Mosh !! Tel est le cri de guerre qui nous parvint de la Côte Est des US en cette année 1985. Une petite bombe, "Speak english or die", vient d'être lâchée par ce qui deviendra l'un des plus fameux side-projects du métal et du hardcore: Les Stormtroopers Of Death, ou S.O.D. pour la postérité. Culte, on assiste là à une des premières fusions du thrash et du hardcore, sur fond de fun et de n ième degré.

La genèse du projet est légendaire: En juillet 85, après avoir terminé l'enregistrement de son deuxième album "Spreading the disease", Anthrax dispose de 3 jours de studio non utilisés au Pyramid Sound de Ithaca, NY. Scott 'Not' Ian (guit.), une dizaine de compos personnelles en poche, décide d'enregistrer ces titres avec Charlie Benante (batt.), à l'aide de leur ancien bassiste Dan Lilker (qui vient de monter Nuclear Assault) et de leur roadie au chant, un skinhead grande gueule du nom de Billy Milano (ex-Psychos). Ce supergroupe au départ sans lendemain, soutenu par le couple Zazula et son label Megaforce (Raven, Metallica), enregistre et mixe l'album en 3 jours, sous la houlette d'Alex Perialas (qui s'illustrera aussi avec Testament, OverKill, entre autres gloires du thrash américain).

Scott Ian relifte le thrash anthraxien en puisant dans le hardcore old school de New-York, notamment dans les riffs nerveux de Vinnie Stigma (Agnostic Front), grosse influence. Le jeu rythmique du nabot à bermudas, tour à tour ultraspeed, saccadé, ou lourd, toujours carré, s'appuie sur la présence sans faille de Benante, batteur d'une technique et d'une puissance phénoménales, aussi bien au service du heavy que de la rapidité. Les prémices du grindcore sont là, sur des titres comme "Milk" ou "Chromatic death". Respect aussi à Milano qui, tout en beuglant, débite son flow à toute bringue pour coller aux passages rapides. La basse de Lilker, distordue, n'est pas en reste et ouvre certains morceaux. En moins de 30 minutes, les 21 titres, courts (de 2 secondes à 2 minutes !), directs et sans solo (sauf sur "United Forces"), accrochent l'oreille les uns après les autres, grâce à une structure variée, démarrant parfois lentement, avant d'exploser dans une furie contrôlée ("Pre-menstrual princess blues", "Fuck the Middle East"), quand ce n'est pas l'inverse: On démarre speed sur deux chorus et on appesantit le tout façon hardcore décéléré, les fameux "mosh parts", appelant la fosse à la danse du scalp ("Kill yourself", "Fist banging mania", "Pi Alpha Nu"). Sans oublier des joke-songs ultra brèves ("Ballad of Jimi Hendrix", "Hey Gordy !", "Diamonds and rusts (extended version)", "Anti-procrastination song"), enlevant tout sérieux à l'entreprise.

Côté textes, on attaque une grosse partie du trip S.O.D. Inspiré d'un dessin de Scott Ian, le Sergeant D, un zombie de l'armée à cigare, "March of the S.O.D. / St D. and the S.O.D", bonne intro/morceau lourd, ouvre l'album, avant le faussement pro-suicide "Kill yourself". Personnage plus connu de la culture américaine, "Freddy Krueger", fait l'objet d'un titre. Milano, grâce à son humour corrosif, pond des textes délirants, dont "Milk" (crise de nerfs au réveil car plus de lait au frigo), "Pre-menstrual princess blues" (cunnilingus par Irving à sa femme pour stopper ses règles car plus de tampons), "Pussywhipped" (hymne misogyne), etc. Il règle aussi ses comptes avec la scène musicale et la scène hardcore en particulier: marre des pogos et des bastons dans les concerts, place au mosh pit ("Fist banging mania", "Milano mosh"), marre des punks ("Douche crew"), appel à la fraternité des scènes hardcore, punks, oi! et métal ("United forces"). Pas mal de contradictions dans ses textes, mais Milano est un bonhomme lui-même ambigu: fier d'avoir été skin un jour, mais controversé dans le milieu hardcore new-yorkais des débuts. S.O.D. et Anthrax auront même à s'expliquer au sujet de l'utilisation abusive du logo "NxYxHxCx" (New York Hard Core) pour une musique jugée trop cool par le "core du core". Enfin, des thèmes plus objets à polémique, avec des textes aux forts relents patriotiques et xénophobes ("Speak english or die"), voire pro-sionistes ("Fuck the Middle East"). L'ambiance étant à la déconnade généralisée, et Scott Ian étant d'origine juive, on prendra ces mots au second degré, car ils dénoncent mieux certaines attitudes américaines en les dévoilant sans pincettes. Aux yeux des fouineurs, le doute subsistera quand même, comme au sujet de Carnivore et Agnostic Front, plus radicaux.

A côté de tout ça, la musique de S.O.D., en associant la rigueur et le gros son du thrash, à l'efficacité et à la virulence du punk hardcore, participe à l'émergence de ce qu'on appellera communément le thrashcore ou crossover. Bref, la fusion de deux genres à priori distincts, qui va renouveler le hardcore américain (signer sa mort, selon certains...), parmi d'autres formations comme Crumbsuckers, Suicidal Tendencies, Cro-Mags, D.R.I., etc (et plus tard Mucky Pup, Biohazard ou Life Of Agony). On pourrait rajouter que "Speak english Or Die" contient les plans les plus efficaces composés par la paire Ian / Benante, et qu'il a contribué à la réussite d'"Among the living", à mon avis le meilleur album d'Anthrax à ce jour. Quant à Milano, il a continué seul l'aventure, avec un M.O.D. (Method Of Destruction) à géométrie variable, usant du même "humour" nationaliste sur le très bon "U.S.A. for M.O.D.", en grande partie composé par Scott Ian. La suite est moins intéressante: des albums de M.O.D. assez inégaux, des reformations ponctuelles de S.O.D. pour des concerts, un album live ("Live at Budokan", 92) et un deuxième album studio ("Bigger than the devil", 99), aux textes toujours aussi marrants, mais musicalement moins fort. Reste que S.O.D., avec sa fraîcheur et son humour, est le groupe qui a apporté une bonne dose de fun dans des milieux thrash et hardcore qui commençaient à se prendre trop au sérieux. Mosh or die !!


Rédigé par : Blacksun | 1985 | Nb de lectures : 3429