun ralentissement, l’auditeur se trouve sous un feu nourri pendant une demi-heure avant de pouvoir enfin souffler avec « Contemptuous » (façon de parler, car ce morceau s’avère d’une froideur suffocante) qui vient boucler ce carnage avec ses lourds relents industriels. Relents que n’auraient pas renié son voisin de palier, un certain GODFLESH, qui venait alors de lâcher un « Pure » en tout point remarquable.

Pourtant, « Utopia banished » sera loin de faire l’unanimité lors de sa sortie : pas assez death pour ceux et celles qui ont découvert le groupe avec « Harmony corruption », pas assez grind pour les diehard de la première heure...
Shane et sa troupe n’en ont cure et renvoient sans forme de ménagement les deux dos à dos pour tracer une nouvelle ligne directrice, féroce et destructrice, qui évoluera deux ans plus tard vers des contrées industrielles avec « Fear, emptiness, despair ». Cet album marquera une orientation musicale encore plus risquée, certes en avance sur son temps, mais qui ne récoltera à sa sortie qu’une indifférence polie de la part du public dont les voies sont décidément impénétrables.

« Utopia banished » n’attend maintenant plus que vos oreilles expertes pour livrer ses troublants secrets. J’invite également les quelques têtes brûlées qui souhaiteraient approfondir leur réflexion sur ce passionnant sujet qu’est le death/grind, à découvrir le jouissif « Extreme conditions demand extreme responses » de BRUTAL TRUTH. L’on ne peut que constater les similitudes troublantes qui existent entre ces deux albums : même label, même année de parution, même producteur virtuose aux manettes, même refus obstiné de se conformer au diktat death metal, mêmes thématiques abordées… comme quoi, parfois le bonheur tient parfois à peu de choses.


Rédigé par : TarGhost | 1992 | Nb de lectures : 2560


Auteur
Commentaire
jean-francois
Membre enregistré
Posté le: 22/01/2012 à 10h55 - (27134)
quelle chro !!! bravo
en tant que fan du groupe je ne peux qu'approuver
J'ai eu du mal à apprécier pleinement cet album à l'époque, mais je te rejoins dans ton appréciation.
Dès I abstain le ton est donné et la répétition des écoutes avec le temps permet de pleinement apprécier ce déluge intensif
vivement Castres ;)



Blind
Membre enregistré
Posté le: 22/01/2012 à 11h45 - (27137)
Excellente chronique, fournie et détaillée que ce soit dans l'explication du contexte de l'époque, de la musique ou des paroles. Un classique de Napalm Death, moins purement death metal que son prédécesseur "Harmony Corruption" mais néanmoins pas complètement grindcore comme dans les 80's non plus. C'est le premier album d'une recette death/grind qui marche encore à l'heure actuelle (laissée de côté à partir de 1996 et reprise avec "Enemy of the Music Business" en 1999) et qu'on espère durer encore longtemps.



Youpimatin
Membre enregistré
Posté le: 22/01/2012 à 12h06 - (27140)
Ah cette intro !!! Tout est dit dès le début



Torment77
Invité
Posté le: 22/01/2012 à 12h35 - (27142)
"Il fiste sans ménagement les étriers jouvenceaux, qui, quelques minutes plus tôt batifolaient encore au son de NIGHTSHADE, jurant pourtant que cela constituait le summum de la musique extrême."
+1 !

Nekobibu
Invité
Posté le: 22/01/2012 à 15h14 - (27146)
EXCELLENTE chronique, bravo !!

vincesnake
Membre enregistré
Posté le: 22/01/2012 à 16h20 - (27149)
" entre two cups of tea et two tons of blast."

lol

Sinon bon album pour ma part (à réecouter) mais je lui préfère "Harmony coruption".
C'est que je suis plus fan de Death que de Grind surement !

mist of seasons
Invité
Posté le: 22/01/2012 à 16h26 - (27150)
Sublime album! La creme du grinding death (et non pas death/grind ce n'est pas la même chose).

