Hiver 1995-1996. Après les historiques (Venom, Bathory, Celtic Frost,...) des années 80, et la deuxième et terrifiante vague du début des années 90 (Burzum, Darkthrone, Mayhem,...), la troisième lame du black-metal envahit le monde et touche notre beau pays agricole et chiraquien. A cette époque lointaine où Internet ne concernait encore que bien peu de gens, les mythes et légendes issues des frasques de Grishnack, Euronymous et leurs amis avaient contribué à créer une certaine effervescence dans le petit milieu métallique de l'époque. Chaque sortie était donc accompagnée d'une certaine impatience dans ma (toute) petite communauté de copains amateurs.

C'était donc en jeune et frais converti que je découvrais régulièrement de nouveaux groupes, tous inquiétants de noirceur, la plupart du temps peinturlurés (en noir et blanc (avec des clous (dans la neige))), souvent norvégiens, jamais souriants. On était alors au summum de l’evil attitude. C'est à cette époque où Emperor fait figure de tête d'affiche de la next-gen - après un premier album monumental ("In the Nightside Eclipse") qui a placé la barre tellement haut que 10 ans plus tard, on est encore beaucoup à estimer qu'il est inégalé - que débarqua un nouveau groupe norvégien au nom éloigné des standards anglophones classiques : Dimmu Borgir.

Les Dimmu, en ce début d'année 96, c'était un petit groupe, signé sur un label pas bien gros (Cacophonous) et qu'on suspectait comme beaucoup d'autres de surfer avant tout habilement sur la "tendance" BM. Un surf de première classe, d'ailleurs : le premier album du groupe, "For All Tid", sorti un peu plus d'un an plus tôt, respectait en bonne partie les canons true-black de l'époque : production à chier, technique limitée, voix pourries, chant en norvégien, mais une hargne et une inspiration qui confèrent aujourd'hui encore à cet album un certain charme désuet. La principale innovation de Dimmu était alors des claviers bien présents et un tempo un soupçon plus lent que ce qui se faisait habituellement.

Le petit deuxième, "Stormblåst", arriva donc début février 1996 dans les bacs français, noyé au milieu d'une production BM sans cesse grandissante. Quand je me le procurai à la FNAC de Rouen, ce fut un peu le hasard qui me conduisit vers cet album : n'étant honnêtement pas un pur trve à l'époque (ni maintenant!), "For All Tid" ne m'avait pas réellement marqué. Le but était donc principalement de fanfaronner devant les potes forcément conquis par tant d'audace et de maturité musicale supposée. :)

Et pourtant. Dès "Alt Lys Er Svunnet Hen" et sa petite intro au piano, on sentait que la donne avait changé. Le son, quoique toujours cheap et naïf, était nettement plus correct que sur FAT. Les claviers continuaient à prendre de plus en plus de place. La batterie, assurée par Tjodalv en remplacement de Shagrath, laissait apparaître un feeling bien plus séduisant avec des blasts beats plus marqués, une double pédale largement mieux utilisée. Le même Shagrath était lui plus présent vocalement que sur le premier album, tandis qu'Erkekjetter Silenoz avait du coup un peu lâché le micro pour se concentrer sur sa gratte. L’épique "Broderskapets Ring" arrivait, et le doute n'était plus permis : quasiment tout avait été modifié, même si le chant restait encore en norvégien. La suite confirmait toutes ces impressions, notamment avec un triptyque central "Stormblåst" / "Dødsferd "/ "Antikrist" qui continue encore aujourd’hui de m’éveiller des sentiments fort agréables. Au passage, on pouvait noter l’instrumental "Sorgens Kammer", très agréable, mais dont on n’apprendra que bien plus tard qu’il était en fait entièrement repompé sur un jeu d’Amiga méconnu (Aarstad n’en avait visiblement pas averti Shagrath et Silenoz, ce qui avait entretenu la confusion).

Bref, "Stormblåst", c’était la première étape de la mutation d’un groupe dont les dents rongeaient tellement le plancher qu’il était relativement évident qu’ils ne se voyaient pas rester éternellement sur la dernière ligne des affiches de festivals obscurs.
Ca se voyait tellement que Nuclear Blast (qui n’était pas encore à l’époque l’immense artillerie qu’on connaît aujourd’hui) vit en eux un excellent moyen de renouveler leur équipe de speed et heavy-métalleux qui avait pris un petit coup vieux et qui commençait à sentir le sapin pour la jeune génération.

La machine était en marche, et "Enthrone Darkness Triumphant" pouvait débouler l’année d’après, symphonique en diable, en anglais et pété de thunes, installant les Dimmus sur le trône du Black-Metal "commercial", trône qu’ils n’ont jamais quitté depuis même si la guéguerre avec Cradle, qui commençait à pointer, a longtemps été indécise.

PS : Evidemment, a l’opposé, certains voient en "Stormblåst" le chant du cygne d’un groupe qui vendra son âme au dieu dollar, le seul album, avec FAT, tout juste acceptable d’une discographie globalement vouée aux gémonies. A ceux-là, l’existence même de Stormblåst 2006 montrera que dès à l’époque, l’idée des Dimmu était de faire de cet album un truc avec "un gros son". Et qu’il est donc inutile de regretter leur état d’esprit de l’époque.





Rédigé par : SKGV | 1996 | Nb de lectures : 2255