Valeriy GAINA (musicien, guitariste-virtuose, leader du groupe KRUIZ) - Dossier Metal Russe - Témoignage 4 par MONCEAU - 1805 lectures
Dans le cadre du dossier Metal russe, Valeriy GAINA, musicien et guitariste-virtuose, le leader du mythique groupe russe KRUIZ, a répondu aux questions de VS.
Introduction
Valeriy Gaina est un acteur incontournable de la scène hard rock/metal russe. Ce guitariste-né est l'un des co-fondateurs du groupe emblématique du pays des soviets – KRUIZ, un des rares groupes russes ayant obtenu une certaine notoriété en occident. Né en Moldavie en 1956 de parents enseignants et musiciens, c'est là-bas qu'il a fondé son tout premier groupe Cristal. En rejoignant ensuite le groupe moldave Kordial, il a eu l'occasion de partir en tournée en Sibérie où ils ont été remarqués par un directeur administratif du ministère de la culture qui leur a proposé de changer de nom pour un autre, plus idéologique – "Magistrale" (la route principale), spécialement pour les ouvriers des grands chantiers ferroviaires routiers sibériens. Le groupe a déménagé à Moscou où ils sont devenus le célèbre KRUIZ – le groupe de hard rock le plus connu de l'espace soviétique. Actuellement Valeriy habite aux Etats-Unis et s'occupe principalement de production et de composition. Il est également l'auteur de nombreux projets musicaux sur le sol américain comme KARMA, INSULATED, GAINA.
Ce personnage au passé très riche et aux talents divers est un véritable univers à explorer à lui tout seul. Une source inépuisable d'informations basées sur l'expérience, sur les réflexions de l'artiste qui, du sommet de ses 50 ans, a un regard très philosophique sur la vie. Valeriy me parle avec un plaisir et une simplicité étonnants de la part d'une grande star de son calibre.
Comment as-tu fait connaissance avec le rock et le metal ? Quels sont les groupes qui t'ont ouvert à ces styles ?
Les premiers groupes qui m'ont un peu déconnecté de la musique traditionnelle moldave (de l'accordéon!!) vers la musique à guitare (je m'intéressais principalement à la guitare en fait, je suis littéralement tombé amoureux de la guitare), c'était les BEATLES, DEEP PURPLE et LED ZEPPELIN. Les chansons des BEATLES me touchaient beaucoup. Mais quand j'ai découvert véritablement la guitare via DEEP PURPLE, en fait ils ont changé ma vie. Donc j'ai décidé que je ferais de la guitare, j'avais 13 ans à l'époque. Je considérais DEEP PURPLE déjà comme de la musique assez lourde, rock. Le terme "heavy metal" n'existait pas encore, je crois (NDR : vers 1969-70). Je ne connaissais pas les noms des styles mais ça m'importait peu. En fait les définitions des styles - ça ne veut rien dire, l'essentiel est que la musique plaise. Ensuite je suis tombé amoureux de JIMI HENDRIX. En gros j'aimais tout ce qui était lié à la guitare. Du coup j'ai laissé tomber l'accordéon du jour de lendemain, bien que j'avais un bon niveau, et j'ai demandé à mon père de m'acheter une guitare de toute urgence.
Mais tu dis que tu écoutais tout cela mais n'était-il pas difficile de trouver cette musique en Moldavie à l’époque ? Les années 70 quand même, l’Union Soviétique et tout…
Tu as parfaitement raison – c'était l'Union Soviétique mais étrangement la musique de ce genre se trouvait assez facilement. Enfin – tout est relatif. Il fallait voyager à Odessa car on pouvait trouver pas mal de choses ramenées par les marins (NDR : Odessa était un des ports marchands principaux de l'URSS). Et la diffusion de tout cela - des K7, des vynils, a été très développée, exactement au même niveau que le téléchargement illégal aujourd'hui, avec la même ampleur je dirais. Il existait des marchés "noirs" où on pouvait acheter n'importe quelle musique. Mon frère faisait également ses études dans une université où il y avait pas mal d'étrangers. Donc il pouvait aussi avoir accès à la musique au travers de ses connaissances. En gros il y avait beaucoup de possibilités pour trouver. Au point que je connaissais tant d'artistes et de groupes que je pouvais facilement concurrencer les occidentaux à ce niveau. Je pouvais citer la composition de n'importe quel groupe nom par nom, je pouvais citer tous les albums, tous les titres tellement j'étais passionné. J'avais toujours cette soif de la découverte. J'écoutais énormément les radios occidentales, La voix de l'Amérique. On captait tout ça plus facilement en Moldavie que par exemple à Moscou ou en Sibérie. Donc nous avions quand même beaucoup plus d'accès à la musique qu'on ne pouvait imaginer.
En plus à l'époque de l'Union Soviétique les gens ont eu pas mal de temps libre. Souvent les gens ne faisaient rien, glandaient, une fois le travail fini*, les gens s'occupaient d'autre chose. Donc on avait beaucoup de temps pour les hobbys, pour les passions. Il n'y avait pas d'internet comme aujourd'hui mais il y avait plein d'autres moyens. Nous pouvions tenter plein de choses, la seule limite – il nous manquait des sous car on était jeunes. On ne pouvait pas faire tout ce qu'on voulait et on voulait beaucoup ! (rire).
*NDR : en Union Soviétique tout le monde avait le statut de fonctionnaires. Je ne vous explique pas les particularités de ce statut et ses bienfaits pour le temps libre.
Intéressant tout ça ! Je découvre ! Dis-moi, comme beaucoup tu as sans doute commencé ta carrière de musicien par un groupe de potes de lycée. C’était quoi ton premier groupe ?
