DU NIHILISME à L'ELITISME : Hard Force N°16 - Mars 1988

Entretien avec AWAY par Hervé SK Guegano.

De nombreux lecteurs auront sans doute remarqué le carctère tardif de la parution de cette interview, prise sur le vif à l'occasion du mémorable concert parisien de Voivod en décembre dernier. Certains auront peut-être même conclu un peu hativement que le groupe avait fait les frais de l'intransigeance q'un rédacteur en chef guère porté sur le thrash , et toutes ces formes d'agression sonore risquant de perturber gravement son équimibre psychologique. Et bien non! En fait, nous avons tellement été sidérés par la cohérence et l'intelligence des propos qu'a tenu AWAY, le batteur de Voivod, du cerveau duquel a jailli le concept à l'origine du groupe, que nous ne pouvions nous résoudre à traiter Voivod comme un groupe ordinaire, ce qu'il n'est assurément pas. Aussi avons-nous préféré différer sensiblement cette interview, plutôt que de la publier en temps et en heure, mais amputée d'une page ou deux, du fait de l'actualité brulante de ces deux derniers mois. En effet, si l'on tente d'appréhender le concept de Voivod dans son ensemble, on ne peut qu'être frappé par sa cohésion et sa sturcturation, évoquant celles qui permirent à Lovecradt de doner corps au mythe de Cthulhu. Alors Accrochez vos ceintures ! car HFM a entrepris de décortiquer, sous la direction de AWAY, le concept auquel il a donné naissance.

H.SK.G.: De nobreuses persones ont entendu parler de voivod, amsi bien peu savent que derrière le groupe se cache un concept tout à fait original; alors peux tu nous préciser quand et comment est né le concept du Voivod ?
AWAY : En fait, cela remonte bien avant la création du groupe. Tout est parti d'un film documentaire sur Vlad Dracul et les Voivods. La légende a d'ailleurs dérivé quelque peu, car les Voivods n'étaient pas des oppresseurs; ils défendaient la Transylvannie contre les envahisseurs Turcs. Et le fait qu'ils aient coutume de boire le sang de leurs victimes, pour célébrer leurs victoires, a dégénéré en vampirisme. Mais à l'origine, les Voivods n'étaient pas les agresseurs, ils étaient les agressés! Et comme j'ai toujours été fasciné par la grandeur intelectuelle des vampires, j'ai projeté cette ancienne légende dans un monde totalement imaginaire, issu de mon esprit, qui peu à peu, a pris vie à travers mes dessins et dans laquelle transparait mon appréhension du nucléaire; mais je ne me suis pas dit que j'allais prendre tel ou tel élément, et laisser tel autre de coté, car tout cela s'est fait naturellement, presque inconsciemment. Les personnages que j'ai dessinévivaient à l'intérieur de ma tête et en sont sortis directement.

H.SK.G.: (soulevent un lièvre par inadvertance) Et tu as pensé à consulter un psychiatre ?
AWAY
: Hum! J'ai subi, malgré moi, des examens psychiatriques lorsque j'étais très jeune, sur injonction de mes parents et professeurs. C'était très lassant ! et stupide de sucroit, puisque j'ai réussi très tôt à contrôler mes dédoublements de personnalité et à canaliser ce phénomène pour profiter de mes troubles psychiatriques, afin d'en tirer le maximum de création artistique. D'ailleurs l'art et la schizophrénie sont étroitement liés.

H.SK.G.: Tu es donc schizophrène ?
AWAY
: Absolument. Et c'est pour cette raison que j'ai été soumis à toutes sortes de contraintes.

H.SK.G.: Tiens, comme c'est curieux. Serait-ce là le scoop de l'année ?
AWAY
: Tu sais, je sui venu au monde avec ça, je ne l'ai pas choisi. De toute façon, tout le monde l'est à un stade plus ou moins avancé, dans la société actuelle. Chacun d'entre nous a une multitude de personnalités différentes; il s'agit simplement d'aller les chercher au fond de soi, et c'est quelque chose que j'ai appris à faire très jeune, sans le savoir. Il faut ensuite trier les facettes, en effectuant une classification , afin d'éliminer les mauvaise pour ne garder que les meileurs. Cerains parviennent même à en faire un tout, mais ce n'est pas encore mon cas, puisque je dois toujours sélectionner celle que je souhaite faire intervenir , par l'intermédiaire d'une sorte de commutateur cérébral.

