Bruno Dolheguy (Chant, guitare) - BRUNO DOLHEGUY (KILLERS) par GARDIAN666 - 5147 lectures
KILLERS est l'un des groupes cultes français encore en activité après bientôt 30 années d'activité. Alors quoi de plus normal que de donner la parole à son leader et membre de toujours, Bruno Dolheguy, pour qu'il nous parle des paroles, ses inspirations, sa manière de les composer et bien d'autres points qui sont abordés. Entretien avec un homme passionné, passionnant et qui plus est, modeste.
- Tout d'abord, est-ce que avant de jouer et plus tard, chanter dans Killers, tu écrivais déjà des textes ou bien des histoires ? Ou est-ce que c'est apparu au moment où tu as pris le micro au sein du groupe ? Bruno Dolheguy: On a commencé en 1983 à composer nos propres morceaux. Je suis passé au chant en 1990. Durant ces sept premières années, il y a eu deux chanteurs mais je me suis toujours occupé des textes. Je n'avais pas d'antécédent particulier en terme d'écriture, tout s'est passé naturellement dans la dynamique du moment. Au tout début, durant la genèse de nos quatre ou cinq premières compositions, j'ai commencé en anglais mais je me suis très vite rendu compte que le français s'imposait. En terme de sonorité, on y perdait un peu mais une expression plus libre et facile ouvrait d'autres horizons.
Généralement, au sein de Killers, les paroles sont créées avant, en même temps ou après la musique ? Ou tout simplement, cela se produit durant ces 3 phases ?
Jamais avant. Lors de la composition d'un morceau, je laisse évoluer les choses en posant des jalons qui me paraissent OK pour préfigurer de ce qu'il en adviendra. Cela ne se traduit jamais par des mots précis, juste des lignes que je marmonne intérieurement. A chaque écoute, elles sont là et je continue à les faire suivre jusqu'à ce que je me décide à les concrétiser par l'écriture d'un texte.
Dès les premiers albums, les textes de Killers avaient un réel intérêt ; vous avez depuis plus de 25 ans abordé de nombreux thèmes, la plupart étant sérieux : le racisme, la corruption et l'hypocrisie du système et du monde politique, la 'déchéance' humaine, et bien d'autres ; Je trouve que Killers ce n'est pas simplement un groupe de heavy, mais aussi et surtout un groupe qui dénonce et pointe du doigt les nombreux problèmes de notre société. Sans parler d'un groupe 'engagé', Killers est plus qu'un groupe de musique, qu'en penses-tu ?
Les textes ont effectivement une importance pour nous et on peut donc dire que Killers est un groupe de musique et de parole. Cela me paraît naturel mais ce n'est pas pour autant que nous nous sentons plus intéressants que d'autres groupes qui ne s'engagent pas autant sur cette voie. Chacun fait comme il le sent et c'est très bien ainsi. Il n'y a rien de forcé ni d'obligatoire. Certains vont se retrouver en nous dans l'expression de sentiments qu'ils partageront, j'en suis bien sûr le premier honoré mais il ne s'agit pas d'un discours moralisateur demandant adhésion. Paroles et musiques étant subjectives, les compliments sont toujours appréciés mais il est important de se blinder pour ne pas trop se prendre la tête lorsque tu croises des jugements moins favorables. C'est important pour pouvoir continuer à avancer en toute sérénité. Ainsi, ce n'est ni une force, ni une faiblesse : c'est tout simplement un fait.
Est-ce que la possibilité d'avoir pu et de pouvoir encore coucher sur le papier tes critiques, tes colères, ta tristesse, etc. t'a permis en un sens, en tant qu'humain, de te libérer, et de ne pas garder au plus profond de toi trop de ressentis sombres et négatifs ? Killers serait en quelque sorte ton exutoire, d'où l'importance des paroles, je trouve...
Cela fut très souvent le cas et ça continue sûrement de l'être encore mais dans une moindre mesure.
Au début, tu penses que l'exutoire passe obligatoirement par cette voie. Cela peut être une bonne chose mais cela ne doit pas être une direction exclusive. Il y a heureusement d'autres façons de purger un trop-plein de sentiments. En relativisant ou en prenant du recul, tu peux aussi t'alléger de certaines choses. Cela ne veut pas pour autant dire que tu les ignores, tu dois juste avoir conscience qu'il faut aussi t'en nourrir pour te renforcer et ainsi te permettre d'être finalement encore plus «efficace».
