MEGADETH - Cryptic Writings (Capitol) - 09/03/2013 @ 21h25
Après le faste tonitruant des années 80s, vinrent le désenchantement et les clivages des années 90s. Les uns après les autres, nos héros de naguère se rendaient coupables, aux yeux des plus intransigeants, d'une insupportable trahison. Miser sur l'efficacité en simplifiant les structures des morceaux? Privilégier les mélodies au détriment de l'agressivité? Diluer son metal en incorporant d'autres influences musicales? Mais vous n'y pensez pas malheureux! Et justement ils ont été nombreux à y penser, mais si le résultat n'a pas toujours été à la hauteur, ils ont globalement bien fait. Ce n'est pas en resservant éternellement le même album que les meilleurs ont construit leur légende. Bien loin de dénigrer ou nier en bloc, j'ai toujours considéré cette attitude, cette façon d'aller de l'avant comme une preuve de maturité, un passage obligé, une façon de distinguer les bons groupes des grands. Tant que la démarche est sincère et le résultat convaincant, il n'y a pas de raison de cracher dans la soupe. Et puis entre les classiques dont on ne se lassera jamais et la créativité de plus en plus débridée de la nouvelle génération, franchement y avait de quoi satisfaire tout le monde.

Fan de la bande à Dave Mustaine depuis la sortie de Countdown to Extinction, j'ai de nombreux souvenirs (encore très nets) de ce qu'on pourrait appeler 'nos années Megadeth'. Mais lorsque Cryptic Writings est sorti, le constat s'est imposé de lui-même: on était tous passés à autre chose. Depuis quelques temps je découvrais avec avidité les merveilles de l'underground européen, les sorties Holy records et Century Media remplaçant la scène alternative et le catalogue Roadrunner... d'où un léger 'contraste'. C'est que l'eau a coulé sous les ponts depuis le formidable Youthanasia paru en octobre 1994. Rappel des faits. Megadeth au complet assure sa promo avant de s'embarquer pour une tournée mondiale de pratiquement 1 an. Youthanasia cartonne, notamment en France, et le groupe se retrouve en tête des sondages de l'époque. Capitol fait son job et relance les ventes en sortant en février le making-of en VHS (Evolver), suivi à l'été d'une compilation de reprises et de titres hors-albums judicieusement nommée Hidden Treasures. D'abord sortie chez nous en bonus d'une réédition de Youthanasia, cette compilation fera un bide, obligeant les acharnés à privilégier l'import. Après avoir été sur tous les fronts en 1995, les Américains prennent une année sabbat(h)ique, histoire de recharger les batteries.

Dans ces cas là, les ragots vont bon train, d'autant que la longévité du line-up ne cessait d'étonner (déjà 7 ans depuis le classique Rust in Peace). Split, départ, éviction... vous connaissez la chanson. Mais de tout ça la bande à Mustaine n'en a cure. L'année 1996 est pour eux synonyme de liberté et de plaisir solo. Le grand rouquin dégaine son side-project MD. 45 comprenant Lee Ving (chanteur de Fear, figure du punk californien) et un certain Jimmy DeGrasso à la batterie (ex-Alice Cooper et Suicidal Tendencies). Au croisement du metal et du punk, l'album The Craving s'inscrit dans la tendance de l'époque (voir Undisputed Attitude de Slayer) mais relève de la bouse anecdotique. A noter que Dave Mustaine a récupéré le chant à son compte sur le remastering de 2004. Quant au guitar-hero Marty Friedman, assisté (entre autre) par le batteur Nick Menza, il propose son 4ème album solo:
True Obsessions. Le bassiste David Ellefson ferme la marche avec la parution du livre Making Music your Business, décrivant sa vision du milieu, son fonctionnement, ainsi que les pièges à éviter. Les 4 membres de Megadeth auraient pu se reposer sur des lauriers aussi mérités que durement gagnés, mais il n'en a rien été.

