Vous avez vécu une période plutôt prolifique, alors avant d’en venir à l’objet qui nous intéresse, je voudrais revenir sur la réédition de "The Mystical Beast Of Rebellion". Quel a été le déclic qui a provoqué l’ajout de ce second disque ?
L'idée d'une simple réédition nous semblait un peu légère et l'album original ne m'a jamais totalement satisfait, j'ai toujours trouvé qu'il lui manquait quelque chose. Cette nouvelle édition était l'occasion de combler ce « manque ». J'étais loin d'imaginer que ce second album prendrait cette forme mais cette approche beaucoup plus rampante s'est imposée d'elle-même quand il a fallu se replonger dans l'atmosphère « The Mystical Beast Of Rebellion » et que le processus de composition a commencé. Il était inutile de proposer un second album identique au premier, le but étant de créer un ensemble cohérent, deux œuvres qui se complètent pour n'en créer qu'une plus massive.
Le lien entre ces deux parties se fait naturellement en dépit du contraste saisissant. Qu’est-ce qui a présidé au choix de travailler sur la lenteur, l’abattement ?
Cela s'est fait naturellement, il s'agit d'une vision nouvelle de l'album original, de notre ressenti actuel. Je pensais que l'exercice serait plus difficile mais pour une fois nous avons laissé les choses se faire d'elles-mêmes sans essayer de contrôler quoi que ce soit et ce sont ces riffs très lents qui ont commencé à se dessiner, de plus en plus lents, de plus en plus morbides. Il ne faut jamais lutter contre l'inspiration.
Je remarque que ces trois morceaux portent chacun le titre de 7 et que des éléments plus industriels viennent s’insérer. Il y a donc un lien évident avec ce nouvel album. Quelle intention aviez-vous en créant cette passerelle entre ses deux opus ?
Il existe des passerelles entre tous nos albums, 777 était déjà présent dans l'artwork de "The Work Which Transforms God", de façon très directe ou plus subtile. Nous essayons de concevoir notre discographie comme une oeuvre globale, de façon très architecturale. Il ne s'agit pas simplement de musique mais de l'édification de quelque chose de plus complet, tant sur le plan artistique que sur le plan spirituel. Tous nos albums sont reliés les uns aux autres et tous se répondent, certains estiment que nous menons plusieurs discographies parallèles mais elles ont en fait la même source, le même tronc dont elles tirent leur sève et doivent atteindre le même but. Aucun de nos albums n'est un aboutissement, chacun d'entre eux devient une possibilité, cela nous permet d'élargir continuellement notre champ d'action, parfois brutalement, parfois de manière plus progressive.
Venons-en à ce nouvel opus. A l’origine, c’était censé être un projet à part. Cela m’a paru étonnant tant à l’écoute je peux retrouver les éléments caractéristiques de votre univers. A quel moment avez-vous finalement décidé d’inclure cette œuvre dans la discographie de BAN ?
Ce n'est pas tout à fait ça, 777 deviendra un projet à part entière après la sortie du dernier album de la trilogie, c'est cette trilogie qui donnera tout son sens à ce nouveau projet.
En parlant d’élaboration, j’ai été frappé par l’incroyable maîtrise dont vous avez fait preuve au niveau de la construction. En effet, l’équilibre entre passages violents et échappées calmes est d’une rare justesse. Comment s’est déroulé la composition ? Etait-ce un processus cérébral avec un projet déterminé en amont ou était-ce plus proche de l’improvisation vous laissant porter par l’inspiration du moment ?
Cet équilibre est une composante essentielle de notre travail, les albums s'équilibrent entre eux et nous avons essayé de créer cette même dynamique d'ensemble au cœur de cet album. L'obscurité nourrit la lumière qui à son tour se nourrit de ténèbres, ce principe est à la base de notre travail de composition. "MoRT" ne serait pas aussi obscure si nous ne l'avions pas illuminé dans le cinquième morceau, les gens qui ont adhéré à cet album retiennent en priorité ces quelques mesures qui semblent s'extirper de la fange pour y replonger après quelques secondes de vie. Elles sont comme un phare qui éclaire le désastre et lui donne tout son sens, sans elles tu ne vois rien et l'ensemble devient trop abstrait, le noir sur du noir ne donne rien de bon. "777-Sect(s)" est construit sur ce principe, durant tout l'album et au coeur même de chacun des morceaux. L'inspiration du moment est évidemment un facteur très important mais il est difficile de ne pas essayer de contrôler les évènements pour donner à ton travail un sens bien précis.
Par ailleurs, c’est probablement la première fois où on peut entendre sur un même album l’ensemble des facettes constitutives de votre univers. Etait-ce une volonté inscrite dès le départ et s’agissait-il d’achever quelque chose ?
Absolument, il était nécessaire de retrouver tout le son de Blut Aus Nord sur ce premier volet afin qu'il serve de base solide aux deux suivants.
En dépit de l’aspect familier et outre le côté Industriel plus marqué, on remarque des éléments assez étonnants. Il y a d’abord ce drôle de riff quasiment Bluesy qui apparaît sur "Epitome III" et puis surtout lors des accalmies vous vous aventurez dans des sphères proches du Post-core voire du Post-rock. Qu’est-ce qui vous a poussés sur ce terrain et est-ce un signe d’une orientation à venir ?
Toute forme de musique peut être un signe d'orientation à venir, nous ne nous interdisons rien (au nom de quoi le ferions-nous ?). Nous utilisons simplement les riffs, le son, l'approche musicale, dont nous avons besoin pour parvenir à nos fins sans nous soucier de savoir à quelle « école » ils appartiennent.
