L'Irlande a toujours exercé une importante fascination, un magnétisme. L'engouement pour sa culture et sa gastronomie n'est pas près de se démentir.
Le tourisme reste l'une des principales ressources du pays, sans parler de l'importance du flux migratoire, des millions de personnes en Amérique du Nord ayant des origines irlandaises. Si le grand public confond souvent musique celtique et traditions irlandaises, j'en profite pour préciser que je considère l'Irlande sous sa forme géographique et non politique (unifié donc). Pour peu qu'on s'intéresse à la question, chaque génération nous a offert son lot de groupes et d'artistes de valeur. Les années 70 nous ont offert Thin Lizzy et Gary Moore, les années 80 Shane MacGowan (The Pogues) et U2. Pour la décennie qui nous intéresse, on note l'envol de Therapy?, des Corrs et autres Cranberries, mais aussi la naissance d'une scène extrême qui va développer ses particularités en marge de l'Europe continentale.

Quelques dates importantes:
1987: Formation de Forsaken (qui se renomme Primordial en 1992)
1992: Formation de Cruachan et Mourning Beloveth
1993: Formation de Waylander, Primordial trouve sa voie
1994: Formation d'Abaddon Incarnate et Geasa
1995: 1er album de Cruachan et Primordial
1997: Split de Cruachan
1998: 1er album de Waylander, 2ème album de Primordial, Formation de Mael Mordha
1999: 1er album d'Abaddon Incarnate et Geasa, Reformation de Cruachan

Je considère le sampler Metallian fourni avec le mag d'avril/mai 1999 comme l'un des meilleurs (avec les tous premiers... tiens j'ai trouvé une idée de Top 5). Quelques morceaux plus faibles, mais une impression d'ensemble très forte. Pas d'énumération, les curieux peuvent jeter un oeil au tracklisting sur RateYourMusic . Le niveau était relevé et pourtant Geasa a réussi le tour de force de se faire remarquer grâce à Frozen Queen, un titre fougueux et anticonformiste. Mais avant d'aborder son 1er album Angel's Cry, un mot sur la genèse du groupe.

Draighean (basse/claviers) et Simon O'Laoghaire (batterie) fondent Geasa en 1994 avec pour objectif de fusionner à leur sauce metal extrême et culture celtique. 2 ans plus tard le quintet enregistre sa première Demo: Starside (réédité en 2003 en bonus de l'EP Fate's Lost Son). Son impact à l'échelle locale est réel. Simon O'Laoghaire est débauché par Primordial mais choisit de cumuler les engagements, alors que Geasa se reconfigure en profondeur. Les Irlandais passent tout d'abord de 1 à 2 guitaristes. Exit Fergal au profit de Philip White et Stephen Maher (Abaddon Incarnate). Ensuite Draighean reprend le chant à son compte, Brian O'Connor étant parti fonder Kingdom. Le bassiste, véritable moteur du groupe, partage désormais les claviers avec Philip White. Passé une période de rodage, Geasa est prêt à franchir le cap du premier album, ce qu'une signature chez Season of Mist rend enfin possible. Non content d'avoir le nez creux (Oxiplegatz, Bethzaida, Kampfar, Anorexia Nervosa, Bloodthorn, Seth, ...And Oceans et Anata) le label marseillais va une nouvelle fois démontrer son professionnalisme en envoyant son nouveau poulain en Finlande enregistrer Angel's Cry au fameux Tico-Tico sous la houlette d'Ahti Kortelainen (Impaled Nazarene, Sentenced et bien d'autres), tout en confiant le visuel à un artiste de premier plan, l'Espagnol Luis Royo (voir son site officiel).

Impossible de passer sous silence l'oeuvre de ce mec, découvert grâce aux sorties 1999 de S.O.M. (voir aussi Onwards into Battle, le 2ème album de Bloodthorn) et à un article paru dans le n°6 d'Elegy. Je recommande son album Rêves regroupant des oeuvres de commande restées inédites et réalisées sur plus d'une décennie, le tout accompagné de notes de l'auteur. Luis Royo est un créatif prolifique multi-support (privilégiant néanmoins dessin et peinture) sans véritables barrières stylistiques. Des grandes fresques historiques à l'érotisme, en passant par l'heroic fantasy, les comics et la science-fiction, il appose dans chaque univers sa patte sensuelle (voir ses héroïnes). Avouez que les Irlandais auraient pu tomber plus mal. Rares sont les groupes à bénéficier de telles attentions (format digipack et visuel classieux), surtout dès leur 1er album. Coïncidence, les Allemands d'At Vance (power metal) ont utilisé le même visuel pour Only Human leur 4ème album paru en 2002, à peine 3 ans après Angel's Cry... qui est aussi le titre du 1er album d'Angra. On va s'arrêter là sinon on s'en sortira pas.
Pour en revenir à la production, l'univers singulier et touffu des Irlandais méritait qu'un type expérimenté apporte puissance et clarté à des compositions aussi riches. Ce qui fut fait et bien fait.