Killers est un groupe qui a tout de même aussi proposé des textes un peu plus légers, portant notamment sur le heavy metal ("HM 2002", "Heavy metal Kids", "Heavy Metal", "Longue Vie au Metal", "Au Nom du Rock'n'Roll"...). Ces textes sont loin d'être inintéressants (en particulier celui d'"Au Nom du rock'n'roll" plus que jamais d'actualité), mais un peu plus 'communautaires', c'est-à-dire à la fois un hommage aux fans de heavy et dans le même temps une 'déclaration d'amour' au style...
L'écriture se nourrit forcément des univers dans lesquels on évolue. Inclure sa passion pour une musique que l'on aime n'est certes pas forcément la matière qui permettra d'évoquer les sentiments les plus profondément relevés, il n'empêche que ce sont des émotions importantes qu'il m'a semblé intéressant d'évoquer.
Je comprends que l'on puisse avoir une facilité à sous-estimer ce type de texte mais je les assume complètement sans pour autant les trouver crétins. Ceux qui le font devraient bien être certains que tous les groupes qu'ils apprécient n'en alignent pas des bien plus insipides. Je ne suis pas certain que cela soit forcément le cas. Pour des gens qui ne connaissent rien au Heavy Metal, il est compréhensible qu'ils ne captent pas grand-chose à ce type d'évocation. Pour ceux qui le connaissent, il suffit qu'ils regardent leur propre route ainsi que celle de ceux qui la partagent pour se rendre compte que cette évocation n'est pas si anodine.
Il y a peu de fictions dans les textes de Killers ; la réalité de tous les jours, le monde dans lequel on vit, l'Histoire aussi, sont les principales sources d'inspirations, ou il en existe d'autres ?
Je ne suis pas bien placé pour analyser parce que j'essaie justement de me détacher de toutes ces inspirations conscientes ou inconscientes. J'exprime sans trop réfléchir en terme d'inspiration. Cela peut donc parfois donner lieu à des redites mais je ne m'en préoccupe pas plus que ça, c'est ainsi que des sentiments se modèlent dans une globalité qui finalement s'installe. Après, je n'aurai pas la prétention de dire que les liens n'existent pas. L'analyse peut être faite mais, a posteriori et pas par moi.
Il me semble avoir lu dans une ancienne interview que certains textes de Killers te sont personnels ; As-tu souvent écrit des paroles à partir de situations et expériences vécues ?
Tous les textes de Killers me sont personnels par contre, ils ne présentent jamais une personnalité qui puisse totalement être rattachée à une situation ou expérience précise vécue. Je ne pourrai jamais écrire un texte qui puisse me concerner directement sans semer quelques pistes qui puissent m'en dissocier.
Les textes de Killers sont depuis le début souvent directs, sans détour ou métaphore ; est-ce que le but et la volonté du groupe ont toujours été de dire ce qu'il pensait d'une manière un peu 'brute' mais au final sincère ?
On peut nous trouver beaucoup de défauts mais je crois, effectivement, qu'on ne peut pas nous enlever notre sincérité et notre intégrité. On n'attend rien de spécial donc on n'agit pas en fonction de ce qui pourrait être. On fait ce qu'on veut en faisant ce qu'on peut, on dit ce qu'on veut en sachant que personne ne nous en empêchera. Certaines ambitions nécessitent des compromissions. Il n'est pas dans notre nature de rentrer dans ces jeux donc on peut effectivement paraître trop bruts à certains. On ne s'est pas pour autant emmuré, les portes existent, il suffit d'avoir envie de les voir s'ouvrir.
Une fois les textes écrits, ils doivent être chantés; je suppose qu'il t'est déjà arrivé de devoir passer du temps à reformuler certaines phrases et certains passages pour qu'ils soient les plus simples et meilleurs possibles à chanter: est-ce un exercice vraiment difficile et épuisant, ou finalement pas si tortueux qu'on peut l'imaginer ?
Cela ne m'arrive finalement pas très souvent. J'irai même jusqu'à dire quasiment jamais au niveau de l'écriture. Ce serait plutôt une chose qui arriverait lorsque tu te retrouves à devoir placer ta voix sur une mélodie ou tessiture qui fonctionnait sans trop de problèmes dans ton idée mais qui se révèle un peu plus délicate lorsque tu te retrouves physiquement devant un micro. J'ai d'ailleurs compris beaucoup de choses à ce niveau lorsque je suis passé au chant. Cela m'a notamment fait saluer les performances des deux chanteurs qui m'ont précédé dans le groupe parce que, parfois, les parties imposées étaient loin d'être évidentes.
