Dans notre fabuleux petit monde noir ébène, se pose souvent le problème de la crédibilité, de la légitimité et de l’appartenance à la sacro-sainte chapelle musicale métallique.

A l’époque, (et bien entendu aujourd’hui encore) pour beaucoup de métalleux, Rage Against The Machine n’était pas un groupe de métal. Chez les fans de hip-hop, on clamait aussi que Rage Against The Machine n’était pas un groupe de rap.

J’avais lu une phrase à l’époque qui, à mon avis, résume bien la situation : « Peu importe que les fans de rap se fasse vriller les oreilles par les riffs de Morrello et que les métalleux tiquent en écoutant le flow hip-hop du dreadlocké De La Rocha. Tout le monde se prend la musique du groupe dans la gueule »

Partout dans le monde, les kids découvrent quasi en même temps ce groupe étrange qui à le cul entre deux chaises. Très rapidement emporté par la vague du succès, le groupe devient rapidement la coqueluche des radios. Même les FM francophones craquent et diffusent en boucle « Killing in the name ». Prouvant une fois de plus que peu importe le style tant que ça vend, le phénomène fait néanmoins découvrir aux néophytes ce à quoi peu ressembler la Fusion (terme à la mode à l’époque).

A cette époque où j’apprenais l’anglais sur les bancs du lycée, un visionnaire polyglotte me déclarera d’ailleurs que « la chanson connue » de Rage s’intitulait « Fuckin the table ». C’est complètement hors sujet mais ça montre bien combien le métalleux de province (non que le Parisien soit forcément plus malin) pouvait percevoir les messages politiques des groupes ricains. Si Zack avait eu vent de cette anecdote, il en aurait sûrement bouffé sa complète de Karl Marx.

« J’ai entendu il y a longtemps ce groupe sur cassette et apparemment quelqu’un a enfin trouvé un moyen de les vendre efficacement. »
Burton C.Bell à la sortie de l’album « Demanufacture » parlant de RATM.

Malgré une histoire assez classique, le groupe est régulièrement remis en cause par les hurleurs aux cheveux blonds (même les bruns s’y mettront et dans le métal ils sont quand même majoritaire).
Le problème est que dans le monde du rock, un groupe qui dès le premier album, décroche la timbale, c’est suspect.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le groupe récolte autant de lauriers qu’il ne se mange de pierres dans les dents.

De très nombreux musiciens mettent en doute la crédibilité et la valeur musicale des Américains. Peu se risquent à les défendre mais beaucoup « s’amusent » à les détruire.

Mike Muir notamment, pilonnera le groupe en critiquant le côté très démagogue des lyrics et l’aspect quasi slogan des refrains martelés comme des manifestes politiques (avec une finesse et une profondeur toute relative).

Le gros Bandané dira même que « Relever tout ce qui ne va pas dans la société afin de le critiquer est très facile. C’est tout ce que les Fascistes ont faits ». Quoi qu’il en soit, le gros sera « inspiré » par les Rages puisque « Do what I tell ya » d’Infectious Grooves leur est directement « dédicacé ».

Il n’y aura pas que Cyco Miko qui critiquera Rage. Ils seront très nombreux et ils frapperont parfois juste en soulignant les contradictions du groupe.

Reste que près de 10 ans après, l’album est toujours aussi fort. Alors est-ce que Rage est un groupe de métal ? Si on s’en réfère aux canons du genre la réponse est non.
Mais est-ce que Rage est un groupe qui a fait kiffer des milliers de métalleux et qui a influencé de nombreux musiciens à poils drus ? Ben, je pense bien oui.

En réalité le groupe suscite polémique autant pour sa musique que pour ses postions politiques.

Revendiquant haut et fort leurs idéaux politiques très à gauche, les garçons ont des paroles très virulentes rejetant en masse le système politico-économique américain. D’ailleurs, il est amusant de constater que c’est MTV Europe qui, à l’instar de son homologue américain plus « frileux », fera tourner en rotation les clips de RATM.

Au pays de l’oncle Sam le groupe est vu d’un sale œil (par une certaine partie du public bien sûr) à cause de la radicalité de ses opinions. Les Rednecks les assimilent à des terroristes et appellent à les enfermer dans des institutions spécialisées (type prison de San Quentin ou Fox River) de toute urgence.
Comme publicité, on ne peut guère rêver mieux.

Le groupe prétendra à un moment vouloir faire péter le système (ce qui ravissait les adolescents boutonneux en quête de révolte). Force est de constater qu’ils ne feront pas péter grand-chose mais qu’ils amèneront un peu de politique dans la musique comme l’avaient fait les Clash à leur époque.

