DEARLY BEHEADED - Temptation (Fierce/Music For Nations) - 20/07/2013 @ 21h09
De nos jours, les musiciens sont relativement autonomes et en contact direct avec leurs fans, via les webshops, les plateformes d'écoute et autres réseaux sociaux. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Avant la révolution internet, ne pas être signé signifiait ne pas exister. Pourtant les pièges étaient nombreux. Des petites structures incapables de tenir leurs engagements aux ingérences des major company, en passant par les escrocs... c'était la jungle. Secouez un cocotier trentenaire et il pleuvra des anecdotes. Mais le comble de l'époque n'était pas l'anonymat, c'était le coup marketing. Ça vous étonne? Pousser un jeune groupe trop vite, trop fort, revient à l'envoyer dans le décor. En France on appelle ça aller plus vite que la musique. Aujourd'hui on va parler d'un exemple particulièrement édifiant, d'un cas d'école pour le metal des années 90s: Dearly Beheaded.

"J'ai fait l'album le plus heavy de '94 avec Machine Head, l'album le plus heavy de '95 avec Fear Factory et je fais l'album le plus heavy de '96 avec Dearly Beheaded." Colin Richardson, producteur

On est d'accord c'est prétentieux. Le truc c'est que les albums cités (Burn my Eyes et Demanufacture) sont des monuments et le concerné l'un des producteurs les plus en vue de l'époque. Outre les gangs de Robb Flynn et Dino Cazares, le CV de Colin Richardson en 1996 comprend Bolt Thrower, Carcass, Gorefest, Gorguts, Loudblast, Massacra, Mercyless, Napalm Death et Sinister (pour n'en citer que quelques uns). Donc quand ce mec là sort de sa réserve pour nous pondre un slogan aussi fracassant, on le croit sur parole. Réaction des metalleux: 'Wooo putain il me le faut absolument!' Retour en 2013. Machine Head tient la distance et conserve ses fidèles. Fear Factory a perdu beaucoup de plumes (et son âme) mais s'accroche aux branches. Quant à Dearly Beheaded, le groupe est mort et enterré depuis longtemps. Que s'est-il passé? On nous aurait menti?

En Angleterre, le metal n'est plus à la page mid 90s. La génération Donington s'est faite enterrer par l'alternatif (grunge, fusion, néo-punk) qui recule à son tour face à la nouvelle mode locale: la britpop. Souvenez-vous de la guerre Oasis/Blur, de l'émergence des Radiohead, Cranberries, Manic Street Preachers, Supergrass... Face à ce raz-de-marée concentrant l'attention des médias britanniques, 2 groupes vont tenir le choc: Paradise Lost et Cradle of Filth. On remarque alors que ces exceptions sont réfugiées chez Music For Nations, LE label metal anglais du moment (en forme après avoir absorbé Peaceville) à qui l'on doit ce fameux coup marketing. Mais ne pas se fier aux apparences. Ce qui parait facile et immédiat, bien souvent ne l'est pas. Allez zou, gros plan sur les origines de ces 'tendrement décapités'.

Ils font leurs armes dans des groupes de la région de Manchester. En janvier 1993, le chanteur Alex Creamer et le guitariste Steve Owens lancent une nouvelle formation. La section rythmique, composée de Tim Preston (basse) et Bob Ryan (batterie), les rejoint rapidement. Quant au soliste Phil Stevens, il est recruté lors d'un concert Megadeth / Pantera. Dearly Beheaded est né. Au sujet de leur patronyme, il est intéressant de noter qu'il était... déjà pris. "Nous l'avons involontairement emprunté à un groupe australien qui par chance pour nous s'est séparé."
Alex Creamer (dans le n°14 de l'été 1996 de Hard Force mag) Renseignements pris, cet homonyme a enregistré une Demo de speed/thrash en 1991 avant de passer au death metal et se renommer Cruciform. Reformé en 2012 ce groupe compte dans ses rangs Simon Gruer, le mastermind d'Avrigus (doom orchestral ambient). Etonnant non?