Oui effectivement j'ai commencé à l'école et je suis devenu très vite populaire !(rire)
Mais évidemment, comme d’habitude les guitaristes et les chanteurs ont toujours la cote ! Surtout auprès des filles.
Tout à fait ! Surtout les chanteurs - numéro un dans le groupe. Et moi en plus de jouer de la guitare, je chantais aussi donc imagine l'ampleur (rire). Moi j'aimais tellement, tellement la musique, ça remplissait toute ma vie. Je ne m'intéressais plus à rien – ni aux maths, ni à la physique – rien. Bien que je n'étais pas mauvais, j'avais de la chance de réussir sans trop d'efforts. Mon frère par exemple a terminé avec la mention TB tout en jouant. Depuis je n'ai jamais fait autre chose dans ma vie que de la musique. Même quand je suis arrivé aux US et que j'avais la possibilité de faire autre chose, je n'ai jamais changé. Je pense que c'est parce que j'ai commencé tôt, j'ai commencé ma vie avec la musique, et je pense que je la finirai avec.
Et ce n’était pas difficile de trouver les instruments, le matériel ?
Oui effectivement ce n'était jamais facile. Mais on a eu de la chance. Le matériel qu'on utilisait appartenait à l'école grâce à notre directeur. En plus je suppose que la Moldavie, étant un pays relativement petit par rapport aux autres républiques de l'URSS, avait un budget pour la culture assez important par rapport à sa taille. En tout cas on était mieux équipés que les écoles en Russie ou en Ukraine. Mais les instruments et le matériel ont bien sûr été de production soviétique. Ma première guitare a été fabriquée à Leningrad (Saint Petersburg aujourd'hui). Elle ressemblait vachement à celles de Beatles, j'étais très content et très fier. Il n'y avait pas mieux pour moi à l'époque, je n'imaginais pas comment ça pourrait être mieux. Bien sûr qu'on entendait parler des Fenders, des Gibsons. On connaissait les marques de nos idoles. On les voyait sur les photos, on fantasmait mais c'était tellement loin et inaccessible qu'on ne croyait pas qu'un jour on pourrait avoir accès à tout ça. Maintenant tout est disponible.
C’est sûr ! Si je ne me trompe pas ton groupe suivant s’appelait KORDIAL ?
Oui tout à fait. En 1973 j'ai été admis dans une école musicale et c'est là qu'un institut de recherche nous a proposé de monter un groupe comme travail à temps partiel. On était un peu payés, on jouait pendant les fêtes, les mariages, en discothèque*,… Nous étions motivés pour gagner un peu de sous, pour apprendre à jouer, pour participer aux concours. Nous voulions devenir quelqu'un. Nous sommes partis en Sibérie pendant un moment pour donner des concerts là-bas, en 1976-77. On tournait pendant un an et demi à peu près. On jouait principalement des reprises. C'est là qu'on a fait la connaissance d'Aleksandr Monin (le futur chanteur de KRUIZ). Après on s'est fait repérer par un administratif du Ministère de la culture qui nous a ramenés à Moscou.
Ce qui m'embêtait dans notre activité, c'était le fait de jouer majoritairement des reprises alors que j'avais toujours eu envie de composer moi-même. J'avais vraiment besoin de pouvoir m'exprimer par la musique.
*NDR : à l'époque la musique "vivante" sur la piste de danse était une chose habituelle. Mon père lui-même, les cheveux décolorés en blond platine coupe carré et en pantalon évasé, maniait une guitare rythmique pour que les jeunes ouvriers et ouvrières se déhanchent après une journée de travail. Apparemment c'est comme ça qu'il a choppé ma mère. Comme quoi – merci la gratte pour ma naissance !
Tu composais déjà quand tu étais dans Kordial ?
Oui bien sûr ! J'ai composé mon premier titre à 14 ans sur les paroles d'un poète moldave très connu. Ce qui est curieux, c'est que ce titre n'est enregistré nulle part. Mais je le joue très souvent en live et à chaque fois le public moldave chante car tout le monde connaît les paroles.
Je ne crois pas que je te surprendrai si je te posais des questions au sujet du groupe KRUIZ.
Mais non tu ne me surprendras pas. De toute façon tout le monde en parle et pose des questions à ce sujet. (rire)
KRUIZ est un des rares groupes d’Union Soviétique qui a réussi à obtenir une certaine notoriété à l’étranger. Peux-tu me dire avec tes mots comment ce projet est apparu et pourquoi "KRUIZ" en fait ?
Ah, tu veux savoir pourquoi on a pris ce nom ? En fait on était à la recherche d'un nouveau nom. On était un ensemble qui s'appelait "Molodie golosa" (Les jeunes voix). On avait déjà composé quelques titres et les gens ont commencé à venir en masse à nos concerts. Nous sentions que nous étions en train de devenir quelque chose de différent. J'ai commencé à travailler notre dirigeant pour qu'on change du nom. Et juste à ce moment on a reçu un télégramme avec une invitation sur une croisière (NDR : "kruiz" en russe) et nous nous sommes dit "mais voilà notre nom !". En fait ça nous collait bien car toute notre vie était une croisière – tout le temps sur la route, en tournées, de vrais voyageurs. Et ce nom est devenu un peu notre devise car pendant les 10 ans d'existence du groupe nous avons lutté littéralement pour que la musique rock puisse exister en Russie, pour donner à cette musique un statut officiel. Ce n'était pas vraiment le cas à l'époque. Toute musique devait être validée par le comité spécial. Nous n'étions pas des révolutionnaires par notre volonté, mais un peu par défaut car nous jouions une musique qui n'était pas composée par les compositeurs soviétiques, une musique qu'on composait nous-mêmes. Alors que de coutume les musiciens jouaient de la musique déjà existante, validée. Et donc on était considéré comme des personnes à surveiller. On n'était pas les seuls bien évidemment. Mais très vite on a eu un énorme succès. On s'attendait pas à ça nous-mêmes. Imagine tout juste quatre mois après qu'on ait sorti notre premier album en K7, on ne se produisait que dans d'énormes salles à guichets fermés ! Et en plus ce n'était pas juste une seule journée par ville – on restait parfois une semaine au même endroit avec des concerts tous les jours sold out ! Par exemple à Kharkov. C'était la folie !