Si Zack de la Rocha se la jouera très rapidement « mystérieux » et « plus rebelle que les rebelles » en ne parlant que peu à la presse, Morello (le Mac Gyver de la guitare) prendra les devants avec des déclarations un « brin too much » du style :

- « La télé est aussi nocive que le crack. Le problème est que cette dernière est à la porté de tout le monde. »

- « Notre discours dérange. En ce sens, nos instruments sont plus puissants que des armes à feu. »

Les garçons se prenaient donc assez (très ?) au sérieux et cette attitude aura l’effet de fasciner encore plus les fans et d’énerver encore davantage les antis.

Quoi qu’il en soit si on se souvient tous de ce premier album c’est avant tout pour les chansons qui le composent.

La cover de l’album (célèbre photo d’un bonze s’immolant par le feu en signe de protestation) annonce la couleur et se place aujourd’hui parmi les pochettes d’albums les plus rapidement reconnaissables.

Dès les premières notes, on se retrouve dans un univers rap metal (ou rock metal, ou ce que vous voulez). A cette époque, même si la fusion rap-metal n’est pas encore ultra connue, le dépucelage et la fornication entre les deux styles avaient déjà eu lieu.
Pour peu qu’on s’y intéressait un peu, on avait déjà entendu bon nombre de MC poser leur flow sur des guitares saturées. Donc la nouveauté ne venait pas de là.

Morello (principal instigateur des musiques de Rage et «official bricol’ boy » chez Fender) aime Led Zep, les Clash, la soul et le RNB (le « vrai RNB »). On retrouve donc un groove funky et « hard rockesque » sur la plupart des titres. Pas de gros son métal avec des mesures hachées et des powers chords à outrances.
A l’heure du « gros gros son » Morello (le Harry Potter version guitariste coco) renouait avec les racines Hard rock avec un son peu saturé (limite crunchy), une basse bien présente, une batterie aux rythmes simples mais percutants et bien entendu les bidouillages sonores en tout genre.
Grâce à ses expérimentations délirantes, il s’est propulsé illico et officiellement « Géo Trouvetout » de la six cordes. Le galopin inventera bien des gimmicks, enfournera et fera glisser son jack dans des endroits inexploré (quel homme quand même) et torturera sa pauvre Telecaster en la faisant parfois sonner comme un Bontempi (c’est la honte pour une Fender quand même).

Cette capacité à faire des « tut tut » et des « bip bip » apportera un cachet singulier à la musique de Rage et enfermera un peu le pauvre Tommy dans le rôle de chercheur en noise de tout genre (force est de constater qu’on a, à ce niveau-là, pas vu mieux depuis). Bon, on est d’accord Morello n’était pas le premier à tenter la nouveauté.
Hendrix faisait l’amour à sa guitare, Steve Vai la faisait parler, Gary Moore la faisait pleurer, Dimebag la faisait hurler et Mamlsteen la faisait vomir.
En 92 Morello lui faisait faire « Bip ».
Ami lecteur de VS, à ton tour de tenter de faire hennir, rugir, miauler ton instrument.
Plus sérieusement, la musique était sacrément remuante. Pas vraiment de temps morts ou de morceaux en demi-teinte.

« Bombtrack » avec son riff d’intro légendaire propulse l’auditeur dans la galaxie énergétique et sautillante des « enragés ».
Pas besoin de parler de « Killing in the name » tant on l’a entendu, ce putain de morceau. « Know your Ennemy », « Take your power back » et « Bullet in your head » deviennent des brûlots aux allures de classiques dont la dynamique n’a rien à envier au groove.
« Wake up » tape très fort avec son riff entêtant et sa rythmique funky à la fois brute et précise (un peu comme un rugbyman qui serait modéliste).
« Freedom » clot la marche d’une manière absolument fantastique, la chanson étant un petit bijou musical auquel De La Rocha apporte sa rage toute dédiée à ses idéaux.
Le clip montre des images de Léonard Peltier dont la libération sera un des nombreux combats que RATM mettra en avant dans ses clips.
A ce niveau-là, les garçons feront au moins beaucoup de publicité à des causes multiples.

Avec cet album, RATM convertit au hip hop bon nombre de personnes dans le milieu du rock. Dans le milieu du rap, Morello confessera que le public hardcore des villes « historiques » du hip hop ne sera pas séduit par le groupe. Une preuve d’ouverture des metalheads ? Peut-être bien chers amis… peut-être bien…

Puisqu’il convient toujours de se quitter en chanson, remémorons- nous un peu les lyrics du sublime « Know your ennemy» :

« Something must be done
About vengeance, a badge and a gun
‘Cause rip the mike, rip the stage, rip the system
I was born to rage against ‘em
Fist in ya face, in the place
and i’ll drop the style clearly
Know your ennemy »


Rédigé par : pamalach 77 | 1992 | Nb de lectures : 2807