Peux-tu te présenter pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, et notamment quel a été (est encore?) ton rôle par rapport à la Loco?
Salut à tous les lecteurs de VS. Je suis d'abord un passionné de musique et de Metal, j'ai très vite eu envie de rentrer dans le milieu associatif pour aider les concerts à se faire sur Paris, car au début des années 2000, il y en avait très très peu.
J'ai rejoins une association appelée Luna Frigidis avec qui on organisait, en gros, un concert black et un concert grind tous les ans au Club Dunois.
Le Club Dunois ayant fermé et ayant envie moi-même d'élargir mes programmations, j'ai décidé de monter une association avec quelques amis. D'abord nommée "Sekhmet Management" en hommage au label du même nom dont j'adorais les sorties, nous avons adopté ensuite le nom de "VS Prod" quand il a fallu trouver un support médiatique plus solide.
A quelle époque l'orga VS Prod a-t-elle commencé à travailler avec la Loco? Est-ce que ça s'appelait déjà VS Prod, d'ailleurs?
On y vient donc. Le premier concert que nous avons organisé à la Locomotive, nous l'avons fait sous le nom de "Sekhmet Management" car le but premier de l'association était d'organiser les concerts et les tournées du seul groupe français du label : Korum. C'était donc en 2003.
Te souviens-tu des premières affiches qui ont été montées là-bas? Comment le choix de la Loco s'est-il fait pour votre premier concert dans cette salle ?
La toute première affiche que nous avons organisée là-bas était la suivante:
Gojira,
Aborted,
Korum,
Kaizen,
Gronibard,
Klone,
PITBULL IN THE NURSERY
Il serait très long d'expliquer le pourquoi du comment de tout ça, mais je m'étais rendu un an plus tôt à un concert réunissant, un Dimanche après-midi, Cryptopsy et Dying Fetus. Ces deux groupes n 'étaient pas des têtes d'affiche, pourtant, la salle était remplie, qui plus est, par un public très jeune. Il était clair pour moi que le dimanche après-midi était stratégique pour conquérir un nouveau type de public.
De plus, ce créneau nous autorisait des excentricités de programmation, comme de mettre 7 groupes sur la même affiche, ce qui se faisait peu à l'époque, voire pas du tout, et dont on abuse largement maintenant.
Pour le choix de Gojira, nous étions tout simplement fans, Damien (emp), Roberto et moi. Gronibard et Aborted étaient l'assurance tout risque niveau public pour nous et les autres groupes étaient des coups de cœur.
Je me suis lancé dans l'aventure en fond propres mais pourtant je n'ai jamais eu vraiment peur que ça ne fonctionne pas, c'était suffisamment nouveau été attendu pour nous ôter la majorité de nos craintes.
Ce concert fût un grand succès, avec pas loin de 700 entrées payantes, et j'espère que ça a un peu participé au succès actuel de Gojira.
Dans quelle mesure ton équipe a-t-elle été amenée à faire ouvrir la petite salle pour les concerts?
Fred (Garmonbozia) m'a proposé d'organiser le retour d'Entombed à Paris. Malheureusement ce soir là, la Loco était prise (par Killers peut-être?), mais je doutais de toute façon du succès de cette date. Je cherchais une salle plus petite, mais en plein été, pour une date prévue à la rentrée, je n'ai rien pu trouver.
Un soir d'agonie alcoolique comme j'en ai connu pas mal, j'avais été embarqué dans une soirée "Rock" à la Locomotive, et j'avais été invité à danser au "Sous-sol", une salle étriquée et poussiéreuse, avec des reliques de ce qu'avait été la Locomotive à la base : la chaufferie du Moulin Rouge.
Je m'en suis souvenu en visitant la Loco avec Monica Stranik (Programmatrice des concerts Rock) et je lui ai proposé d'organiser le concert au sous-sol, qui était déjà équipé ne Sono, dans une configuration différente de celle que vous connaissez. Elle a accepté (mon chéquier l'a un peu aidé ;)) et ses techniciens se sont chargés de transformer ce lieu en salle de concerts improvisée.
Les années 90 paraissent un autre monde. Les concerts se terminaient à 3h du mat' et semblent loin des goûters-concerts d'aujourd'hui. Que penses-tu de l'évolution des attentes du public ces dix dernières années?
Je n'ai pas d'enfant, mais j'essaye toujours de me mettre à la place des parents qui accompagnent leurs gosses ou qui leur donnent la permission de 23h00. Imaginez la frustration engendrée par le fait que la tête d'affiche joue plus tard! C'est injuste!
J'essaye aussi de me mettre dans la peau de ceux qui habitent loin.
Dans le métal extrême, le fait de transmettre les running order est une préoccupation plutôt récente pour les organisateurs, et j'espère que nous y avons contribué en le faisant systématiquement.
