J'me souviens, à l'époque je portais une casquette rouge, un t-shirt KoRn, des baggy et j'étais un sacré gringalet avec un bide à bière. Bref j'étais « Le Jeune » de la pub pour la pose.. J'étais allé voir Negate, un groupe de potes qui ont eu leur petit succès à l'époque, et sur l'affiche, en première partie du plateau présenté ce soir-là, il y avait ce groupe d'edge-metal bruxellois dont je n'avais jamais entendu parler. Je vois un petit bonhomme entrer en scène, jogging Lacoste immaculé, Nike Air Max au pied, veste en simili cuir et petite casquette blanche sur le ciboulot. J'me dis que leur roadie à une drôle de gueule, que le concert de Puff Daddy c'est pas ici et j'me marre tout seul, ma binouze à la main, très fier de ma blague. Puis le petit bonhomme en question s'empare du micro et après un « 1-2, 1-2 check ! check ! » de rigueur, lâche un cri d'une violence et d'une haine encore inconnue à mes oreilles. Mais merde c'est pas le roadie c'est Baldur, chanteur d'Arkangel. J'étais stupéfait de voir un p'tit gars de mon âge capable d'une telle performance vocale. De ce soir-là, je ne me souviens que du set d'Arkangel. Je découvre aussi les karatékas musicaux, le militantisme du hardcore, le straight edge, tout un univers qui m'était totalement étranger à moi, petit néo-metalleux qui pogottait dans les boums pour épater, sans succès, les filles. Dès la fin du set je me jette sur leur merch et en ressort avec l'album « Dead Man Walking ». A partir de ce soir-là, Arkangel serait mon groupe à moi tout seul. J'ai écouté cet album tous les jours pendant les deux années qui suivirent. Pour la petite histoire j'ai racheté l'album deux fois depuis. Et on dit que les CD ne s'usent pas...

L'écoute de « Dead Man Walking » m'a vraiment transfiguré, au sens premier du terme, et pas seulement musicalement. Cet album m'a changé en tant que personne, en tout cas y a fortement participé. C'est à la lecture des textes de Baldur, « In The Embrace Of Truth » en particulier, que je décidai d'embrasser la cause des 3 « X » et du végétarisme. Musicalement, « Dead Man Walking » reste l'album le plus dingue que j'ai pu écouter. Des riffs si aiguisés qu'ils tranchent les tympans, des moshparts à faire kicker un homme-tronc et cette voix ... cette voix qui semble arrachée aux forceps de la gorge d'un lutin démoniaque. Une voix aiguë et grave à la fois, coléreuse, haineuse et revancharde. Quelque part entre le phrasé hardcore et le timbre black metal. Aujourd'hui encore, pour moi, c'est la voix parfaite d'un album parfait en tout point. J'ai beaucoup parlé de Baldur jusqu'ici mais le véritable artisan, le maître d'œuvre derrière cette totale réussite, c'est Numa, guitariste et principal compositeur de « Dead Man Walking », qui mixe Slayer, Morning Again, des influences death metal et bien sûr, le hardcore le plus classique. Son jeu de guitare si particulier, qui écorche l'auditeur tellement ses notes sont acérées. Ce n'est plus de la musique, c'est de la chirurgie. Ce n'est plus une guitare c'est un scalpel qui fait ressentir chaque note, chaque accord, chaque moshpart. Son sens du riffing aussi, avec des riffs tous plus imparables les uns que les autres. On pense entendre la bombe de l'album, le titre ultime, la tuerie définitive, et chaque fois, le morceau qui suit vient tout latter derrière. « From Heaven We Fall », « Written In Black », « Behold The Face Of Dead », « Fearfull Eyes », « Within The Walls Of Babylon »,... aucun morceau n'est à jeter, aucune note n'est superflue, aucun mot n'est de trop. Mais « Dead Man Walking » c'est un son aussi, un son que le groupe ne retrouvera plus jamais dans le futur. Une production sur le fil du rasoir, coupante, tranchante qui vivifie plus encore les riffs apocalyptiques de Numa. Mes oreilles sont changées à tout jamais.