Cryptic Writings donc, un album qui n'a cessé de surprendre avant même qu'on ait pu en entendre une seule note. Le premier fait marquant, c'est le départ du groupe pour Nashville. Ceux qui ont connu l'époque Youthanasia savent qu'après s'être établi en Arizona (laissant les excès californiens derrière eux), Megadeth y a finalement construit son propre studio. C'est la question du producteur qui est à l'origine de ce choix d'aller enregistrer dans la capitale de la country. Exit l'emblématique Max Norman, en charge du son du groupe depuis le mixage de Rust in Peace, au profit de Dann Huff, guitariste de Giant et requin de studio régulièrement sollicité par les grands de la pop US (Michael Jackson, Whitney Houston). Dave Mustaine n'a pas été avare de compliments à l'époque: "Ce type a une oreille extraordinaire. (...) Dann nous a montré ce qu'était vraiment le très haut niveau professionnel de ce métier. Ça va au-delà du simple perfectionnisme. Plus une question de savoir-faire. Cryptic Writings représente l'accession de Megadeth à la professionnalisation." (dans le n°35 de juin 1997 de Hard n' Heavy)


Ce 7ème album studio aurait du se nommer Needles and Pins, mais le design prévu n'ayant pas fait l'affaire, le groupe s'est rabattu sur un autre visuel, optant du coup pour l'intitulé Cryptic Writings. C'est un échec artistique pour Megadeth. Hugh Syme nous avait vraiment habitué à mieux (Countdown et Youthanasia) et fait presque insulte aux oeuvres passées d'Ed Repka (Vic Rattlehead bordel!). Tant pis, voyons plutôt la musique. Tous les signes laissaient présager une évolution 'radio friendly' de Megadeth, ce que confirme le 1er single Trust. Ce petit frère du fameux Angry Again (paru en 1993 sur la BO Last Action Hero) dévoile un groupe assagi et apaisé, sonnant désormais plus hard que metal, avec un gros boulot sur le son et les arrangements. Un véritable tube qui ne manque pas de qualités: riff et refrain mémorisables, la patte Friedman aux soli, la batterie de Menza (l'intro)... Cependant quelque chose cloche. Trust donne le ton d'un album où le bon côtoie le mauvais. L'évolution est naturelle, on sent que le groupe se fait plaisir, mais tout ne fonctionne pas et surtout ce n'est pas ce que les fans de Megadeth veulent entendre.

Cryptic Writings démarre assez mal avec un enchaînement de morceaux propre à décourager la plupart d'entre nous. Loin de la hargne démonstrative des débuts ou encore de la gravité classieuse entendue sur Youthanasia, les premiers titres développent une série de tics rebutants: Almost Honest et son refrain horripilant, Dave Mustaine qui en fait des caisses au chant sur Use the Man ou encore Mastermind et son riff qu'on croirait emprunté à Joan Jett. La frénésie de The Disintegrators surprend, mais ce morceau sonne assez creux et ne restera pas dans les annales. Alors certes c'est très bien joué et produit. Le groupe varie humeurs et tempos. Les choix d'arrangements, même s'ils sont parfois discutables, apportent un vrai plus. En boostant la basse de David Ellefson dans le mix, Dann Huff a emmené Megadeth à un niveau de groove encore inédit. Dave Mustaine n'avait d'ailleurs jamais accordé autant d'espace à son fidèle comparse. Les structures sont aérées et les couplets taillés sur mesure. Donc oui, il y a de bonnes choses, mais devoir attendre le 6ème titre (I'll Get Even) pour le constater c'est trop. A mon sens les derniers morceaux sauvent Cryptic Writings du naufrage dans les eaux boueuses d'un hard FM racoleur.

On reste dans le subjectif le plus total, mais I'll Get Even me parait plus profond et consistant que ses prédécesseurs. Le final de Sin nous renvoit brièvement à Youthanasia, avec des riffs un peu plus appuyés et un Marty Friedman volubile. On passe aux choses sérieuses avec A Secret Place et ses parties de sitar (joué par Mustaine). Bonne densité, de l'émotion, un gros refrain, Friedman aux soli... l'un des hits de l'album. Have Cool, Will Travel remporte la palme du morceau le plus groovy. Du riffing à l'harmonica vif argent en passant par la mélancolie du refrain... que du bon. Même chose pour She-Wolf et son final 'maidenien'. Le genre de titre avec la pêche et le mood qu'on s'attendait à trouver chez un successeur de Youthanasia digne de ce nom. Vortex enfonce le clou avec encore un gros riff, du groove et de l'énergie. Quant à FFF, Megadeth nous refait le coup du titre speed. S'il est plus inspiré que The Disintegrators, c'est un choix curieux que de l'avoir placé en conclusion d'un album aux prétentions FM assumées. Mais soit, pourquoi pas.


