« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… »

Moi, le jeune vieux dinosaure. Je vous parle d’une époque brillante où le Thrash, rejeton énervé du Heavy Metal, dominait le monde de sa suprématie taillée dans la vitesse et le joyeux bordel, arborant ses lettres de noblesse au travers de ces groupes qu’étaient (et que sont toujours pour la plupart) un "Slayer", un "Machine Head", un "Anthrax", un "Kreator"… Premier représentant de cette scène précocement extrême, "Slayer", dont le rayonnement international – jeté en grandes pompes par le fabuleux "Reign In Blood" gravé dans le sang de l’éternité dès 1986 – n’est pas sans être dû à un certain Dave Lombardo, batteur de première frappe (réécoutez "Angel Of Death" pour vous remettre les idées en place). Les aléas de la vie d’un groupe étant ce qu’ils sont, Dave Lombardo quitte Slayer en 1992, non sans avoir participé au préalable à l’enregistrement d’une sacro-sainte trilogie : "Reign in Blood", "South Of Heaven", "Seasons in the Abyss". Trinité métallique amenée à forger le coeur-même du style Thrash. Evidemment, Dave Lombardo ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Rapidement, il décide de former un nouveau projet au sein duquel il pourra de nouveau assouvir ses pulsions rythmiques et exploiter sa virtuosité matraqueuse… C’est ainsi que Grip Inc voit le jour en 1993. Le ravageur de fûts ne fait pas les choses à moitié.

Le premier album de "Grip Inc" sort en 1995, sous le titre "Power Of Inner Strengh". Il nous sert un Thrash puissant (on s’en serait doutés…), dans la lignée directe de "Slayer", envoyé dans nos fébriles esgourdes à grand renfort de riffs dévastateurs, de parties de batterie frénétiques, et du chant reconnaissable entre mille de Gus Chambers. La critique applaudit promptement, et le public en redemande. Deux ans plus tard, l’équipe de Dave se remet aux fourneaux pour nous servir une seconde galette : "Nemesis", qui se trouve au centre de nos préoccupations.

Si la filiation avec "Slayer" se faisait encore ressentir sur le précédent opus, le cordon ombilical est définitivement tranché à partir de ce "Nemesis" : musicalement, "Grip Inc" a trouvé sa propre pâte et ne joue rien d’autre que du "Grip Inc"…

"C’est quoi du Grip Inc ?" Me direz-vous… Nous y venons...

Alors que la batterie était mise en avant sur "Power of Inner Strengh" – certaines parties ayant été composées avant même que les autres instruments n’aient eu leur mot à dire – le groupe affirme sur ce deuxième opus une cohérence à toute épreuve : chacun des musiciens a clairement trouvé sa place. Il n’est plus question ici de démonstrations polyrythmiques et autres virtuosités de baguettes : Dave Lombardo a mis de côté son ardeur naturelle à matraquer les fûts pour laisser s’exprimer l’identité du groupe. Et c’est un parti pris judicieux. Sorychta, qui signe la majorité des titres, en profite : il s’en va explorer de nouveaux horizons sonores et se permet des audaces expérimentales dont il n’aurait pu être question par le passé.

L’album s’ouvre sur un "Pathetic Liar" qui nous met illico au diapason : guitares claires scandant un riff liquide en guise d’introduction, puis l’entrée fracassante du groupe, sur un son proprement MONSTRUEUX : des guitares graves à la distorsion ronronnante et ronflante comme un moteur de Supertanker, une batterie précise qui trouve son parfait équilibre, la voix à la fois limpide et inquisitrice de Chambers. On est tout de suite rassurés. Bien que le tempo général se soit calmé par rapport au précédent album, on trouve quelques pistes franchement furieuses : à l’image de "Portrait Of Henry", condensé de rage décoché à la face avec la force d’un uppercut. 1 min et 27 s. Pas une de plus. Aucun répit. On en reste à terre. Dans la même veine, "War Between One", avec son riff terriblement Thrash, et sa partie de double qui nous rappelle que Dave Lombardo n’a pas perdu la forme, loin de là… Les breaks sont plus nombreux que par le passé : ils ponctuent l’intensité des plages et introduisent des changements d’atmosphère bienvenus. Les solos sont admirablement inspirés (celui de "Pathetic Liar", et de "Rusty Nails"), et la recherche de la mélodie semble au centre des compositions (les guitares de la fin de "Scream At the Sky", le riff INOUBLIABLE de "Rusty Nails" avec ses harmoniques…). Enfin, comment ne pas aborder le travail d’orfèvre réalisé sur les synthés : des synthés très présents, qui apportent à la musique de "Grip Inc" une dimension nouvelle. Ce "Nemesis" baigne d’ailleurs dans un climat étrange, ambiguë, tout en contraste : à la fois, sombre et éthéré, dur et liquide, grave et onirique, intime et martial, ce qui lui confère un charme intrinsèque que l’on ne retrouvera sur aucun autre album du groupe par la suite. Les mélodies se disputent la brutalité, et alors que certains passages dévoilent un caractère qu’on ne peut qualifier autrement que de « beaux » (le riff de "Sream at the Sky", le refrain de "The Summoning" épuré, avec simplement sa batterie et ses nappes ténues de synthé…), d’autres passages se montrent par opposition carrément apocalyptiques (les fins de "Myth Of Man", de "Code Of Silence", de "Rusty Nails" où Dave Lombardo laisse exploser toute sa fracassante virtuosité et nous assomme sous la violence de ses coups…).

Si l’on voulait pousser la comparaison avec "Slayer" un peu plus loin, je dirais que "Grip Inc", sur ce "Nemesis", évolue dans un registre plus « en finesse » et se démarque de son concurrent par un aspect mélodique (tant au niveau du chant que des lignes de guitares) ainsi que par un travail sur le son, plus marqués, plus poussés… A la grande satisfaction de nos oreilles, premières bénéficiaires…

Réécouter "Nemesis" a véritablement été pour moi une source de plaisir. Même avec dix ans dans la vue, l’album résonne toujours de ce formidable souffle de puissance qui vous soulève les tifs et vous martèle les tympans à chaque écoute. Bien entendu, le petit monde du Métal a subi quelques séismes de forte magnitude depuis sa sortie, voyant émerger les courants extrêmes que sont le Black et le Death, ce qui n’a pas été sans bouleverser considérablement notre audition. Malgré tout, "Nemesis" conserve, à mon sens, un charme impérissable dû principalement aux différents éléments évoqués ci-dessus. Pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas encore fait son expérience, je ne pourrais que vous conseiller vivement d’y jeter une oreille…


Rédigé par : goldenear | 1997 | Nb de lectures : 2526