En cette fin de millénaire, la France metallique nage en plein paradoxe. D'un côté notre scène est dénigrée, maintenue dans la confidentialité. De l'autre, nos labels pètent le feu, conciliant professionnalisme et signatures de premier ordre, menaçant l'hégémonie allemande. Il leur a souvent été reproché (à raison) de ne pas signer de groupes français. Mais passons... Chacun d'eux a laissé sa marque sur cette fameuse période 1995-2000. Osmose: son impressionnant roster black metal et ses tournées européennes (le plateau World Domination ou encore Absu/Enslaved/Inferno). Adipocere: sa distro, le sampler Metallian et son pied à l'étrier pour Moonspell et Diabolical Masquerade (trop facile de ne retenir que les bouses les gars). Holy records: sa colonie grecque, son identité marquée et ses digipacks. Après ce trio, 2 autres labels sont entrés en piste: Listenable et Season of Mist. A son tour le label marseillais va se démarquer avec une initiative intéressante, qui sera reprise par d'autres (Moonfog par exemple).
Il s'agit des WAR.

Le principe? Confronter 2 groupes de son écurie le temps d'un split. Le cahier des charges? Très précis.
2 compositions inédites et 2 reprises, l'une au choix, l'autre piochée dans le répertoire de 'l'adversaire', pour un total de 4 morceaux chacun. Une excellente idée présentant de nombreux avantages, sur le plan promotionnel (2 groupes pour le prix d'un), créatif (pour les musiciens) et identitaire (pour le label). S.O.M. va produire 3 Volumes entre 1998 et 2000. Quant à Metallian, le magazine va prolonger le concept en laissant les musiciens s'exprimer sur les morceaux du groupe partageant leur split. Exposées sur une pleine page (n°14 de janvier/février 1999 avec Emperor en couv') les chroniques des 2 premiers Volumes ont marqué les esprits, notamment le Volume 1 où les Norvégiens de Bloodthorn traitaient les Finlandais d'...And Oceans de 'tapettes'. Boarf. Sans transition place au Volume 2 opposant Anata à Bethzaida.

1/ ANATA (Technical Death - Suède)

Quelques mois plus tôt les Suédois ont crée la surprise avec un 1er album monumental: The Infernal Depths of Hatred. Unique en son genre, ce mélange de brutal death US et de l'école mélodique de Göteborg a trouvé son public. Superbes compos, grosse technique (une brute derrière le kit), parties vocales doublées (death/black)... rien ne manque. J'ai particulièrement apprécié leur façon de doser leurs influences, de jouer avec le mitigeur entre brutalité et mélodies au gré des passages et des morceaux. C'est ce qui fait toute la saveur de cet album et aussi ce qui le rend si particulier. Mais avant d'expliquer pourquoi, 2 choses à connaitre: la signification de leur nom et les débuts du groupe. D'origine asiatique, Anata est une déesse guerrière passée dans la religion égyptienne. Sinon peu s'en soucient, mais le groupe de Fredrik Schälin s'est formé en 1993, a connu 2 changements de line-up (guitare et basse) et enregistré 2 Demos avant de passer à la phase album. C'est ce qu'on appelle des bases solides, des bases qui expliquent la maturité d'écriture de The Infernal Depths of Hatred.

Mais venons-en aux morceaux de ce WAR, à commencer par les 2 inédits, Let Me Become Your Fallen Messiah et With Me You Shall Fall. On constate très vite que la balance penche désormais d'un côté, celui du brutal death US. Les mélodies s'estompent au profit d'un style plus agressif et complexe, notamment au niveau des parties de grattes de Fredrik Schälin et Andreas Allenmark. Pour ce qui est de la batterie, Robert Petersson en fout partout et c'est exactement ce qu'on attend de lui. Quant à la basse de Henrik Drake, elle me semble plus audible, grâce à une production plus affutée rendant le tout plus consistant. Côté reprises, Anata a d'abord choisi Day of Suffering de Morbid Angel (issu de Blessed are the Sick). Une reprise fidèle mais plus rapide et encore plus brutale que l'originale. Quant à la reprise de Bethzaida, il s'agit de The Tranquillity of My Last Breath, extrait du 1er album Nine Worlds et qui figurait sur le 1er sampler Metallian. Cette fois le travail d'appropriation est bien là, avec une fin à la Scoobydoo (on croit que c'est fini et ça repart). Une relecture intéressante qui met vraiment Anata en valeur en soulignant son caractère, sa personnalité. Très bon.

