Norvège, l'année 1993. La deuxième vague black metal s'apprête à déferler sur l'Europe metallique. Esseulé au milieu des corpsepaints, un trio a d'autres projets. Principalement influencés par le brutal death technique d'obédience US, André Forsmo (vocals/bass), Rune Henrichsen (guitars/vocals) et Lars Schou (drums) fondent The Allseeing I. Les premières années d'existence d'un groupe riment souvent avec instabilité et galères, en voici un exemple particulièrement édifiant. Le remplacement de Lars Schou par Mads Guldbekkhei en 1995 ne changeant rien à la donne, The Allseeing I est mis en sommeil peu après. Le duo Forsmo/Henrichsen fonde Gutsuckers alors que Guldbekkhei rejoint Neurosilence (ex-Pallid Threnody). Les Norvégiens restent dans le giron du death metal, mais ces nouveaux projets ne leur convenant guère, ils ne tardent pas à faire machine arrière. The Allseeing I renait de ses cendres en 1999, passant de 3 à 5 membres avec l'intégration du guitariste Freddy et du bassiste Martin, André Forsmo privilégiant les vocaux. Mais ce line-up sera lui aussi éphémère, les derniers arrivés cédant leur place en 2001 à des musiciens plus expérimentés. Fin de la préhistoire du groupe.

Ancien leader des Depraved norvégiens, Skjalg Reithaug est recruté pour croiser le fer avec Rune Henrichsen. Quant à leur nouveau bassiste, ce dernier bénéficie déjà d'une certaine notoriété à l'échelle locale en dépit de son jeune âge (19 ans à son intégration). Il s'agit d'Erlend Caspersen. Les amateurs de la scène gothic/black ont déjà eu l'occasion de l'entendre sur divers enregistrements d'Unspoken Names, Apostasy et Dismal Euphony (l'album Python Zero). De leur côté, les fans de brutalité les plus éclairés se sont intéressés à son projet principal, Blood Red Throne, dont le 1er album sort aussi en 2001. A mon sens, c'est l'intégration d'Erlend Caspersen qui a permis à The Allseeing I d'émerger de son cul de basse fosse. Quoi qu'il en soit, c'est en m'intéressant au parcours de ce bassiste que je suis tombé sur ce groupe basé à Oslo. Venons-en maintenant à leurs premiers enregistrements. Placés en téléchargement libre sur leur site officiel à l'époque, ils figurent désormais en streaming intégral et en download 'name your price' sur bandcamp. Profitez-en.

1/ Brutalunacy (Demo 2002)

Certes le visuel de cette Demo ne donne pas envie de creuser la question, mais il faut savoir aller au delà des apparences. Après tout je pensais que la ratatouille était du dégueulis quand j'étais môme, alors bon... Ce premier enregistrement officiel comporte 6 morceaux pour 27 minutes de musique. Passé un sample emprunté au film La Communauté de l'Anneau (Sauron talk to Frodon), on découvre une production artisanale, rustique et assez cheap. Le style des Norvégiens nécessitant profondeur et clarté pour être pleinement apprécié, le rendu parfois confus de l'ensemble ne met pas spécialement en valeur ces compositions. Et justement elles valent quoi? The Allseeing I s'inscrit dans la tradition US, plus précisément comme un disciple d'Origin avec des morceaux de Morbid Angel dedans. Brutal d'accord, mais technique d'abord, avec une section basse/batterie particulièrement à son avantage. Avec Bionical Insanity et Perfection Complete, le groupe mise sur l'intensité, avec pas mal de passages blastés et de fréquents changements/ruptures de rythmes. Les Norvégiens obtiennent une atmosphère poisseuse, étouffante et groovy en ralentissant le tempo sur des titres comme Devoured et Internal Voice of Devastation. Accursed se détache en étant plus accrocheur. Quant au démonstratif Grotesque and Macabre, il s'agit du point d'orgue de la Demo, notamment grâce aux facéties d'Erlend Caspersen.

