SAINT VINCENT - SAINT VINCENT par PAMALACH - 4343 lectures
Si Monsieur SAINT VINCENT est un chanteur prisé dans le petit monde du metal extrême, ce n'est pas sans raison. C'est au travers de cette interview que le hurleur va nous développer ce qui fait l'essence de son art. Rencontre avec un passionné à l'expression riche.
Salut et merci de répondre à nos questions ! Comment devient-on chanteur de metal extrême ?
Bonsoir. Merci pour ton interview. Je ne sais pas ce qui s'est passé avec les autres, mais pour ma part, deux facteurs : une puissance, une énergie impossible à retenir et la découverte du métal au cours de mes jeunes années. Ce style de musique définit un cadre qui permet à cette énergie d'exploser au travers de l'art. Le chant extrême est une discipline qui permet une intimité et une pureté particulière avec cette source d'énergie. On la travestit peu, on couche avec de façon sauvage, on jouit de son explosion.
Est-ce que tu travailles régulièrement ta voix et si c'est le cas comment t'y prends-tu ?
Je travaille principalement ma voix au cours des répèts. J'ai toujours privilégié le ressenti et l'émotion. Ce qui est une démarche saine pour trouver sa voix à ses débuts. Par contre au cours du temps, l'émotion seule ne peut plus justifier la qualité d'un chant, sans être soupçonnable d'un paisible amateurisme. Disons surtout une coupable facilité. Je m'oriente donc actuellement plus vers la maîtrise et le contrôle.
Le black metal est un style bien spécifique qui requiert du travail et de l'endurance. Je me souviens d'avoir lu une interview d'un célèbre batteur de BM qui disait que chanter du black était beaucoup plus complexe qu'il n'y paraissait. Es-tu d'accord avec lui ?
Si le quidam peut communément penser qu'il suffit de "gueuler" dans un micro, la réalité est tout autre. Il y a déjà tout naturellement l'endurance. Il faut tenir plus de trente minutes, voire une heure. Le type de technique vocale est très fatiguant et stressant. Il y a ensuite d'autres paramètres à gérer, la constance, parfois la justesse même, et surtout l'émotion, quelle qu'elle soit. L'émotion et l'intention vont avoir tendance à passer derrière l'intensité et la puissance. C'est une fine modulation qui différencie énormément les chanteurs. Il y a une différence entre paraître haineux et faire ressentir de la haine, par exemple. Il suffit en effet de gueuler pour paraître dangereux, faire peur et inquiéter. Un type qui vous gueule dessus dans la rue va vous énerver, et réveiller votre agressivité. Mais je ne pense pas qu'il touche à votre âme profondément. Pour faire ressentir la haine et la peur de façon plus durable, plus profonde, il faut travailler plus sur les accents de sa voix. C'est ce qui va créer la fascination, le sort. C'est l'agent magique, le formant occulte. Je ne prétends pas d'ailleurs maîtriser ce procédé, j'en suis néanmoins conscient et je le travaille.
Es-tu d'accord pour dire que le chant extrême n'est pas à la portée de tout le monde ?
Dans la continuité de la réponse précédente, je suis entièrement d'accord. Cela demande du travail, du talent et de la personnalité. Je persévère pour ma part à acquérir et renforcer ces trois aspects.
Est-ce que chanter est libérateur voire thérapeutique pour toi ?
Je conçois qu'il y ait des motivations inconscientes, et comme je le disais dans la première question, il y a une énergie, un désespoir, une haine à la base d'une expression artistique si écorchée et primitive. Mais je ne m'intéresse pas à la qualité thérapeutique du chant. Je préfère rester dans une certaine inconscience à ce niveau, qui permet de conserver le mystère et la puissance de la magie opérée. Le charme pour être opérationnel impose un mystère. Rabaisser la pratique du chant "extrême" au niveau d'une demi-heure de jogging ou d'une séance chez l'osthéo est grotesque. La musique doit garder un aspect "à part", "au-dessus", "au-delà". Dans le black metal, le chant n'est pas une pratique thérapeutique, c'est une pratique ésotérique.
Il me semble évident que lorsqu'on est chanteur dans un groupe de BM, ce sont avant tout des sentiments négatifs qui t'habitent quand tu chantes. Est-ce qu'il y a malgré tout une part de plaisir quand tu chantes ou c'est juste "la décharge de haine" ?