H.SK.G.: Et les autres membres de Voivod , ils sont atteints aussi ?
AWAY
: Je crois qu'ils sont également schizophrène, à un degré moindre que le mien toutefois. Mais 'est une question d'apprentissage. Tout dépend du stade jusqu'auquel on envisage de pousser ses investigations. L'exploration du subconscient fait appel à des techniques que je n'ai jamais expérimentées, telles que la méditation transcendentale. Il exisqte bien des drogues hallucinogènes, mais je ne prends ni héroine, ni LSD - je fume du haschich, par contre, mais ce n'est qu'en surfae que tu voyages. Et je crois que dans le subconscient se trouve des ressources très importantes, mais encore faut-il pouvoir y aller; et cela c'est une toute autre histoire! J'aimerais beaucoup faire des voyages transcendentaux, mais cela nécessite énormément de pratique et d'entraînement. Peut-être le ferai-je ultérieurement ?

H.SK.G.: Compte tenu des efforts que cela repésente, est ce que cela ne se fera pas au détriment de la musique, à laquelle tu auras moins de temps à consacrer ?
AWAY
: Pas néce ssairement. Il faut voir aussi que, par cet apprentissage, ton potentiel créatif peut augmenter de façon considérables. Les asiatiques, eux ont recours à des technilogies leur permettant d'aller très loin, dans les neuf dixièmes du cerveau inutilsés en fonctionnement normal. Cela leur donne accés à des capacités inexploitées et leur ouvre des horizons nouveaux que l'on ne peut soupçonner.

H.SK.G.: Revenons au concept du Voivod; comment est il devenu le concept de Voivod ?
AWAY
: En fait, la transition s'est faite d'elle même. Quand nous avons formé le groupe en 82, j'ai parlé aux autres du Voivod et de son monde, et ils ont trouvé que ce nomet l'idée générale, qui s'y ratachait étaient tellement intéressants que nous avons décidé d'en faire la base de notre concept lyrique et musical. Cela s'est d'ailleurs pas fait sans heurts; tout s'est enchainé très vite, beaucoup trop vite; il fallait que je donne une nouvelle dimension au concept de voivod que je dessine les pochettes; les données rentraient dans ma tête, j'ai un peu perdu le contrôle de ma schizophrénie et j'ai eu des rechutes de dédoublements de personnalité. Ce fut une période très éprouvante pour moi.


H.SK.G.: Il est clair que depuis WAR & PAIN, le Voivod a nettement évolué. Quelles ont été les grandes étapes de cette évolution ?
AWAY
: A l'époque de WAR & PAIN, je croyais et tout le groupe croyait, que le quotient intellectuel de l'humanité était trop faible pour contrôler la puissance nucléaire, et qu'en conséquence, les guerres existeraient toujours. Aussi le thème principal de l'album était la bétise, poussée au-dela du point de non retour, en réaction à ces visions de guerre qui nous obsedaient, stigmatisaient ainsi notre impuissance. Car, si tu es politicien, tu as tout de même un petit rôle a jouer; alors que si tu es une personne comme les autres, tu n'es qu'un pion sur l'échiquier. Et dans WAR & PAIN, le Voivod se révolte contre cet état de fait. De ce point de vue là, c'était beaucoup plus un album de punk que de Heavy Metal. D'ailleurs , nous n'avons jamais vraiment été capable de mettre un nom sur notre musique; on a été étiquetté de différentes manières, dont l'une que nous avons rejeté catégoriquement le Black metal, car c'est un genre axé sur le satanisme , qui ne nous concerne absolument pas.


