ABORTED, BEHEMOTH et KATAKLYSM, trois des groupes m'ayant donné mes plus grands frissons scéniques ces dernières années, faisant équipe pour une tournée européenne ! Il ne manquait plus que NAPALM et l'affiche aurait presque pu concurrencer dans mon cœur de hard rocker le Brutal Tour de 95 réunissant MASSACRA, LOUDBLAST, CRUSHER et NO RETURN… NAPALM n'était bien sûr pas de la partie, mais l'affiche était tout de même plus qu'alléchante sur le papier et une occasion de dernière minute s'étant présentée, nous partîmes à quatre pour une virée alsacienne sous un magnifique soleil automnal. Arrivés peu de temps avant l'ouverture des portes et la perspective d'un dîner aux sandwichs ne nous réjouissant guère, nous nous mîmes cependant en quête d'une enseigne proposant morceaux de barbaque bien saignants et frites bien croquantes…
Un peu plus tard, après avoir trouvé, coup de bol, une place où se garer sans trop galérer, nous pénétrâmes dans la salle non sans avoir déjà jeté un coup d'œil avide sur le stand de merchandising des groupes et fait une liste mentale des t-shirts qu'il faudrait venir chercher après la première pause. LYFTHRASYR en était à la fin de son set et nous n'eûmes qu'un bref aperçu de leur black metal mélodique dont les subtilités studio semblaient assez bien rendues, ce qui nous donna l'opportunité de laisser un peu descendre le repas copieux ingéré une demi-heure plus tôt et d'attendre ainsi ABORTED dans les meilleures conditions. A 20h30, suivant à la minute près (ou presque) l'horaire prévu, le groupe déboule sur scène avec de loin le meilleur son de la soirée et lâche une première giclée de blasts sur une Laiterie aux trois-quarts pleine. C'est la septième fois que je les vois, la quatrième avec un line up différent, mais la correction est toujours aussi brutale ! Cette énième formation paraît toutefois plus soudée que jamais avec Sven, quelques kilos en moins et le cheveu ras, très explosif ce soir, Seb headbanguant à s'en décrocher la nuque dans une attitude très death metal et Sven Janssens levant bien haut sa basse à la moindre occasion avec une moue guerrière qui ne laissait planer aucun doute sur son engagement physique ! Peter, passé de la quatre cordes à la guitare depuis le départ de Matty il y a quelques mois, est un poil en retrait mais mouille toujours autant la chemise et question marteau pilon, rien à redire du nouveau batteur Dan Wilding ; la DCA semblait ne jamais devoir s'arrêter !
La mini tournée effectuée l'an dernier à Dijon, Bourg-En-Bresse, Vesoul et Mulhouse avait démontré que les titres du dernier album « Slaughter & Apparatus », bien que quelque peu décevants sur disque, beutaient comme il se doit sur scène et que l'ambiance plus death qui s'en dégageait donnait à ABORTED un côté plus lourd sur les breaks et plus méchant dans l'ensemble. L'impression fut la même à Strasbourg, avec une setlist très bien construite piochant dans les trois derniers albums et basée sur les incontournables « Gestated Rabidity », « Dead Wrecknonnig », « Meticulous Invagination », « The Chondrin Enigma » etc. ABORTED est incontestablement l'un des meilleurs groupes de death sur scène, à la fois extrêmement brutal et groovy, peut-être le seul à marier aussi bien ultraviolence et mélodies que CARCASS en son temps… Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Jeff Walker est venu grogner sur « Slaughter & Apparatus » ! Le set, bien trop court en raison de la place du groupe sur l'affiche, aura néanmoins le mérite, en plus de mettre à mal les nuques les moins préparées, de ne souffrir d'aucune baisse d'intensité et la meilleure preuve est certainement le pogo improvisé qui enflamme les premiers rangs de la Laiterie pendant le « Happy Days » balancé par le technicien son après la fausse sortie du groupe avant le rappel. On n'en attend que plus impatiemment le prochain disque, annoncé par Sven pour l'an prochain, avec on l'espère la même équipe de bouchers ! (ndr : info de dernière minute ; lors du show de Lyon le 14 octobre, ABORTED a arboré de magnifiques corpsepaints pour célébrer le dernier concert en compagnie de BEHEMOTH, ce qui donne une idée de l'ambiance colos de vacances qui devait régner lors de la tournée !).
Suivant un timing toujours aussi précis que depuis le début de la soirée, BEHEMOTH monte sur scène dès le changement de backline effectué (alors qu'ils étaient annoncés en tête d'affiche sur les billets) et là grosse déception, le son est abominable !!! Beaucoup trop black pour rendre justice à la prod épaisse des derniers albums des polonais, il agresse les oreilles et transforme en brouhaha strident les morceaux post « Satanica », un choix incompréhensible de la part des Polonais qui s'appliquent pourtant à avoir un gros son en studio (pour rappel, Daniel Bergstrand sur les deux derniers opus). Reste qu'un concert de BEHEMOTH est une expérience unique, son de merde ou pas, et que là où pas mal de groupes sombrent dans le ridicule en montant sur scène dans des accoutrements dont même la Fédération Française de Sado-Masochisme ne voudrait pas (ah, j'ai pas dit COF et DIMMU !), ils imposent d'emblée un respect mêlé de crainte. Peut-être parce qu'il se dégage de ces quatre démons lovecraftiens une authenticité qui se fait rare dans le milieu et que par ailleurs, la classe et la disponibilité de Nergal une fois sorti de scène ne font que renforcer la certitude de voir là un groupe qui se donne à fond dans ce qu'il fait tout en gardant un recul salvateur.
