NEVERMORE - The Politics of Ecstasy + In Memory (Century Media) - 14/12/2013 @ 23h24
La semaine dernière, je vous parlais des difficultés rencontrées au début de la décennie par Warrel Dane, Jim Sheppard et Jeff Loomis. D'abord victime du suicide assisté de Sanctuary (1990-1992), le trio a ensuite eu toutes les peines du monde à refaire surface, le milieu focalisant sur le grunge et autres genres en vogue à l'époque (alternatif, neo-punk, fusion, indus... death metal...). Concrètement cette période difficile (1992-1994) leur a coûté Utopia, dont le gang de Seattle recyclera le contenu intégralement au fil du temps. On l'a vu, 3 morceaux retravaillés ont fini sur l'album éponyme et 5 autres figurent en bonus de sa réédition. Ces années de vaches maigres s'achèvent fin 1994 avec la signature de Nevermore chez Century Media. Vous connaissez le proverbe 'Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort'. Hé bien les Américains vont l'illustrer, avec la manière, 1995-1997 représentant la période la plus productive de Nevermore. De nombreux évènements se sont enchaînés dans un laps de temps assez court. Vous êtes prêts? Alors c'est parti...

Les premiers signes d'amélioration sont visibles avant même la sortie officielle de l'album Nevermore le 1er janvier 1995. Appelé en urgence pour palier au départ de Mark Arrington au milieu des sessions d'enregistrement, le batteur Van Williams s'avère être l'homme de la situation. Mieux encore le groupe trouve le partenaire de jeu de Jeff Loomis qui leur faisait défaut jusqu'ici. Il s'agit de Pat O'Brien, repéré sur la Demo de Ceremony, un combo de death metal confidentiel, au sein duquel il cotoyait Steve Tucker (futur/ex Morbid Angel). On le sait moins, mais Pat O'Brien était aussi le faire-valoir scénique du shredder David T. Chastain. En clair la nouvelle recrue de Nevermore semble être un guitariste polyvalent, capable de balayer un spectre relativement large. Le groupe ne tarde pas à l'éprouver sur le tournage du clip de What Tomorrow Knows puis en live. Les Allemands de Blind Guardian sont les premiers à leur donner la possibilité de se faire un nom en Europe. En cours de tournée, Warrel Dane reçoit un coup de fil inattendu: Chuck Schuldiner leur offre la première partie de la tournée US de Death (promotion du chef d'oeuvre Symbolic). Cette fois c'est certain, la roue a tourné.

1/ In Memory (EP - mai 1996)

Galvanisé par ces 2 tournées consécutives, le désormais quintet achève l'année 1995 en plein bouillonnement créatif, composant d'une traite pas moins de 17 morceaux, dont une reprise, Loves Bites, qui ne paraitra que 2 ans plus tard sur A Tribute to Judas Priest: Legends of Metal Vol. II. Le gang de Seattle ne prend pas le temps de souffler et entame 1996 sur les chapeaux de roues. La perspective d'une tournée Century Media (rendez-vous compte, Nevermore, Iced Earth, Tiamat et The Gathering sur la même affiche!) enchainée aux festivals européens de l'été pousse les Américains à enregistrer (toujours chez Neil Kernon) l'unique EP de leur carrière: In Memory. Souvent occulté par des metalleux découvrant leur discographie sur le tard, In Memory n'a pourtant rien à envier au reste de leur discographie, croyez moi. Au programme les 2 derniers morceaux issus d'Utopia, 2 nouveaux titres et un surprenant medley de Bauhaus, légendaires pionniers du gothic rock. Tant que j'y suis, la réédition 2006 d'In Memory comprend des liner-notes et 5 bonus. Enregistrés à 2 par Jeff Loomis (guitars/bass/bar) et Warrel Dane, ces versions Demo préfigurent ce qui nous attend sur le 2ème album: The Politics of Ecstasy.

Mon choix d'évoquer In Memory et The Politics of Ecstasy dans une même chronique est bien guidé par les faits, tous les morceaux ayant été composés et enregistrés à la même période. In Memory démarre de façon abrupte par Optimist or Pessimist, un morceau couillu dont la rythmique implacable et le tempo effréné démontrent l'influence de Pat O'Brien. A chaque fois que je l'entends, je pense invariablement "le master a planté et bouffé la première minute c'est pas possible". Cette impression n'enlève rien à la qualité du morceau qui bénéficie en outre d'un break mélodico-atmosphérique du plus bel effet. Le suivant, Matricide, n'est pas devenu un classique du groupe par hasard. Quand on pense qu'il figurait sur Utopia et aurait pu rester au grenier, c'est un comble! Entre des textes métaphoriques dénonçant les dommages causés par l'homme à la planète et la performance du groupe, il y a de quoi faire. En guise d'argumentaire je vous renvois à la vidéo ci-dessous. Le morceau-titre, In Memory, est une composition à tiroirs privilégiant mélodies et ambiances à la puissance ou l'agressivité. En véritable conteur, Warrel Dane y délivre une performance subtile, travaillée. Du beau boulot.