En combien de temps écris-tu un texte ? Est-ce quelque chose de spontané, ou qui demande de la réflexion et du recul ? Certains ont besoin de 2 heures, une nuit, plusieurs jours... tu te situes dans quelle tranche ?
Plutôt dans celle des 2 heures, souvent même moins. Tu évoques la spontanéité en la contrebalançant de la réflexion et du recul. Je ne pense pas que cela soit antinomique, bien au contraire. Pour ce qui me concerne, la réflexion et le recul sont des étapes extrêmement importantes qui permettent justement à la spontanéité de pouvoir s'exprimer de la meilleure des façons. La spontanéité sans réflexion ni recul peut parfois engendrer de très bonnes choses. Elle peut aussi en générer des pas terribles.
Souvent les appréciations sur un groupe portent en premier lieu sur la musique; quand des gens vous félicitent et vous complimentent pour vos textes, cela doit j'imagine, aussi vous faire plaisir, de nos jours les auditeurs ne prêtant peut-être plus trop attention aux paroles; que penses-tu de cela ?
Cela fait bien sûr plaisir mais il en est aussi de même pour les critiques donc il n'y a pas lieu de trop se laisser bercer d'un côté ou de l'autre. Cette distinction particulière vient aussi du fait que l'expression française crée un rapport plus avancé pour des gens qui ne poussent pas forcément autant le ressenti avec des langues qui leur sont moins immédiatement compréhensibles. Faire le choix de proposer des textes en français n'est pas anodin, il est agréable de savoir que certains les apprécient, il faut aussi être bien conscients que d'autres pourront aussi les détester alors que d'autres contenus bien plus médiocres en d'autres langues ne les feront pas autant réagir.
Le livret d'un album est d'une grande importance; au-delà du fait qu'il contienne des photos et illustrations, c'est surtout la disposition des paroles qui le rend utile: l'auditeur se plonge davantage dans l'univers du groupe, peut aussi interpréter les textes à sa manière et se retrouver en phase avec ce qui est dit... C'est en définitive un élément indispensable au groupe, tu partages ce point de vue ?
Je le partage dans le sens où c'est une aide à la compréhension, une confirmation de ce que l'on entend. Par contre, les textes n'existent véritablement que dans leur contexte musical. Ils sont modelés pour cela. Il serait prétentieux de les dissocier de leur fonction première comme il est profondément malhonnête de les en écarter.
En tant qu'auditeur, quels groupes ayant des paroles qui t'ont marqué ou que tu as trouvé intéressantes pourrais-tu citer ?
On se nourrit forcément de ce qu'on écoute. Actuellement, j'écoute peu de choses avec autant d'enthousiasme que je ne l'ai fait durant mon adolescence. Je ne pourrai donc pas te citer des groupes ou des chanteurs particuliers. Par contre, si l'on remonte à mon adolescence, je vais te citer Renaud et Trust qui m'ont toujours beaucoup remué.
Si tu devais choisir 3 textes de Killers illustrant les thèmes abordés par le groupe, lesquels mettrais-tu en avant, notamment pour quelqu'un qui ne connaît pas le groupe ?
Je ne suis pas à l'aise pour ce type de chose, surtout si tu évoques les textes hors de leur contexte musical. Je suis vraiment incapable d'en choisir juste 3 : à toi l'horreur, je te fais confiance. En disant « horreur », c'est bien sûr exagéré mais les textes ont été écrits dans un cadre particulier. Bien sûr, et heureusement, ils ne sont pas ridicules lorsqu'ils sont juste lus mais il faut bien veiller à en rester à sa simple fonction de parolier. Cela ne peut pas être totalement rattaché à l'écriture d'un auteur dit écrivain. Il ne s'agit pas de se sentir obligatoirement inférieur, c'est juste différent. Pour s'en consoler, il faut juste se dire qu'un écrivain n'arrivera pas forcément à écrire aussi librement dans un cadre musical imposé. Ceci dit, je peux concevoir que des textes, hors contexte, puissent susciter des émotions. Il appartient plutôt, dans ce cas, à ceux qui les ressentent de les exprimer. Comme tu voudrais les communiquer à ceux qui ne connaissent pas le groupe, je préfère te refiler lâchement la patate chaude en pensant, à mon avis justement, que tu seras bien plus à même que moi de les convaincre de nous découvrir.* (Vous pouvez découvrir quelques textes de Killers à la fin de cette interview)
Pour finir, je te laisse le mot de la fin si tu as quelque chose à ajouter ou préciser en rapport ou non avec le sujet, c'est tribune libre !