Où est la contradiction ? C'est un pure plaisir que de décharger de la haine. Je ne chante pas pour me faire du mal, je ne suis pas masochiste, je cherche à jouir de cette haine. C'est d'ailleurs peut-être en ça que l'on peut faire le distinguo avec une pratique thérapeutique. "Décharger de la haine", c'est thérapeutique. On se vide, ça fait du bien, on se purifie. Jouir de la haine, c'est plus qu'une catharsis, c'est une passion d'esthète libre et jouisseur. C'est une alchimie. On ne guérit pas le plomb, on cherche l'or.
Peux-tu nous dire comment tu procèdes pour écrire les lyrics de tes chansons ?
Les paroles que je signe doivent provenir strictement d'une expérience ou d'une vision personnelles. Elles se placent toujours sur un axe vertical. En dessous, les expériences passées dont les émotions les plus puissantes résonnent en vacarme, et au-dessus, la lumière qui en se précisant dicte son message en criant. Dans le feu de l'action tous ces messages se mélangent dans un vacarme. C'est dans les périodes d'accalmie que j'écris. Les paroles viennent alors assez naturellement en écoutant la musique. Il faut se laisser gagner par le morceau. C'est un peu comme devant un océan, on est un peu incrédule devant, mais une fois qu'on est dedans, qu'on nage suffisamment pour perdre pieds, on devient dépendant du rythme des vagues. Et derrière chacune d'entre elles peut surgir un mot, une vision. Après, on peut être submergé d'un seul coup par l'abondance soudaine de cet afflux. Pour ne pas se noyer, il faut dans ces idées reconnaître les siennes. Et revenir au rivage avec ce nouveau trophée. On signe alors les paroles d'un titre en le brandissant, triomphant. Dans le symbolisme astrologique, Neptune est lié à l'inspiration. Cela me paraît très juste.
Où puises-tu ton inspiration ? As-tu des livres de prédilection ou des films cultes ?
Comme je le disais précédemment, je m'inspire de mes expériences ou de ma vision du monde. Cependant celle-ci est bien évidemment perméable à certains films et lectures marquants. Je ne serais pas à même de les hiérarchiser, mais je peux citer dans le désordre. En littérature : l'occultisme de la fin du dix-neuvième (Wirth, Guaita,…), les dystopies et le réalisme fantastique du vingtième siècle(Huxley, Bergier,…), la recherche psychédélique (Hofmann, Shulgin, Grof, Huxley, Metzner,…), chamanisme (Castaneda)… la Bible évidemment. En matière de cinéma, encore une fois dans le désordre : le mouvement Panique (en référence au dieu Pan, avec Jodorowsky notamment), bien sûr David Lynch (Blacklodge étant au départ une référence directe), les films qui mettent en opposition l'homme et la machine, aussi bien les classiques comme Kubrick ou les films indépendants comme Tetsuo. J'ai été très marqué par l'œuvre de Buttgereit (Der Todesking, Nekromantik). Et bien sûr, beaucoup de films psychédéliques. Toutes ses références alimentent ma vision d'un monde, dans lequel l'athéisme matérialiste, sous ses oripeaux technologiques faustiens, incarnent l'avènement du triomphe biblique de Satan. Avec comme technique de révélation, l'exercice de la distance avec la réalité, pour mieux appréhender le mécanisme globale d'une fin des temps.
As-tu une boisson de prédilection favorite pour "soigner" ta voix en tournée et ailleurs ?
Je n'apprendrai rien à personne en affirmant, que sur une tournée, la boisson principale à disposition pour soigner sa voix, ou se soigner tout court, c'est la bière. Un chanteur sérieux sait que la boisson miracle pour soigner sa voix, c'est l'eau. Cependant, lorsque j'en ai la possibilité, j'ai une très grande préférence pour les scotch whisky single malt des huit distilleries de l'île d'Islay. Ainsi, j'adore soigner mes cordes vocales avec une bouteille de Caol Isla.
Comment gères-tu la fatigue vocale en tournée ?
Comme le reste de la fatigue physique, en abusant et prenant suffisamment d'excitant pour ne pas tomber raide mort.
N'as-tu pas peur du futur de ta voix ? Est-ce qu'il t'est arrivé de te retrouver aphone ou de te faire vraiment mal ?
