TURULVER - Turulvér (Autoprod.) - 05/07/2014 @ 23h18
Pourquoi le metal hongrois est-il aussi peu considéré en France? Les raisons ne manquent pas, en voici trois: une promotion quasi-inexistante, notre manque de curiosité, les projets de Gabriel Wolf (Finnugor & co). Produits et distribués par Adipocere au début des années 2000, les enregistrements de ce dernier ont nui à l'image des Magyars chez nous, jusqu'à la remise des compteurs à zéro par internet. Un fait regrettable. Sur ce point j'ai été plutôt chanceux, ma première acquisition locale (Phantoms de Sear Bliss en 1996) ayant au contraire joué le rôle de catalyseur, me permettant à terme de découvrir Without Face, Wall of Sleep, Gire... Afin de remettre les choses à leur place, il est important de préciser que tout fan de black metal se doit de connaitre Tormentor. Pourquoi? Pour l'influence manifeste de ce groupe hongrois sur les stars scandinaves, leurs 2 Demos K7
[The Seventh Day of Doom (1987) et Anno Domini (1989)] ayant fait grand bruit à l'époque où l'Underground rimait avec tape-trading. La preuve par trois: 1/ Les Norvégiens de Mayhem débauchant Attila Csihar (frontman de Tormentor) pour l'enregistrement de leur cultissime 1er album, De Mysteriis Dom Sathanas (1994). Vous connaissez le parcours du bonhomme depuis... 2/ Samoth le guitariste d'Emperor rééditant Anno Domini en 1995 au format vinyle sur son label Nocturnal Art Productions. 3/ Les Suédois de Dissection reprenant un titre de Tormentor (Elisabeth Bathory) sur leur EP Where Dead Angels Lie (1996). Ce morceau a aussi fait parti de leur répertoire scénique (voir la VHS Live & Plugged Vol. 2 parue en 1997). Enfin bref, tout ça pour dire que la scène hongroise mérite votre intérêt. Aujourd'hui on va parler de Turulvér.

Les frères Kulcsár, Ádám (guitariste) et Gergely (batteur), fondent le groupe en 1998 à Pásztó, une ville du nord du pays, proche de la frontière avec la Slovaquie. Le vocaliste Szõllõsi Balázs les rejoint rapidement, alors qu'un second guitariste, Markó István, ne fait que passer. Le line-up trouve sa forme définitive en 2000 avec l'intégration de l'expérimenté Orosz Richárd (Atropos, Desperation, Masqim Xul, Screamflood) qui troque son rôle de guitariste pour celui de bassiste. La première impression est la bonne, Turulvér étant un groupe de pagan black épique, avec une alternance de textes magyar/anglais. Et puisqu'on en parle, c'est l'heure du point définition.
Le terme Turul provient du turc ancien. Mélange d'aigle et de faucon, le Turul est l'oiseau le plus important du mythe de l'origine des Magyars (on le retrouve sur la plupart des visuels de Sear Bliss). Il s'agit d'un messager de Dieu, lequel siège au sommet du Világfa (l'arbre-monde, l'équivalent d'Yggdrasil chez les Scandinaves). Il est encore fortement représenté de nos jours. Une statue de bronze d'une envergure de 15 mètres se situe sur une colline dominant Tatabánya, il s'agit de la plus grande d'Europe centrale. Il reste 195 répliques de statues de Turuls en Hongrie ainsi que des dizaines outre-frontières partout où l'on trouve des minorités magyares (Transylvanie, Slovaquie, Ukraine, Voïvodine, Autriche). A noter que si le Turul est désormais associé à l'imaginaire nationaliste hongrois, les membres du groupe ne se sont, à ma connaissance, jamais engagés dans cette voie.
Quant au terme Vér, il s'agit du sang. Nous voici renseignés sur ce patronyme signifiant 'sang de faucon'.


La première trace discographique de Turulvér est un Promo 4 titres sorti en 2002. Rodés, les Hongrois modifient le tracklisting, composent 1 nouveau titre (Vezérek Vezére) et 2 courts instrumentaux (les traditionnelles intro/outro), pour aboutir à cet EP éponyme autoproduit. J'en parlais plus haut, le groupe alterne textes en magyar [Ima (Prayer), A Hos Éneke (The Heroes Song), Vezérek Vezére (The Warrior of Warriors)] et en anglais [Pro Pátria, Meótisz (Myths)]. Quant aux instrumentaux, 892 et 907, c'est eux paradoxalement qui nous donnent le plus de matière. Connaissant la thématique du groupe, on en devine aisément leur signification. Il s'agit de références historiques. Et c'est reparti pour un point culture. Originaires du sud-ouest de l'Oural, les tribus magyares connaissent plusieurs phases de migrations (Levédia, Etelköz) du VIIIème au IXème siècle. Guerriers nomades et mercenaires, ils partent à la conquête de l'Europe (Honfoglalás, l'une des dernières invasions barbares). La date de 892 fait référence au début du démantèlement de la Moravie (ancien royaume slave) au profit des Magyars. Quant à 907, il s'agit de leur victoire face à l'armée bavaroise à Brezalauspurc/Bratislava. Après une série de raids en Europe Occidentale et contre l'Empire byzantin, les Magyars subissent une lourde défaite à Lechfeld en 955, date à partir de laquelle ils abandonnent progressivement leur mode de vie semi-nomade et leurs campagnes de pillage pour fonder une monarchie chrétienne, le royaume de Hongrie, vers 1001. Très dépouillés et proches du dark ambient, ces courts instrumentaux gagnent en intérêt lorsqu'on connait les faits.