2/ BETHZAIDA (Dark Metal Original - Norvège)

J'ai toujours aimé ce groupe, dont je reprenais les morceaux du 1er album à la guitare. Les curieux remarqueront un parcours similaire à celui d'Anata (fondation en 1993, 2 Demos avant signature chez S.O.M.) avec une légère avance discographique, puisqu'à l'époque de ce WAR les Norvégiens ont déjà enregistré 2 albums et un EP. Des guitaristes créatifs jonglant avec les textures musicales pour nous offrir leur propre vision du metal, une section rythmique subtile, mettant sa technique au service des compositions, sans oublier un frontman alternant vocaux habités et parties de flûte du plus bel effet (ce n'est pas un gimmick mais bien un élément constitutif de leur son), Bethzaida ne manquait pas d'arguments. Et que dire de leur évolution, toujours plus intense et personnelle. Après un Nine Worlds inspiré (voir ICI), Bethzaida a développé son univers sur LXXVII, un univers toujours plus singulier et torturé. Pff non mais vraiment ce groupe méritait mieux que l'indifférence polie qui les a conduit à un split prématuré. C'est de votre faute bande de... *$¤#&@}s.

Les 2 inédits, Last Day of Sodom et Expulsion, synthétisent leurs acquis et témoignent de la créativité des Norvégiens. Mention au 2nd morceau qui enchaine 2 super phases musicales avec une rythmique d'abord saccadée (surplombée par la flûte) puis lancinante qui vous hantera longtemps. Peut-être le sommet créatif des guitaristes Andre Svee et Brian III. Quant au batteur Terje M. Kråbøl prêtez attention à son jeu, vous verrez qu'il est lui aussi digne d'éloges. C'est sans hésitation que je couronne Expulsion meilleur morceau de ce WAR Volume 2. Voyons maintenant les reprises. La première, Fredmans epistel nr. 30: Drick ur ditt glas, est une chanson traditionnelle suédoise de la fin du XIXème siècle qui permet aux Norvégiens de développer leur facette folk. Un choix intéressant mettant à l'honneur la flûte et la basse pour un résultat mitigé, le morceau étant trop répétitif. Quant à la reprise d'Anata, c'est sans surprise que Bethzaida a choisi le morceau qui se prêtait le mieux à une relecture, le mélancolique Under Azure Skies. Très proche de la version d'origine ce titre n'en sonne pas moins comme un morceau de Bethzaida, tant ce groupe possède ce 'truc en plus' qui fait toute la différence. A nouveau les parties de flûte du vocaliste Lars Ruben Hirsch et de basse de Tom Wahl ajoutent une dimension supplémentaire à cet excellent morceau qui conclut idéalement ce WAR Volume 2.

A l'heure du bilan nous avons donc 2 groupes complémentaires donnant un aperçu convaincant de leurs capacités, aperçu qui fait toujours son effet 14 ans après. A la qualité de ces inédits, il faut ajouter l'intérêt du contexte. Il s'agit pour Anata du dernier enregistrement avec le batteur Robert Petersson qui disparaitra dans la nature ensuite (remplacé 2 ans plus tard par Conny Pettersson). Dommage, personne n'oubliera ses accélérations fulgurantes. Pour Bethzaida c'est pire, car il s'agit de leur dernier enregistrement avant split. Un vrai gâchis j'vous dis! D'autant que 3 des 5 membres retourneront à l'anonymat. Les plus capés, Terje M. Kråbøl (ex-Thorns) et Tom Wahl (ex-Godsend), poursuivront une carrière discrète jalonnée de featurings et de Demos, à l'exception d'un excellent groupe entre metal prog et jazz rock: Antidepressive Delivery.

Si ce WAR Volume 2 s'adresse avant tout aux fans des groupes concernés, il est suffisamment bon pour accrocher les fans de metal scandinave. Entre la brutalité d'Anata et les ambiances de Bethzaida, il y a de quoi faire. La diversité de ce split-album fait sa force. N'hésitez pas à le réclamer à Mr. S.O.M., il lui en reste quelques copies.




Rédigé par : forlorn | 1999 | Nb de lectures : 1825