Parlons un peu du sujet de l’album. Ce nouvel album tourne autour de la thématique du temps. Il semble que cette entité soit déterminante car elle apparaît un peu comme une force supérieure régissant tout. Qu’avez-vous voulu véritablement exprimer ?
Le temps est quelque chose de fascinant qui peut à la fois libérer l'esprit de toute contrainte, annihiler toute forme de règle, de principe ou de lois et il peut être le principal générateur de cette peur qui fait tourner le monde. Il est à la fois l'instinct et la raison, décadence et l'Illumination. "777" trace ce cheminement, depuis l'oppression des lois du temps terrestre jusqu'au temps Divin, celui de la MoRT perpétuelle.
Il semble aussi que la temporalité soit une notion importante dans l’édification de votre œuvre. En effet, vous ne cessez de créer des liens entre les différentes étapes de votre discographie comme si votre travail était en perpétuel mouvement et menait sa vie propre. Est-ce que cette démarche a été décidée dès le départ ou est-ce venu au fil du temps ? Vers quel objectif tendez-vous ?
Dès le départ il fut question de construire quelque chose qui pourrait ressembler à l'œuvre d'une vie, une élévation ou un cheminement spirituel. Nous avons toujours envisagé Blut Aus Nord comme un monstre se nourrissant de lui-même. Ce projet est pensé comme un sanctuaire ou un temple, et plus il se structure, moins il se termine.
Nous avons la chance d'avoir croisé le chemin de Debemur Morti qui permet aujourd'hui à BAN d'aller au bout de cette démarche sans restriction. La collaboration avec ce label est arrivée à un moment où nous commencions à perdre un peu d'envie, à cause d'un entourage parfaitement inadéquat. Void est quelqu'un de passionné, très impliqué dans ses activités, très respectueux du travail de ses groupes et qui place encore l'Art au centre de tout. L'activité de BAN va par conséquent s'intensifier, il reste énormément de chose à accomplir.
Le nom de BAN est de plus en plus cité comme influence par de nombreux groupes et en particulier par toute cette « scène » bourgeonnante qualifiée de Post-black. Est-ce que cette « scène » vous intéresse et si oui quel groupe trouve grâce à vos yeux ?
La scène des groupes qui prennent leur temps m'intéresse parce qu'elle nécessite un réel investissement la part de l'auditeur. J'aime les morceaux longs, j'aime la musique progressive et je déteste le format couplet / refrain beaucoup trop simple à assimiler et terriblement ennuyeux. Concernant plus précisément ce que l'on appelle le «post Black Metal» je ne pourrai pas te parler d'un groupe en particulier, je m'intéresse à vrai dire très peu à ce qui se passe dans le black metal en géneral, j'ai du mal à y trouver ce que je cherche. Krallice, Negative Plane, Farsot, Katharsis ou Abigor proposent néanmoins des choses très intéressantes.
D’ailleurs, histoire que je complète ma discographie, quels sont vos récents coups de cœur musicaux récents ?
Les artistes que j'admire disparaissent les uns après les autres, Chuck Schuldiner, Piggy, Peter Steele, Quorthon, Morbid Angel, etc. Je dois avouer que la scène metal a par conséquent de moins en moins d'intérêt à mes yeux et je commence à m'y ennuyer. Je n'aime pas le traitement sonore que subissent les productions actuelles, comme Fenriz je préfère quand ça bave un peu et que c'est organique. J'écoute de plus en plus de jazz et de musiques improvisées parce qu'elles sacrent l'instant et l'instinct. Beaucoup de vieilles chansons de Leo Ferré ou Jacques Brel, ci-possible interprétées en live, on y trouve quelque chose de très pur, peut-être juste le génie.
J'écoute toujours les classiques avec lesquels j'ai grandi et des guitaristes comme Steve Vai, Jimi Hendrix ou Paco De Lucia.
Maintenant que cet album est terminé, quels sont vos projets à venir ? Vous annoncez depuis quelques temps maintenant que vous pensez dépasser "Mort" en tant qu’expérience limite, à quoi doit-on s’attendre ?
Je ne sais pas encore, le second volet de la trilogie "777" est en cours d'enregistrement et le troisième va suivre dans la foulée. Ensuite il y a beaucoup d'envies différentes et de possibilités. Effectivement la limite "MoRT" me semble malheureusement devenue obsolète et je redoute le fait de devoir plonger une nouvelle fois dans ces bas-fonds, à vrai dire je n'en ai pas réellement envie mais je sais qu'il faudra le faire parce que cela s'imposera, peut-être juste après la trilogie en cours, peut-être dans 10 ans.
Pour finir, y a-t-il une question que vous auriez aimé que je vous pose et sinon je vous laisse le mot de la fin en vous remerciant d’avoir pris le temps de me répondre.
Pas une question mais une mise au point. A l'avenir nous essaierons, avec Debemur Morti, de faire en sorte que chacun puisse se procurer les éditions vinyles de nos albums sans se sentir obligé d'acheter dès le jour de la sortie ou même de pré-commander plusieurs semaines avant. "Ultima Thulee" et "The Mystical Beast of Rebellion" vont ainsi être repressés, probablement au cours de l'année 2012. En ce qui concerne "MoRT" nous n'avons aucun droit de regard sur l'édition LP, les labels travaillent entre eux et le groupe est généralement le dernier informé. Dans des cas comme celui-ci nous ne décidons rien et ne touchons rien. J'ai par exemple appris que "MVI" existait en pic LP quand je l'ai vu en vente sur un mailorder...