Je voudrai te remercier pour tes questions. Sans tomber dans un excès d'analyse concernant les textes d'un groupe, il est réconfortant de voir que cet aspect intéresse.
Ndlr: Toutes les infos sur le groupe, du son et la possibilité d'acheter les albums à prix très accessible, sont disponibles sur le site officiel du groupe
* Quelques paroles de Killers:
Le Fils de la Haine (1985, album "Fils de le Haine"):
Il était parti dans son lointain pays
Espérant trouver sa patrie … ses racines.
Il fuyait le dégoût et la haine racial
Pour trouver sa dignité … d'être humain.
Espoir légitime de vivre sans regrets,
Il ne veut plus être victime de tous vos préjugés.
Il arrive au pays de ses ancêtres
Croyant y trouver du respect … enfin.
Mais une fois de plus on le rejette
Tel un bâtard que l'on renie … fils illégitime.
Espoir légitime de vivre sans regrets,
Il sera toujours victime de tous vos préjugés.
Qu'il s'appelle Juan, Ahmed ou Nordin,
Il sera toujours étranger … rejeté.
Sa vie ne sera qu'un difficile parcours
Parsemé de pièges et d'embûches … vos pièges.
Espoir légitime de pouvoir résister.
Destin inévitable du fils de la haine.
Ennemis Public n°1 (1995, album "Contre Courant")
Voici l'histoire terrible et pourtant si banale
de la famille Prolo qui voudrait devenir riche.
Tous les mois, ils balancent un bon tiers de leur chômage,
pas dans les casinos, tout simplement au loto.
Jamais rien gagner, toujours espérer le magot,
mais rien ne vient, pas de couronnes, si c'n'est un nouveau jeu.
Alors on joue banco, on fait le millionnaire.
Vraiment, ça d'vient injuste, on s'demande si Dieu existe.
Pendant ce temps, c'est toujours les mêmes qui empochent.
Impôt sur la misère, retour à l'envoyeur.
Ah vraiment si ça continue comme ça,
on finira par devenir Ennemis Publics n°1.
Voici l'histoire terrible et pourtant si banale
de la famille Tiers Monde qui voudrait simplement vivre.
Tous les mois, ils balancent un bon tiers de leurs âmes
sans toucher les royalties du vingt heure où ils meurent.
Oyez braves gens, il y'a plus malheureux que vous,
qu'est-ce que vous attendez pour envoyer vos sous.
Pourtant, il faudra bien qu'un jour vous compreniez
que ce sont toujours les Etats qui détiennent les clés.
Pendant ce temps, c'est toujours les mêmes qui empochent.
Impôt sur la misère, retour à l'envoyeur.
Ah vraiment si ça continue comme ça,
on finira par devenir Ennemis Publics n°1.
Voici l'histoire terrible et pourtant si banale
de la famille Pouvoir qui nous la joue intègre.
Tous les mois, il balancent un bon tiers de leurs armes,
pas dans nos mains malheureusement, ça pourrait faire désordre.
Marchand de mort veut bien donner des leçons,
démocratiquement, le peuple vous approuve.
Terrorisme d'Etat par procuration
va semer la terreur chez le plus offrant.
Pendant ce temps, c'est toujours les mêmes qui empochent.
Impôt sur la misère, retour à l'envoyeur.
Ah vraiment si ça continue comme ça,
on finira par devenir Ennemis Publics n°1.
Bienvenue en Enfer (2002, album "Habemus Metal")
Regarde les se pavaner, ils sont tous fiers de leurs fusils.
Regarde les ces charognards, ils ont tué : ils sont réjouis.
Pas assez forts pour faire la paix, ils ont choisi les militaires.
Les dirigeants occidentaux et orientaux, ça on sait faire.
Ils sont chrétiens ou musulmans pas une religion n'est propre.
C'est surtout le pouvoir qui compte et tous ces putains d'amour propres.
Pas assez cons pour s'écraser, ils nous font même la morale.
Faut être sacrément bouchés pour la puanteur qu'ils exhalent.
Un signe de la main : on tire et on n'a aucun compte à rendre.
C'est la caution qu'il nous fallait, l'absolution pour les descendre.
Un chèque en blanc marqué du sang de tous les innocents.
La politique se chargera de t'expliquer pourquoi je mens.