Venons-en au coeur du sujet: la musique. Les Hongrois évitent les longueurs, aucun titre ne dépassant les 5 minutes. Leur vocaliste Szõllõsi Balázs évolue dans un registre écorché convaincant, son absence de nuances étant contrebalancé par une bonne dynamique et un mixage de qualité. Les morceaux forment un bloc homogène, combinant puissance, agressivité et mélodies. Les nombreux changements de rythmes (de rapide à lent) sont passés avec finesse et fluidité. Une preuve de maitrise technique tout autant que de qualité de composition. Kulcsár Ádám mise sur l'efficacité avec des riffs expressifs, cédant parfois à des plans dépourvus de disto (A Hos Éneke). Son frère Gergely fait valoir sa dextérité, alternant blasts et parties plus subtiles. Quant à Orosz Richárd, c'est bien simple, il leur vole la vedette. Omniprésente, sa basse apporte relief et profondeur au black pagan de Turulvér, enrichissant la trame mélodique, passant même régulièrement au premier plan (la conclusion d'Ima, le solo à la fin de Pro Patria). Ce musicien nous fait presque redécouvrir l'instrument et ce qu'il peut apporter au metal. Une vraie bonne performance en somme. Turulvér a du potentiel et les Hongrois se feront une joie de l'exprimer sur un album complet, Nap felol, sorti 3 ans plus tard. Mais de celui-ci nous parlerons une autre fois. Si vous aimez le black pagan et plus globalement le metal de qualité, je vous recommande l'écoute de cet excellent EP.




Rédigé par : forlorn | 2003 | Nb de lectures : 1645


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Commentaire
Moshimosher
Membre enregistré
Posté le: 06/07/2014 à 00h48 - (31012)
Bon, pour commencer, je gueule ! Ben, ouais, quoi... Avec ce nom, et avant de lire la chronique, je pensais que c'était un groupe norvégien... Ulver, quoi... Ah là là, si les Hongrois se mettent à ne plus parler norvégien, où va-t-on ?!

Enfin, quoi qu'il en soit, merci forlorn pour cette leçon d'histoire, pour cette super chronique et pour me faire découvrir un super groupe que je ne connaissais pas... Honte à moi ! Et à toi, pour me faire découvrir un EP que je ne pourrai sans doute jamais me procurer ! Ma frustration te dit m... :)

En tout cas, ça fait plaisir à entendre de la basse dans un groupe de metal ! :)






noohmsul
Membre enregistré
Posté le: 06/07/2014 à 11h31 - (31015)
Merci aussi pour la leçon d'histoire ! ;) Tormentor... Et dire que je ne connaissais même pas !

Quand à ce TURULVER, que je ne connaissais pas non plus, j'aime assez le deuxième extrait que tu propose, je trouve le reste un peu classique, en tout cas ça ne me transporte pas beaucoup (mais faut pas m'en vouloir, je crois que j'ai trop écouté de black !)

forlorn
Membre enregistré
Posté le: 06/07/2014 à 13h43 - (31016)
@ Moshi:

Turulver ne s'est pas remis du départ de son vocaliste en 2007. Orosz Richárd* a récupéré le micro, mais a priori le groupe a cessé d'exister peu après. Toujours est-il qu'on pouvait acheter leurs enregistrements (et/ou les télécharger gratuitement) via leur site officiel, resté actif jusqu'à... très récemment. Pour rappel, l'EP et l'album de Turulver étaient mes choix pour la fournée de lancement du Blog du Free DL en janvier 2012 (avec une réexposition en avril 2013).

* En général, les Hongrois citent les noms de famille en premier.

@ noohmsul: Effectivement à la première écoute un fan de BM aura cette impression, mais en y regardant de plus près, la somme de détails évoqués dans ma kro fait pencher la balance. Pour n'en citer qu'un: l'importance de la basse.

Moshimosher
Membre enregistré
Posté le: 06/07/2014 à 23h24 - (31019)
Et encore une leçon (pour ce qui est de l'ordre du nom et du prénom) ! Merci ! :)

Et je confirme que la basse fait une différence...

Youpimatin
Membre enregistré
Posté le: 09/07/2014 à 23h05 - (31021)
Hey, y a du bon là dedans !

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