Quant à la reprise, c'est le tandem Warrel Dane/Van Williams qui l'a suggéré, ces derniers étant fans de Bauhaus. Le travail d'appropriation de Nevermore est incontestable, c'est le moins que l'on puisse dire. Une réussite d'ailleurs saluée comme il se doit par Peter Murphy en personne, à l'issue d'un concert donné à Seattle. Je suis particulièrement client de cette relecture (friand même). Cet irrésistible crescendo témoigne du savoir-faire du groupe, de son intelligence dans l'écriture, qui met d'ailleurs la dextérité de Van Williams en avant et offre à Jim Sheppard le son de basse le plus épais qu'il ait jamais eu. J'en profite pour conseiller aux curieux de parfaire leurs connaissances et de comparer sur youtube avec les versions d'origine de Bauhaus. Le dernier morceau de l'EP, The Sorrowed Man, est la composition la plus ancienne. Ecrite par Jeff Lommis à l'époque de Sanctuary, cette ballade funéraire se distingue par un usage important de la guitare acoustique. Une belle façon de conclure un enregistrement présentant Nevermore sous son jour le plus séduisant...

Matricide: https://www.youtube.com/watch?v=3r2NWCR-JqM
Silent Hedges/Double Dare (Bauhaus Cover): https://www.youtube.com/watch?v=fN1fzoPDSnQ

2/ The Politics of Ecstasy (juillet 1996)

Hé là bougez pas les gars, le plat de résistance arrive. J'en parlais dans ma chronique du 1er album, Warrel Dane a été particulièrement marqué par l'oeuvre de Timothy Leary, au point d'en faire un morceau. L'influence de cet écrivain libre penseur est ici omniprésente (notez que ce dernier décède d'un cancer de la prostate le 31 mai 1996), The Politics of Ecstasy étant le titre d'un de ses livres. Des Beatles à Tool en passant par la comédie Hair ou les Allemands d'Ash Ra Tempel, nombreux sont les groupes et artistes à revendiquer son héritage. Mais aucun ne l'aura fait plus directement et régulièrement que Nevermore. Par contre pousser le vice jusqu'à proposer un visuel et un livret aussi atroces (on y croise la version LSD du papy d'Into the Mirror Black), c'était peut-être pas obligé. M'enfin l'essentiel n'est pas là. Le premier morceau The Seven Tongues of God nous remet bien vite les idées en place. Exit les mélodies et ambiances de l'EP In Memory, cette fois il est question d'un Nevermore conquérant, déployant un thrash progressif toujours plus complexe faisant la part belle à l'agressivité et au groove.

"Chacun de nos albums a une couleur différente. (...) On peut même dire que chacun de nos titres a sa propre ambiance. (...) Il est normal de ne pas vouloir se répéter, surtout quand on a plein de choses à exprimer!"
Warrel Dane dans le n°21 de mars 1997 de Hard Rock mag

Vous connaissez ces oiseaux, ils sont, comme d'habitude, techniquement irréprochables. Même si les guitares de Jeff Loomis et Pat O'Brien ont tendance à envahir l'espace, la section rythmique 'souple et solide à la fois' (Jack Beauregard style) tire néanmoins son épingle du jeu grâce à la production de Neil Kernon. Mention spéciale à Jim Sheppard dont on néglige trop souvent l'apport à Nevermore. Quant à Warrel Dane, à l'instar de ses musiciens, il délivre sur ce 2ème album une performance toujours plus riche, ambitieuse et maitrisée. Géré par le trio Dane/Loomis/Kernon, l'enrobage claviers/samples accentue le caractère ténébreux et torturé de ce 2ème album, notamment sur des morceaux comme Next in Line (utilisant un extrait du film L'Échelle de Jacob) ou Passenger. Intensité et consistance sont d'assez bons termes pour qualifier The Politics of Ecstasy. Allez un mot pour chacun.

La mission de The Seven Tongues of God? Annoncer la couleur et préparer le terrain. Puissance, groove, maitrise technique, chanteur au rendez-vous... ne peuvent que combler les fans de la première heure. La fête continue avec This Sacrament, un classique du groupe que les Français ont pu découvrir par le biais du 3ème sampler fourni avec Hard Rock mag. Enorme riff, basse mixée en avant, refrain mémorisable, super soli, tout y est. Autre classique, Next in Line et son riffing complexe. De son démarrage lancinant à son climax de fin, en passant par son break, les Américains ne laissent rien au hasard. Passenger c'est la ballade crépusculaire aux accents désespérés, incontestablement le titre le plus accessible et dépouillé de l'album. Le morceau éponyme prend le contrepied. Imprévisible, complexe et torturé, à l'atmosphère menaçante (vocaux compris) c'est sans doute l'une des compositions les plus techniques et intenses de Nevermore qui frappe ici un grand coup.

