Si j'avais du nommer mon activiste préféré de l'underground français pour l'année passée, j'aurais probablement choisi Arno Strobl (aka Rahahaaz), et ce pour 2 raisons majeures. La 1ère c'est Combat Nasal. Avec l'aide de son pote Mazak, ce passionné nous offre régulièrement depuis 2010 le fruit de ses découvertes par le biais de compilations placées en téléchargement libre. Un mélange de flair et de générosité désintéressée que je ne peux que saluer et que je vous encourage à découvrir. [voir les interviews ou le sujet dispo dans la rubrique 'vos news' du forum... le moteur de recherche est votre ami.] La 2ème raison se nomme Giggles, Garlands & Gallows. A mon sens, la collaboration d'Arno Strobl avec les très prometteurs 6H33 a débouché sur l'une des meilleures sorties françaises de 2012 (voir la kro de pamalach). Ce formidable EP a suscité mon enthousiasme (au passage le clip est génial) par ses qualités et influences, au rang desquelles on retrouve Faith No More et bien sûr Carnival in Coal... Entrez le carnaval, joignez vous la fête?

Tous ceux qui ont croisé la route d'Axel Wursthorn (musicien/producteur) et Arno Strobl (chanteur polymorphe) vous le confirmeront, quoi qu'on en pense, impossible de rester de marbre à l'écoute de leur tambouille ou à la lecture de leurs désopilantes interviews. Dès ses débuts, Carnival in Coal a su se faire remarquer en plaçant un titre de sa Demo (Sramik) sur un sampler de Hard Rock mag (n°23 de mai 97 avec Angra en couv). En dépit d'un niveau particulièrement relevé, nos 2 compères ont remporté haut la main la palme de l'originalité tant musicalement (le fendart She-Male Whoregasm) que dans la démarche. Les textes contre une photo de vos parties génitales... warf qui l'a fait? Alors certes ils n'ont pas loupé leur entame, mais qui aurait pu imaginer le raz de marée qui allait suivre moins de 2 ans plus tard? Car qu'on se le dise, 1999 a été l'année Carnival in Coal. Dès janvier les Amiénois font sensation avec leur exceptionnel et cultissime 1er album, Vivalavida (voir la kro de la réédition par VsGreg), qui se fait entendre jusqu'en Norvège, Shagrath de Dimmu Borgir peut en témoigner.

Les curieux se demandent peut-être quelle recette miracle Carnival in Coal a pu utiliser pour se faire à ce point remarquer. Réponse de Nicolas Radiguet qui écrivait dans HRM à propos de Sramik: "S'ils attestent de la dimension fun du groupe, les textes gorgés d'humour caustique et l'utilisation d'instruments singuliers ne phagocytent pas un travail d'écriture remarquable. Arriver à intégrer de manière sensée tous ces éléments hétéroclites à du metal extrême impose le respect. (...) On a affaire à de vraies chansons et non un patchwork d'expérimentations sans finalité." Une réussite telle que CinC ne parviendra pas à égaler la richesse et la fraîcheur de cet incroyable premier opus. Mais l'année 1999 n'est pas achevée que les gaillards reviennent à la charge. En novembre sort l'enregistrement qui nous intéresse ici: l'album de reprises French Cancan.

Si certains avaient loupé She-Male Whoregasm, peu échapperont au buzz crée par Maniac (reprise du thème du film Flashdance), proposé en avant-première dans un Hors-Série extrême de HRM, lui aussi devenu référentiel (avec Emperor et Immortal en couv). En dépit d'un sommaire impressionnant de qualité et de diversité, c'est le fameux blind test de CinC qui m'a personnellement le plus marqué. Morceaux choisis:

"A l'époque ma chambre était tapissée de posters d'eux. Ma mère a d'ailleurs craint pour ma sexualité. Ils ont été successivement remplacés sur mes murs par Anthrax, Faith No More, Julia Channel et maintenant par Philippe Séguin." (à propos de Mötley Crüe) /// "Avec sa voix et son phrasé impeccables, il gagnerait à s'entourer de quelques compositeurs choisis. Qu'il nous contacte on verra ce qu'on peut faire." (à propos de Will Smith) /// "Un de mes albums préférés que ça soit pour sa production ou son côté expérimental et aérien. C'est un disque pour voyager, allongé sur son pieu, contrairement au dernier Belladonna qui, cependant, voyage rudement bien si on le lance avec élan!" (à propos de The Young Gods) /// "Il est à toi ce disque? Eh bien comme je suis visiblement plus fort que toi tu vas me le donner." (à propos de Dark Funeral)

