Aleksey GLEBOV (journaliste, manager) - Dossier Metal Russe - Témoignage 2 par MONCEAU - 1343 lectures
Dans le cadre du dossier Metal russe, Aleksey GLEBOV, rédacteur, puis rédacteur en chef du magazine Rock City dans les années 90 et ex-manager d’ARIA, a répondu aux questions de VS.


Introduction
Aleksey GLEBOV est un véritable acteur de l'ombre. De journaliste professionnel, il a été le rédacteur en chef du magazine Rock City dans les années 90. Il est également l'auteur de nombreux articles, publications et de quelques biographies consacrées aux stars du metal mondial comme METALLICA, KING DIAMOND, MEGADETH et beaucoup d'autres. Ce personnage dont on retrouve souvent le nom sur internet en dessous des publications (mais jamais de photos) était dans les années 2000 le manager du groupe ARIA.

Il s'est prêté assez facilement et avec une curiosité quasi-professionnelle à l'exercice de se faire questionner au sujet d'une époque qu'il maîtrise sur le bout des doigts.


Comment as-tu découvert le metal ? Quel groupe t'a ouvert à ce style ?
Tout a commencé dès mon enfance. A la maison il y avait toujours du rock. Je me souviens visuellement des noms sur les bobines - BEATLES, CREEDENCE CLEARWATER REVIVIAL, et puis plus tard je me suis rendu compte de mémoire que j'écoutais de manière passive PINK FLOYD, SWEET, SLADE, NAZARETH, ALICE COOPER, des trucs dans le genre… Donc j'étais bien préparé. Mais directement j'ai rencontré le heavy metal en 85. Et pas qu'un peu – "Metal Heart" d'ACCEPT m'a littéralement écrasé ! Encore une phrase cliché mais on ne peut pas mieux dire : ça a changé ma vie.


Qu’est-ce que tu écoutes maintenant ?
La même chose en gros. Les années 70 et 80 ça ne périme pas. Bien sûr qu'il y a de bons groupes actuels, mais généralement il y en a TRES peu d'intéressants. Enfin, pour moi en tout cas.


Tu as travaillé dans le magazine Rock City dans les années 90, pratiquement dès les premiers numéros. Comment as-tu atterri dans l’équipe rédactionnelle ? Tu étais déjà un journaliste expérimenté à l’époque ? Raconte-moi un peu le travail dans ce magazine – à propos de tes collègues, l’atmosphère, les méthodes.
Il n'y avait pas d'équipe. Il y avait Alexey Sidorov. Et il a créé le magazine Rock City. (sourire) Seul. Sans personne. Il lui manquait juste un photographe. Il l'a trouvé dans Gorbouchka* – celui de l'époque, pas ce qu'on a aujourd'hui. Donc ce photographe a proposé à Sidorov de sortir un livre sur METALLICA. Il n'était pas nécessaire de le motiver d'avantage. Il lui a juste fallu attendre deux mois qu'une personne qui pourrait concrétiser cette idée revienne de l'armée. Je me souviens d'être rentré à la maison le vendredi (en fait c'est moi qu'il attendait de l'armée…), samedi matin j'étais déjà à Gorbouchka. On m'a présenté à Sidorov. Lundi j'étais chez lui. Il avait d'impressionnantes archives de la presse metallique – des magazines empilés de partout. Même le canapé était soutenu par deux gros tas de Metal Hammer ! Des archives uniques quand j'y pense ! Absolument tous les numéros du britannique Kerrang, Metal Hammer presqu'au complet, encore beaucoup d'autres … Ah oui – encore à l'époque, en 92, Alexey avait un ordinateur ! Mais le principal – on était dingues de notre passion. L'édition spéciale de Rock City dédiée à METALLICA est sortie en décembre de la même année. Il y a eu d'autres ouvrages mais METALLICA est devenu ma croix si on peut dire ainsi. Le livre a été réédité plusieurs fois. Dans des formats et volumes différents, le contenu bougeait aussi. Bref – c'est une histoire à part. Concernant Rock City, en bref… Sidorov a laissé tomber très rapidement. Pendant un certain temps il a été remplacé par Oleg Bocharov. Ensuite ça a été mon tour de devenir le rédacteur en chef. En 99 j'ai laissé tomber le journalisme. C'était la fin de l'existence de Rock City…

*NDR : Gorbouchka - le légendaire marché moscovite, le symbole de la révolte de la jeunesse et du changement dans le pays. Au début des années 90, on y achetait du multimedia ainsi que la production audio et vidéo en provenance de l'étranger, tout ce qui était interdit et introuvable jusqu'ici. On y trouvait de tout.