Succéder à une trilogie de légende (Rust/Countdown/Youthanasia) était un défi presque impossible à relever. L'évolution naturelle de Megadeth vers des rivages plus cléments était prévisible et s'inscrit dans un contexte alors peu favorable au thrash. Cryptic Writings était sans doute une étape inévitable, mais elle leur aura coûté très cher. Non content d'être le dernier album de la formation la plus emblématique (et prolifique) de Megadeth, Cryptic Writings marque le début d'une assez longue traversée du désert pour le groupe de Dave Mustaine qui connaîtra même un court split (2002-2004). Reconnaissons néanmoins certaines qualités à un opus sincère mais partiellement loupé. Car on est bien d'accord, il y a largement mieux à écouter (comme Demonic ou l'exceptionnel Nemesis sortis à la même époque).


Rédigé par : forlorn | 1997 | Nb de lectures : 4356


Auteur
Commentaire
6trouille
IP:88.162.147.74
Invité
Posté le: 09/03/2013 à 23h49 - (29030)
Ahhhh, souvenir d'un saut à la Fnuc et d'un retour à la maison un soir de 97 avec Dusk and her embrace, Accident of Birth et Cryptic writings.
3 albums complètement différents et 3 bombes dans leur genre. Pas un ne m'a déçu !
Depuis je n'ai PLUS JAMAIS ramené 3 disques excellents d'un seul coup. :-(

J'ai accroché immédiatement à cet album grâce à Trust et Almost Honest, étonné mais finalement content qu'ils aient pu réécrire des trucs aussi catchy. Fan depuis 87 et bien qu'attendant continuellement un Peace sells 2, oui j'ai aimé être "racolé" par ce disque. :-))))))
L'album est plus lisse encore que Youthanasia mais je me suis dit dès la piste 2 : "les enfoirés ! ils ont encore réussi leur coup tout en étant encore plus easy listening !".
Le songwriting est ENORME ! La prod est meilleure que jamais et groove effectivement du tonnerre.

Contrairement à toi, Forlorn, je trouve que les morceaux plus dispensables figurent en queue de wagon (Have Cool Will Travel, Vortex, FFF - le motorbreath du pauvre), sans ça l'album avait tout pour être concis, homogène, imparable et plus digeste.
Pas du Megadeth hyper intègre, c'est vrai, mais une incursion franchement réussie vers un côté encore plus pop. Ils l'ont fait, et BIEN fait.
Ensuite Risk (bien foutu mais reniant trop le passé) m'a fait me désintéresser de Megadeth jusqu'à The System Has failed, album que je n'espérais plus. J'ai essayé d'apprécier tous les albums sortis après System, mais peau de zob ! rien ne trouve grâce à mes yeux.
Alors OK, sur Cryptic on trouve un Megadeth un peu édulcoré mais pour moi la qualité d'écriture est indéniable et ils ont parfaitement réussi à adoucir le propos tout en restant addictifs (rythmiques superbes, riffs nickels, voix immédiatement identifiable et fédératrice, etc.). Pour moi c'est l'avant dernier disque sympa du groupe et surtout la fin de leur meilleur line-up.
Avec une pochette un peu moins moche... peut-être que...

En tout cas merci pour cette chro !
Je vais me refaire péter ce disque immédiatement, en sachant pertinemment qu'il me sera impossible de ne pas headbanger dès que la rythmique de "Trust" va retentir.
Au passage : pas de version remaster pour bibi. Se faire sucrer des intros (Use the man) ou remplacer des lignes de chant, NO WAY !

pj666
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 01h14 - (29031)
Tout à fait d'accord avec toi 6trouille !

Pour moi un excellent album avec une énorme prod et qui a mieux vieilli que Youthanasia.



hammerbattalion
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 01h48 - (29032)
Quant à moi je tempère, d'abord, excellente chro et je pense pareil sur à peu près tout, cette pochette est nulle, MD 45 est une bouse monumentale (l'un des rares skeuds achetés qui a pris la poussière au bout d'une demi écoute), Hidden Treasures est indispensable. Cet album m'a bien plu à sa sortie, puis plus rien, à part She-Wolf, à la limite je préfère Risk, au moins ils n'ont pas fait les choses à moitié. Il y avait tellement de trucs plus excitants cette année -là. Je les ai vus au Zénith sur cette tournée et je suis content d'avoir vu le line up classique.



MADTRASH
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 03h37 - (29033)
j'ai eu un peu de mal avec cet album a l'epoque , et maintenant , je le trouve tres bon . il a mieux veillit que youthanasia ( a mon gout ) .
il revient regulierement dans la platine .

ego
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 06h11 - (29034)
Ce rendez-vous dominical me plait vraiment, super chro encore une fois, c'est mieux que la messe, c'est la Megamesse.