Le décor est, comme d'habitude avec eux, sobre et mystique avec l'emblème du groupe faisant office de pied de micro pour un Nergal possédé, qui crachera sa haine pendant près d'une heure avant de conclure sur un « I Got Erection » de circonstance, qui nous ramène à ce recul que j'évoquais quelques lignes plus haut. « Antichristian Phenomenon », « Demigod », « From The Pagan Wastelands », « Conquer All », après laquelle Nergal déchire une Bible et en lance les lambeaux dans le public avant de balancer un « Christians To The Lions » rageur, « Prometherion », les musiciens se donnent à fond et on en vient presque à oublier ce son miteux qui aurait pu plomber le concert. BEHEMOTH ne fait pas que jouer, il prononce chaque soir une messe noire rythmée par les blasts monstrueux d'Inferno à laquelle on ne peut rester insensible pour peu qu'on se laisse guider par les invocations du maître de la cérémonie occulte. Après une quinzaine de titres et un problème de sangle de Nergal qui n'en stoppera pas pour autant la charge bestiale du groupe, le show se terminera par la reprise susmentionnée de TURBONEGRO « I Got Erection », Nergal sourire aux lèvres et le musculeux Orion lessivé, visiblement éreinté après cette représentation énergique. Une preuve de plus, s'il en était encore besoin, qu'on peut verser dans l'occulte le plus sombre et belliqueux tout en ne restant pas prisonnier du gimmick.
En sortant de la salle, je me demandais bien comment KATAKLYSM allait pouvoir faire plus bourrin après ces deux formations (je ne compte pas LYFTHRASYR, aperçu plus que réellement vu) et après quelques morceaux des Canadiens il est évident que leur show, sans être soporifique, sera pépère. A part quelques albums et beaucoup de sympathie, je n'ai pas grand-chose d'eux chez moi et ne suis pas plus que cela les évolutions du line up… D'où ma surprise et ma déception en constatant que le fou furieux vu à Mâcon il y a trois ans, qui frappait sur ses peaux comme s'il voulait réduire sa batterie en morceaux, faisant à chaque impact plier toute l'armature, était ce soir tout raide et froidement métronomique. Efficace mais visuellement inexistant, comme beaucoup de batteurs ultra rapides et triggés maintenant. C'est ma charmante photographe/chauffeuse/dealeuse de bonbons qui m'apprit que ce batteur qui m'avait tant impressionné n'avait en fait qu'assuré un court intérim… Bah tant pis alors, reste le charismatique chanteur Maurizio dont l'une des premières interventions sera pour dire au public, en français et en anglais, que s'il n'y a pas de barrières pour garder le public à distance respectueuse de la scène, c'est parce que KATAKLYSM l'a exigé, parce qu'ils veulent que ce soit une fête pour tout le monde, qu'on est tous unis pour le Métaul, et cætera, et cætera… On peut penser ce qu'on veut du côté démago d'un tel discours, toujours est-il qu'il mettra ses déclarations en application tout au long du concert, prenant à de nombreuses reprises les slammeurs par le cou pour une séance de headbanging dont ils se souviendront ! Ce n'est un scoop pour personne, les Québécois sont adorables et Maurizio le prouvera encore ce soir par la proximité qu'il crée avec ses fans, ce qui sauvera un set mou du genou axé sur des titres plutôt lents ou comportant beaucoup de breaks lourdingues.
Les « Crippled & Broken », du dernier album « In The Arms Of Devastation », « Strike You Down » (« Serenity In Fire »), « Where The Enemy Is » et autres « Face The Face Of War » ne parviendront guère à réveiller un public qui s'endort petit à petit malgré les nombreuses invectives du frontman. Même l'énorme et puissant « Manipulator Of Soul » semble fade et juste avant le rappel la salle commence d'ailleurs à se vider, preuve que soit tout le monde était crevé, soit une partie du public n'avait pas tellement suivi les débats… Qu'à cela ne tienne, imperturbables, les KATAKLYSM ont fait un show très professionnel et encore une fois, la bonne humeur régnant dans la salle et sur scène atténuera grandement la déception d'avoir vu ce groupe moins énergique qu'on s'y attendait. A ce propos, il faut donner un grand coup de chapeau au service de sécu de la Laiterie, particulièrement poli et agréable que ce soit à l'entrée ou sur la scène, ou les deux gars qui devaient gérer les nombreux slammeurs qui tentaient de monter sur scène se sont montrés d'une courtoisie et d'une efficacité remarquables ! Cela contribua sans nul doute à cette bonne ambiance qui régna pendant toute la soirée et nous fera repartir avec le sentiment de ne certes pas avoir vu tous les groupes en forme olympique, mais d'avoir passé du bon temps et rien que pour ça le déplacement en valait la peine !
Et je ne parle pas des quelques mots échangés avec les deux Sven d'ABORTED qui ont passé une bonne partie des concerts vers le stand de merchandising, à la disposition des fans comme c'est le plus souvent le cas avec eux (les regards énamourés lancés en douce par quelques représentantes de la gente féminine ne trompaient d'ailleurs pas sur la pertinence du nouveau look de Svencho…). Bref, en un mot comme en 666, cette date à Strasbourg fut une bien belle soirée, j'espère maintenant revoir BEHEMOTH avec un meilleur son et KATAKLYSM avec plus de patate !