Peux-tu présenter l’image générale des médias metal dans les années 80-90 : magazines, journaux, télé, émissions radio ? Qui peut-on citer en particulier ?
Dans les années 80 il n'y avait rien. Je pense que ce n'est pas la peine d'expliquer pourquoi. Dans les années 90 il y avait tout. Encore une fois inutile d'expliquer pourquoi. Il y avait la radio SNS, l'émission "Zelenyj koridor" (Le corridor vert) à la télé où on nous montrait Headbanger's Ball de MTV – hé oui, il y avait une époque où le heavy metal passait sur MTV ! Et bien sûr il y avait la presse. Rock City, entre autres, n'était même pas le premier magazine. Je citerai Rok, Trraxxx, Rockkor, le journal Zaraza… En fait la moitié des journalistes de ces magazines sont ensuite passés par Rock City !


Comment évalues-tu la presse actuelle par rapport à ce qui se faisait avant ? Y a-t-il une différence dans l’activité rédactionnelle, dans la sélection des sujets ?
Je ne connais pas vraiment la presse actuelle. Je connais juste quelques magazines, dans les plus anciens. Ils tiennent pour le moment. Le reste, comme le démontre la pratique, ne peut pas exister dans ce pays. Nous n'avons pas et n'avons jamais eu d'institution de la musique rock. Pour cette raison nous n'avons ni presse, ni radio, ni télé… Tout ce dont j'ai parlé précédemment tenait de l'enthousiasme pur dans une atmosphère d'euphorie totale de croire qu'on était enfin sur le chemin d'un avenir civilisé. Mais pour créer une vraie industrie à partir de zéro, il faut énormément de force, d'argent et - le principal – du temps ! Personne ne peut garantir le succès d'une telle entreprise. C'est pour cela que les businessmen sérieux genre Boris Zosimov* changent vite pour une culture plus populaire. Les autres, dans les meilleurs des cas, sont restés au même niveau.

* NDR : Boris Zosimov : Célèbre producteur russe, préside le conseil de direction de MTV Russie, est directeur de la maison de disque PolyGram, est le créateur et le dirigeant de Biz Entreprise – première société soviétique à organiser les grands concerts et les festivals de metal et avoir ramené pour la première fois AC/DC et Metallica.


La sphère de la musique est-elle ton activité principale ? Est-il possible de vivre du metal en Russie ? Et comment ça se passait avant ?
Dans le sens commercial ? Avant, tout le monde ne pouvait pas faire de metal tout court, alors je ne parle même pas de gagner de l'argent ! Aujourd'hui il n'y a plus aucune restriction. Certains reçoivent même des sous. Mais vivre de ça – je ne pense pas…
En 2002 j'ai travaillé pendant quelques mois avec le showbusiness-aventurier Aleksandre Yelin*. Il a lu quelque part qu'en occident les ventes des disques metal-rock s'élèvent à 10% des ventes générales de musique. Chez nous cette vacation est vide. Pour cela, messieurs les éditeurs, les promoteurs, les propriétaires de radio et de télé et les autres dans votre genre, vous avez une chance unique de devenir monopolistes dans l'affaire ! Avec cette idée en tête, on a frappé à plusieurs portes. Mais la "chance unique" n'a pas inspiré grand monde. Expliquer pourquoi ?...
En fait Yelin lui-même ne vit pas du metal. Il travaille avec ARIA, MASTER et encore quelques-uns. Cela rapporte bien sûr certaines sommes, mais c'est incomparables avec les dividendes de toute sorte de "kiski" et "strelki" (NDR – l'interviewé fait référence avec une note de mépris aux collectifs pop composés de bombes refaites au bistouri qui inondent le marché russe de "musique" actuelle).

