CRYOGENIC - Celephaïs (Solistitium) - 24/07/2003 @ 14h04
La finalité de cette rubrique est au départ de faire vibrer la fibre nostalgique du peuple métallique en revenant sur des albums, trop anciens pour avoir figuré dans les chroniques de VS, mais qui ont marqué leur époque. Je me permets néanmoins de faire une petite entorse à ce principe en pointant l’objectif sur un album totalement (mais alors totalement) ignoré par la critique à l’heure de sa sortie aux aurores de l’année 1999. Ça ne changera pas grand chose au funeste destin du groupe, mais si ça peut titiller l’instinct de quelques prospecteurs de raretés, ce sera déjà ça de gagné.

La chose la plus remarquable à propos des Allemands de Cryogenic n’est certainement pas leur charisme ou leur présence sur le devant de la scène ; à dire vrai ils furent même très peu en vue dans leur propre contrée, sorti de la petite médiatisation mi-amusée, mi-indignée, que leur a valu le « fait d’armes » de brûler lors de concerts des poupées à l’effigie de Nagash (ex-membre emblématique de Dimmu Borgir). Musicalement parlant, ils ont toujours évolué dans un black metal un peu hybride et pas vraiment tranché, à l’image d’ailleurs de plusieurs de leurs compatriotes qui ont du mal à faire la part des choses entre la volonté de se forger un profil underground bien hermétique et le foisonnement de mélodies gaillardes pas franchement « evil » dans leur musique. Rien ne pouvait donc laisser présager que le premier (et unique) album de Cryogenic serait un chef-d’œuvre, c’est pourtant ce qui est arrivé, et je n’ai de cesse de m’en étonner à chaque fois que cet album a droit à un tour d’honneur dans ma hi-fi.

Dans sa grande nouvelle onirique « A la Recherche de Kadath », H.P. Lovecraft décrit Celephaïs comme une splendide cité portuaire d’onyx et de marbre du pays d’Ooth-Nargaï, aux mille minarets et au grand pont de pierre sous lequel le Naraxa rejoint la mer Cérénérienne. La simple évocation de ces noms chargés de mystères trop sombres pour être racontés (hé hé…) aide déjà à cadrer le tableau au cœur duquel Cryogenic puisent les couleurs de leur concept. On l’a vu, le style pratiqué par Cryogenic ne paye pas de mine. On navigue dans un domaine mid-tempo sans blasts assommants, sans lead guitar digne de cette appellation, sans vocaux particulièrement belliqueux (juste un tantinet aigrelets), et la production est tout ce qu’il y a de plus banal, tendant vers le modeste. Les synthés sont assez présents dans toutes les phases de la composition, mais n’ont rien qui fasse grimper aux rideaux, que ce soit dans le doigté du préposé ou dans leur rendu sonore. Alors quoi ? Comment un disque d’aspect aussi peu spectaculaire peut-il gagner aussi brillamment ses galons d’œuvre marquante.

C’est bien simple : de tous les albums qui, de près ou de loin, ont emprunté à Lovecraft, « Celephaïs » est sans nul doute celui où l’empathie entre le pouvoir suggestif de la musique et la magie du texte est la plus puissante, la plus exacte. Par un obscur sortilège que n’aurait pas renié l’écrivain lui-même, la mayonnaise prend comme du ciment. Du premier au dernier titre - même sur la reprise de la démo « Ignis Occultus Im… » qui fait plus figure d’interlude - Cryogenic capturent l’atmosphère glauque et fantasmagorique de Lovecraft avec un brio admirable. Pour peu que l’on soit versé dans la mythologie des Grands Anciens (et plus particulièrement toute la partie qui se déroule par-delà le monde de l’éveil), la projection est facile… et jouissive. Les parties glissent les unes dans les autres comme des chapitres alternant émerveillement muet et terreur insondable. Les imperfections de la mise au point instrumentale ? Le déficit de virtuosité ? Au diable ! (ou plutôt à Nyarlathotep !)