Mais je serais plus enthousiaste, certes Cryptic... n'est pas Youthanasia mais il a une patte bien particulière qui fait que l'album tient la route. Les premières écoutes ont été un poil déconcertantes, mais passée la surprise de voir le groupe se la jouer groovy et bluesy, il reste d'excellents titres et une inspiration encore bien présente à la différence de la suite (je mets également The system has failed à part).

Je croise les doigts pour que Dave nous ponde tout de même encore quelques albums de cette trempe. Je saurais m'en contenter !



SKOM
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 12h30 - (29043)
je me rappelle parfaitement de l'époque...et je les ai vus en juin 97 à l'Elysée montmartre, au premier rang ! il va s'en dire, le meilleur concert de Megadeth perso !
Excellent album avec effectivement deux ou trois bémols mais franchement, rien que Trust en intro, ça tue...
T'as oublié de préciser: FFF... c'est un peu Motorbreath !! Tout le monde en parlait à l'époque...
`pour finir: 97: grande année puisque j'ai vu Megadeth et les Mets à l'eysee !!!



Youpimatin
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 15h20 - (29046)
Je ne suis pas du tout - mais alors pas du tout - fan de Megadeth et pourtant j'adore cet album (ainsi que Risk)...
Enorme prod. et surtout grosse leçon de composition et d'arrangements.

Chro complète une fois de plus



only4theweak
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 16h54 - (29048)
un des mes albums favori de Megadeth, je l'écoute encore régulièrement. vu aussi à l'Elysée en 97, dois avoir le bootleg qui traîne quelque part m/



Me7aL27
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 19h26 - (29049)
Un des bons albums de Megadeth, et qui veillit plutot bien (bien mieu que Youth. en tout cas). Meme si on est bien loin des meilleurs galettes de Mustaine ca reste un album de qualité avec de bon Hits et quelques perles bien speed.



jplepecheur
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2013 à 22h18 - (29051)
Malgrès un côté easy listening, ce disque a une rééle profondeur dans son écriture.
La production est simplement magnifique cela apporte de la densité à la musique de Megadeth.

forlorn
Membre enregistré
Posté le: 31/07/2015 à 13h46 - (31717)
Dépoussiérage de la chronique avec une nouvelle mise en page et l'ajout de 2 clips (Trust et A Secret Place).

Sinon je réponds (plus de 2 ans après):

@ 6trouille: En fait je me suis mal exprimé, plutôt que d'écrire "la fin de l'album" j'aurais mieux fait de préciser "la 2nde partie". Pour éclaircir mon propos voici mes préférés:

1. Trust
2.
3.
4.
5.
6. I'll Get Even
7. Sin
8. A Secret Place
9. Have Cool, Will Travel
10. She-Wolf
11.
12.

@ SKOM: C'est vrai que j'ai fini par zapper le rapprochement FFF/Motorbreath (dont il est question dans l'interview de Hard n' Heavy), mais continuellement évoquer les Four Horsemen dans les chroniques de Megadeth... Bof. Mustaine faisait parti de Metallica et composait pour le groupe à l'époque de Motorbreath. A mon sens ce clin d'oeil n'a rien de choquant, même s'il n'apporte rien musicalement parlant.

Pour conclure je confirme le propos de jplepecheur: Dann Huff a fait un boulot vraiment remarquable, offrant à Cryptic Writings la meilleure production que Megadeth ait jamais eu.



RunForestRun
Membre enregistré
Posté le: 28/08/2015 à 17h01 - (31735)
J'ai eu la "chance" d'assister à une partie des balances de ce fameux concert à l'Elysée Montmartre de juin 1997. Il y avait un peu de monde (une dizaine de personnes) et ça a saoulé Mustaine, qui a demandé à son tour manager de virer tout le monde.

Le concert lui même était fabuleux, le meilleur que j'ai vu du groupe à ce jour.

A peu près à la même période (le même mois ?), Rammstein, qui n'en était qu'à son second album et n'avait pas encore atteint sa notoriété d'aujourd'hui, atomisait la salle avec un show dont je me souviens encore (et le lance flamme qui a cramé quelques cheveux dans le public...).

Belle époque !!

Quant à Cryptic Writting, je le trouve anecdotique et il marque la fin du grand groupe que Megadeth était jusqu'alors.






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