*NDR : Aleksandr Yelin – parolier, producteur et journaliste russe. Composait pour les groupes comme ARIA, MASTER. Un fait anecdotique : c'est lui qui a écrit le texte de cette fameuse chanson pop russe qui exprime l'amour dévoué des femmes russes envers le héros national Vladimir Poutine (avec le sous-titrage en français en plus) : http://www.youtube.com/watch?v=_OFOPd6pgjI


La scène russe n’est pas très bien connue dans les pays occidentaux. Pourrais-tu la présenter aux lecteurs? Comment tout a commencé ? Quelle était la mentalité et la situation générale ?
La situation était soviétique. La mentalité générale – antisoviétique. Pour cette raison, tout ce qui allait à contre-sens de la ligne politique du parti et du gouvernement n'était pas favorisé dans le meilleurs des cas. Dans le pires des cas, c'était poursuivi pénalement.


Quels sont selon toi les étapes du développement du metal en Russie ? Comment peut-on les définir ? Du point de vue chronologique ? Du point de vue stylistique ? Quels groupes peut-on citer comme des représentants du metal russe?
En général, la seule différence entre la scène russe et la scène occidentale est l'idéologie et le régime politique. L'industrie de la musique existait bien sûr dans l'Union Soviétique. Savoir si la population avait besoin de cette musique (officiellement autorisée) est une toute autre question. Mais ceux qui travaillaient dans cette sphère étaient exclusivement des professionnels (NDR – comme les fonctionnaires d'Etat avec tout ce qui allait avec). Je parle des artistes eux-mêmes, des philharmonies, le support massif des medias… Mais la musique rock était considérée comme une mauvaise influence de l'occident, et pour cette raison, comme je l'ai déjà souligné, elle était même pénalement persécutée.

Aujourd'hui on peut faire tout ce qu'on veut. Mais le metal ne s'inscrit pas dans le modèle actuel du show-business. Pour le reste, notre scène est la même qu'ailleurs. Il existait néanmoins une période de blanc total, mais tout le pays était en ruines*.
Mais "the song remains the same" ! Juste que le statut du metal et du rock russes – l'underground profond.

*NDR – l'interviewé parle de la profonde et violente crise économique des années 90 quand tout le système économique du pays s'est littéralement effondré.


Tu as travaillé avec le groupe de heavy metal russe ARIA. En quoi consistait votre collaboration ? Raconte-moi tes relations avec le groupe ?
En 1995, mes amis enregistraient dans le studio d'ARIA. C'est là que j'ai fait connaissance avec Vladimir Kholstinin (guitariste permanent d'ARIA, un des fondateurs) et Vitaliy Dubinin (bassiste et deuxième fondateur du groupe). J'en ai profité pour faire une interview pour Rock City. La publication leur a plu et je suis devenu l'attaché de presse du groupe. En 2001 j'ai commencé à bosser directement avec le groupe. Premièrement j'organisais des concerts, je m'occupais de la pub, ensuite j'ai commencé à les accompagner en tournées. J'avais également les responsabilités techniques, je faisais l'ingé light, l'administration du site web, je menais le journal des tournées, je m'occupais des reportages vidéos et plein d'autres choses.


Peux-tu te souvenir d'une anecdote liée à ARIA ? J’imagine cela ne manque pas.
Pas la peine de m'en souvenir – ça ne s'oublie pas (sourire)! Mais raconter n'a pas de sens. Pour comprendre il faut ressentir l'atmosphère de la tournée. ARIA tourne environ 150 jours par an. L'équipe de techniciens et autres est composée de 10 personnes en moyenne, ils se trouvent tous ensemble 24h/24 durant plusieurs semaines. Dans cette situation même un dialecte spécifique apparaît, je ne parle même pas des histoires… Parfois nos conversations sont incompréhensibles même pour les gens proches du groupe !


Dans les années 80, il est apparu plein de groupes qui sont devenus plus ou moins connus. Mais seul ARIA s’est distingué comme le symbole du heavy metal russe – un des rares groupes russes qui a une certaine notoriété en occident. Comment expliques-tu ce phénomène ?
Justement, en dehors du pays ARIA n'est pas si connu que ça. Mais bien évidemment en Russie ils sont numéro 1 dans leur genre. On a parlé pas mal des causes du succès. Les grands mots comme "le dévouement à son travail" et "la fidélité aux idéaux" peuvent paraître cliché. Mais regardez 25 ont ans passés – ARIA est toujours là ! ARIA n'a jamais expérimenté avec les styles (surtout pour convenir à la mode du moment), n'a jamais tenté de séduire en langue étrangère et surtout en dehors de son propre pays, et, le principal, n'a jamais abandonné et ne s'est pas laissé démonter quand les temps étaient durs. Voilà donc la différence principale par rapport aux autres groupes qui ont commencé avec ARIA. Cela paraît simple et logique, mais, comme on le constate, ne réussit pas à tout le monde.