Donc dis moi – qu’est-ce qu’est et qu'était pour toi KRUIZ ?
Je dirais que c'était un des plus grands tremplins de ma vie. Je suis devenu quelqu'un de connu. En fait nous tous dans le groupe, nous nous sommes fait connaître dans une certaine mesure. Pour moi c'était une étape qui m'a formé comme musicien. C'était un assez long chemin, je bossais énormément en espérant que ça arriverait, bien que je ne cherchais pas vraiment à devenir populaire. C'est aujourd'hui que tout le monde veut ce genre de célébrité, que beaucoup créent des groupes rien que pour ça – devenir populaire. Nous faisions ça parce que nous aimions ça. Et je ne crois pas que j'ai beaucoup changé malgré cette célébrité – je continue à être persuadé que le principal est d'aimer ce que tu fais. Il y a comme des pulsions internes qui te poussent à faire quelque chose et pas juste une décision de créer un groupe pour devenir célèbre. Par exemple quand je regarde le show business actuel j'ai très envie de m'en passer, faire quelque chose tranquillement de mon côté.
KRUIZ tournait beaucoup et c’était un des rares groupes à pouvoir se produire à l’étranger. Comment ça s’est fait ? Comment avez-vous réussi à traverser le "Rideau de fer" ?
En fait on nous a laissés sortir seulement quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir. Nous sommes partis en Norvège. C'était un concert très intéressant après lequel nous avons compris que nous représentions quelque chose. Nous avons tellement touché le public norvégien que nous avons compris que nous pouvions aussi faire des choses. Nous avons juste conquis le public. La salle était absolument pleine. Les Norvégiens semblaient comprendre qu'en Union Soviétique il y avait aussi de bons groupes qui savaient jouer et faire le show. Nous avions déjà à l'époque un vrai show sur scène. Par exemple aujourd'hui beaucoup de groupes ont l'air bien à la télé mais en live il n'y a pas de show. Il y a juste les gens qui jouent et qui chantent sur scène. Après la Norvège nous avons enchaîné avec l'Espagne pendant 56 jours. Nous avons fait quasiment toutes les villes d'Espagne. C'était extraordinaire comme voyage. Nous grandissions à chaque prestation, et nous avons compris qu'en gros le public est quasiment le même partout. Si tu plais au public, les gens réagissent toujours de manière positive. Et malgré le fait que nous jouions du hard rock à tendance heavy metal. A l'époque la majorité des groupes qui jouaient ce genre de musique se présentaient sur scène de manière… comment dire… négative, faisaient des grimasses, genre faisaient peur. Nous au contraire, on était toujours toujours souriants. Peu importe ce que nous faisions sur scène, c'était toujours avec le sourire. Et le public remarquait toujours ça. Partout, au Pays-Bas, en France, en Allemagne… partout. Je ne parle même pas de la Bulgarie où c'était quasiment chez nous. Là-bas nous étions limite plus populaires qu'IRON MAIDEN. Fallait voir ce qui se passait quand nous y allions. C'est en Europe de l'Ouest que c'était le plus compliqué. Les gens ne nous connaissaient pas et le fait que nous étions un groupe d'Union Soviétique les attirait beaucoup. Ils voulaient savoir ce qui se jouait en URSS ?!
Ah vous êtes venus en France aussi ?!
Oui, on n'a pas vraiment tourné, mais on a participé à quelques festivals. On a commencé par Strasbourg, ensuite c'était Paris, Lyon et encore une ville mais je ne me souviens plus son nom. On n'a pas fait beaucoup de villes en France, l'Espagne était quand même notre plus grosse tournée.
En écoutant KRUIZ avec ses compositions power-speed et ton projet GAINA on se rend vite compte que la guitare tient une place prédominante, avec beaucoup de solos. Tu as également pas mal de compositions instrumentales. Comment peut-on caractériser ta musique ? Qu’est-ce que tu fais au final ?
Oui j'ai fait pas mal de compositions instrumentales. Par exemple je suis en train de composer un album 100% instrumental. A la demande de mes fans en plus. Ça faisait longtemps qu'on me disait que je devrais en faire. Depuis quelques années j'ai commencé à revenir en Russie pour donner des concerts et les gens viennent me voir. Ils s'intéressent à cet aspect depuis que j'ai composé le premier titre instrumental "Intro"* qui est sur l'album "KRUIZ-1". L'album est presque fini mais parfois il me manque du temps entre mon travail et mes différents projets pour le finaliser. Il me reste deux compositions à peine à finir. J'espère que ça va bouger à partir du printemps. La guitare est pour moi le principal moyen d'expression. J'ai passé beaucoup d'années avec une guitare dans les bras et j'ai pas mal d'expérience. Ça aide beaucoup à créer ce genre de musique. *NDR : "Intro" (live in Omsk) http://www.youtube.com/watch?v=Q2S0lS1ne7g
Et au final comment peut-on définir ta musique?