Mais retour à Manchester où le groupe d'Alex Creamer enregistre dans des conditions pro une Demo 4 titres, We the Unwilling. En mixant le meilleur de l'école US (Pantera/Machine Head) à la tradition anglaise (Black Sabbath), Dearly Beheaded marque les esprits, au point d'être élu meilleur groupe non signé de l'année 1993 par les lecteurs de Kerrang!. A partir de là les choses vont s'enchaîner très vite. Quelqu'un de chez MTV remet We the Unwilling au patron du label EastWest qui reconnaît leur potentiel. L'enregistrement d'un EP est programmé... mais la situation dégénère. "Ils voulaient que nous virions notre ancien batteur mais nous ne souhaitions pas dégager un ami. Nous avons décidé de lui laisser plus de temps pour faire ses preuves." Steve Owens (dans le n°14 de l'été 96 de Hard Force) "Vous faites ce qu'on vous dit ou vous allez vous faire voir... Nous avons rapidement opté pour la seconde solution (rires)." Tim Preston (dans le n°15 de l'été 96 de Hard Rock mag)

Un début de carrière cumulant qualités instrumentales, reconnaissance locale et intégrité? Mais c'est très bien tout ça. Lucide, le groupe va aussi admettre la part de vérité dans les critiques d'EastWest et prendre des décisions judicieuses: changer de batteur, chercher un management ainsi qu'un label digne de ce nom. Exit Bob Ryan au profit de Simon Dawson (The Outfield). Le groupe fait la connaissance d'une certaine Laura, qui les recommande à son mari... Colin Richardson. Entre temps Music For Nations décide de sortir en septembre 1995 l'EP initialement prévu chez EastWest, In a Darkened Room. Au programme: 2 extraits de la Demo, un inédit (le morceau-titre) et un aperçu de l'album à venir (Break My Bones). La production est signée Simon Efemey (Paradise Lost depuis Shades of God). Inutile de vous rappeler que cet enregistrement paru en catimini n'a pas les faveurs du groupe, le visuel leur ayant été imposé par EastWest. Mais passons aux choses sérieuses.

L'expérience acquise au cours de cette période (1993-1996) a permis à Dearly Beheaded de grandir vite, au bénéfice de leur 1er album: le bien nommé Temptation. Mais si le quintet est chargé à bloc, ce n'est rien en comparaison de Music For Nations qui s'emballe en mettant les petits plats dans les grands et la charrue avant les boeufs. Une promo façon tête d'affiche (le slogan, les encarts, les interviews), visuel de grande classe et édition limitée, production au top, projets de tournée ambitieux... les attentes de MFN sont démentielles et disons-le clairement, impossible à satisfaire. Alors en plein conte de fées, les mecs de Dearly Beheaded sont, tout comme nous, à mille lieues d'imaginer l'impitoyable retour de flammes qu'ils se prendront moins de 2 ans plus tard. Mais en 1996 tout ce qu'un jeune metalleux calcule, c'est qu'après Pantera, Machine Head & co, un nouveau groupe de tueurs vient d'apparaitre dans le créneau post-thrash/groove chose et que pour une fois il est anglais.

J'en parlais plus haut, Temptation possède un visuel magnifique se rapportant au jardin d'Eden. Il est signé Peter Tsakiris, un graphiste habitué à bosser pour Ted Nugent qui va voir son carnet de commandes saturer cette année là (Anal Cunt, Dio, Jackyll, Overdose, Overkill, Pist-On, Vinnie Moore, Warrior Soul). L'édition limitée au format digibook A5 était une bonne initiative de MFN. Elle comprend un titre supplémentaire (Wrench) qu'on retrouve aussi sur la compilation Metallurgy 2. L'édition japonaise comprend un autre bonus, une reprise incongrue de Deep Purple (Demon's Eye extrait de Fireball paru en 1971). Côté son, Temptation bénéficie du savoir faire d'Andy Sneap (l'enregistrement) et Colin Richardson (la production). Au temps vous dire que ça envoit du lourd. Les premières mesures de Behind the Sun qui ouvre l'album achèveront de convaincre d'éventuels sceptiques.

En plus d'être parfaitement mis en valeur par le mixage, les Anglais sont techniquement impeccables. Temptation révèle un groupe costaud qui maîtrise son sujet avec panache et sincérité, en dépit d'influences parfois trop flagrantes ou d'une homogénéité que certains appelleront linéarité. Oui Dearly Beheaded n'a rien inventé. Mais putain qu'est ce qu'ils font bien leur job. Dominés par les mid-tempos ces 10 morceaux au groove constant s'aventurent parfois en territoire 70s façon Black Sabbath/Corrosion of Conformity (Between Night and Day) ou plus volontier en zone de guerre façon Pantera/Machine Head (la triple salve hargneuse: We Are Your Family / Fuel My Hatred / Break my Bones). Au jeu des étiquettes, le terme de power metal US était privilégié à l'époque, mais certains comme Machine Head définissaient leur style comme étant du hardcore metal... A mon sens parler de post-thrash ou de groove metal me paraît à la fois plus proche de la réalité et plus judicieux, le terme power metal ayant par la suite été récupéré pour désigner le renouveau du heavy metal européen.

