Printemps 1996. Le métal extrême traverse une réelle crise et paraît dépassé. Malgré quelques succès d'albums ici ou là, le public s'en détourne au profit des musiques électroniques ou du hardcore mélodique pour les plus jeunes. L'effondrement du glam puis du grunge semble annoncer aux yeux de beaucoup d'observateurs la mort prochaine (et espérée) de la branche des cousins plus durs de notre famille musicale. L'éclosion de Korn et Deftones ouvre une nouvelle voie plus moderne et apparemment plus fréquentable, qui apparaît déjà comme la seule solution d'avenir selon d'autres. À l'intérieur, la vague du death metal qui a porté le mouvement depuis quelques années est en plein marasme : les tentatives de renouvellement tentées par certains groupes rencontrent peu de succès. Beaucoup d'entre eux vont bientôt jeter l'éponge devant la désertion de l'audience. L'essor du black metal, bien que déjà perceptible, n'est pas encore pleinement significatif. Et surtout, quelques jours avant la sortie du quatrième album de Pantera (si on ignore la période glam), venait de paraître "Load" de Metallica, dont la nouvelle orientation acheva de semer le doute quant à la pérennité artistique de tout le mouvement. Celui-ci devait-il se trahir pour durer, à l'instar de son leader jusqu'alors incontesté ?

Dans ce contexte, le nouvel album des Texans était très attendu. Le groupe en avait déjà trois derrière lui qui avaient connu un grand succès, et jouissait surtout d'une forte légitimité due à son évolution vers une musique de plus en plus extrême, qui avait été largement suivie par le public à chaque étape (surtout aux États-Unis). On compte alors sur eux pour prendre la tête de la résistance. Pantera devait aussi répondre à la concurrence directe d'un nouveau groupe apparu entre-temps et qui accaparait l'attention dans le secteur: les quatre membres aguerris de Machine Head avaient surgi avec un premier album acclamé.

De fait, "The Great Southern Trendkill" annonce la couleur dès les premiers instants. Le cri primal de Phil sur fond de blasts proclame sans ambages que la "lointaine direction" du précédent disque est poursuivie, à contre-courant de la marée descendante. La structure du commencement de l'album respecte le schéma des deux précédents disques: un titre agressif (bâti en deux parties bien distinctes comme l'était "Mouth for War"), un titre plus lourd et ralenti, un titre articulé autour d'un riff abrasif et grave. L'affaire est vite entendue: pour ce quatrième volume, Pantera est parvenu à faire encore plus brutal – bien que l'écart par rapport à la livraison précédente ne soit pas immense. La production est particulièrement monstrueuse pour l'époque.

Dimebag a changé de guitares, et à lui seul il sonne aussi puissamment en rythmiques que trois escadrilles de B-52. Élaboré à nouveau en collaboration avec Terry Date, ce n'est pourtant pas exactement le même son métallique que "Far Beyond Driven". Ce quatrième album sonne encore plus gras et oppressant. Le chant plus étouffé de Phil (première petite trace d'usure) y est pour quelque chose, mais également les nombreux passages ou titres acoustiques. Loin des arpèges clairs des deux premiers albums dans ce secteur, les trois morceaux concernés ont fait l'objet d'arrangements plus travaillés ("Suicide Note I" en est le meilleur exemple) et ne détendent pas plus l'atmosphère que ceux de "Far Beyond Driven" (illustration avec le massif mais touchant "Floods" et son long solo final). On touche même à une noirceur assez extrême au commencement de "10's" lorsque Phil se lamente sur la transfusion de personnalité qu'il subit au long d'un texte particulièrement cauchemardesque… Des expérimentations vaguement Indus apparaissent l'air de rien sur "Living Through Me" et "13 Steps to Nowhere". L'expérience du récent premier album de Down rejaillit donc fortement sur ce nouveau disque, bien au-delà de la petite blague de faux fading final. Ici aussi, c'est donc l'influence de la culture musicale du Deep South qui a inspiré la lourdeur, les ambiances maladives et enfumées unissant ces onze titres. C'est aussi l'héritage de Black Sabbath qui est réaffirmé à travers cette lourdeur, poussée encore plus loin dans la désespérance.

Suffoquant et écrasant même si les onze titres sont finalement assez basiques, "The Great Southern Trendkill" est difficile à écouter d'une traite. Bien que les fans aient salué l'effort, l'enthousiasme entraîné par les trois disques précédents ne vint pas. Dans le contexte rappelé en préambule, ce nouvel opus paraissait trop agressif. Le choix de la radicalisation n'était plus gagnant en termes d'audience. Confronté pour la première fois à un accueil mitigé, le groupe plonge rapidement à son tour dans le doute au sujet de sa nouvelle production. D'ailleurs sur la tournée qui suivit, elle ne fut pas franchement mise en avant comme en témoigne le Live "101 proof" qui n'en contient que trois titres. Mais franchement, pouvait-on vraiment attendre plus sur ce plan, à moins de commettre un complet suicide artistico-commercial en virant death brutal ? Plus tard, le groupe aura compris l'origine de ce malentendu lié au contexte, comme Dimebag l'expliquera en interview.

Bien au-delà de la nostalgie provoquée par une séparation à la mords-moi-le-nœud et le drame que l'on sait, le temps a rendu justice à "The Great Southern Trendkill" qui bénéficie aujourd'hui d'un réel regain d'estime auprès des fans, au point d'avoir atteint le rang de classique. Son influence, reconnue ou non, se retrouve chez un grand nombre de formations du mouvement qui traverse plusieurs styles et récemment dénommé Southern Metal (d'ailleurs Soilent Green, qui est actuellement l'un des groupes les plus emblématiques de ce courant, avait été emmené peu après en tournée par les Texans sur l'insistance de Phil Anselmo). Au fond, cet album était certainement en avance sur son temps.


Rédigé par : RBD | 1996 | Nb de lectures : 4475