Un mot sur chacun. André Forsmo verse principalement dans le guttural, mais glisse quelques passages criards (Devoured, Grotesque). La paire Henrichsen/Reithaug manie des riffs très gras qu'elle agrémente de soli épisodiques (Bionical, Devoured). Le batteur Mads Guldbekkhei ne manque pas d'occasions de faire valoir sa dextérité et se prépare un futur riche en sollicitations. Quant au fameux bassiste, les compos des Norvégiens grouillent de breaks ménagés à son intention. Ses passages fretless sur Internal Voice et Grotesque sont les plus marquants. Erlend Caspersen n'est rien de moins que l'un des meilleurs techniciens norvégiens, aux côtés de Jan Erik Tiwaz (Borknagar, ex-Emperor) et Lars K. Norberg (Satyricon, ex-Spiral Architect). En résumé The Allseeing I démontre un certain potentiel, mais manque encore d'expérience et de moyens. Pas mal, mais peut mieux faire. Réponse de suite avec leur 2ème enregistrement.



2/ Avatara (EP 2003)

The Allseeing I remet le couvert 11 mois plus tard avec Avatara, une 2ème Demo parue en novembre 2003. Les Norvégiens ont tiré des leçons de leur 1er effort studio et proposent une évolution dans la continuité. Toujours pas de visuel digne de ce nom, mais une production plus consistante et un mixage en progrès. Les 5 Norvégiens ont réenregistré 3 morceaux de Brutalunacy et composés 2 nouveaux titres. Le relooking de Grotesque and Macabre, Devoured et Perfection Complete leur apporte puissance et clarté. André Forsmo et ses guitaristes sont les principaux bénéficiaires de ce travail de relecture. Les growls du premier sont revalorisés (plus profonds et mieux mixés) alors que les 6-cordistes ont peaufiné leurs armes (riffs plus accrocheurs, soli plus aboutis). Quant aux 2 inédits, chacun développe une facette distincte de leur savoir-faire. Punctured Skin ouvre l'album façon rouleau-compresseur et reprend le gimmick du sample de film. Si quelqu'un a reconnu la référence, qu'il n'hésite pas à la mentionner en commentaire. Sur Sleeper at the Edge of Dreams, les Norvégiens approfondissent l'orientation ultratechnique développée sur Grotesque. Les passages jazzy contribuent à affirmer leur personnalité. C'est pas du Virulence non plus (voir la kro), mais on les sent capables d'aller beaucoup plus loin, ce que leurs futurs enregistrements ne manqueront pas de confirmer [la Demo Jagannatha en 2005 et l'album Holodemiurgia en 2008]. The Allseeing I monte en puissance.



Pourquoi The Allseeing I n'a-t-il pas percé? Plutôt que de répondre 'les lois du music-business sont impénétrables', je serais tenté de pointer leur part de responsabilités. A cette époque, 3 d'entre eux vont multiplier les engagements. Il s'agit d'André Forsmo, Mads Guldbekkhei et bien sûr Erlend Caspersen (voir leur CV ci-dessous). Cette dispersion générale ne sera pas du goût du cofondateur Rune Henrichsen qui va jeter l'éponge. Il ne sera pas remplacé, Skjalg Reithaug assurant seul toutes les parties de guitares... Pour conclure si vous aimez le brutal death US ultratechnique, The Allseeing I devrait vous plaire. Quant aux fans d'Erlend Caspersen (coucou Sagal) ils n'auront pas attendu cette kro pour se forger leur opinion sur ce groupe norvégien passé à la trappe.

André Forsmo:
1993-1996?, 1999 à nos jours: The Allseeing I
?-?: Gutsuckers
2003 à nos jours: Isvind
?-?: Profania
2006-2008: Sarkom (session live)
2009?-?: Open Casket Terror

Mads Guldbekkhei:
1995-1996?, 1999 à nos jours: The Allseeing I
?-2002: Neurosilence
2002-2008: Zeenon
2003 à nos jours: Isvind
2005-2007: Sulphur
2006-2007: Black Hole Generator (session live)
2007-2008: 1349 (session live)
2008: Dead Trooper (session live)
2009 à nos jours: Pantheon I

Erlend Caspersen:
?-1998: Unspoken Names
1998-2011: Blood Red Throne
?-?: Apostasy
?-?: Mr Cucumber
2001: Dismal Euphony (session)
2001 à nos jours: The Allseeing I
2003-2004: Trioxin
2006-2012: Decrepit Birth (session live)
2006-2012: Vile (session live)
2007-2012: Deeds of Flesh
2007 à nos jours: Spawn of Possession
2008: Emeth (session)
2008: Incinerate (session)
2010: Hideous Deformity (session + live)


Rédigé par : forlorn | 2003 | Nb de lectures : 1883