Lorsqu'on s'intéresse au metal portugais, on se rend vite compte que Moonspell n'est que l'arbre qui cache la forêt. Si la plupart des grandes familles du metal sont représentées, une semble se démarquer par sa constance et sa qualité, c'est la scène dite 'gothic doom', qui envoit des représentants au charbon à intervalle régulier depuis près de 20 ans. Pour schématiser on peut parler de 2 vagues, la première ayant essuyée les platres mid 90s au profit de la seconde bénéficiant des avantages d'internet. Des pionniers on retiendra notamment Desire, Heavenwood, Inhuman ou encore Obscenus, quant aux suivants, Before the Rain, Process of Guilt, Witchbreed et bien sûr Ava Inferi sont les plus dignes d'intérêt. Aujourd'hui coup de projecteur sur cette scène méconnue et plus particulièrement sur un musicien de l'ombre aux convictions affirmées: João Paulo Farinha dit Eclipse.

A ses débuts, ce guitariste se partage entre 2 formations éphémères qui ne vont pas dépasser le stade des Demos: Rotten Corpse (thrash/death) et My Iced Beloved (black/doom). Vers 1997 Eclipse rejoint Desire (doom/death) dont le 1er album Infinity... s'est fait remarquer chez nous à la faveur d'un titre placé sur un sampler Metallian (une outro pourtant). Mais loin de se satisfaire de cette seule implication, le Portugais a d'autres ambitions qu'il concrétise peu après en montant sa propre formation: Thragedium. Son objectif? Intégrer des éléments issus du folklore traditionnel à une base doom. S'arrogeant une multitude d'instruments à cordes, il s'entoure de 4 musiciens pour enregistrer en novembre 1999 un 1er EP masterisé en Finlande par le fameux Mika Jussila dans son non moins fameux Finnvox studio. Pourtant ce 1er effort restera dans les cartons le temps pour Thragedium de se roder en concert (1ères parties de Faith & the Muse, Garden of Delight et Lacrimosa) et d'enregistrer un titre supplémentaire en février 2001. Cette fois Theatrum XXIII est prêt à sortir, mais il faudra quelques mois de plus avant d'entendre parler du groupe en France (Metallian n°28 du 3ème trimestre 2002).

Outre l'esthétique soignée du digipack (acquis pour une bouchée de pain), un certain nombre de détails ont attiré mon attention: le featuring de Fernando Ribeiro de Moonspell sur le dernier titre, le fait inhabituel que 10% des ventes du CD soient reversés à une association de sauvegarde/réimplantation du loup au Portugal et donc l'usage d'un grand nombre d'instruments à cordes par Eclipse (guitares électriques, acoustiques, folk, portugaise, mandoline, ukulele...). Rien que sur le papier ça se présente bien non? Décrire le metal de Thragedium est assez simple, mélangez à du Paradise Lost époque Shades of God des influences doom trad. pour le chant et de nombreux arrangements électro-acoustiques inspirés du folklore portugais et vous y serez. Notez aussi qu'ils sont 2 dans le groupe à se partager le chant: Ricardo 'Max' Souza dans un registre clair de caractère, associé au guitariste rythmique Nuno Cruz (ex-Rotten Corpse et My Iced Beloved) dans un style rocailleux quasi-death. Leurs parties systématiquement doublées contribuent à donner un certain cachet à Theatrum XXIII.


Avec ses percussions et ses choeurs guerriers ('hey'), l'instrumental Cupidus Gloreae sonne assez médiéval et introduit parfaitement le 1er véritable morceau, The Flame of Draconis. Ce titre donne le ton et nous permet d'éprouver les spécificités énoncées plus haut. Production de suffisamment bonne qualité, compositions inspirées, richesse mélodique, variété du chant, bref du tout bon. Chaque instrument trouve sa place au sein de morceaux peaufinés. Le seul bémol vient des parties de batterie de César Fereira mixées trop en retrait à mon goût. The Hammered Crown lorgne assez franchement sur le Shades of God de la bande à Gregor Mackintosh, ce qui n'est pas pour me déplaire (le break central). Quant à Thragedium, ce titre en 2 parties est le point d'orgue de Theatrum XXIII, grâce notamment à un sublime final épique. Retrouvez ce morceau en fin de chronique, vous m'en direz des nouvelles. L'intimiste et instrumental Das Eclipse Lied Für... fait retomber la pression avant une nouvelle perle en 2 parties, le magnifique Draco Symphonium. Très contrasté, ce morceau fait étalage du savoir faire des Portugais avec une basse de José Ramos plus présente que jamais. Formidable vraiment.

Après avoir passé en revue les 6 compositions enregistrées en 1999, il est temps d'aborder le morceau bonus.
O Espirito do Tejo n'est placé qu'en 23ème plage sur le CD, il faut être patient ou avancer manuellement pour l'entendre. Cette composition entièrement acoustique s'étire sur presque 10 minutes, avec l'océan en bruit de fond. Les textes empruntés au fameux poète Fernando Pessoa (voir wikipedia) sont déclamés par un Fernando Ribeiro de Moonspell habitué à citer cet auteur (voir ma chronique de l'album Irreligious). Une conclusion atmosphérique idéale pour un enregistrement au goût de trop peu ou plutôt de reviens-y. Eclipse et ses comparses ont réussi leur pari, Theatrum XXIII est une réussite. Mais faute de distribution et de promotion, ce superbe album passera inaperçu. Il s'agit pourtant de l'un des meilleurs enregistrements de metal portugais et je pèse mes mots. En 2003 le groupe accouchera dans la douleur d'un 2ème opus (avec une nouvelle participation de Fernando Ribeiro), Isolationist, un temps placé en libre téléchargement, mais de cet opus nous discuterons une autre fois...
Si vous aimez le doom metal racé et les parties de guitare acoustique de qualité, je ne saurais que trop vous conseiller Thragedium et son Theatrum XXIII.

- Thragedium • Ad Arma Vocare (Part 1 & 2) : voir ICI
- O Espírito do Tejo (feat. Fernando Ribeiro) : voir ICI




Rédigé par : forlorn | 2001 | Nb de lectures : 2059