Pour ceux et celles qui l’ont encore en mémoire, le contexte death-métallique régnant en 1992 était particulièrement favorable à l’éclosion aux quatre coins du globe d’un bon millier de formations toutes plus evil les unes que les autres, s’adonnant avec joie aux plaisirs malsains mais cathartiques du métal de la mort. Les labels poussaient ci et là à la vitesse de la lumière, profitant de cet indéniable engouement noué autour de la tripaille gore, de l’illumination sataniste ou de la dénonciation d’une société passablement injuste. Le décor était planté…

Du fin fond de sa campagne teutonne, un label répondant au nom guerrier de Nuclear Blast préparait soigneusement l’invasion de ce marché avec une multitude de groupes prêts à en découdre au plus vite. Quelques cartouches avaient déjà été tirées les deux années précédentes, à ce titre, on se souviendra avec émotion des débuts de BENEDICTION, DISHARMONIC ORCHESTRA, ATROCITY, HYPOCRISY et SINISTER, qui orchestraient, chacun à leur manière, l’arrivée imminente d’une déferlante death métallique européenne empreinte du sceau de Markus Staiger. L’an de grâce 1992 allait confirmer cet état de fait… enfonçant le pieu en plus profondément là ou ça fait mal.

C’est donc dans ce contexte particulier que nos braves suédois d’AFFLICTED débarquaient de leur majestueux drakkar, vêtus de peaux de bête, corne d’hydromel à la main (bonjour les clichés) au pays de la bière sans saveur et de la wurst au kilomètre (bonjour les clichés bis). Alors que ses camarades de classe, ENTOMBED, GRAVE et DISMEMBER parmi tant d’autres, prônaient la culture d’un death métal méchamment burné, groovy à souhait et gras comme une plâtrée de frites-mayo nordistes, AFFLICTED, et cela allait le perdre, choisissait la voie de l’originalité à bon escient, avec pour objectif avoué de s’extirper tant bien que mal de cette meute de carnivores aux dents longues.

Pour arriver à ses fins, celui-ci avait choisi de défier les règles établies. Noble initiative qui prit la forme d’un mélange explosif des enseignements mid-tempo de ses compatriotes et des parties speed chères à ses cousins américains. AFFLICTED incorporait à cette préparation de base de furieuses parties dissonantes, une aura quasi psychédélique (à ce sujet, jetez un coup d’œil sur la photo du groupe à l’intérieur de livret, vous ne devriez pas être déçu), l’utilisation d’instruments exotiques (de l’oud me semble-t-il) et quelques mélodies bien senties, heavy en diable qui conféraient à ce premier essai un statut frondeur et avant-gardiste qui le dissociait sans ambages du reste de la concurrence. Une oreille, même distraite, posée sur l’enchaînement entre l’intro orientale et le boulet de canon "Harbouring the soul", complexe, subtil avec son break de guitare acoustique et ses mélodies alambiquées réglait durablement l’affaire pour l’amateur de sonorités nouvelles. Les structures à tiroir de certains morceaux comme "The empty word" ou "Rising to the sun" pouvaient charmer ceux et celles qui envisageaient la technique mise au service d’une section rythmique puissante et déchaînée. Quant à l’hymne au mid-tempo implacable que constitue "Ivory Tower" (dont vous pourrez admirer le clip un peu cheap sur la cultissime VHS "Masters of Brutality"), il illustrait à merveille l’intime conviction que l’on tenait là un véritable bijou entre nos mains tremblantes.

Quelques passages disséminés à dose homéopathique (sur "Consumed in flames" notamment) rappelaient néanmoins la filiation suédoise de nos cinq lascars, tout comme la production typique signée des Sunlight Studios, quoiqu’un peu moins calorique qu’à l’habitude. C’est d’ailleurs l’unique point que l’on pourra véritablement leur reprocher. Novateur sans être révolutionnaire, cet album constitue une véritable bouffée d’oxygène, un grand écart salvateur et sans filet à destination de ceux et celles qui souhaitent (re)découvrir l’une des rares formations, aux côtés des maîtres d’ATHEIST, PESTILENCE ou CYNIC, à avoir défié les commandements inoxydables du death métal. Il aura malheureusement fait les frais de l’uniformisation inhérente à ce style au début de la dernière décennie, uniformisation qui le condamnera à un auditoire restreint…mais exigeant.

La suite des évènements ne confirmera pas les espoirs placés en cet outsider de premier choix, puisque son second et dernier faits d’arme, "Dawn of Glory", si justement intitulé, le confinera dans un heavy métal de bas étage, moribond et convenu, signant par la même son arrêt de mort artistique.


Rédigé par : Targhost | 1992 | Nb de lectures : 2224