Le bassiste Tim Preston apporte profondeur et épaisseur aux riffs (Leaving Them Behind), se prenant parfois pour Adam Duce (l'entame de We Are Your Family rappellant furieusement Old). Le batteur Simon Dawson s'adapte à tous les tempos, mais c'est évidemment sur les parties les plus agressives que sa dextérité est la plus attendue (Break the Restraint, ou le coup de sang sur Fuel my Hatred). En tant que principal compositeur, Steve Owens peut être fier de son job tant ses morceaux coulent de source. De plus ce guitariste rythmique fait vraiment honneur à son rôle. Trop rarement évoqué à mon goût, son compère Phil Stevens assaisonne l'album de soli classieux. De son feeling 70s façon impro/jam sur Between Night and Day à sa frénésie sur Break my Bones, chacune de ses interventions tire Temptation vers le haut. Prêtez attention à la complémentarité entre ces 2 guitaristes, elle vaut le détour. Dernier atout du groupe: son chanteur. Qualifié par Tim Preston de 'grogneur mélodique', Alex Creamer démontre de larges possibilités vocales en jouant sur les nuances ou plutôt en combinant agressivité et mélodies. En l'écoutant je pense souvent à Chuck Billy de Testament, ce qui n'est pas un moindre compliment.

Pour conclure je vous conseillerais d'enchaîner avec la chronique de Chamber of One (l'album suivant) par RBD pour apprendre ce qu'il est advenu des Anglais. Leurs plans de tournées (en support d'Annihilator) tombés à l'eau vont occasionner une grosse colère de la part de Music For Nations, compréhensible en regard des importants efforts financiers investis dans leur promotion. Le début ET la fin de la carrière européenne de Dearly Beheaded qui perd Phil Stevens dans la foulée. Leurs galères ne font que commencer...
Si vous êtes en quête de metal couillu issu des 90s, de seconds couteaux valeureux (et malheureux), je ne peux que vous recommander Dearly Beheaded et son excellent 1er album Temptation.

We Are Your Family : http://www.youtube.com/watch?v=0ypK5Ve0NCY
Between Night and Day: http://www.youtube.com/watch?v=UjCRKEBDZfM


Rédigé par : forlorn | 1996 | Nb de lectures : 2405


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Commentaire
hammerbattalion
Membre enregistré
Posté le: 20/07/2013 à 23h08 - (29566)
Ha, tout à fait d'accord avec les trois premiers paragraphes. J'étais au aguets: "va-t-il nous sortir la pub avec la citation de Richardson?" Yes! Comme beaucoup j'ai acheté cet album à l'aveugle, en même temps que leur EP, suite à cette pub. Je dois reconnaître que leur musique ne m'a pas tant que çà secoué à l'époque, noyée sous cent tonnes de sorties monstrueuses (années 90 obligent), j'avais même revendu l'EP.

Je me le suis remis cette semaine, quelle claque!! Pour moi c'est du metal tout court, comme on n'en fait plus. D'accord avec l'influence Chuck Billy que je n'avais pas cernée, je mettrais aussi Nick Holmes et James Hetfield.





dawnofthedead51
Membre enregistré
Posté le: 21/07/2013 à 08h50 - (29570)
merci pour cette chronique super complète !!!!! c 'est exactement ca !!! un album super sympa quand même !!!!!



RAPACE
IP:90.16.147.58
Invité
Posté le: 21/07/2013 à 10h55 - (29576)
Acheté à l'époque rien qu'à la lecture de la pub annoncant la sortie du disque et de la chronique dans un magazine.
ce fut une excellente surprise, mais le groupe fut enterré rapidement.
Dommage!


MADTRASH
Membre enregistré
Posté le: 21/07/2013 à 12h49 - (29582)
j'avais gagné a un concours radio , un cd sampler 2 titres promo du groupe (avec les titres Temptation et Between night and day) .Il y avait quelque chose dans ces 2 titres , de la puissance et du gros son . J'ai acheté le cd book avec un titre bonus au virgin des champs , depuis l'album revient souvent dans le lecteur .
L'album suivant , était un peu plus speed , mais toujours aussi efficace .

Fredd
Membre enregistré
Posté le: 21/07/2013 à 13h51 - (29585)
Groupe vu en 1996 à Londres dans un pub avec un jeune groupe en première partie: Orange Goblin!

Une véritable tuerie musicale qui m'a rendu sourd pendant 2 jours!

Il faut que je me réécoute cet album...

hammerbattalion
Membre enregistré
Posté le: 21/07/2013 à 19h39 - (29588)
Il y a plein de groupes comme çà qui ont sorti, une voire, deux bombes dans les 90's, et qui ont joué de malchance. Dearly Beheaded, Pissing Razors, Kill II This, Black Star ;), The Organization, The Exhorder, Trouble...