Darkfachor
Invité
Posté le: 22/01/2012 à 17h15 - (27152)
Un vrai rouleau-compresseur de Grind/Death comme on n'en fais plus ! Je rêve d'une version remasterisée...

thom yorkshire
Invité
Posté le: 22/01/2012 à 17h32 - (27153)
Raaah rien que pour "dementia access" cet album est une bombinette...pfff...et dire qu aujourd'hui on se paluche sur du deathcore y'a de quoi chialer.

Mr Perfect
Invité
Posté le: 22/01/2012 à 20h46 - (27156)
Chro parfaite (merci pour les souvenirs de 92, c'était guère plus brillant de ce côté de la manche +rapprochement avec extrême conditions) pour un album parfait.
Je l'avais acheté dès sa sortie et j'avais pas du tout aimé à la première écoute (gros fan de death que j'étais) mais je me le passait en boucle comme une obsession je l'ai vite adopté.

TarGhost
Membre enregistré
Posté le: 22/01/2012 à 21h55 - (27157)
Merci pour vos compliments !
@mist of seasons : Euh...bon, j'attends ton argumentaire sur la distinction death/grind VS grinding death
@thom yorkshire : super pseudo...yep, "dementia access" est certainement le "hit" de cet album :-)



Morbid Tankard
Membre enregistré
Posté le: 22/01/2012 à 22h48 - (27165)
Mouais, j'ai beau être un fan absolu de ce groupe, les avoir découverts avec 'From enslavement...', avoir tous les albums et les avoir vus sur scène de nombreuses fois, je trouve que 'Utopia banished' est leur plus faible disque.



Velvet Kevorkian
Membre enregistré
Posté le: 22/01/2012 à 22h49 - (27166)
Mon 1er NAPALM DEATH acheté, une bonne baffe dans la tronche à l'époque!



Submeat
Membre enregistré
Posté le: 23/01/2012 à 00h08 - (27171)
Acheté a sa sortie aussi !
Je l'ai laissé de coté un an environ (parce que... putain quand on écoute Metallica Slayer et Sepultura ça fait drôle hein !) avant de le ressortir et d'avoir la révélation !

Submeat
Membre enregistré
Posté le: 23/01/2012 à 00h48 - (27172)
Acheté a sa sortie aussi !
Je l'ai laissé de coté un an environ (parce que... putain quand on écoute Metallica Slayer et Sepultura ça fait drôle hein !) avant de le ressortir et d'avoir la révélation !

Submeat
Membre enregistré
Posté le: 23/01/2012 à 00h48 - (27173)
2 fois pour la peine !

RBD
Membre enregistré
Posté le: 17/02/2012 à 13h17 - (27180)
Excellente idée de remettre à l'honneur cet album ! En définitive, il est devenu celui qui a posé le vrai style de Napalm, même s'il est coincé entre d'autres disques aux démarches un peu différents comme c'est rappelé. Ils ont fini par y revenir depuis une grosse dizaine d'années, pour s'y caler.

Bravo pour toute la remise en contexte.



hainemijuré
Invité
Posté le: 11/03/2012 à 17h24 - (27186)
Mon album préféré de NP avant "enemy of the music bisness"



ExtraTerrian
Invité
Posté le: 17/03/2012 à 20h35 - (27210)
Quasiment 20 ans après, cela reste mon pti favori des napalmos...
Rien à redire, belle kronik, je vais chialer je crois!ça passe trop vite!

Domdesgnatt
IP:89.85.119.56
Invité
Posté le: 21/07/2012 à 14h28 - (27827)
Qu'il m'en rappelle des souvenirs ce disque !
La calotte intégrale, juste devant "Enemy..."

Trym
IP:90.59.98.125
Invité
Posté le: 29/07/2012 à 12h26 - (27851)
Extreme conditions demand extreme responses est le plus grand disque de death/grind...mais celuilà est pas mal non +.

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