H.SK.G.: A moins que l'on se réfère à sa forme humaine : la malfaisance ...
AWAY
: Oui, en fait , c'est exactement ca, WAR & PAIN traite de la violence PAR et POUR le mal, et de l'impuissance vis à vis de ce mal. Je ne pense pas que l'homme soit mauvais par nature; en venat au monde, il est plongé dans un environnement violent, essaye de resister tout en ressentant une certaine excitation involontaire envers la violence, puis devient lui-même violent, par mimétisme, parce que le seul moyen de vivre en paix, donc de survivre dans un tel contexte est de recourir à la violence contre la violence. C'est un cercle vicieux , bien sur, et pour nous en sortir, il nous fallait briser cette chaîne de la violence. Et comme la musique du premier album était très agressive et très primitive, et qu'elle devait évoluer, le Voivod, qui jusqu'alors charnel, se transforme en robot. Korgull, lui, est structuré mécaniquement; il est tellement parfait qu'il en devient imparfait. Le seul exemple que je puisse te donner est celui du nazisme. C'est un cas typique de perfection absolue et de folie annihilant cette perfection. Car la folie est la perfection même si elle sont apparentées, sont rigoureuseument incompatibles. En présence, l'une de l'autre, les frictions sont telles que cela ne peut plus fonctionner, et c'est sans doute pour cette raison que le nazisme n'était qu'une utopie négative. Et ma conception de la robotisation à outrance sur RRROOOAAARRR, elle aussi était utopique, car Korgull qui représente l'oppression, détruit tout ce qui ne lui ressemble pas; donc comme Korgull raisonne logiquement, mécaniquement, il en arrive à exterminer les etres réagissant au niveau des sensations et des instincts, dont l'intelligence est purement sensitive. Et je me suis rendu compte que cela débouchait sur un système totalitaire. OR, les systèmes totalitaires sont imparfaits ; ils sont tout aussi utopiques


H.SK.G.: Ils le sont en effet d'autant plus , que même dans le plus totalitaire des systèmes, la rebellion existe encore. Rien ni personnnen'est parfait. Et donc, qu'est devenu le Voivod?
AWAY
: Eh bien, puisque le Voivod, en tant que robot, ne me satisfait pas pleinement, j'ai crée un personnage cybernétique, à moitié charnel, à moitié mécanqiue, qui constituait un compromis idéal entre l'homme et la machine, entre l'intelligence sensitive et la logique. Et comme il n'avait plus rien à faire sur terre, je l'ai envoyé dans le meilleur des mondes qu'un cyborg puisse explorer, c'est à dire l'espace. De plus sur KILLING TECHNOLOGY, nous avions envie de nous livrer à certaines expérimentations musicales, en utilisant des effects qui sonnaient de façon spatiale. En effet, c'était presque un pretexte pour faire de la musique spatiale, encore plus psychédélic qu'auparavant. Mais, plus tard j'ai reflechi, j'ai lu d'autres livres, et j'en suis venu à la conclusion que tout ce qui est materiel n'est qu'imprefection. Tout ce qui est charnel, les OS, le metal, bref tout ce qui est concret, est fragile, donc imparfait. Alors j'en ai déduit le stade suivant de la recherche de la perfection, celui d'une entité qui n'est pas palpable, mais qui reflechit, autrement dis un esprit. Dimension Htross, le quatrième album, sera archiecturé autour de huit chapitres d'une même histoire. Ce sera notre premier véritable concept album de A à Z, et cela faisait longtemps que cette idée la me trottait dans la tête, mais il fallait bien faire les trois autres avant.


H.SK.G.: Crois tu que tu as réussi à exprimer tout ce que tu ressentais et que tu as atteint l'ultime stade de la perfection ou as-tu encore d'autres idées en réserve pour le cinquième album ?
AWAY
: A vrai dire, j'ai crée le concept de Dimension Hatross lors de la tournée avec Celtic Frost avant même la sortie de Killing Technology. Et la, je suis déjà plongé dans le cinquième album, car même si Dimension Hatross tend vers ma conception de la prefection, il ne l'a pas encore atteinte. Sur cet album, je dematerialise le Voivod, et je le projette dans une autre dimension toujours dans un but experimental. Musicalement parlant, Dimension Hatross est un album très bizarre; et il fallait qu'il le soit puisqu'il fait reference à un continuum non tridimensionnel. Bien sur, on y retrouve toujours la même énergie punk, mais Piggy ayant lui aussi énormémént progressé en ce qui concerne les accords et les effets sonores, l'album sera encore plus avant gardiste et encore plus expérimental que Killing Technology. L'un de nos problemes majeurs réside d'ailleurs dans la difficulté d'assimilation de notre musique, la majorité des gens ne seront en mesure de saisir ce que nous faisons à l'heure actuelle que dans deux ou trois ans, comme cela s'est produit pour WAR & PAIN. A l'époque , tout le monde avait les yeux tournés sur METALLICA et sur le satanisme; Voivod a pris une branche à part et cela nous a beaucoup nui.


