Il était une fois, un enfant si laid et difforme que ses parents durent le cacher dans un placard sordide qui se trouvait sous le grand escalier qui ornait leur vieille demeure victorienne. Malheureusement pour les géniteurs maudits, le monde eut le temps de scruter le faciès hideux du rejeton infernal. La fascination qu'avait créé ce spectacle effroyable engendra l'apparition d'adeptes. Votre serviteur eu ouï dire qu'encore aujourd'hui certains de ces cercles hérétiques perpétuaient le culte du monstre.
Moi-même, j'eus l'infortune de croiser sa route et mon univers fut changé à jamais.

C'était en 1990, nous étions encore jeunes et fauchés. Avec un de mes amis nous achetions chacun des disques et nous nous faisions de jolies copies cassettes. Ainsi donc, un jour il me tendit une de ces boîtes préhistoriques en me disant sans plus de précisions:
-Tiens, ça vient de sortir, ça devrait t'intéresser.
Une fois revenu dans mon taudis, j'insérai le bout de plastique dans un radio-casette et appuyai sur play.
Un bruit sourd apparaît. Une boucle sombre et hypnotique étreint l'auditeur. Au loin, on entend le rire hystérique d'un psychotique et parfois des cris atroces et inhumains tentent de se faire entendre à travers cette brume de folie. Soudain le silence se fait duquel émerge un accord, puis un autre. C'est lourd, lent et lancinant. Un roulement de tonnerre gronde et le cri d'une goule transperce l'auditeur. L'ensemble accélère et le chant apparaît. Un growl qui vient du fond des entrailles. Mais ce dernier, loin d'être gras ou porcin, est proche d'une incantation évoquant une certaine distinction aristocratique. A nouveau, l'ensemble s'enfonce dans une boue noirâtre. On se voit gratifier d'arpèges fantomatiques et de solos dissonants.
A peine ai-je eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait que le deuxième titre arrivait. Celui-ci est encore plus pachydermique. Cette fois-ci des choeurs spectraux et des leads mélodiques viennent me sortir de mon état halluciné.
Et que dire de ce troisième titre qui débute telle une farandole macabre pour mieux nous effrayer avec des sonorités dignes d'un film d'horreur.
La seule chose qui me venait en tête était:
-Mais qu'est-ce que c'est que ce truc !!!!!???
Je me disais:
-Pas de doutes c'est du Death Metal ! J'entends des passages qu'on aurait pu retrouver sur "Leprosy" ! Mais... c'est lent, lourd, gras... Merde ! c'est ça , j'ai l'impression d'écouter Leprosy à l'envers et au ralenti !!!!
Et puis il y a cette ambiance de cimetière qui traîne partout sur le disque. On a l'impression d'être au fond d'une sépulture. Dès cette première écoute, je sus que je vivais un instant unique; la naissance de quelque chose d'énorme. Le lendemain, je me suis empressé d'acquérir pour mieux m'imprégner de cette oeuvre sombre. Quelle surprise !!! Loin du gore et des histoires de zombis, les textes ne traitent que de désespoir avec un raffinement et une ironie qui nous évoque les gothiques anglais.

Vingt ans plus tard, avec le recul, que reste-t-il de cette oeuvre complètement reniée et occultée par ses créateurs.
En préambule, nous pouvons dire qu'il s'agit du travail d'un très jeune groupe et qu'à ce titre, on ne peut nier l'influence du death qui venait de la lointaine Amérique et notamment du groupe de Schuldiner. On évoquera aussi le fait que les différentes ruptures s'enchaînent pas de la manière la plus fluide qui soit. Certains reprocherons probablement la production poussive qui a le don de ramollir l'ensemble de la musique.
Ainsi, on a affaire à un groupe qui se cherche, mais tout en se cherchant, ces jeunes Anglais isolés sur leur île ont inventé un genre : le Doom-Death.
Il faut bien voir qu'à l'époque, la course effrénée du death vers plus de vitesse et de brutalité avait déjà démarré. A l'inverse de la majorité de la scène, Paradise Lost ralentit le rythme au point mort. Finalement, cela paraît logique au vu des thématiques abordées. Ils ne glorifiaient pas Satan, ne voulaient pas violer des chrétiennes avec un crucifix, etc. Non, ils chantaient la mélancolie et la tristesse. Cet album atypique va devenir la pierre angulaire d'un genre qui enfante encore une terrible descendance.