Nekobibu
Membre enregistré
Posté le: 21/07/2013 à 22h14 - (29591)
Merci pour la kro, je ne m'étais jamais penché sur ce groupe, il faudra donc que je le fasse, ne serait-ce qu'au nom de la curiosité ! :D

TarGhost
Membre enregistré
Posté le: 22/07/2013 à 08h05 - (29597)
@hammerbattalion : voilà un ecellent résumé de la (trop brève) carrière de Dearly. 2 superbes albums, avec une préférence pour celui-ci, gros mastodonte de métal moderne et mélodique.
Spontanément, c'est de Kill 2 This, surtout dur "Deviate" dont je rapprocherai Dearly : la Manchester touch, fine et racée, sur un bon gros pavé de métal bien lourd !
Belle époque, chouette kro.



forlorn
Membre enregistré
Posté le: 22/07/2013 à 08h24 - (29598)
Pour les curieux comme Nekobibu qui souhaiteraient découvrir cet album, j'ai rajouté 2 liens à la fin de la kro.

Le 1er morceau We Are Your Family est l'un des plus hargneux de l'album, quant à Between Night and Day c'est l'hommage du groupe aux 70s.

forlorn
Membre enregistré
Posté le: 22/07/2013 à 08h26 - (29600)
Sinon pour rebondir sur les propos de hammerbattalion, cette génération est d'autant plus malchanceuse que l'histoire s'est répétée pour certains. La preuve avec le groupe City of God formé en 2004 et splitté 2 ans plus tard après un unique album. Visez le line-up:

Simon Gordon - Vocals (Xentrix)
Mark Mynett - Guitars (Kill II This)
Tim Lyons Preston - Bass (Dearly Beheaded)
Jeff Singer - Drums (Blaze, Kill II This)

Par la suite chacun a tracé sa route dans des formations oeuvrant dans d'autres styles musicaux (Paradise Lost pour Jeff Singer par exemple).

Youpimatin
Membre enregistré
Posté le: 22/07/2013 à 15h43 - (29605)
Excellente chro qui remet dans le contexte de l'époque et qui explique les tenants et aboutissants de ce groupe aussi vite disparu qu'il est apparu.
J'avais vu le clip de "Temptation" sur MTV avant de lire la fameuse citation de Colin Richardson dont je me rappelle toujours aussi bien.
Et cet album est très très bon, encore maintenant.



Grand Strateger
Membre enregistré
Posté le: 22/07/2013 à 18h48 - (29606)
+1 très bonne chronique qui me donne envié de réécouter cet album qui n'a pas touche ma platine depuis plus de 10 ans.

RBD
Membre enregistré
Posté le: 24/07/2013 à 00h29 - (29614)
Bravo. J’avais chroniqué le second album de Dearly dans cette rubrique, mais faute de documentation d’époque je n’avais pas attaqué celui-ci. Alors qu’il le mérite largement.
En complément de ce topo très complet, j’insisterai sur ce qui fait l’originalité de ce disque : il y a une vraie osmose entre mélodie et puissance, très poussée, qui les démarquait de la simple référence PanterA/Machine Head trop habituelle. On perçoit tout de suite que c’est le même créneau, mais avec une personnalité propre. Alors que l’album suivant rentrera dans le rang.
Même le chant de Creamer est différent, plus clair et donc mieux chantant, tout en ayant du coffre. Je n’avais jamais songé à le rapprocher de Chuck Billy mais ce n’est pas faux...



forlorn
Membre enregistré
Posté le: 24/07/2013 à 10h09 - (29616)
@ RBD: Tu as raison d'insister sur l'osmose mélodie/puissance, j'aurais pu le faire ressortir un peu plus clairement.

Sinon le rapprochement Alex Creamer/Chuck Billy m'a paru évident en entendant chanter Creamer sur Between Night and Day.

Chuck Billy est l'un de mes chanteurs préférés de la scène metal pour un peu toutes les raisons du monde (intégrité, longévité, spiritualité, avoir vaincu la maladie, etc), à commencer par ses impressionnantes capacités vocales. Capacités qu'il commençait à pleinement maitriser et employer mid 90s, à partir de l'album Low (voir ma kro). Du chant émotionnel sur la ballade Trail of Tears aux growls façon death metal (développés sur l'album suivant Demonic), il peut tout faire. Je ne sais pas si Alex Creamer s'en est inspiré, mais j'ai de suite fait le lien à l'époque.

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