Je me suis retrouvé une seule fois aphone il me semble, et ceci la veille d'un concert où je jouais avec Merrimack, à Lisbonne. On a passé la soirée dans les rues du Bairro Alto si je me souviens bien. En fin de soirée, impossible de sortir un son. Incroyable. Ceci peut arriver, mais j'ai réussi à gérer le lendemain. Je ne m'inquiète pas particulièrement pour le futur de ma voix.
Comment se passe le travail de respiration quand on est un chanteur de metal extrême ?
Au début on se vomit dessus, ou on s'étrangle. Avec un peu d'expérience cela vient tout seul et cela est très naturel.
Le chanteur est très souvent au centre du combo (et souvent au centre de la scène d'ailleurs). Comment te sens-tu à cette place ?
Parfaitement bien, c'est d'ailleurs ma place préférée ! Ca tombe bien !
Qu'est-ce que tu penses du chant clair ?
Utilisé à bon escient c'est purement génial. La plupart du temps malheureusement soporifique dans le métal ou franchement déplaisant. A mon goût.
Peux tu nous quel ton chanteur(se) Hors metal que tu préfère ?
Je n'ai pas de nom qui me vient à brule pourpoint. David Tibet…j'adore ce qu'il fait avec Current 93. En ce moment j'écoute hors métal le travail de Karin Dreijer Andersson.
Peux-tu nous donner ton avis sur ces différents chanteurs ?
- Klaus Meine? : Il a un timbre qui a du charme, et j'aurais pu adorer, mais je suis peut-être né trop tard.
- Rob Halford ? : Quelle belle moto et combinaison métal au Hellfest. Belle paire de lunettes également. Blague mise à part, une légende évidemment, qui permet de rester toujours humble même si ce n'est pas un modèle pour moi en tant que chanteur.
- Barney Greenway ? : Très puissant, superbe carrière, grande présence scénique. J'adore Napalm Death, mais encore une fois, pas spécialement un modèle pour moi.
- Satyr ? : J'aime beaucoup son chant. Depuis toujours, depuis "Dark Medieval Times". Il a un petit timbre très reconnaissable, posé, reptilien, un quelque chose qui rampe avec du venin. La seule chose qui justifie d'ailleurs cet horrible plagiat graphique de Pantera sur "Volcano". J'ai toujours été déçu cependant qu'il ne joue pas de guitare en live en plus de chanter. Ça me perturbe toujours.
- Cronos ? : Tout est résumé dans l'accident qui lui fit perdre de son oeil. De la folie, de l'extase, de la bêtise vulgaire transcendée en panache exalté.
- George "Corpsegrinder" Fisher? : C'est un excellent chanteur, mais à l'époque où il a remplacé Chris Barnes, j'étais naturellement déçu. Beaucoup moins fou ? Je ne saurais dire.
- Thomas Gabriel Fischer ? Peut-être mon préféré de la liste. Quand j'ai acheté "To Megatherion", intrigué par la pochette, j'ai été vraiment sidéré, avec cette rare impression de découvrir du nouveau, impression tellement rare et précieuse. Une touche d'arrogance brouillon, du panache, ce corps valétudinaire caché derrière des clous, du cuir, trop de cheveux, chantant une mauvaise heroic fantasy avec une conviction étrange, quelle joie, quel goût, quelle profondeur ! Cette façon presque empruntée au rock n roll de cracher, cette hargne un peu malade, vraiment beaucoup d'émotion. Qui d'ailleurs continue de m'enthousiasmer, contre toute attente, avec "Monotheist" et Tryptikon. Sombre et crédible. J'avoue même aimer son chant sur "Cold Lake". C'est sûrement, encore une fois, l'un des chanteurs qui m'a le plus inspiré dans ta liste.
Peux-tu nous dire quel chanteur(se) hors metal que tu préfères ?
Je n'ai pas de nom qui me vient à brûle-pourpoint. David Tibet… j'adore ce qu'il fait avec Current 93. En ce moment j'écoute hors métal le travail de Karin Dreijer Andersson.
Le mot de la fin est pour toi.
Je te remercie pour ton interview. Je finirai par mon actualité : nous sortons avec Vorkreist un nouvel album (avec l'annonce officielle à cette adresse http://dl.dropbox.com/u/19710179/VKT_banniere.jpg) , sur Agonia, intitulé "Sigil Whore Christ". Je suis également de retour avec Blacklodge et j'en profite pour annoncer que nous venons de signer sur Season Of Mist et notre prochain album sortira cette année 2012.