On attaque la 2ème partie de l'album avec Lost, un morceau de facture assez classique, fidèle à leur thrash moderne et groovy. Par son intitulé, The Tiananmen Man dévoile l'engagement politique de Warrel Dane. S'il n'a l'air de rien au premier abord, ce morceau est surement l'un des plus riches de l'album avec une foule de détails perceptibles notamment dans sa dernière phase. Precognition est un court instrumental electro-acoustique permettant à Jeff Loomis de concilier feeling et dextérité. Outre son démarrage carton, 42147 possède de curieux breaks mélodiques. The Learning conclut ce 2ème opus de la plus progressive des façons. Proche des 10 minutes, elle permet à chacun de s'exprimer (notamment Van Williams) au gré de nombreux changements de rythmes et divers rebondissements. En guise de ghost-track, Nevermore nous offre quelques mesures bruitistes et des propos hantés façon message subliminal/délire de drogué. The Politics of Ecstasy est un album chargé et difficile d'accès dont on ressort fourbu. Une étape importante dans la carrière du groupe et une expérience à vivre.


En cette année 1996 Nevermore a marqué des points. Présent sur tous les plans (discographique et scénique), le groupe commence à récolter les fruits de son travail, à l'image de la presse française qui se montre enfin réceptive. Mais le courant ne passe plus avec Pat O'Brien, qui va se faire voir chez Monstrosity avant de se fixer chez Cannibal Corpse. De son côté Nevermore fait appel à un intérimaire de luxe: Curran Murphy (Shatter Messiah, ex-Annihilator). Ce changement (le premier d'une longue lignée) semble sans conséquence. Les gars de Seattle connaissent l'adversité et ce n'est pas ça qui les arrêtera. Nevermore est désormais sur la voie royale.
La suite va le confirmer, à commencer par l'acclamé Dreaming Neon Black (voir la chronique de vincesnake).


Rédigé par : forlorn | 1996 | Nb de lectures : 2722


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Commentaire
gardian666
Membre enregistré
Posté le: 14/12/2013 à 23h41 - (30306)
Quelle superbe kro' encore, bravo.

J'ai ré-écouté l'album cette aprem (en sachant aussi qu'il y' allait avoir une kro remember), et c'est le genre d'albums, j'ai beau déjà l'avoir écouté pas mal de fois, c'est toujours un plaisir de le remettre et je redécouvre des petits détails encore et encore.

D'accord pour dire que le visuel est laid, et la reprise de "Love Bites" est pour le moins...spéciale (elle a le mérite d'être très éloignée de la version originale).

firebringer
Membre enregistré
Posté le: 15/12/2013 à 16h05 - (30319)
Quels albums...In memory gagné lors d'un jeu sur une petite station fm du massif central qui passait du metal de 20 H à 23H...ouille la claque, énorme. Et puis the politics of ecstasy, mon album préféré tout style confondu, mortel de A à Z...Un nevermore puissant, torturé, inspiré, que je préfère au nevermore à 7 cordes à partir de dead heart in a dead world. Les fréquences de guitares qui empiètent ensuite sur le travail de basse, le genre de subtilité qui faisait le charme sonore du groupe...J'ai moins accroché mais le triptyque : in memory, politics et dreaming neon black...Putain je me revois en train d'essayer de jouer les titres à la gratte, terrible...Merci pour la kro



vincesnake
Membre enregistré
Posté le: 22/12/2013 à 17h50 - (30347)
Excellent ! Nevermore débute avec ce disque un cycle de 3 albums franchement fabuleux et différents à la fois. L'EP "In memory" est une bonne mise en bouche raffinée et consistante comme c'est si bien décrit dans la kro.

Comme pour Guardian666, je découvre toujours un détail même des années après.

Une petite idée de la perfection.

grozeil
Membre enregistré
Posté le: 23/08/2015 à 12h15 - (31731)
Je connais pas super bien Nevermore, seulement 3 ou 4 albums que j'apprécie vraiment. Mais là, la chronique et l'extrait vidéo me donnent envie de remplir les trous et d'acquérir le reste de la discographie.



Dimechag
IP:95.141.97.226
Invité
Posté le: 24/08/2015 à 17h24 - (31733)
firebringer: Nevermore était déjà en 7 cordes à cette époque, c'est ça d'ailleurs qui l'a fait sonner un poil plus sombre est plus original que les groupes de heavy 'classiques' de l'époque.
Ils ont ensuite exploré la 7cordes en s'accordent plus bas effectivement notamment pour s'accorder avec la tessiture de Dane qui devait changer au fur et mesure de sa consommation d'alcool :-)

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