Ce disque se révèle être aussi intéressant pour le groupe lui-même car il apparaît comme la matrice d'où va découler leurs futures orientations.
En effet, on trouve déjà les mélodies et les solos de guitare typiques de Mackintosh. Même si cet aspect est en lutte perpétuelle avec les influences et les dissonances purement Death metal, on entend dès ce premier album la patte de Mackintosh qui n'aura de cesse de s'affirmer par la suite. De même, le travail sur les ambiances apportées par le clavier et le chant féminin qui vont se systématiser sur "Gothic" sont déjà présents. Une oeuvre à part certes mais finalement assez typique de Paradise Lost sur bien des points.

A titre personnel, j'ai arrêté de les suivre après "Draconian Times" (je sais que je vais faire hurler dans les chaumières !!!!) qui était tout pour moi sauf un disque réussi. Ils étaient en voie de "Black Albumisation" ( je me souviens qu'à cette époque, la presse aimait à les présenter comme les futurs Metallica). Que voulez-vous, leur ballade m'est restée en travers du gosier. J'exagère un peu même si pour moi certains titres sentaient le remplissage. En revanche, j'ai toujours eu beaucoup de respect et d'admiration pour leur remise en question perpétuelle et les différents chemins qu'ils ont explorés.
Etrangement, je me suis procuré le dernier ("In Requiem") qui a réveillé quelque chose en moi. Peut-être est-ce dû à ce ton plus agressif... je ne sais mais c'était la première fois depuis "Icon" que Paradise Lost me faisait vibrer.
C'est ainsi, qu'en tant que vieillard nostalgique, je me suis rendu au concert anniversaire réunissant les trois pionniers anglais du Doom-Death. Ce concert m'a mis un sacré coup de vieux car ce soir-là il y eut fort peu de Doom-Death. Anathema nous gratifia d'un superbe concert enthousiaste et charismatique. Je me suis surpris à y prendre du plaisir alors que leur orientation musicale actuelle ne m'évoque absolument rien. Ensuite, vint l'instant magique, My Dying Bride fit souffler un vent glacial et rétrograde dans l'assistance. Ils se permirent d'exhumer un titre préhistorique. Merde, un putain moment du pur Death lourdingue !!! Ma vieille tête sénile devint hystérique et me voilà rajeuni de vingt ans !! Vint le tour des héros de la soirée. Même si je me faisais peu d'illusions, au fond de moi l'espoir fou de réentendre en concert un titre du premier album persistait. Après tout, c'était un concert anniversaire, un évènement unique et nostalgique ! Malheureusement, rien de tout cela !!! Je passerai sous silence les problèmes indépendants de la volonté de nos Anglais (batteur, micro...) La performance de Nick Holmes fut pathétique. On le sait, le front-man est un bipolaire de la scène. Un jour avec, un jour sans. En outre, j'ai toujours l'impression étrange que les musiciens ne jouent pas la même musique. Le bassiste semble jouer dans groupe de Jazz, Aaron joue dans un groupe de Funk et Mackintosh tel un monolithe noir pense qu'il joue dans le plus occulte groupe de Black Metal qui soit. Une set-list convenue, pis on eut droit à un paquet de titres de "Draconian Times". Maudit, je suis maudit !!!! J'abandonne le combat tant pis.
Il n'en reste pas moins que ce méfait originel, haï de tous, marque le début d'une scène et d'un âge doré pour le label Peaceville qui s'amuse de manière sadique à rééditer le monstre.

Je signale que l'artwork, qui se révèle original pour l'époque, est signé Duncan Fegredo, jeune dessinateur anglais à l'époque qui s'illustrera peu de temps après aux Etats-Unis sur des comics tels que Kid Eternity ou Enigma.

Enfin, ce bâtard magnifique reste pour moi l'oeuvre la plus noire et sombre de Paradise Lost. A l'écoute de cet album, je ne peux m'empêcher de penser que je suis enfermé dans un cercueil enseveli de boue noirâtre dans un cimetière désolé, battu par la pluie et le vent. De ce fait, je trouve la production parfaitement adaptée. Sans elle, l'album n'aurait pas ce doux parfum de tombeau. Je sais, ma lutte est vaine. Mais vous ne m'empêcherez jamais de ressentir le souffle glacial de la mort dès les premières notes de "Deadly Inner Sense". Depuis vingt ans, un frisson court le long de mon échine.

Que vos âmes impies reposent en paix...


Rédigé par : Dark Rabbit | 1990 | Nb de lectures : 2234