Rentrons dans le vif du sujet, French Cancan donc. Si Mazak ou Rahahaaz passent dans le coin, l'un d'eux nous éclairera peut-être sur le choix du visuel, que je trouve franchement contestable. J'aurais préféré la photo interne du digipack (Axel et Arno dos à dos les yeux et la bouche scotchés) plutôt qu'un type anorexique et adepte d'automutilation (s'il s'agit de ça). La symbolique m'échappe et de fun il n'est ici pas question. Pour améliorer l'ambiance rien de mieux que de passer à la musique. French Cancan comporte 2 compos originales et 7 reprises pour un total de 9 morceaux. L'art de la reprise est un exercice plutôt casse-gueule qui dans le cas du metal relève le plus souvent de la facilité et du ratage. Si des tribute-bands tels que Symbolic s'en sortent admirablement ou qu'une reprise fait toujours plaisir en live, en studio c'est une autre histoire. Mieux vaut s'approprier une composition afin de l'accommoder à sa sauce. A ce jeu là nos 2 trublions ont fait très fort. Visez un peu la tracklist: Ozzy, Mickael Sambello, Afric Simone, Gerry Rafferty, Morbid Angel, Genesis et Pantera. Rien que ça oui.

Axel Wursthorn a une fois de plus effectué un boulot vraiment remarquable, tant dans l'instrumentation que la production. Preuve en est la fréquentation en hausse de son Walnut Groove dans les années qui suivirent. Gros riffs, arrangements mortels, grands écarts stylistiques et changements de rythmes aussi nombreux qu'imprévisibles, y en aura pour tout le monde. Les reprises metal se trouvent agrémentées de diverses trouvailles inattendues (Morbid Angel et ses arrangements de fête foraine maléfique) quand elles ne sont pas carrément méconnaissables (Pantera dans sa jubilatoire version coconut sur coulis de basse funky). Les reprises pop quant à elles subissent le traitement inverse, le metal restant le ciment de toutes les compositions de CinC. Outre Maniac, l'ouragan force 4 qui emporte tout sur son passage, on notera les arrangements et les 'babadoum' hilarants de Piranha ou le caractère plus posé de Baker Street. Concernant les inédits, Out of Misery propose un black/death symphonico-frénétique, alors que My Favorite Armchair verse dans un trip-hop ambient que les Norvégiens de Tactile Gemma auront sans doute apprécié.

Divers invités apparaissent sur French Cancan, parmi lesquels on reconnaît Betov d'ADX qui pose un solo sur Bark at the Moon (et qui reviendra pour Fear Not et Collection Prestige), Paul 'Toto' Banas (membre originel de Yyrkoon à l'époque de leur Demo) sur Maniac et Ludovic Loez de Sup(uration) sur Mama. Le seul bémol qu'on pourrait objecter au niveau de l'instrumentation concerne l'usage exclusif d'une BAR. Un poulpe tel que Dirk Verbeuren aurait été une valeur ajoutée appréciable. Outre son boulot d'arrangeur, si je ne devais retenir qu'une chose du travail d'Axel, ce serait ses talents de bassiste, car l'instrument est loin d'être pleinement exploité et suffisamment mis en valeur dans notre famille musicale. Quant à Arno, qu'il use de growls profonds ou de sa voix de crooner Pattonienne, il complète à merveille l'oeuvre de son instrumentiste.

Il y a 10 ans j'écrivais ceci: "Leur révolution musicale n'a certes pas l'envergure de groupes plus facile d'accès mais elle a le mérite de sortir de l'apathie une scène metal surpeuplée et sur le point d'imploser, la faute à un sectarisme intello-merdeux qui pourrait lui coûter très cher. Certains font de la musique, d'autres essayent, et parfois des OVNIS traversent le paysage musical, innovant et marquant durablement les esprits." Mes impressions ont résisté à la morsure du temps et je ne saurais que trop vous conseiller de suivre l'actualité de nos 2 zouaves. J'espère que la collaboration d'Arno Strobl avec 6H33 se prolongera et j'attends avec curiosité des nouvelles de The Lovotics le projet d'Axel Wursthorn avec Emmanuel Lévy de Wormfood. Pas vous?




Rédigé par : forlorn | 1999 | Nb de lectures : 2673