ANATHEMA - The Silent Enigma (Peaceville) - 05/10/2013 @ 22h37
"Pour tous ceux et celles qui ont perdu un être cher."

Voilà, à quelque chose près, la sombre punchline qui trônait en dernière de couv’ d’un Hard’n’Heavy sorti en 1995, si mes souvenirs brumeux ne me trahissent pas. Celle-ci, en quelques mots douloureux mais bien sentis, invitait les lecteurs et lectrices dans la tourmente du deuil à s’abandonner corps et âme à cet album d’ANATHEMA. L’ado tourmenté que j’étais alors, en quête de réponses à d’insolubles questions existentielles, ne pouvait qu’être séduit par une telle invitation.

La mort.

Le doom.

Voyons voir, si je devais résumer cette dualité en une petite annonce… "Batterie monolithique cherche section rythmique désabusée pour copuler dans la détresse et le désarroi. Tristesse, souffrance et désespoir exigés. Une expérience réussie dans le secteur de la thanatopraxie serait un plus. Disponible sur téléphone fixe, après minuit de préférence."

Comprenez-moi, quelques mois avant cette funeste découverte, j’étais tombé sur l’unique effort de DISEMBOWELMENT (acheté sur la foi d’un descriptif dithyrambique dans le catalogue de Nuclear Blast) et celui-ci faisait la part belle à une lecture organique, rituelle, intransigeante d’un doom-death énigmatique. Mes repères en la matière, alors bornés sur un axe anglo-batave qui s’étendait grossièrement de PARADISE LOST à THE GATHERING, en passant par ENCHANTMENT ou CELESTIAL SEASON, volaient en éclat au contact de ce monstre glacial, inquiétant et organique qu’était "Transcendance Into the Peripheral".

Le contexte de la découverte posé, que pouvais-je donc attendre de ce "Silent Enigma", présenté alors par son label comme le dernier rempart contre l’indicible douleur du deuil ?
Rien de si tragique finalement. Malgré ce funeral marketing de premier ordre, "The Silent Enigma" jouait sur un tout autre terrain, plus classique dans sa composition où il excellait déjà avec "Serenades" : le bon vieux doom-death des familles, musclé mais sensible, soigneusement épilé derrière son épaisse cotte de mailles.

La preuve en musique avec cette obscure sarabande qui se met en ordre de marche sur un "Restless oblivion" très classique dans sa construction. Celui-ci égrène en guise d’intro quelques notes aériennes qui se voient subitement interrompues par des guitares vengeresses, déballant leur malaise sur un premier riff Frostien en diable. Sauf qu’en lieu et place d’un "Ugh" guerrier, c’est un "Come on" rageur qui invite l’auditeur à se perdre en ces terres maudites. Pan, la deuxième guitare fait son entrée, les riffs tournoient, une épaisse brume s’installe dans les enceintes. On navigue ici entre doom tellurique et mélodies à propos, ponctuées par les cris décharnés d’un Vincent Cavanagh remonté comme jamais. La mélancolie pointe le bout de son nez, prenant définitivement ses marques sur un "Shroud of frost" qui fait monter la pression. Cette mélancolie, sourde et amère, qui jamais n'a résonné avec autant de justesse, de force que sur ce morceau, véritable hymne à la solitude et aux sombres sentiments. On respire brièvement à l’écoute de ces murmures sur lesquels se greffe un cri de désespoir, lointain, indicible, avant de replonger tête la première dans une épaisse flaque de goudron bien visqueux.
Laissez sécher, le magnifique interlude "…Alone" se charge du reste. Avec ses vocalises féminines angéliques, on se laisserait presque prendre au piège, mais rassurez-vous, "Sunset of Age" est là pour estourbir le moindre sursaut de sérénité et vous rappeler fissa au désespoir. Epique à souhait, ténébreux comme il se doit et un tantinet plus musclé que ses petits camarades, ce morceau reprend les choses là où on les avait laissé quelques minutes avant, avec un frérot Cavanagh impressionnant de maîtrise dans son rôle de vociférateur. D’ailleurs, celui-ci reprend avec force le flambeau laissé par Darren White tant il excelle dans les growls tout comme sur certaines parties plus accessibles, donnant ainsi à ses interventions une ampleur surprenante. Grunt tiens.
"Nocturnal Emission" illustre ce constat à merveille, avec son final somptueux à couper le souffle, qui s’enchaîne naturellement sur un "Cerulean Twilight" plus nuancé mais tout aussi dramatique, l’atmosphère devient pesante et laisse bien peu de répit émotionnel à l’auditeur. La tension est palpable, "The Silent enigma" apparaît dans la pénombre, monolithique et décidé. Il se fait cependant plus classique avec une deuxième partie furieuse…avant de laisser place au cultissime "A dying wish".
Ce morceau représente à lui seul ce qu’ANATHEMA sait faire de mieux, l’alternance de parties calmes, introspectives, couplées à de sublimes cavalcades riffesques empreintes d’une profonde émotion, le tout encore une fois sublimé par les interventions rageuses et désespérées du sieur Cavanagh. Quant à la batterie, assurée avec classe par John Douglas, elle suit le rythme, parfaitement à l’aise dans les deux configurations.
Aucun temps mort. L’instrumental "Black orchid", délicieusement symphonique, conclut de bien sombre manière cet album, laissant entrevoir, à sa manière, le bout du tunnel et l’apparition de la lumière, symbolisée par un "Eternity" en tout point magnifique qui marquera quinze mois plus tard l’envol d’ANATHEMA vers des rives plus progressives et planantes.

