"Pray to the master that will suffice". Merci pour le conseil, Rob. En attendant l'heure du culte, allons faire un tour au Canada, sans cabane et sans Line Renaud. Le Canada, pour notre bonheur, c'est l'autre pays de la chanson française (car sinon comment expliquer les résidences de certains sur les plateaux de télévision, hein?), Roch Voisine, Déline Cion et je m'arrêterai là pour ne pas être déplacé dans "Forces parallèles". Or donc, Mélissa Theuriau(X) M6 et les "journalistes" seront ravis d'apprendre qu'il y a aussi du rock au Canada, et même du rap (ô sacrilège, ô blasphème, que Saint Drucker nous pardonne, le dos tourné devant tant de péchés). On en place une pour Mr Taddei, à propos de son émission sur l'underground et l'avant-garde, un groupe qui symbolisait tout cela et restera adulé, quatuor formé de Denis D'Amour, Michel Langevin, Denis Belanger et Jean Yves Thériault plus connus sous les pseudos de PIGGY, AWAY, SNAKE et BLACKY (une pensée aussi pour Eric Forrest), VOIVOD, oui France 3 aurait pu en parler, après tout il était 23h, pas de risque de choquer les inconditionnels de "la France à Ruquier". Bref, les pionniers du thrash metal canadien (venus pourtant de l'univers du rock progressif), Voivod, ouvrent le bal dès 1982, au Québec. La partie anglophone leur répond avec RAZOR, SLAUGHTER et SACRIFICE (pour les figures de proue, car on peut aussi ajoûter Infernal Majesty et d'autres groupes). Sacrifice qui possède un palmarès plus que correct pour un combo resté underground, qui n'a pas accueilli de légende en son sein, comme les petits camarades Slaughter (Chuck Schuldiner pendant quelques semaines): dix ans de carrière, quatre albums, "Torment In Fire" en 86, "Forward To Termination" en 87, "Soldiers Of Misfortune" en 1990 et "Apocalypse Inside" en 1993.

Pas assez fort pour M6, mon fils. Alors on va muscler la bio: Rob Urbinati, chanteur de Inhatred, a toujours voulu participer à la Star Academy, et... Retour à la réalité, c'est en 1983, à Toronto, que les choses se précisent avec la rencontre des guitaristes Joe Rico et Rob Urbinati. Le duo recrute dans un premier temps John Baldy au chant, Scott Watts à la basse et Andrew Banks à la batterie, puis Sacrifice, comme tout débutant se fait la main sur des reprises, mais pas de Polnareff ou Nicoletta, plutôt Black Sabbath, Exciter, Judas Priest voire Metallica. Très vite apparaissent des dissensions, entre les jusqu'au-boutistes et les modérés, ceci en même temps qu'une valse des batteurs. John Baldy s'en va (c'est sûr que préparer le duo du prime avec Yannick Noah en répétant sur "Ace Of Spades", c'est pas motivant, je plaisante bien sûr), Rob reprend le chant et Sacrifice optera pour la radicalité désormais. A noter que le dernier concert de Mr Baldy avec Sacrifice, est l'occasion d'une première partie d'un groupe glam local, Herrenvolk, avec un certain Sebastian Bach, le 12 janvier 1985 si vous voulez des détails.

Rob Urbinati et ses amis accueillent leur batteur définitif, Gus Pyn et enregistrent leur première démo "The Exorcism" (le tape-trading, ça compte à l'époque !) en juin 1985. Notons que c'est un certain Brian Taylor, membre du combo hardcore YOUTH YOUTH YOUTH et vendeur à Record Peddler (disquaire à Toronto) qui officie derrière la console, car il s'est fait les mains et les dents sur la démo de SLAUGHTER, et ce monsieur se retrouve aussi responsable du label Diabolic Force. Une première partie d'Exodus en août 85 confirme le statut de Rob Urbinati et cie comme valeur montante du thrash local, et le groupe signe chez Diabolic Force avant d'entamer l'enregistrement d'un 1er album, "Torment In Fire", qui ne sortira qu'au milieu de l'année suivante (1986), à peu près en même temps que "Reign In Blood" de Slayer.

Confrontation directe avec la concurrence, et pas le menu fretin du thrash metal, après tout c'est le test ultime pour un groupe ambitieux, s'il veut devenir le prince de la ville, si tu veux, quand tu veux..je crois que je m'égare, ceci dit on peut citer un exemple lointain, le "Enjoy The Violence" de Massacra est sorti la même année que "Blessed Are The Sick" de Morbid Angel, il me semble. On verra tout à l'heure si les tourments enflammés ont tenu quelques rounds face au règne ensanglanté, mais la boule de cristal de Maître S tient à nous révéler la suite des aventures de Sacrifice. Joe, Rob, Gus et Scott ne perdent pas de temps et se remettent à composer, résultat "Forward To Termination", le second album, qui sortira en 1987. Entre-temps, une série de concerts avec Megadeth ou King Diamond, une participation au No Speed Limit festival (au Spectrum de Montréal), aux côtés de Possessed, Agnostic Front. D.R.I., Aggression, et surtout une première incursion chez le voisin du Sud (comprendre les Etats-Unis) début 87, en première partie de Corrosion Of Conformity ou Straw Dogs. L'album "Forward To Termination" est un pas décisif vers l'avant puisqu'il bénéficie d'un vidéoclip pour le morceau "Re-Animation" et de deals internationaux (pour la distribution), via Metal Blade (USA) et Roadrunner (Europe).

