Concentré sur les sorties européennes et le défrichage de territoires éloignés de la sphère metal (en partie grâce au mag Elegy), mon intérêt pour la scène US était devenu minimal en 1999. Certes j'étais client de Nevermore, Symphony X ou Iced Earth, mais quid de la scène extrême? Sorti des grands noms du death, alors en nette perte de vitesse, c'était le néant. J'avais bien tenté quelques achats à l'aveugle (entre autre les Demos K7 de Garden of Shadows et Scholomance), mais rien de très convaincant... jusqu'à ce que je tombe sur un sampler Hard n' Heavy proposant Canticle, un fantastique morceau signé Morgion. Au delà de son exceptionnelle qualité, ce titre symbolise à mon sens le réveil de l'underground US, impression corroborée peu de temps après par ma découverte du label The End et de la tribu Agalloch & friends. La sensibilité plus européenne de ces formations explique en partie leurs difficultés à se faire connaître sur un territoire gigantesque vivant alors au rythme du néo-metal. En effet rares étaient ceux à avoir pu bénéficier d'une distribution chez nous, à l'image de la première Demo d'Evoken rééditée en 1996 par Adipocere. Il a fallu presque 10 ans de labeur aux Californiens de Morgion pour y parvenir.

"Le doom est largement minoritaire aux USA. Tu ne peux pas imaginer à quel point c'est difficile. Le moindre détail est un parcours du combattant, comme trouver un claviériste! Et puis les gens ne savent pas comment réagir car ils ne connaissent rien à rien." / Jeremy Peto dans le n°49 de septembre 1999 de Hard Rock mag

Morgion désigne le dieu de la peste et des maladies dans Dragonlance, l'adaptation romanesque du célèbre jeu de rôle Donjons & Dragons, mais c'est aussi le patronyme choisi en 1990 par ce groupe US. En considérant leur origine géographique, on comprend mieux les difficultés rencontrées par des mecs puisant leur inspiration dans les débuts de Paradise Lost, Autopsy, Morbid Angel ou encore Entombed. De 1990 à 1993, Morgion se compose de Jeremy Peto (vocaux/basse), Dwayne Boardman (guitares/vocaux), Rhett Davis (batterie/paroles) et de Mike Davis (guitares). Le bilan de cette 1ère incarnation se compose d'une Demo (Rabid Decay), d'une rehearsal et d'un EP (Travesty). A l'instar des références précitées, le style originel de Morgion est effrayant de noirceur et de pesanteur. Notez que le tout figure sur la compilation God of Death & Disease, éditée en 2012 et disponible en streaming intégral sur bandcamp. Mais les Californiens souhaitent privilégier une approche plus mélodique. Morgion entame un nouveau chapitre de son histoire avec l'intégration en 1994 de 2 nouvelles recrues, dont le guitariste Bobby Thomas (en remplacement de Mike Davis) à l'influence déterminante dans la maturation de leur style.

Sans renier ses fondamentaux, la musique de Morgion s'oriente vers le doom grâce à l'adjonction de mélodies et d'atmosphères illustrant au plus près l'approche littéraire quasi-poétique de leurs textes. Le quintet enregistre Among Majestic Ruin en juillet 1994. Mais faute de trouver la structure adaptée, ce 1er opus va rester dans les cartons... jusqu'à la signature inespérée chez Relapse qui le sort en janvier 1997. Entre temps, Rhett Davis a enregistré un album avec Crimson Relic (doom/death aussi, avec un featuring de Jeremy Peto) et un nouveau venu a su se rendre indispensable à l'alchimie de Morgion. Il s'agit de Gary Griffith (ex-Infaustus). Non content d'avoir remplacé Ed Parker au poste de claviériste, il récupère aussi une partie des guitares suite au départ de Bobby Thomas en 1998. C'est à Gary Griffith que Morgion doit l'apparition des guitares acoustiques et le visuel classieux de Solinari. A noter que l'intitulé de ce 2ème opus, une nouvelle fois pioché dans l'univers de Dragonlance, a fait l'objet d'un contresens (ou détournement), Solinari symbolisant la lune blanche et non pas noire (Nuitari). Concernant la thématique de ce 2ème effort longue durée, c'est Rhett Davis qui nous l'explique:

"Nous avons toujours été très attiré par ces vieilles légendes remettant l'homme dans un ensemble où la nature a une place prépondérante. On cherchait à recréer un mythe un peu dans l'esprit des livres de Robert Frost ou de Conan, mais sous un angle plus poétique. (...) Solinari commence avec la naissance de 3 figures que l'on retrouve tout au long de l'album et finit avec leur mort. L'histoire est racontée à travers les yeux d'un loup alors que le serpent représente la tentation et le corbeau la sagesse. Il y a plein d'éléments pour en faire une bonne tragédie grecque." / dans le n°49 de mai 1999 de Hard n' Heavy (interview de notre Zoltar national)

A la manière d'une épopée nocturne, Solinari déroule des rythmiques puissantes, entrecoupées de mélodies épurées et d'atmosphères oniriques. Le chant joue lui aussi sur le contraste growls/narration. Sur le papier certains objecteront une formule simpliste et déjà usité, mais les Américains sont inspirés. Le feeling de Solinari est aussi spécifique que convaincant, suffisamment pour être considéré comme un classique du genre. De la frappe écrasante de Rhett Davis, à la qualité des arrangements, sobres mais toujours judicieux, de Gary Griffith, en passant par le travail de guitares de Dwayne Boardman, chaque musicien est bien en place. Le petit plus de Solinari reste l'utilisation de la basse, très présente, qui enrichit la trame mélodique. Avec un tel album-concept, envoûtant et sombre, Morgion n'a pas grand chose à envier à ses homologues européens, My Dying Bride en tête. Mais aussi immersif soit-il, Solinari exige de notre part un abandon total pour être apprécié à sa juste valeur. D'après Jeremy Peto: "Cet album est une expérience beaucoup plus forte pour l'auditeur s'il l'écoute détaché de tout, s'il est replié sur lui-même et que rien ne parasite son propre monde. (...) Je recommande à certains d'être complètement stone afin d'éveiller leur esprit et se laisser plus facilement embarquer." (dans Hard Rock mag).

Notez que la version collector de Solinari contient un sampler comprenant pas moins de 21 morceaux. Vous connaissez le label, pas besoin de vous faire un dessin, la plupart des groupes versent dans le death/grind. Relapse a par ailleurs réédité les 2 premiers albums de Morgion en 2008 sur un double CD agrémenté de versions demos et de l'EP Oceans Without Shores, complément indispensable à Solinari. Intitulé The Relapse Collection, il est lui aussi disponible en streaming intégral sur bandcamp.
N'hésitez pas à vous confronter à Solinari, un classique du doom/death signé Morgion.

Solinari + Among Majestic Ruin =




Rédigé par : forlorn | 1999 | Nb de lectures : 2011