Ce que je fais aujourd'hui ? Tout d'abord il s'agit de musique rock. Il y a pas mal de catégories dans ce style: alternatif, heavy metal entre autres. Donc voilà – je fais de la musique rock au sens large du terme, en variant les sous-genres. Après toutes les définitions ne sont pas importantes, l'essentiel est d'être écouté. Je laisse les classifications à la critique ou aux fans s'ils en ont envie.
Je sais que tu as eu beaucoup de projets, entre autres le projet KARMA. En prenant en compte que tu as fondé KARMA aux Etats Unis avec des musiciens américains, peut-on considérer ce projet comme étant russe ou bien c’est un projet qui est venu gonfler d’avantage la scène américaine, déjà pas pauvre ?
Euh je pense que c'est quand même un projet américain. J'aurais voulu que ce projet arrive en Russie un jour, car je me considère comme étant une personne soviétique tout de même. Il est aussi vrai que je suis un peu un citoyen du monde car l'endroit où je me trouve n'est pas vraiment important. En tout cas je reviens régulièrement en Russie, je sors des albums là-bas. Mais KARMA est tout de même un groupe purement américain. J'avais ce besoin de jouer avec des musiciens américains, de comprendre comment ça se passe chez eux, comment ils font, quelle est la différence. J'espérais apprendre des choses qui pouvaient me manquer malgré mon expérience. Bien que je jouais quasiment toujours avec de très bons musiciens, par exemple la toute dernière composition de KRUIZ était assez forte. On était trois mais pour moi c'était la meilleure période du groupe du point de vue technique. Et même avec ce niveau, en comparant avec les gras américains, j'ai vu tout de suite la différence qui s'entendait dans la musique, dans tout. La musique de KARMA n'aurait jamais sonné comme elle sonne si je l'avais faite en Russie avec des musiciens russes.
La musique est ton activité professionnelle ?
Oui, depuis toujours je suis dans la sphère musicale. Déjà avec mes activités de producteur, je travaillais avec beaucoup de groupes. Ensuite une de mes activités principales est la composition. Je composais pour des artistes de tous horizons, pour des Américains, pour des Coréens. Et même dans des styles complètement différents : hip-hop, pop, house. J'ai tout essayé. Ceci dit, depuis ces cinq dernière années, depuis que je suis revenu vers mon projet GAINA, j'ai recommencé à composer principalement du rock. De toute façon c'est ma musique, celle qui m'est la plus proche, celleque j'aime le plus. Mes travaux dans les autres styles m'ont permis de m'ouvrir d'avantage, d'avoir des expériences différentes. Et je trouve cela très bien car, quand tu fais un style particulier, genre rock, tu as souvent une vision très réduite de la musique. Tout ce qui est en dehors de ta musique soit ne te plaît pas, soit tu ne le comprends pas. Et c'est valable pour tous les styles. C'est lié au fait que nos oreilles ne sont pas ouvertes, nous cherchons dans la musique quelque chose de précis que nous ne trouvons pas, donc nous n'aimons pas. Mais j'avoue que, quand j'ai une guitare dans les bras, je n'ai pas vraiment envie de faire autre chose que du rock. La musique pop me semble être un peu trop légère pour ça par exemple. Je considère que, quand on se déclare musicien, on a une obligation de montrer un certain niveau. La guitare est quand même structurante pour moi et pour mes choix musicaux, c'est elle qui définit le style de ma musique.
Attends, attends ! J’ai bien entendu – tu composais du hip-hop ?! de la House ?!
Oui, oui (sourire). J'avais un projet de hip-hop avec Universal par exemple. On nous donnait des jeunes artistes de 15-18 ans, le budget et on travaillait avec pour voir si on pouvait faire quelque chose qui marche. Nous composions pour eux. Bien sûr que beaucoup de ces enregistrements n'ont jamais quitté les studios.
Il ne faut pas s'étonner que j'ai travaillé dans des styles différents. Par exemple quand j'écris pour la télévision, je pratique une multitude de genres. Et hip-hop, et dance, la musique pour les pubs pour différente sociétés. Il doit y avoir des sonorités particulières pour chaque genre de musique. Il y a pas mal de musiques ethniques et plein d'autres choses. J'aurais même du mal à tout lister. Par exemple j'ai pas mal travaillé pour les chaînes du type "Discovery Channel", "National Geographic Channel", "Marpol Channel". Pas mal de chaînes de sports, "ESPN", etc.
En tout cas toute ma musique s'écrit dans des styles très différents. Mais honnêtement je préfère les styles où je peux travailler avec la guitare. C'est un des critères pour choisir mes projets. Et bien sûr beaucoup de musique actuelle se fait sur les ordinateurs. Là par exemple je te parle de mon studio - plus petit que jamais grâce aux avancées des nouvelles technologies. C'est pour te dire qu'aujourd'hui il est très facile de réaliser tout type de musique.
Crois-tu qu’on peut vivre de la musique aujourd’hui en Russie ? Et avant c’était possible ?