Ce qui interpelle, une fois ces cinquante-cinq minutes passées dans l’outre-monde, c’est cette incroyable homogénéité présente tout au long de l’album. Peu de formations peuvent se targuer d’une telle cohérence dans leur propos, chaque note est méticuleusement placée, chaque structure parfaitement réfléchie, s’imbriquant naturellement dans la suivante pour former un tout logique et implacable. Une marche dans les ténèbres guidée par une main glaciale mais bienveillante…
Car c’est bien de ténèbres dont il est question ici, lorsque l’on se risque à jeter un rapide coup d’œil sur les paroles, qui révèlent sans surprise la teneur du fond de commerce des 4 de Bradf…ahem, Liverpool.

"My paralysed heart is bleeding, my love’s torn apart desire to be free."
"Suffer yourself, and let me dire here awhile."
"Beneath an open sky, sibilant cries of youth dying, enslave me with grief."

Faites le test, à coup les coups on gagne ! Que le premier qui trouve une lueur d’espoir dans les textes me fasse signe, des sacs mortuaires dédicacés seront offerts pour les plus rapides d’entre vous !

Aucune surprise non plus sur la complémentarité de l’artwork, qui plonge l’auditeur sans détour dans un océan de noirceur à faire mourir de jalousie un cadre d’Halliburton. Entre la sublime couverture qui laisse deviner un mystérieux paysage forestier baignant dans une atmosphère surnaturelle et les sombres couleurs utilisées à l’intérieur du livret, le message est clair : noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir.
Un dernier mot sur la prod’ : lourde, pesante, organique, celle-ci donne toute ses lettres de sombre noblesse à cet album.

A l’heure du bilan, il est indéniable que ce "Silent Enigma" ne souffre d’aucune concurrence en matière de doom-death mélancolique (un pléonasme ?). D’ailleurs, un rapide benchmark ne fait qu’enfoncer le clou : bien peu nombreux sont les groupes à l’avoir chatouillé sur son terrain de prédilection. Et c’est bien des œuvres de ses petits compatriotes de promo qu’il est le plus proche à ce moment là, tout particulièrement du grandiose "The Angel and the Dark River" de MY DYING BRIDE. Quoique son collègue ricain de MORGION ne saurait laisser indifférent ceux et celles à la recherche de sensations similaires…

Finalement, s’il y avait un parallèle à faire pour situer ce "The Silent Enigma" sur l’échiquier métallique, je prendrais volontiers la fin de première partie de carrière de PARADISE LOST en point de repère. Car, tout comme le bien-nommé "Icon", cet album d’ANATHEMA marque une indéniable volonté d’explorer de nouvelles tournures plus ambitieuses, moins brutes, quitte à laisser derrière lui le doom caverneux de ses débuts ("Lost Paradise" et "Gothic" dans une moindre mesure chez PARADISE LOST).
Une démarche qui augurait déjà d'un futur artistique radieux...