Stephen Maher / Draighean / Philip White / Simon O'Laoghaire
Authentique, le style de Geasa exhale une beauté étrange et sauvage. Angel's Cry s'appréhende à la manière d'une épopée, chaque morceau disposant d'une identité propre tout en s'inscrivant dans un ensemble cohérent. De la luxuriance des parties black à l'aspect plus dépouillé des influences celtiques (voire gothiques) en passant par des arrangements judicieux, le menu de ce 1er opus est d'autant plus copieux que chaque musicien appose sa griffe. Et justement Draighean les cumule. Sa signature vocale repose sur l'ambivalence entre hurlements black et un chant clair assez plaintif (à rapprocher de celui de SAS sur les 1ers Misanthrope). Parties doublées, alternance ou exclusivité, il ne se refuse rien, ses subtilités se retrouvant jusque dans le mixage. Relativement audibles, ses parties de basse s'expriment en soutien harmonique ou au 1er plan (l'intro de Starside). Quant aux claviers, les Irlandais compensent une technique somme toute assez limitée par un feeling prononcé (Tuatha de Dannan et surtout Frozen Queen). Les gratteux Philip White et Stephen Maher font preuve d'un grand sens mélodique, mais n'oublient pas de riffer le moment venu (The Last One on Earth). Discrètes, les parties acoustiques sont bien présentes, notamment sur le nostalgique Danna. Mais leur botte secrète reste les larsens dont ils assaisonnent tout l'album et qui pullulent sur le monstrueux Frozen Queen. Original et efficace. J'ai gardé le meilleur pour la fin avec Simon O'Laoghaire dont le jeu me parait nettement plus créatif qu'avec Primordial. Fougueux et volontiers démonstratif, il a le bon sens de se mettre en retrait lorsque le tempo ralentit. Un bon batteur.

L'instrumental Tuatha de Dann ouvre les hostilités et dévoile le potentiel d'un groupe racé. Atmosphère mystique, belles mélodies, changements de rythmes et montée en puissance... du tout bon. Duan do mo Bheann Sidhe poursuit sur cette lancée avec l'apparition du chant et des premiers riffs. The Last One on Earth pousse le bouchon plus loin, avec une structure très progressive et du mordant. L'un des titres les plus péchus de l'album. Résultat Danna prend le contrepied avec un rythme lent dans un style lancinant et dépouillé dominé par l'acoustique et le chant clair. Frozen Queen est sans conteste le titre le plus agressif et intense de l'album. Egalement le plus original avec claviers et larsens évoquant un sentiment d'urgence, l'imminence d'un danger. Très bon avec un Simon O'Laoghaire déchainé. Gorgé de mélodies Rite of Passage c'est un peu la rencontre du metal celtique et du gothic doom. Where Shadows are Borne est une composition à tiroirs qui sait capter l'attention. En dépit d'une apparente linéarité, Starside regorge de subtilités. Ce morceau est-il trop long? Je le pense. Quant à Spansill Hill, s'agit-il d'une faute de frappe (Spancill) ou d'une modification apportée pour une question de droits? Quoi qu'il en soit cette courte reprise aurait pu être un peu plus développée à mon goût. Elle clôture néanmoins un album attractif et unique en son genre qui ne se laisse pas domestiquer à la première écoute.

Angel's Cry dévoilait un potentiel vraiment intéressant, malheureusement gâché par un manque de considération des metalleux et une démobilisation aussi rapide qu'incompréhensible de la part des Irlandais, provoquant leur départ de S.O.M. Le développement de Primordial (dans lequel est toujours engagé Simon O'Laoghaire) a-t-il coupé les ailes à Geasa ou la raison est-elle toute autre? Toujours est-il que depuis leur retour à l'anonymat, aucun de leurs enregistrements n'est arrivé à la cheville de ce 1er opus aux allures d'heureux accident.
En tout cas en 1999 Geasa c'était bien.




Rédigé par : forlorn | 1999 | Nb de lectures : 2088