Souvent on reproche aux groupes russes des années 80 de copier les standards occidentaux genre JUDAS PRIEST, IRON MAIDEN, ACCEPT,… Qu’est-ce que tu penses de ça ?
Ben je n'en pense rien. C'est le processus normal. Et JUDAS PRIEST copiaient des anciens collègues, plus expérimentés et plus connus, et IRON MAIDEN, et АССЕРТ. et THE BEATLES aussi. Et donc ARIA n'a pas évité non plus – la question sous-entendait ARIA je suppose ? Mais ARIA s'est détaché depuis bien longtemps de ses références. D'ailleurs, comme journaliste avec pas mal d'expérience, je remarquerai qu'il n'y a aucune press-release où il n'y a pas de phrases genre "le groupe travaille dans le style de ceux-ci ou de ceux–là". Ce n'est pas honteux. Au contraire même, c'est un honneur d'être comparé avec les grands. C'est chez nous que de telles comparaisons sont vues d'un mauvais œil.


Quelles sont les tendances de la scène actuelle ?
Je ne peux rien dire. Je ne m'intéresse ni à la scène actuelle, ni à ses tendances. J'essaie bien sûr d'être au courant, mais la plupart de noms qui passent dans les news ne me disent rien. Il y a évidemment des exceptions agréables, mais en général je suis éloigné de la scène rock et metal actuelle. Je suis plus passionné par suivre les actus des anciens que d'en écouter des nouveaux.


T'intéresses-tu à la scène underground russe ? Je parle des groupes de metal extrême : death, black, doom…
Je vais te décevoir – je ne m'intéresse pas du tout aux styles cités, ni aux groupes russes dans ces styles. Je suis ennuyeux, non ? (sourire)


Quelles est la spécificité principale du metal russe de ton point de vue ?
Je ne comprends pas très bien la question… Mais je me souviens d'une rubrique de Rock City. Les groupes débutants envoyaient leurs démos et nous faisions des chroniques. (D'ailleurs certains groupes ont eu un certain succès !). Nous avons appelé cette rubrique « La carte de métro » - genre underground, souterrain… Donc voilà, par l'analogie avec le métro je peux dire qu'on a construit depuis pas mal de nouvelles stations, et même quelques nouvelles lignes, mais ce développement se passe uniquement à l'intérieur, en souterrain. Il existe quelques stations de métro "légères". Mais on ne parle même pas de trains de banlieue, ni surtout de trains de grandes lignes. Probablement que ce n'est pas bien, mais pas mauvais non plus. C'est un fait.


Comment vois-tu le développement du metal en Russie dans la décennie à venir ?
Je ne le voyais même pas dans la décennie passée, ce développement (sourire). Je ne dis pas ça pour dénigrer bien sûr. Je m'explique. Ici, ce n'est ni l'Amérique, ni l'Europe où la musique rock a une histoire et des traditions riches. Ici, ce n'est pas la Scandinavie, où le développement de cette industrie est supporté au niveau gouvernemental ! Ici, c'est la Russie où le heavy metal a toujours été underground. En principe c'est normal. Vous vous souvenez des 10% ? C'est ça en fait. On ne gagne pas d'argent sur la musique. Mais les jeunes musiciens ne se font pas d'illusions à ce sujet.


Connais-tu la scène française ? Quels groupes peux-tu citer ?
Des années 80, je me souviens du Hard Rock et du groupe TRUST. En fait je ne l'ai jamais vraiment écouté ce groupe – je connais bien juste une chanson qui a été reprise par ANTHRAX. Et encore ce groupe est célèbre par le fait qu'il y a eu les batteurs d'IRON MAIDEN qui ont joué dedans.

Cette question aurait dû être la première de l'interview ! Cela aurait facilité les analogies parce qu'en France la scène métallique est mieux développée qu'en Russie. Mais très peu de gens connaissent en dehors du pays à part les cercles très étroits de spécialistes. Chez nous c'est la même chose.


Et peut-être quelques mots pour les metalleux français ?
De grandes réalisations et de petites joies !
Comme on le chante dans votre hymne :
« Allons enfants de la Patrie
Le jour de gloire est arrivé ! »
Et bien sûr - Long Live Rock'n'Roll!!


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