En Suède, il y a plein de belles choses : les Suédoises (bien sûr), la bière, Ericcson, IKEA, la princesse Victoria... Il y a aussi quelques groupes de musique qui perpétuent une longue tradition folklorique issue de leur terreau natal. On pourrait aisément séparer ces porteurs de flambeau en deux catégories : les gentils ("ABBA", "Ace Of Base"… sous les feux éclatants de la rampe), et les méchants ("Dark Funeral", "Marduk", "Dissection"… dans l’ombre des bois). Incontestablement, "Naglfar" appartient à cette seconde catégorie.

Enfant méchant et rebelle de la nuit sauvage, loup affamé hantant les hautes et froides montagnes aux cimes perdues sous des écharpes de brume, démon à cinq têtes sorti du chaudron noir des enfers pour venir hurler au monde le déchirement de sa haine, "Naglfar" nous assène sa première hérésie en cette fatidique année 1995 avec la sortie de "Vittra", bombe thermonucléaire de violence et de haine qui annihile chez les pauvres auditeurs de l’époque que nous sommes le moindre espoir de trouver du bon en l’homme, de la lumière dans les ténèbres, de la chaleur au sein de l’hiver...

Nouvel écartèlement des sens avec cette tuerie monstrueuse qu’est "Diabolical" sorti trois ans plus tard.

De diabolique, l’album possède tous les ingrédients...

D’abord cette pochette, avec ce personnage féminin inhumain imbriqué dans un aggloméra de rouages et de pistons : incarnation de la déité contrôlant la complexe machinerie d’une usine à violence productrice de déflagrations sonores qui n’a qu’un seul but avéré : laminer la pathétique espèce humaine à laquelle nous appartenons...

Il y a ensuite le sigle incisif du groupe, qui présage déjà de l’aspect tranchant et radical de la musique. Une musique qui, à ce stade, prisonnière de l’enveloppe matérielle du CD, n’attend plus qu’un geste de notre main, une pression sur une touche, pour s’échapper de son fourreau, jaillir comme une lame acérée, nous trancher les oreilles, déchirer notre esprit en un petit monticule de copeaux d’insignifiance...

Argh !!!! Mais l’emballage n’est qu’un doux préambule... Un drap mortuaire jeté sur la bête qu’il cache...

On insère le CD dans la gueule de notre chaîne. On tremble un peu...

On presse la touche play.

L’usine à destruction massive se met en branle. Hurlement d’une sirène stridente qui sonne l’apocalypse. On serre les dents. Et ça y est. On y est. Immédiatement. Irrémédiablement. La bête féroce, assoiffée de sang, est lâchée. Elle vient de nous sauter à la gorge et on ne peut plus rien faire. On est agité en tous sens. On est tabassé. On est fragmenté, défragmenté, ballotté dans un tourbillon de coups qui nous entraînent irrémédiablement vers le fond. Au loin, le peu de lumière qui subsistait à notre champ de vision se tarit en un halo de plus en plus faible, et bientôt, il n’y a plus que le néant qui nous cerne de toutes parts, froid et infini. Et cette violence inhumaine. On assiste à notre propre mort. Les guitares sont des rasoirs qui nous découpent en minces rondelles, qui nous entaillent la chair en faisant rouler le sang... La batterie est un hachoir permanent dont chaque coup nous brise l’échine, le crâne, les os... Le synthé ponctuel est le soupir d’un ange, ou plutôt d’un démon, qui nous rappelle que nous nous trouvons déjà à la transition de deux mondes... Et la voix de Jens... Ah là là... Cette voix... C’est l’incarnation de la Bête. C’est la personnification de ce monstre qui nous a saisi le cou et qui nous fait presque pisser dans notre froc... Une incision parfaite sur la membrane de nos tympans, une tige d’acier qui perce le rideau de notre chair pour nous pénétrer en profondeur, nous trancher de l’intérieur, nous lacérer le semblant d’âme que les coups de griffes rageurs et infatigables de la machinerie musicale n’ont pas encore mis en charpies…

De diabolique, la musique de "Naglfar" l’est aussi dans sa forme, fondamentalement.

Je pourrais facilement partir dans des descriptions musicales plus détaillées mais je crois que ces quelques images sont plus pertinentes que n’importe quelle combinaison de termes techniques et ennuyeux. Et je pense que vous aurez compris...

Une chose peut-être à ajouter : si "A Departure In Solitude" est un oasis d’accalmie, c’est pour mieux nous faire sentir le goût métallique de ce sang qui, dès le milieu de l’album, nous imprègne la bouche. C’est aussi pour mieux nous achever par la suite : la dernière respiration avant que ne s’abatte la lourde lame du couperet, point final de ce voyage terrible dans les contrées de la noirceur la plus pure et de la violence la plus totale.

Cet album est une tuerie. Et comme disait quelqu’un de connu : « ...Une claque, et tendez l’autre joue... ». Alors à votre tour d’y passer !


Rédigé par : goldenear | 1998 | Nb de lectures : 2266