Pour celui qui aborde « Celephaïs » sous le bon angle ne subsiste que le voyage intérieur, total et généreux en distances. Que cela ait été volontaire ou non de la part du groupe (je table pour involontaire), l’ambiance qui plane sur l’album est unique, des cloches lugubres du processionnaire « Ignis Occultus Im… » au dernier piano de « Celephaïs - Finale » qui joue (fort joliment d’ailleurs) le survol d’un océan de ruines fumantes que seul le soleil couchant n’a pas délaissé, en passant par l’épopée du titre éponyme, où le groupe relance maintes fois la cavalerie en appuyant avec réussite chaque rythmique d’une touche de synthés crépusculaires. Sur ce même « Celephaïs » intervient même une vocaliste, elle aussi tout sauf exceptionnelle, mais bien campée dans son registre haut perché - la demoiselle contribue à tracter un crescendo final d’une très forte intensité émotionnelle. La palme revient toutefois à l’inspiré « Nachtwache », dans lequel l’alchimie de tous les ingrédients qui exaltent « Celephaïs » est à son zénith : une vraie belle composition ficelée avec constance.

Et au bout du compte l’on se dit que Cryogenic sont finalement presque dans leur bon droit lorsqu’il conspuent violemment Dimmu Borgir car, même sur leur excellent « Stormblast », les Norvégiens n’auront jamais autant cramponné l’auditeur à la trame de leurs morceaux, ni effleuré ce niveau d’atmosphère. A l’instar d’un « Witchcraft » d’Obtained Enslavement ou encore d’un « Arntor » de Windir, « Celephaïs » appartient à cette race de petits phénomènes très mal voire pas du tout cotés, si bien que même ceux qui les apprécient en arrivent à les écouter beaucoup trop rarement en regard de leur insigne qualité.


Rédigé par : Uriel | 1999 | Nb de lectures : 2368


Auteur
Commentaire
mydrin
Invité
Posté le: 24/07/2003 à 21h41 - (501)
merci pour la chronique, çà me donne envie de le réécouter, car j'avoue que ce cd à pris un peu la poussière chez moi ;-))

Loufi
Invité
Posté le: 26/07/2003 à 18h09 - (505)
J'ai un album qui s'appelle "suspended animation", c'est le même groupe ?

Uriel
Invité
Posté le: 28/07/2003 à 13h43 - (509)
@ Loufi: heu... non, j'ai pas l'impression. J'ai fait une recherche, et ton Cryogenic ca a l'air d'être des Australiens qui font du hard rock. Donc as grand chose à voir :)

BozKiller
Invité
Posté le: 29/07/2003 à 14h20 - (511)
"La mayonnaise prend comme du ciment"

Alors là, chapeau bas! Fallait la sortir :D





Zen
Invité
Posté le: 05/08/2003 à 17h42 - (517)
Quelle chronique ...
Shub Niggurath Nyarlatothep !!!

Stefan
Invité
Posté le: 06/08/2003 à 21h38 - (518)
Je pensais etre le seul a posseder ce CD !
... mais bon, le probleme c'est que je me disais "Je dois etre le seul mec assez con pour avoir acheté cette daube"...
Alors apres avoir lu la chronique je me dis... les gouts et les couleurs...

Uriel
Invité
Posté le: 07/08/2003 à 16h49 - (519)
Tss tss... allons Stefan, réécoute le pour voir. Un grand mélomane devant l'éternel comme toi ne peux pas avoir mauvais goût à ce point là :-O!!!


Vinceroom7
Invité
Posté le: 19/02/2004 à 12h02 - (755)
Oh putain... c'est un album pour moi, ça... si l'univers d'HPL est aussi bien retranscris, il faut absolument que je me plonge là-dedans !

(Et dire que j'arrivais déjà à visualiser la remontée de R'Lyeh du fin fond de l'océan sur "The Kall of Ktulu" de Metalloche...)



nando33
Invité
Posté le: 18/05/2008 à 13h29 - (26064)
un de ces albums passé completement inaperçu mais au combien excellent que je reecoute avec plaisir...


Nightwanderer
Membre enregistré
Posté le: 30/06/2013 à 11h25 - (29473)
chef d'oeuvre de black mélodique et sympho. Ils ont finit par sortir un deuxième album "Parsifal 21" en 2003



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