Oui on peut aussi pousser le bouchon jusqu'à fissurer le goulot... Je n'ai pas la science infuse loin de là, mais sur ce que j'observe le black metal est un style né d'un vertige, vivant sur ses contradictions et étouffé par ses excès. Alors bien entendu le monde journaliste féru de sensationnel et de frivole se montrera probablement très clément avec Stormlord et il se trouvera une catégorie de fans pour leur vouer une admiration sans borne. Tout comme il y a aussi des gens que ça ne dérangerait pas outre mesure de voir le black metal débarquer sur les pistes de danse des clubs. La question qui se pose alors est: faut-il savoir dire stop ? L'une des caractéristiques du black par opposition à d'autres courants est qu'on n'en discerne pas bien distinctement les frontières. Le black se livre fort bien aux interprétations les plus variées - symphonique, atmosphérique, folklorique, gothique, pagan, pur et dur, etc., autant de déclinaisons étroitement reliées qui disposent de leurs propres systèmes de correspondances et d'attitudes, parfois de normes musicales.

Pour autant il n'est peut-être pas nécessaire de tirer profit de ce phénomène libertaire pour détériorer à des fins exclusivement lucratives l'esprit fragile d'un milieu déjà souvent frappé d'autodérision involontaire. On en a entendues des voix s'élever contre Cradle of Filth, Dimmu Borgir et consorts, leur reprochant avec plus ou moins de véhémence une démarche prétendument "commerciale". Mais au delà des dérives sérieuses au niveau de l'imagerie, des inoffensives émeutes de clans qui gravitent autour d'une argumentation fantôme, au delà encore de l'érosion effective du matériel proposé récemment il faut continuer d'accorder à ces groupes le crédit d'avoir amené leurs concepts musicaux à maturité selon une certaine logique de carrière, ainsi que de continuer à proposer des albums réfléchis, travaillés et aboutis dans leur entier, à défaut donc de plaire à tout le monde.

Alors que Stormlord, c'est une autre paire de manches... Quel jugement porter sur un groupe qui tire aussi obstinément sur des ficelles éculées jusqu'à la rupture ? Et surtout que penser objectivement d'un album aussi creux ? Car Stormlord c'est quoi au juste, si ce n'est une spectaculaire opération de séduction et de récupération - la plus réussie il faut bien le reconnaître, car coordonnée au nanomètre - du marais conséquent des fans les moins intraitables sur la marchandise. Après dix ans de carrière à macérer dans l'ombre on peut comprendre qu'un obscur combo italien de death metal, soumis à plus de changements de line-up que de chaussettes, soit tenté de prendre le train de la popularité en marche lorsque l'occasion s'en présente. Alors que fait-on dans ces cas-là ?
On rend sa musique aussi facile d'accès que possible et on surfe allègrement sur toutes les tendances les plus en vogue du moment de façon à rafler le plus d'adeptes possibles dans tous les secteurs où on pourra en grignoter.

Cela se traduit par un jeu de guitares élémentaire à la portée de n'importe qui au bout de quelques mois de pratique, constitué par un assemblage façon collier de perles (façon thrashcore suédois de base surtout) de brèves estocades monocordes apportant du "swing" et de l'accroche afin de poser les synthés sur un matelas propre et malléable - attention cela ne signifie surtout pas que les guitaristes ne savent pas jouer, après tout Depardieu est bien un bon acteur mais demandez-lui s'il préfère faire l'Obélix à 100.000 Euros de cachet ou un rôle tortueux dans un petit drame psychologique d'auteur... Il y a aussi des leads bien entendu, mais on se garde bien de les rendre exigeants ou personnalisés, ils restent somme toute assez émincés et économes pour ne pas perturber le flot linéaire des morceaux. En point d'orgue ces impayables tempos de cavalerie à quatre temps arrosés de double-pédale tels que seuls Bal-Sagoth et les pires sous-Rhapsody osent encore en utiliser de nos jours. Ici pas de pudeur, ils constituent environ 75% de la base rythmique. Et puis il y a les synthés, parlons-en de ceux-ci ! Il n'y a pas à dire, le claviériste de Stormlord a bien révisé ses classiques, tant il nous arrose d'un florilège de grands élans démesurés voulus épico-dramatiques. Il n'y a plus qu'à enfiler son heaume à cornes, tirer son glaive et à se lancer tel le vrai héros torse-poil à l'assaut d'on ne sait quelle armée de démons laids et trapus.

Soyons sérieux, d'une part trop de "symphonie" - et il y en a vraiment plus qu'à ras-bord - tue l'effet d'excitation et de dépaysement que quelques interventions opportunes du synthé peuvent parvenir à échafauder, et d'autre part il faut bien se rendre à l'évidence que si Stormlord devaient faire la B.O. d'un film d'aventures ce serait davantage d'un bon vieux "Maciste contre les Hommes de Pierre" que de "Conan le Barbare", tant les plans sont prévisibles, simples et s'essoufflent au bout de quelques notes. Le summum du kitsch est toutefois atteint par les quelques parties d'un chant clair ridiculissime qui s'échine avec force trémolos à mimer une voix de ténor. Tout bien considéré Stormlord prête quand même plus à s'esclaffer joyeusement qu'à s'irriter. Seulement quand on tombe sur des affirmations telles que "top-selling band" dans la bio du groupe on a tout de suite beaucoup moins envie de rigoler. Parce que si c'est ne serait-ce qu'à moitié vrai, si Scarlet écoule de ce truc là comme des petits pains, alors je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée émue pour tous ces groupes qui rament et pédalent le plus souvent dans la semoule pour essayer de se faire reconnaître avec des musiques certes pas toujours très vendeuses mais qui ont le mérite de la sincérité et de l'auto-sacrifice.

Alors j'en termine en étant on ne peut plus clair: je n'accorde à Stormlord aucune crédibilité, et je ne résiste à la tentation de poser une note dérisoire que par un sens de l'objectivité forcée: la musique n'est pas une catastrophe en elle-même, elle est même supérieurement réalisée à son échelle comme je l'ai déjà laissé entendre. Ce qui me défrise, c'est encore et toujours l'absence de fond, la suffisance dans l'abus et les relents d'arrivisme qui restent glués à ce produit comme du papier tue-mouches. Enfin qu'on ne me fasse pas avaler que les zicos se complaisent à 100% dans ce qu'ils font, après autant d'années de pratique on doit aspirer à un accomplissement personnel un peu plus exclusif et affirmé qu'un metal "playskool" à écouter le cerveau débranché en passant l'aspirateur. Maintenant qu'on me lapide en me traitant d'imbécile qui n'y connaît que dalle, j'ai l'habitude et ne chercherai même pas à me défendre.




Rédigé par : Uriel | 10/20 | Nb de lectures : 8543