GODFLESH – Streetcleaner (Earache) - 09/09/2002 @ 11h56
Avant de parler de Godflesh, il faut d’abord présenter sa tête pensante, Justin K. Broadrick, figure culte de l’underground anglais, toutes catégories musicales confondues. Fondateur de Napalm Death (et oui !!!), avec Mick Harris (drums, futur Scorn , Painkiller et autres projets barrés) et Nick Bullen (basse, futur Scorn), cet activiste prolifique n’a jamais eu de cesse de vouloir défigurer les genres bien en place, sous forme de nombreux projets déstabilisants, sous le pseudo de JK Flesh: L’ambient (avec Final et Solaris), le dub industriel (avec The Sidewinder, Zonal, et Techno Animal, le side-projet aussi important que Godflesh), le post rock (avec God et Ice), le hip-hop, etc. Sans parler de nombreuses collaborations avec des timbrés notoires tels que John Zorn, Alec Empire ou Bill Laswell. On parle même de certains enregistrements inédits avec Kirk Hammet.

Quant au métal, donc, même châtiment, à la sauce Broadrick, avec ses premiers projets Fall of Because, et Head of David (dont Fear Factory reprendra « Dog day sunrise »). Puis, formation en 1987 du duo Godflesh, avec le fidèle et discret bassiste G. Christian Green. Un hybride de métal et d’industriel vient d’être enfanté. Comme son prédécesseur (« Godflesh »), « Streetcleaner » sort en 1989 sur Earache (MOSH15) en 1989, label pourtant orienté à cette époque sur le doom, le grind et le death. Pour mieux tromper l’ennemi. Car la personnalité de Godflesh, encore balbutiante sur le premier album, s’affirme en utilisant les grosses ficelles du métal comme pour mieux le ridiculiser: S’approprier de simples riffs et notes, les faire dissoner (larsens, harmoniques) et les jouer le plus lourdement possible, après les avoir noyés à outrance dans de la reverb et des delays. Un son de basse énorme et graveleux, appuyant une boîte à rythmes minimaliste. Ne cherchant pas à simuler un batteur, les rythmiques de Godflesh se distinguent par leur simplicité et leur froideur, en évitant les démonstrations usuelles (roulements, breaks, etc.). Les clicks continus sont même conservés en sons de cymbales. Idem pour les grattes : Pas de soli, de mélodies et autres virtuosités, mais du matraquage d’accords de puissance sous-accordés.

Inspirée par des pionniers de l’industriel comme les Swans ou Throbbing Gristle (chez qui la répétition de sons louches était gage d’efficacité), la marque de fabrique Godflesh éclate sur « Streetcleaner »: Une masse sonore répétée avec sadisme, et des plans inquiétants étirés à l’infini, destinés à hypnotiser le malheureux auditeur. Dès « Like rats », Broadrick gueule sa misanthropie d’une voix monstrueuse et trafiquée, tandis que basse et machines martellent de concert. L’apogée de l’album est atteinte avec la paire « Devastator »/«Mighty trust krusher » : Sur « Devastator », on assiste à une dispute de voix samplées, couvertes par un déluge de batteries et de basses répétées, et qui s’enchaîne sur « Mighty trust krusher », après un « there has to be someone killed » détonateur. Le morceau éponyme commence par les paroles d’un assassin, réalisant son acte accompli ("I didn't hear voices, it was a complete decision…"). Un malaise entretenu par des dissonances et des notes noisy. Les vocaux perdus dans des échos s'enragent, sur des textes remplis d’une désillusion et d’un pessimisme extrême. Les larsens métalliques de la guitare de Broadrick évoquent tour à tour des mécanismes rouillés et les crissements d'une usine fatiguée. L’atmosphère reste tendue, voire insoutenable, pendant ces dix titres éprouvants, à s'administrer d'une traite. Gavés d’un magma glauque d'échos, de distortions, de ronflements et de chocs, des paysages sonores évoquant la désolation et la décrépitude sont alors à jamais inscrits dans ce qu’il nous reste d'inconscient. Le mastodonte Godflesh nous a offert son oeuvre la plus noire.

La pochette est à l’image du contenu: une certaine vision de la purification, symbolisée par des crucifiés sur fond de ciel en feu. Cet album est composé de deux enregistrements distincts, les morceaux de la deuxième face (en version vinyl) étant secondés en guitare par Paul Neville, de Cable Regime (autre combo obscur produit par Broadrick). Quant aux 4 derniers (et aussi excellents) titres, bonus de la version CD, mais moins bien produits, ils sont issus du EP « Tiny tears », jamais sorti.