Maintenant on peut. Et avant on pouvait, mais pas tout le monde. Tout dépend du succès. Et avant d'ailleurs, c'était pareil bien que la situation était un peu différente. Avant, tout dépendait si tu arrivais à te faire embaucher par un organisme officiel, une philharmonie ou autre collectif. Et dans ce cas tout était organisé et planifié – les concerts, les tournées. On avait aussi un salaire fixe qui pouvait augmenter avec le temps, ou pas. Mais grâce aux nombreux concerts, vivre avec ce que tu gagnais était possible. Aujourd'hui tout est différent, tout est devenu très commercial. Tout dépend de ta propre réussite, de la fréquence de tes tournées. Certains survivent, certains ne se débrouillent pas. Par exemple ici aux Etats-Unis, ou en Europe, les gens avant de commencer à penser vivre de la musique, se débrouillent pour avoir une autre source de revenus, un travail à côté. Et ils font de la musique sur leur temps libre. C'était comme ça pour mon projet KARMA. Ça marchait bien et ça pourrait devenir un groupe assez connu aujourd'hui si mon activité professionnelle ne me prenait pas autant de temps et ne me divertissait pas de la création artistique. Malheureusement ça ne s'est pas fait. Mais je ne le regrette pas car je suis assez content de mon parcours en regardant en arrière. Les difficultés sont pour moi un élément très important. Si je ne connaissais que le succès dans ma vie, je ne suis pas sûr que je serais la même personne. Le fait d'avancer malgré toutes les difficultés est très important dans mon activité créative et je tiens beaucoup à ce principe. Par contre il faut avoir une bonne approche, car une fois que l'objectif est atteint grâce à beaucoup d'efforts, il est très facile de tout perdre.
Et donc selon toi aujourd’hui en Russie as-tu plus de chance d’avoir du succès en faisant de la musique commerciale ? Les groupes qui jouent une musique aussi spécialisée que metal ne doivent pas avoir beaucoup de possibilités de vivre de leur musique ?
Je pense que c'est difficile pour tout type d'artiste aujourd'hui. Soit tu fais partie du système, soit il t'est quasiment impossible de te faire connaître, ou bien tu mettras plusieurs années pour cela. Il y a des groupes qui ont réussi, notamment LUMEN, ou MUMIY TROLL qui ont une certaine popularité. En fait ils existaient quand j'étais encore dans le groupe KRUIZ mais ils n'étaient vraiment pas connus. Là ils tournent pas mal. Et ce succès ils l'ont obtenu en 2000, bien tard par rapport à leurs débuts. Et de plus il ne s'agit pas d'un succès furtif – ils sont toujours là et profitent de leur réussite en Russie. LUMEN, ils existent depuis 10 ans et ils n'ont pas arrêté de bosser pour se faire connaître. Et les gens ont apprécié leur musique. Il n'est pas vraiment important de savoir ce que tu joues, l'essentiel est de trouver son style et son public. Tout groupe doit comprendre qu'il est nécessaire de trouver son public, ceux qui iront voir LUMEN ne viendront pas forcément voir MUMIY TROLL. Et ça concerne tous les groupes. En fait c'est quoi le succès ? Le succès c'est d'avoir l'idée, la bonne musique, et il faut que cette musique soit entendue par le public. Et si tu as réussi à trouver ton public, tu peux partir en tournée car ces gens viendront te voir et ne te laisseront pas. L'essentiel dans ce cas est de ne pas perdre ton idée, celle pour laquelle on t'aime. Il faut développer cette idée encore et encore pour qu'on t'apprécie encore plus. Et je souligne qu'il faut lutter pour son public. Aujourd'hui par exemple c'est plus facile grâce à internet, qui va prendre encore plus de place dans le monde à l'avenir. Je suis persuadé que dans 10 ans la télévision n'aura plus aucun poids, presque tout va se passer sur internet.
Par contre aujourd'hui il y a énormément de gens qui souhaitent faire de la musique et devenir célèbres, beaucoup plus qu'avant. Et avec le temps ce nombre ne pourra qu'augmenter. Par conséquent, réussir sera encore plus difficile et c'est là que le facteur chance devient très important. Et les relations bien sûr. Le succès est composé de pas mal d'éléments. L'idée, mais aussi savoir mettre son idée en œuvre et aussi savoir la vendre. Car si tu n'arrives pas à présenter ton idée, on peut déjà parler d'un échec. Donc par-dessus le talent il faut avoir quelque chose dans la tête.
Les années 80 ont été caractérisées par l’apparition quasi instantanée de la scène metal en Russie (encore l’URSS à l’époque). Pourrais-tu me parler un peu de cette époque – des gens, des faits intéressants, de la situation ?
Oui, on peut plutôt parler du milieu des années 80, vers 1985. L'intérêt pour le hard rock et le heavy metal est devenu très important. Ça correspondait aussi à la vague de popularité pour ce style musical en occident, car les gens se référaient pas mal à ce qui se passait là-bas. L'occident influençait les groupes, le public. Le public exigeait déjà à l'époque quelque chose de différent de ce qui se faisait en URSS. Je me souviens que notre premier album était censé s'appeler "Rock pour toujours", mais Mélodie (NDR : l'officielle et unique maison de disques de l'URSS) nous a coupés sec en disant "les gars, ce genre de nom ne passera pas, on est encore en URSS". Suite à quoi l'album a été appelé "KRUIZ-1". Ensuite nous sommes partis en tournée. Comment nous explosions le public je te raconte pas, il fallait voir ça. En fait nous avions vu juste, nous avions donné ce que les gens voulaient à l'époque. En plus nous donnions tout cela avec un niveau inhabituel pour l'époque. Les gens ne s'attendaient pas à retrouver ce genre de chose près de chez eux. Je me souviens qu'on tournait toujours avec au moins un groupe de première partie. Et une fois c'était un groupe qui s'appelait GALACTIQUE. Ils jouaient une sorte de pop-rock. Après avoir tourné avec nous, ils sont passés au hard rock. Ensuite c'était le tour du groupe VISIT qui a voyagé avec nous pendant une année. En fait nous voyions comment les gens changeaient leur style de musique littéralement sous nos yeux. Les musiciens abandonnaient le style qu'ils jouaient, le plus souvent pop, pour passer au hard rock et au heavy metal. Et ça se passait partout ! Mais parmi tous les groupes de l'époque, seule une petite dizaine a percé, beaucoup d'autres n'ont jamais connu le succès.
