"La séparation avec Dave Lombardo avait pris des proportions considérables. Différentes idées, différents points de vue politiques, idéologiques, sur la vie en général. Musicalement les choses n'ont jamais été problématiques parce qu'il était un bon batteur."
Jeff Hanneman (R.I.P.) dans le n°23 de juillet 1994 de Hard Force mag

A l'automne 1992, la rupture entre Slayer et Dave Lombardo est consommée.
Ce dernier souhaitait assister à la naissance de son 1er enfant et jouer son rôle de père quelques temps. Poussé par le management, le reste du groupe le remplace sans état d'âme, Kerry King et Tom Araya n'hésitant pas à le traîner dans la boue en interviews. Blessé par ces critiques, le batteur d'origine cubaine mettra de longues années à s'en remettre. Mais si le moral est atteint, ce technicien hors pair ne se laisse pas abattre et profite de sa liberté pour progresser et se renouveler, choses qu'il ne pouvait faire avec Slayer (contraintes matérielles et limites stylistiques). De plus une opportunité s'offre rapidement à lui: Voodoocult. Réputé dans le milieu alternatif, Phillip Boa désirait depuis longtemps s'essayer au thrash metal. Outre Dave Lombardo, le chanteur allemand s'entoure de rien de moins que Chuck Schuldiner (Death), Mille Petrozza (Kreator) et un certain... Waldemar Sorychta. Mais en dépit de son impressionnant casting et d'une excellente ambiance de travail, le 1er album, Jesus Killing Machine, est pire qu'insignifiant, carrément mauvais. Cependant Dave Lombardo ne retire que du positif de cette expérience qui lui a permis de rejouer live (quelques dates en Allemagne) et de faire une rencontre déterminante.

Après 3 albums parus chez Century Media, la formation de speed/thrash Despair rend les armes en 1993. Pour le guitariste/producteur Waldemar Sorychta, l'offre de Phillip Boa de participer à Voodoocult tombe aussi à pic.
Son entente avec Dave Lombardo est telle qu'ils prennent le 1er avion pour les States afin de mettre un nouveau groupe sur pieds. Nous sommes toujours en 1993 et la paire Lombardo/Sorychta fonde Grip. Si le chanteur issu du milieu punk Gus Chambers fait l'affaire, en revanche le courant ne passe pas avec Bobby Gustafson (ex-guitariste d'Overkill) et le bassiste Chaz Grimaldi qui se désengagent rapidement. Pas découragé par ce faux départ, le désormais trio compose à son rythme, puisant dans les expériences de chacun. Waldemar Sorychta en profite pour retourner en Allemagne exercer ses talents de producteur. En 1994 son implication dans le fameux Wildhoney de Tiamat (voir ICI) lui offre une notoriété aussi importante que méritée. Le début d'un état de grâce où tout ce qu'il touche ou presque va se transformer en or, à l'image des sorties Century Media de l'époque. De l'autre côté de l'Atlantique, le groupe de Dave Lombardo se renomme Grip Inc., et lorsque le bassiste Jason Viebrooks (ex-Heathen) les rejoint, le processus de composition est pratiquement achevé.
Une signature chez SPV/Steamhammer plus tard, tout est fin prêt.


Le line-up originel de Grip Inc., avec Chaz Grimaldi (à gauche) et Bobby Gustafson (au centre)
Power of Inner Strength sort en mars 1995, mettant fin à des mois de spéculations. L'instrumental Toque de Muerto ouvre les hostilités avec une foule de percussions agrémentées de samples. Dave Lombardo s'est fait plaisir en dévoilant ses influences latines et africaines, balayant les critiques au passage. Une entrée en matière édifiante qui ne nous prépare cependant pas au 2ème effet kiss cool de Savage Seas (Retribution). Putain la tuerie... 18 ans après je m'en souviens encore. Enorme riff groovy de Sorychta, basse très présente de Viebrooks, Lombardo qui nous régale d'un tapis de double, et la révélation Gus Chambers au chant. Moins de 2 minutes intro comprise et l'affaire est déjà pliée... quel groupe de tueurs. La comparaison avec Slayer est inévitable, mais on va le voir Grip Inc. a ses propres arguments à faire valoir. Cependant avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à mettre en avant un point qui me paraît essentiel pour comprendre cette réunion de talents: l'humilité. Aux médias focalisant leur attention sur lui, Dave Lombardo répondra "Je crois sincèrement que Waldemar Sorychta est l'axe central de notre musique puisqu'il est à la fois guitariste, compositeur et producteur." (n°1 d'avril 1995 de Hard Rock mag) Une façon d'être que l'on retrouve aussi dans la production de Sorychta, le volume de ses guitares étant parfois un poil en retrait en comparaison de sa section rythmique, chose qui se remarquera aussi en live.