Voici donc un disque et une formation ignorés par beaucoup d’adeptes de musiques sombres, et qui pourtant ont influencé une multitude de groupes plus connus, que ce soit au niveau du son que de la démarche. Citons en vrac Fear Factory (flagrant sur "Soul of a new machine"), Faith No More (période "Angel dust"), Treponem Pal, ou plus actuellement, Devin Townsend, Meshuggah ou Isis (attention: futur grand !). A l’instar de Voïvod, Godflesh est loin d’avoir récolté commercialement les fruits de son originalité et de sa persévérance. Après un très bon dernier album (« Hymns »), enregistré avec un batteur (Ted Parsons, ex-Swans et ex-Prong), et sur le point d’entamer une tournée nord-américaine, Justin Broadrick a finalement décidé de jeter l’éponge, suite à une dépression nerveuse et au départ de Green. Il a parlé récemment de refaire surface avec son nouveau projet métal, Jesu. En attendant, métalleux ou pas, essayez l’univers de Godflesh. Cette expérience, transcendante si on y est prédisposé, est marquante. A titre personnel, il y a eu pour moi un avant et un après « Streetcleaner »...




Rédigé par : Blacksun | 1989 | Nb de lectures : 3239


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Commentaire
Loufi
Invité
Posté le: 19/09/2002 à 01h33 - (100)
J'en ai eu la larme à l'oeil après avoir lu cette kronik. J'avais acheté le vinyl à l'époque et j'ai fait la connerie titanesque de le refiler à je-ne-sais-plus-qui....on est vraiment trop con pendant l'adolescence !
Ce disque restera en tout cas un modèle de froideur qui inspira énormément d'artistes dans les 90's.

hasmodees
Invité
Posté le: 20/03/2003 à 17h51 - (334)
Je devrais lire plus souvent vos chroniques du passés: Je ne connaissait que quatre ou cinq potes fans de Godflesh comme moi!!
Ah! quand cet album est sorti, je me souviens, j'étais sûr que j'allais écouter du grind (eh! oui! voilà ce que c'est d'acheter TOUT ce qui sortait de chez Earache sans écouter, mais aujourd'hui je ne le ferais plus!). Quand j'ai entendu pour la première fois le son de Godflesh, j'ai pris la claque la plus déconcertante de ma vie! Depuis, tout ce qui est Broadrick devrait être dans ma discothèque. Hélas! tout cela n'est pas si facile à trouver!
Techno Animal est surprenant de diversité au cours de ses albums: de l'indus à l'électro rap en passant par le hip hop psychédélique. Le dépressif pachydermique GOD est lui aussi inimitable, avec ses orchestration post rock symphoniques. Sans parler de son époustouflante participation à Painkiller de Zorn, et son projet ambiant Final! Depuis un de ses derniers concerts en Belgique (sans g.c. Green sniff!)j'attends avec impatience son futur projet (Jesu?).

6trouille
IP:88.162.147.74
Invité
Posté le: 21/04/2013 à 13h05 - (29248)
@ Hasmodees :
'faut dire que Godflesh s'était même retrouvé sur la compile GrindCrusher. Moi aussi je pensais tomber sur du pur grind, la claque a donc été conséquente ! :-)
En terme de nouveauté, de singularité, ce groupe se posait là ! :-O

Morbid Tankard
Membre enregistré
Posté le: 21/04/2013 à 13h08 - (29249)
Mick HARRIS n'est, lui, pas un des fondateurs de NAPALM DEATH.
Sinon, oui, cet album est un chef-d'oeuvre fabuleux et intemporel. Une ambiance glauque, maladive et dépressive. Paradoxalement, je n'ai jamais suivi la suite de leur carrière. Savez-vous ce que valent les albums suivants ?



hasmodees
IP:78.234.92.153
Invité
Posté le: 21/04/2013 à 21h54 - (29252)
Sympa de recommencer une discussion a 10 ans d'intervalles!!!
L'effet godflesh perdure et transcende les generations!!
Sinon, le reste de la discographie est tout aussi impressionnante: a conseiller: Pure, plus indus et rythmé mais un chef d'oeuvre lui aussi, Selfless, plus axé sur la lourdeur et la lenteur, et aussi Songs of love and hate avec un vrai batteur! (celui qui a joué dans primus pour info)

Bon après, moi j'aime tout mais bon... bientôt la nouvelle tournée!!!



6trouille
IP:88.162.147.74
Invité
Posté le: 21/04/2013 à 23h36 - (29253)
'tain oui ! j'avais pas vu la date de ton précédent message : 2003 !
:-)))

hasmodees
IP:78.234.92.153
Invité
Posté le: 22/04/2013 à 00h36 - (29254)
Ca nous rajeunit pas!!

... indus et metal forever...

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