En réalité le heavy metal a perdu la bataille face au phénomène que j'appellerai "rock russe". Si on prend le hard rock au sens large, mondial, et le rock russe, alors je dirai que le rock russe a aussi gagné. Nous, KRUIZ, nous jouions une musique assez internationale, le heavy metal était une musique purement occidentale. Mais si on regarde la scène actuelle, c'est plutôt les groupes de rock russe qui vivent le mieux. Je parle de toute la scène underground à l'époque de Saint Petersburg qui est devenue extrêmement connue par la suite. Par exemple ALICA. Ils sont populaires car notre peuple a fait son choix, les Russes ont choisi ce rock et pas celui qui a été importé. Regarde, parmi toutes les grandes pointures du heavy metal et du hard rock à l'occidentale, comme KRUIZ, CHERNIY KOFE, MASTER, ARIA – actuellement il n'y a presque que KIPELOV qui représente quelque chose d'important (NDR : KIPELOV – le projet de Kipelov, l'ex-chanteur d'ARIA, le Chanteur d'ARIA…). Et le reste de la scène est occupée par le rock russe. Je crois que j'ai répondu à ta question et même ajouté quelque chose en trop (rire).
Au contraire - c'est très intéressant ce que tu me dis ! J'en profite pour te poser une question – en prenant en compte ce que tu dis, que le rock russe est plus populaire que le heavy metal, il est étrange qu’il y ait pas mal de gens en occident qui connaissent ARIA mais quasiment personne qui connaisse le rock russe. Ça ne s’exporte pas il paraît…
Je pense que le rock russe ne sera tout simplement pas intéressant pour l'occident. Il s'agit de textes particuliers, de comportements, de sonorités particulières. C'est très étroitement lié avec la culture russe, surtout avec la culture de Saint Petersburg. Toute cette scène fait partie de la vague des années 80 de Saint Petersburg. Il y a bien sûr quelques groupes moscovites qui sont aussi dans cette voie, comme par exemple MACHINA VREMENI, mais ils sont très rares. Cette musique ne peut pas s'exporter en occident car les gens ne la comprendraient pas. C'est comme Bob Dylan qui ne sera pas forcément intéressant pour le public russe alors qu'aux US il rassemble des stades. En Russie c'est tout simplement pas possible car il s'agit de culture purement américaine. Pareil pour le rock russe – ce n'est pas de la musique internationale. Quand on prend la musique pop de MTV – là c'est différent car il n'y a pas de spécificité culturelle, ils ne font que se copier les uns les autres. Comme beaucoup de chanteuses essaient de copier ce qu'a fait Beyoncé. Comme avant, tout le monde copiait NIRVANA, aujourd'hui tout le monde fait du hip-hop, du RNB, que ça soit en Russie, en France ou en Amérique. Il y a Lady Gaga – tout le monde essaie de la copier. Ou bien tu veux être LINKIN PARK comme le groupe russe SLOT. Donc voilà – le rock russe appartient à la Russie et il y restera. Mais heureusement les groupes n'ont pas de souci à se faire car ils ne manqueront pas de public car beaucoup de gens en Russie aiment le rock russe et ce n'est absolument pas une musique underground.
Oui, on ne peut pas le nier - c’est assez populaire. Et selon toi la présence de cette catégorie "rock russe" est-elle la caractéristique principale de la scène hard rock russe ?
En réalité, on ne peut pas vraiment affilier le rock russe au hard rock. Le hard rock n'a pas trouvé sa place en Russie. Même ARIA. Bien qu'il existe des groupes de la nouvelle génération comme STIGMATA ou AMATORY qui joue une musique plus agressive, plus metal, ils ne pourront jamais faire de la concurrence au rock russe. Peut-être est-ce pour le mieux car chaque pays, chaque peuple doit avoir sa spécificité. Comme par exemple en France je suis sûr il doit exister des groupes ou des artistes qui rassembleront plus de monde en France que n'importe quel groupe de hard rock international.
La Russie a fait son choix au cours de son renouvellement, de sa renaissance car il ne faut pas oublier que la Russie comme elle est aujourd'hui est un pays tout jeune qui se construit. Et donc le rock russe a pris le lead au cours de ce développement si on juge selon la popularité, plus même que la musique pop et toute cette cuisine de show-business. Ils sont plus démonstratifs à la télé mais en réalité je crois que le rock russe fait de plus gros chiffres en terme de concerts, car il y a beaucoup plus de gens qui viennent.
Je trouve que le rock russe a quand même un concurrent de poids dans la "chanson" (NDR : le style musical qui prend ses origines dans les prisons et qui à la base était purement la création des prisonnier qui chantaient leur vie. Les textes parlent de la vie en prison, de la mort, des crimes, de violence, de l’amour, des sentiments des prisonniers).
Ah oui, bien sûr la chanson est aussi très populaire en Russie – encore une spécificité russe qui n'est pas prête de descendre du podium. Quoique je me pose des questions – normalement ce style doit être assez populaire en France ?
Oui mais je ne crois pas qu’il s’agisse des mêmes choses. Dis – tu as mentionné des groupes comme STIGMATA, AMATORY. T’intéresses-tu à la scène metal extrême russe ? Genre death, black, doom ?