H.SK.G.: Mais alors, il y aura toujours un déphasage? Car quand votre quatrième album aura été assimilé , vous en serez déjà au sixième, et vous aurez encore changé entre temps !

AWAY : C'est tout à fait exact, et ca le sera même de plus en plus, car la marge entre deux albums succcessifs ne cesse de croitre, tant en composition, qu'en structuration des morceaux. Plus le temps passe et plus on s'éloigne du punk et du thrash. Nous nopus imaginons que d'autres groupesallaient nous suivre dans cette voie, quelque fois cela aide d'être copié, mais non il n'y a rigoureuseument personne !
Le vide total. A notre avis, VOIVOD préfigure la musique des années 90, mais c'est très dur de rester underground pendant 10 ans. Cela crée des tensions


H.SK.G.: Et tu penses que VOIVOD tiendra le coup ?
AWAY
: Nous ne pouvons pas savoir. Peut etre pourrons nous supporter cette pression, en sortant périodiquement u_n disque, jusqu'a ce que VOIVOD soit enfin reconnu; à moins que nous nous tuions à petit feu. Prends un groupe comme VAN DER GRAFF GENERATOR, qui est resté dans l'ombre pendant une dizaine d'années; maintenant les gens crient au génie, mais c'est trop tard! le groupe s'est consumé à force d'attendre un succés qu'il meritait amplement et qui ne venais jamais. Tout comme MAGMA, qui n'a cessé d'être un group culte parce que Christian Vander avait choisi un concept radicalement anti-commercial, en se créant un mode, des personnages et un langage à lui. D'ailleurs, le concept de Voivod est, en partie, bati sur les mêmes bases que celui de MAGMA. C'est un groupe qui m'a beaucoup influencé lorsque j'étais adolescent. Et en fait, les gens qui réalisent qui sont les génies ne représente qu'une infime minorité intellectuelle. Tout les autres ne font que suivre. Ce sont des moutons! Regarde dans le heavy metal, actuellement tous les groupes qui marchent sont ceux qui plagient avec plus ou moins de talent METALLICA ou SLAYER et cela cause beaucoup de torts à ceux dotés d'un potentiellyrique ou musical plus elevé, comme CELTIC FROST par exemple.


H.SK.G.: Justement à ce propos, la plupart des gens, qu'ils fassent partie de votre public ou, au contraire, qu'ils ne puissent pas vous supporter, vous considèrent à tort comme un vulgaire groupe de thrash parmi tant d'autres, sans prendre en compte la substantifique moelle de votre concept. Alors, est ce que cela ne vous ennui pas d'être mal perçus par les autres ?
AWAY
: ah, si tu savais comme cela nous énerve depuis le début! Ne serait-ce qu'à cause de ceux qui nous prennent pour des nazis. Blacy et moi sommes très fervents du nihilisme. Et ceux qui nous traitent de fasciste sont complètement, mais complètement à coté de la plaque; ils lisent le message à l'envers, tout comme ceux qui interprètent de travers les thèses développés par Nietzsche. En fait, nous sommes rigoureuseument à l'opposé.


H.SK.G.: Mais, dis moi, tu as certainement fait des études poussées ?
AWAY
: Oui, je suis allé à l'université, où j'ai étudié la physique nucléaire, les mathématiques et l'informatique; mais j'ai dû arreter à 22 ans, lorsque VOIVOD a commencé à devenir sérieux. De plus, je lis énormément. Je pratique le tourisme intellectuel et culturel!


H.SK.G.: Peut-on dire que tu es le leader de VOIVOD ?
AWAY
: Non, absolument pas. Je ne suis que le leader artistique et spirituel. Voivod est l'aboutissement d'un travail d'équipe, dans lequel chacun est un leader dans son domaine; Pigy s'occupe de la musique, Blacky des affaires et Snake est notre porte parole.


H.SK.G.: Tu perçois donc Voivod comme une entité à part entière? Que se passerait-il si l'un d'entre vous disparaissait, pour une raison ou pour une autre, ce que je ne souhaite pas ?
AWAY
: Déjà, il n'y a jamais eu, et il n'y aura jamais de changement de line-up, pour la simple et bonne raison qu'aucun de nous n'a envie de lacher prise. Maintenant, si par malheur l'un d'entre nous mourait, cela signifierait la fin de Voivod. Les survivants changeraient de nom et de concept; ou arraiteraient la musique tout simplement.