Rédigé par : TarGhost | 1995 | Nb de lectures : 2289


Auteur
Commentaire
Silenius
Membre enregistré
Posté le: 05/10/2013 à 23h40 - (29934)
Bien belle chronique pour un album intemporel et véritablement magnifique.Je rajoute le joyau de Tiamat à savoir Wildhoney qui arrive lui aussi à sortir du cocon purement " gothico/doom" pour offrir à nos oreilles une perle incomparable et originale.



Paul
IP:80.215.8.26
Invité
Posté le: 06/10/2013 à 08h47 - (29938)
Bouleversifiant...j'adore cet album que j'ai découvert récemment grâce a l'opération "tout l'or du métal".
Superbe chronique au passage.
Belle initiative que cette rubrique.

hammerbattalion
Membre enregistré
Posté le: 06/10/2013 à 09h18 - (29940)
Belle chronique pour un super album, que je suis en train de me repasser, rien à redire, un chef d'oeuvre, leur meilleur avec Alternative 4. La période dorée du doom/death rosbif.



mioumiou
Membre enregistré
Posté le: 06/10/2013 à 11h23 - (29945)
Tiens c'est l'occasion de me le refaire car je l'ai écouté qu'une fois, peut-être dans la journée.

gaspode
Membre enregistré
Posté le: 06/10/2013 à 13h42 - (29950)
Oui, un des seul album du groupe que je peux écouter en entier sans ennui. Et même après toute ces années, je ne m'en lasse pas.

Sobre, intemporelle, prenant son temps, il n'a pas pris une ride.

Je ne suis vraiment pas fan du groupe (la période Alternative 4 me laisse de laisse de marbre. Par contre j'aime bien "we're here because[..]") ... Mais cet album est un monument du doom



racletou
IP:82.226.143.173
Invité
Posté le: 06/10/2013 à 14h22 - (29953)
génial aux niveau des ambiances bien crépusculaires, beaucoup écouté à l'époque je le rédécouvre aujourd'hui, ça dégage quand même une belle puissance (Sunset Of Age...) j'adore également Judement et We are Here... même si c'est dans un style très différent.
A réécouter aussi Pentecost III, épique et massif!

Youpimatin
Membre enregistré
Posté le: 06/10/2013 à 17h22 - (29960)
Un album sombre, massif, crépusculaire, mélancolique mais tellement beau !



Payday
IP:78.226.21.232
Invité
Posté le: 06/10/2013 à 22h26 - (29966)

Album monumental, sans doute dans mon top 10 metal. La prod est parfaite, l'ambiance y est.

Quel dommage qu'ils soient partis en couille après ça.

Vraiment une chouette période pour ce genre de son...

levelu
Membre enregistré
Posté le: 07/10/2013 à 12h23 - (29968)
Pour moii eternity fut le meilleur et le restera, mais celui-ci est très bon!!!

Pask43
IP:212.99.25.2
Invité
Posté le: 07/10/2013 à 12h56 - (29969)
Chef d'oeuvre!!!

meme si j'apprécie les derniers albums en date j'espère secrètement qu'un jour ils exprimeront a nouveau la noirceur et la beauté de cet album.


MIKKA
IP:82.127.192.94
Invité
Posté le: 09/10/2013 à 10h21 - (29971)
Découvert Anathema avec cet album, et ça fait longtemps que je ne l'ai pas écouté !
Merci à TarGhost pour cet chronique, je sais quoi écouter ce soir pour m'endormir ;)


YvesRaymond Cul
IP:93.6.28.2
Invité
Posté le: 13/10/2013 à 23h51 - (29996)
J'ai toujours préferer les 1ers albums du groupe, en mode Doom/Death Metal. j'ai jamais trop aimer le nouveau style du groupe par la suite !

tarnow
Membre enregistré
Posté le: 12/10/2014 à 19h34 - (31278)
L'album ultime des frères Cavanagh.
Le monument du doom.
15 ans après je l'adore toujours.
Le chroniqueur aussi visiblement...



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