A vrai dire je m'intéresse toujours à tout ce qui est lié à la musique. D'autant plus que je reçois pas mal de démo de groupes qui veulent que je les écoute, que je les conseille, que je m'occupe d'eux. Il y en a énormément et certains sonnent vraiment bien et sont enregistrés avec professionnalisme. Mais beaucoup ne sont quand même pas terribles. Néanmoins je m'intéresse toujours à ce qui se passe en Russie et dans quelle direction tout évolue. Je ne pourrais pas te citer beaucoup de noms, car je suis mais quand même de loin. Par exemple les groupes que je t'ai cités ont gagné déjà une certaine notoriété et ont leur public. Mais les autres malheureusement - je ne crois pas qu'ils iront loin. Ils ont tous besoin d'aide, d'une aide professionnelle. Aujourd'hui il est extrêmement difficile de faire écouter quelque chose aux gens. Si tu n'es pas à la télé, si tu n'es pas à la radio, si personne n'écrit rien à ton sujet, tu deviens inutile. Faire connaître un groupe ou un artiste aujourd'hui est extrêmement difficile car tout le monde est blasé et toute tentative de promotion est considérée comme du spam.
Les groupes que tu cites : STIGMATA, AMATORY, - ils te plaisent réellement ou tu les juges du point de vue professionnel, dans le sens qu’ils ont réussi à gagner leur notoriété ?
Je ne pense pas que ce soient les meilleurs représentants mais ils ont effectivement obtenu un certain succès. Le plus probable est que nous n'entendrons jamais les meilleurs car ils ne perceront pas et disparaitront à peine après avoir commencé. Comme par exemple ici, il y a eu beaucoup de groupes qui ont enregistré des albums qui ne sont jamais sortis. Certains disent que la meilleure musique est restée sur les étagères des maisons de disque pour prendre la poussière. Aujourd'hui internet change la donne car la diffusion de la musique est plus accessible au plus grand nombre. Il y a encore dix ans ce n'était pas vraiment le cas. Maintenant il y a toujours la possibilité. Mais encore une fois – tu peux uploader ta musique sur internet mais qui va t'écouter si personne ne te connaît ? La question est là. Et c'est pareil partout – en Russie, aux US. Donc je considère que les groupes qui ont réussi à faire quelque chose méritent au moins du respect. Parce qu'en plus si quelqu'un t'aime, alors tu vaux déjà quelque chose. Bien que la quantité de public ne soit pas toujours le bon indicateur de la qualité de la musique.
Tu parles souvent de diffusion à la télé, à la radio, mais tous ces moyens de promotion massive ne sont pas applicables à tous les styles musicaux. Par exemple le metal extrême – je vois mal la diffusion de vidéos de death metal sur les chaînes grand public comme MTV car ce style a un public très spécialisé.
Oui je suis d'accord. Tout simplement parce que MTV fait du show-business et travailler pour un public très spécialisé ne les intéresse pas car ce n'est pas rentable, ils n'ont pas de temps à perdre. C'est surtout valable en Russie car par exemple aux Etats-Unis il y a au moins dix chaînes de MTV, avec des chaînes plus axées rock et hard rock entre autres. Il y a même une chaîne spécialisée sur la musique british qui a réussi à obtenir ici un certain statut. Mais ces styles un peu spécialisés ne peuvent être diffusés ici que grâce à la quantité de chaînes, uniquement pour ça et pas parce qu'elles sont mieux considérées.
Comment vois-tu l’évolution de la scène metal en Russie pour la prochaine décennie ?
Je pense que cette scène pourrait être un peu mieux développée si les professionnels du show–business s'y intéressaient un peu plus. Actuellement il y a une grande mode de la guitare électrique, presque tous ceux qui sont actuellement dans le show-business essaient d'insérer des passages de guitare. C'est un peu la mode du moment. On ne comprend plus où est la musique pop, où est le hip-hop, tout le monde peut mélanger un peu n'importe quoi. Je trouve que ce n'est pas trop mal comme évolution. Mais quand on parle de genres aussi spécialisés que metal, je ne peux pas imaginer que cela pourrait avoir du succès en Russie. Les gens qui jouent cette musique par passion ont parfaitement raison.
Dans tous les cas, toute évolution, musicale entre autres, est cyclique. Si on prend n'importe quel style musical des années 60, 70, 80, 90, 2000 – on se rendra compte que ça existait déjà quelque part mais que cela a juste été un peu modifié et mis au goût du jour. Mais on revient toujours à ce qui existait déjà auparavant. En tout cas je trouve que la guitare électrique est plus populaire aujourd'hui que par exemple à la fin des années 90 et même au début des années 2000. Je crois même que bientôt ils commenceront à mettre des solos dans les titres pop. J'aime beaucoup les solos et il y a certains groupes qui ne font jamais de solos. C'est leur choix…
Actuellement j'écoute beaucoup les radios internet qui sont très développées ici. J'y trouve toute la musique que je veux. Par exemple si tu as iTunes, cherche Power 5.25 – tu devrais aimer. J'ai commencé à écouter il y a cinq ans et pas mal de groupes qui ont été diffusés sont devenu assez connus aujourd'hui. Comme par exemple SYSTEM OF A DOWN. En fait la scène américaine est très particulière dans le sens qu'il y a pas mal de groupes qui ne sont pas vraiment connus mais qui arrivent à tourner et à rassembler des salles acceptables et à vivre de leur musique. Par exemple les groupes de death metal.
Oui bien sûr, les groupes des styles underground ont leur public mais ça restera toujours assez limité.