Cet album a été muri et composé dans un état d'esprit très sain, on s'en rend très vite compte. Waldemar Sorychta porte le groupe sur ses épaules et excelle dans chacun de ses rôles: compositeur, producteur, guitariste et arrangeur. A une époque où le thrash peinait à se renouveler face à la concurrence d'autres familles musicales, une telle fraîcheur dans l'écriture était plus que bienvenue. Les 10 morceaux de Power of Inner Strength (sans compter l'intro) sont denses, consistants et parfaitement mis en valeur par sa production. D'apparence homogène, ce bloc de compositions au groove constant regorge de changements de rythmes et d'arrangements astucieux. Les mid-tempos sont dominants, à l'image de l'efficace single Ostracized, mais n'oublient pas de s'emballer le moment venu (Hostage to Heaven, Colors of Death) ou de ralentir pour développer des atmosphères industrielles (le très contrasté Longest Hate qui conclue l'album). Outre ses riffs, Waldemar Sorychta démontre qu'il est un guitariste complet: arpèges (Monster Amongst Us.), leads dissonants (Innate Affliction), réminiscence acoustico-orientale à la Tiamat (Cleanse the Seed) et bien sûr de supers soli (Guilty of Innocence par ex). Grip Inc. lui doit beaucoup.

Quant à la section rythmique, c'est bien simple ils se gavent. Dave Lombardo se montre généreux et démonstratif, mais sans nuire à des compositions aérées et de toute façon taillées sur mesure. De l'introduction Toque de Muerto au decrescendo final de Longest Hate, c'est un festival ininterrompu qui ne peut laisser aucun metalleux de marbre. Pour ce qui est de la basse, de nombreux musiciens ont du envier Jason Viebrooks. Bien sûr bosser avec l'un des meilleurs batteurs metal de l'époque ça fait bien sur son CV, mais le vrai privilège réside dans l'important espace d'expression qu'on lui a accordé, y compris au niveau du mixage. Un autre Jason n'a jamais pu en dire autant avec Metallica par exemple. Tentez une écoute de l'album en focalisant sur la basse et vous ne serez pas déçu du voyage, Viebrooks est omniprésent, quel que soit le tempo. Enfin un mot sur le dernier membre de Grip Inc. et non des moindres, le regretté Gus Chambers (R.I.P.). Outre ses lubies capillaires et son charisme (sujet à caution pour certains), ce qu'on ne peut lui retirer c'est une signature vocale unique, avec une diction et un placement bien à lui. Gus Chambers contribuait largement à l'identité de Grip Inc., à tel point que j'imagine difficilement quelqu'un d'autre dans ses pompes (Casey Chaos d'Amen en l'occurrence). Mais bon ça c'est une autre histoire...


Power of Inner Strength a été accueilli comme il se doit par la critique et les fans, permettant au quartet de tourner en compagnie de Motörhead et Kreator, ou encore d'être à l'affiche de l'édition 1995 du Dynamo Open Air d'Eindhoven. Mais si ce 1er opus est un excellent cru, il sera néanmoins balayé 2 ans plus tard par un Nemesis monumental à côté duquel il fait presque pâle figure. Tout bénef pour nous... Grip Inc. est un incontournable des années 90s. Si vous ne les connaissez pas encore c'est l'occasion ou jamais. Vous ne le regretterez pas.


Rédigé par : forlorn | 1995 | Nb de lectures : 2415