Mais un album, ce n'est pas que de la musique, c'est un tout, un univers cohérent, une histoire qui est racontée. De la jaquette à la dernière note, tout doit être en symbiose, aller dans le même sens, chaque détail doit mettre en valeur celui qu'il précède et préparer celui qui va suivre. Et là encore, « Dead Man Walking » est une réussite totale. Une jaquette noire comme l'Enfer, ce visage si sombre, en très gros plan, dont on distingue à peine les traits. Que dire de ce bourreau dans son habit blanc maculé du sang des bêtes égorgées à la chaîne. Plus qu'une photo gore gratuite comme on en trouve des milliers dans le milieu goregrind, cette illustration fait office de note d'intention pour le groupe. L'homme est violence, l'homme est sans pitié, l'homme est l'ultime prédateur, l'homme est un monstre. On est à des lieues de la provoc' de pacotille, du jus de framboise, des torchages de cul avec la Bible sur scène et des 'fuck everything'. ARKANGEL est là pour la baston, pour la guerre, pour défendre sa cause. On peut trouver ça naïf, mais moi j'y ai vu la lumière. Les paroles semblent écrites dans le sang et le soufre, tout en métaphores mystico-bibliques. L'autre pilier de l'image du groupe : les anges, les démons, les métaphores bibliques, tout ça constitue l'univers d'Arkangel. Sans parler des samples, tiré du film « The Prophecy », narrant la guerre entre des anges et des démons, qui rajoutent une couche de désespoir, de désenchantement, de violence et de cohérence à l'univers « Dead Man Walking ». Je me suis pris une claque comme jamais. C'est « Dead Man Walking » qui m'a ouvert au edgemetal et au mode de vie qui est toujours le mien aujourd'hui. Forcément, quand vous lisez des paroles telles que "I am not tempted by your paradise of lies. Never will I fester in the bowels of decadence. Committed to nobility for a higher destiny. In the embrace of truth belongs my heart and soul. I walk the path of righteousness... My quest for justice is enlightened by the blazing sun of harmony. I refuse to partake into man's craving for luxury.A desire fueled by the flames of greed. In this world, nether culture is a legacy of prejudices against no human animals...In this world, nether culture is a legacy of prejudices against no human aminals." Ben ça vous marque un homme. En tout cas, moi ça m'a marqué à un point tel qu'à l'époque, je les recopiais partout où je passais, sur les bancs de la fac, dans mes cahiers de cours, etc, etc. D'ailleurs à l'époque, je n'avais pas assez de sous pour m'acheter un lecteur de CD portable, du coup je m'étais copié l'album sur K7 et je l'écoutais tous les jours dans le bus pour aller à l'école.

Aujourd'hui encore c'est un disque que j'écoute souvent, qui n'a pas vieilli, qui n'a toujours pas trouvé d'équivalent et qui me suivra toute ma vie. A la suite de cet album, la moitié du groupe, dont Numa, décide de quitter le navire, déçu de la tournure que prenait la vie du groupe et de l'évolution humaine de leurs collègues musiciens, abandonnant peu à peu le mode de vie straight edge. Preuve d'intégrité supplémentaire, il préféra abandonner son bébé. Le début de la fin pour le groupe, qui ne retrouvera plus jamais sa hargne et son univers. De nouveaux membres sont arrivés, mais je ne me reconnais plus dans ce qu'est devenu le groupe aujourd'hui. Pour moi, ARKANGEL c'est « Prayers Upon Deaf Ears » et « Dead Man Walking ». Le ARKANGEL que j'ai adoré et qui a totalement modifié mon univers musical est définitivement mort et enterré, mais « Dead Man Walking » lui, reste le meilleur album de « metalcore » de tous les temps.


Rédigé par : Seb On Fire | 1999 | Nb de lectures : 2196