Oui, mais on ne peut pas se passer de cette musique. C'est comme dans les années 80 le heavy metal était tellement populaire – le groupe ANTHRAX pouvait rassembler des stades. Aujourd'hui c'est impossible. Il peut y avoir des groupes qui sonneront comme ANTHRAX, pas exactement mais de manière très semblable. En fait tout le monde copie tout le monde dans une certaine mesure. ANTHRAX a aussi copié quelqu'un. Tout le death metal se copie les uns sur les autres. Il y a un leader et les autres copient sur lui, comme dans tous les styles.
En parlant de copie, beaucoup reprochent aux groupes russes de heavy metal des années 80 d'avoir copié sur les standards occidentaux comme JUDAS PRIEST, IRON MAIDEN, ACCEPT,… Qu’est-ce que tu en penses ?
Oui je suis d'accord. Pour moi ARIA était quelque chose entre IRON MAIDEN et JUDAS PRIEST. Mais tout dépend de la popularité. Si tu as sorti une chanson que tout le monde a aimée et que tout le monde chante – c'est bon, on te pardonnera tout (rire). Surtout que nous ne nous exportions pas à l'étranger, à l'époque on n'imaginait même pas que ça serait possible un jour. Et pour tout te dire, on parlait toujours de KRUIZ de manière positive, en soulignant que nous étions différents, que nous proposions quelque chose d'original qui venait de nous. Et j'avoue que ça me faisait toujours plaisir et que j'en suis assez fier.
En prenant en compte ta carrière musicale, j’imagine que tu dois connaître personnellement tous les représentants de la scène d’avant et même d’aujourd’hui. Quel genre de relations te lie à tes confrères des années 80 ? Maintiens-tu le contact avec ceux qui sont actifs aujourd’hui ?
La plupart ne sont plus actifs. Beaucoup font autre chose ou bien sont devenus trop vieux. Tout le monde a sa vie, plus ou moins réussie. Bien évidemment je connaissais tous les artistes de l'époque tous styles confondus. Je n'arriverai même pas à me souvenir de tout le monde car on faisait un peu partie de l'élite si je peux me permettre, on avait un succès fou. Les fans, les sessions d'autographes. Les gens venaient nous voir. Et personnellement je trouve que la communication entre les artistes était mieux à l'époque qu'aujourd'hui. Aujourd'hui c'est chacun pour soi, tout le monde ne s'occupe que de ses affaires. Par exemple venir au concert des amis, d'autres artistes était courant à l'époque, maintenant c'est plus rare. Les temps changent. Peut-être que chez les jeunes groupes, c'est différent. On m'invite souvent et, quand j'ai la possibilité, j'essaie de venir. Ici par exemple, aux US, j'allais souvent en concert pour faire connaissance avec les artistes. Par exemple avec KARMA on fréquentait les gars de RAGE AGAINST THE MACHINE, TOOL. On était limite des amis, on traînait dans les mêmes studios, on faisait des tournées ensemble. Ensuite j'ai fait la connaissance de MARTY FRIEDMAN avec qui je suis devenu ami. Il y en avait beaucoup d'autres. Je me suis fait pas mal de connaissances dans le cadre de mon travail en tant que présentateur d'une émission russe dédiée au metal. J'interviewais pas mal de monde et j'ai gardé le contact avec beaucoup. On s'échangeait des expériences, des conseils entre musiciens. Aujourd'hui j'essaie de conserver les liens avec tout ce beau monde mais malheureusement j'ai de moins en moins de temps (rire).
Et quelle est la différence pour toi entre les relations entre les musiciens aux US et en Russie, puisque tu as vu les deux et que tu peux donc comparer ?
Je peux te dire qu'aujourd'hui les relations entre les artistes en Russie ne sont pas simples. Il y a trop d'ego et tout le monde veut prouver qu'il est mieux que les autres. Ici c'est différent. Quand tu fais connaissance avec des gens, tu te rends compte qu'ils sont plus simples que toi. Et quand tu prends conscience de ça tu changes automatiquement ton comportement pour être plus simple toi-même. Et je trouve cela très positif. Les gens sont plus ouverts, plus accueillants par rapport aux acteurs de la scène russe. Je crois que la Russie subit encore les conséquences de sa reconstruction, c'est un peu une guerre de survie pour tout le monde. Pour moi ce n'est qu'un phénomène temporaire.
Quand je suis revenu en Russie après plusieurs années que j'ai passées ici, je suis sûr que certains ont pensé "en voilà encore un qui est revenu". Alors que moi je suis revenu juste pour retrouver mon public, mes fans, donner des concerts. J'aime la Russie mais je ne pourrai plus jamais revenir vivre là-bas. Je me suis enraciné ici, aux US, j'ai reconstruit ma vie ici et maintenant c'est ici que tout se passe pour moi. Mais j'aime toujours autant mon public russe et je suis très reconnaissant à chaque personne qui vient à mes concerts, car j'existe grâce à eux. Je ne suis rien sans mon public. Et je suis revenu uniquement pour eux.
Ce que me chagrine un peu, c'est que les gens attendaient toujours de moi que je joue ce que j'ai composé il y des dizaines d'années et ne connaissent pas forcement ce que je fais aujourd'hui. Mais heureusement ça change et ces derniers temps on commence à me demander plus de nouveautés. Je suis assez content de cette évolution. En tout cas, nous jouons toujours entre 2 heures et 2 heures et demie pour tout placer – l'ancien et le nouveau.
Merci beaucoup pour ton interview ! Pour conclure, que pourrais-tu dire à ceux qui te liront ?
Je voudrais remercier ceux qui nous connaissent bien que je doute qu'il y en ait beaucoup. Par exemple en Allemagne on nous connaissait vraiment bien. En tout cas je salue les lecteurs et je leur souhaite une meilleure vie, moins de crises, plus de respect. Pour que les gens soient plus ouverts à tout type de musique.