Sacrifice participe au premier Milwaukee Metal fest avec Death Angel, Trouble, Nuclear Assault, Death, Hallows Eve, et la progression s'arrête là. Pas d'argent avancé par les labels pour monter (ou participer à) une tournée conséquente des Etats-Unis, malgré les offres de Bloddfeast ou de Death Angel, ou plus tard Hirax, en conséquence Sacrifice se contente de mini tournées dans le Midwest en compagnie de Nuclear Assault ou de dates canadiennes. Je rappelle qu'on est en 87/88, l'apogée du thrash metal et du crossover, le death metal commence à pointer son nez et les labels sont à l'affût de la nouvelle tendance, donc tant pis pour les "left behind", ceux qui ne sont pas signés, ou les poulains de Metal Blade, Roadrunner, New Renaissance ou Combat qui ne vendent pas assez. Sacrifice sortira "Soldiers Of Misfortune", toujours chez Diabolic Force, en octobre 90, tourne avec Razor au Canada, mais perd son batteur (Gus Pyn quitte le groupe).
Il est remplacé par un certain Mike Rosenthal, puis Darren Foster. Sacrifice décroche une seconde participation au Milwaukee Fest avec Cyclone Temple, Sepultura, Massacre, Deicide le 27 juin 1991, puis tourne aux USA (enfin...) avec Bolt Thrower et Believer à l'automne. "Apocalypse Inside", sorti en 1993, sera le chant du cygne pour le groupe, Scott Watts est viré, et malgré une tournée US en compagnie de Gorefest et Death, Metal Blade retire son soutien au groupe (les ventes thrash metal piquent du nez). Sacrifice splitte fin 93.

Fin de la vision dans la boule, revenons à juin 1986 et "Torment In Fire", si vous le voulez bien. Les textes, tout d'abord: on est obligé de constater le côté "amateur" de la plupart d'entre eux.

Rob Urbinati cherche avant tout l'image choc ("Sacrifice", "Homicidal Breath", "Necronomicon") , et pas vraiment à raconter une histoire (comme par exemple Cronos dans "1000 Days In Sodom" ou Metallica dans "Jump In the Fire"). A sa décharge, j'avoue ne pas avoir étudié les textes de Chuck Schuldiner pour "Scream Bloody Gore", ou ceux de Paul Speckmann pour l'album de Master de 1985. "Burned At The Stake" et "Warrior Of Death" (l'oeuvre du bassiste, Scott Watts) me paraissent mieux écrits. Quant aux sujets abordés, pas de surprise (pour un groupe thrash), le satanisme ("Sacrifice", "Beyond Death", "Burned At The Stake"), l'épouvante ("Necronomicon"), le meurtre ( Homicidal Breath", "Turn In Your Grave"), la guerre ("Warrior Of Death"). A noter que Rob Urbinati cherche davantage à choquer lees adeptes du christianisme, qu'à louer la Bible Satanique ou brûler des églises dans les pays froids où on tourne des clips torse nu dans la neige, avec des corbeaux noirs et des grosses épées (non, je ne pensais pas à Nolwenn Leroy ou Mylène Farmer). Musicalement on ne peut s'empêcher de penser à Kreator époque "Pleasure To Kill" à cause du chant de Rob Urbinati, proche de Mille Petrozza, et à Slayer de 1983 (album "Show No Mercy") pour certains titres comme "Warrior Of Death", ou le contemporain, par rapport à la date de sortie de l'album, "Necrophobic" du même groupe, lorsqu'on écoute l'instrumental "The Exorcism". Alors Sacrifice, un clone de la bande à Araya qui serait tombé sur une advance tape en provenance d'Essen, tombée du camion Noise Records?

En fait Slayer et Kreator (et également Sacrifice), s'inspirent d'un "ancêtre commun", venu de Newcastle, qu'il est inutile de présenter à de grands garçons et grandes filles comme vous, n'est-ce pas ? Sacrifice emprunte les vrombissements/ ronflements de guitare (certains soli de Mantas, ceci dit rendons à César ce qui revient à Caligula, je pense que Mantas a emprunté cela à Jimi Hendrix, mais bon...), qui parsèment non seulement "The Exorcism" mais "Burned At The Stake", "Beyond Death" ou "The Awakening", ou encore décuple l'énergie (c'est Sacrifice qui décuple) d'un "Bloodlust" ou ""Nightmare" pour en faire "Turn In Your Grave".
D'autres influences notables sont Metallica époque "Kill'em All" ("Burned At The Stake" encore) et le punk/hardcore (les missiles "Possession" et "Decapitation" qui annoncent le "Horrified" de REPULSION).
Au final, "Torment In Fire" est un album beaucoup plus important qu'il n'y paraît dans l'histoire du metal extrême.

1986, Diabolic Force Records + réédition Marquee Records, 2005.

Torment in Fire + The Exorcism (Demo): https://www.youtube.com/watch?v=nCP-iDA308Q


Rédigé par : Saul D | 1986 | Nb de lectures : 4258