Les attentes du public sont légitimes, et pour le conquérir, il faut y répondre, c'est ma seule philosophie.
As-tu vu la situation se dégrader pour la Loco (et la scène parisienne) au fil des ans?
Non je n'ai rien remarqué de particulier, mais je dois avouer que je m'étais un peu tenu à l'écart ces derniers temps, puisque je ne fais pas secret de mon échec dans le milieu de la musique en tant qu'organisateur et label (RIP Active Entertainement).
Je crois qu'il n'y a rien de catastrophique dans la situation actuelle, en tout cas, ça ne sera jamais pire que la fin des années 90 pour le Metal en France.
Je pense qu'une très grande partie du budget du public Metal se dirige aujourd'hui vers le Hellfest, et il faut que les organisateurs parisiens s'en rendent compte et comprennent qu'il faut proposer quelque chose de différent que le modèle économique simpliste qu'on a eu jusqu'à maintenant (je book un groupe, je book une salle et je mets mes place en vente en priant).
Que penses-tu du sort réservé à la Loco, à savoir probablement terminer en snack pour les touristes du Moulin Rouge?
Une fatalité. Dites vous bien que quand j'ai commencé à travailler avec la Loco (en 2002), elle était déjà en plein redressement judiciaire.
La partie concert était d'après moi assez bien gérée, mais la partie boîte, aussi bien au niveau du respect du public que de la qualité, c'était vraiment à côté de la plaque.
Par exemple, le bar à l'étage était toujours ouvert au tout venant, et les touristes attirés par la lumière pouvaient payer 15 ou 20€ leur droit d'accès dans une boîte complètement vide et sans animation en semaine. C'était vraiment pathétique.
Il y avait un type chargé de recruter le carré VIP des vendredis et samedis soirs et qui déclarait fièrement qu'il avait vendu des bouteilles et des tables à des petits dealers de banlieue au lieu d'être allé chercher des peoples.
Bref, complètement nul!
Quelle salle pourrait prendre le relais de la Loco, en termes de capacités/tarifs? Penses-tu qu'il va falloir que les metalleux parisiens s'habituent à se rendre en banlieue pour voir du metal?
Les concerts en banlieue, ce n'est pratique que quand on y est déjà, donc j'exclue cette possibilité.
Par contre, le Gibus par exemple a entrepris de gros travaux et est devenu une salle très correcte. Le New Morning peut parfaitement accueillir des concerts de Metal. La Maroquinerie est une salle tout bonnement géniale et que les Metallheads ont déjà adopté. Le Nouveau Casino et le Trabendo ne sont plus à présenter.
Il y a tout un réseau de salle qui a été ignoré par facilité car il est vrai que le tarif de la Loco défiait toute concurrence en terme de rapport capacité/prix.
Si la musique savante n'a définitivement aucune chance de voir jour à la Loco, est ce qu'à l'inverse on peut espérer un jour voir Napalm Death à la Cité de la Musique?
Que quelqu'un qui a une légitimité dans le milieu musical présente un projet, je suis certain qu'il sera étudié.
Pour resituer ta question, je travaille à la Cité de la Musique, sur des problématiques de billetterie et d'accueil du public, donc je n'ai aucun contact avec la programmation.
Mais je pense que des projets culturellement solides comme le Cerunnos y auraient largement leur place!
J'ai un doute pour Ultra Vomit ou Gronibard.
Beaucoup de critiques sur le net concernaient le prix des boissons, les horaires ou les concerts décalés à cause du théâtre. Penses-tu que le public se plaint trop?
Non le public a raison. Ces remarques sont vraies mais c'est aussi pour ça qu'en tant qu'organisateur, on payait la salle si peu cher. Ce qui rendait parfois tout simplement les concerts possible.
Donc c'était un peu du "à prendre ou à laisser" pour le public. Je pense que les organisations auraient mieux fait de jouer franc jeux avec le public.
Quels souvenirs garderas-tu de cette salle, en tant qu'orga et en tant que spectateur? J'ai lu que tu t'étais rendu avec une certaine nostalgie au concert de Behemoth. As-tu quelques anecdotes de concerts qui se sont déroulés à la Loco?
Plein de souvenirs émus, j'ai rencontré plein de gens géniaux, des techniciens, des tourneurs, des organisateurs, des musiciens bien entendu.
Ceux qui m'ont vu ce soir là ont constaté que je tenais pas debout, je réalise ce soir les larmes aux yeux que je n'aurais pas pu rentrer dans cette salle pour la dernière fois avec le sourire avec moins de 3 grammes d'alcool dans le sang.
Voilà c'est une page qui se tourne mais il y a encore tellement de choses à faire. Le Metal est vivant et le public se renouvelle comme jamais. Pour m'endormir, je ne pense pas à la Loco mais au Hellfest et aux nouvelles scènes.
RIP la Loco, vive le Metal.