Petite scéance de méditation introductive:
Tu es à Phuket, charmante station balnéaire thaïlandaise, en cet an de grâce qu'est 2004. Tu es à Phuket, sur la plage, en train de te laisser griller le lard, avec pour seul souci celui de savoir si la fille avec qui tu as passé la soirée hier soir avait vraiment 13 ans ou si tu t'es bien fait couilloner. Et puis là, au large, un grondement sourd apparaît. Tu n'y prêtes pas attention, mais il se fait néanmoins de plus en plus présent. On dirait qu'il se rapproche. Tu ôtes tes fausses Ray Ban fabriquées à 20 bornes, et tu as juste le temps de t'apercevoir qu'une vague monumentale va s'abattre sur le coin de ta gueule. Comprimé au sol pendant quelques longues secondes, tu as à peine le temps de reprendre une bouffée d'air qu'une deuxième vague approche. Et une autre, et encore une autre, le tout pendant les 3 minutes et 50 secondes les plus longues de ta vie de merde. 3min50 sans oxygène, sans savoir si tu vas revoir la lumière ou une bouffée d'air, à être balloté, écrasé, aplati, anéanti.
Bande son: Carpe diem, de l'album du même nom, par Will Haven.

Car Will Haven, avant leur fraîche reformation, c'était deux composants. Un son et une voix. Le son d'abord: une seule gratte au son absolument monumental, aux riffs ultra binaires, appuyée par une basse funèbre et une batterie minimaliste. De vrais riffs de lépreux, à faire passer Crazy Town pour Psyopus. 0x0x0x1, drop B, la messe est dite. L'intérêt est dans ce que dégagent ces riffs véritablement sismiques et ambiants. Neurosis qui jouerait du Godflesh pour donner une trèèèèèèèèès vague idée. Et donc le tout avec un son ayant l'impact d'un plaquage de Chabal sur un emokid. Et Will Haven, c'était une voix. LA VOIX. Grady Avenell, la voix hardcore la plus déchirante qui ait jamais été, d'une puissance et d'une sincérité à vous en coller des frissons. Un chant monocorde hurlé comme si c'était la dernière fois. La noirceur et la violence personnifiées.

Tout ça, c'était avant 2003. Grady quitte le groupe qui splitte après 3 albums cultes, un EP et un DVD, deuil international tout ça tout ça. Ses compères vont faire mumuse dans Ghostride et The Abominable Iron Sloth, avant d'annoncer la reformation du groupe et 2005. Joie, feux d'artifices et cie. 3 pré-prods apparaissent, elles démontent, impatience, rongeage d'ongles. Et là, c'est le drame: le fraîchement revenu Grady se... retaille en pleine composition de l'album pour assurer l'avenir de sa famille en temps que... sheriff. Jeff Jaworski de Red Tape, grand pote du groupe, reprend le flambeau.

Alors ce Will Haven nouvelle formule, le verdict?
Musicalement, pas de révolutions, la même recette qui a fait la marque de fabrique du groupe. On notera les rythmiques pachydermiques broyeuses de cervicales, les très bons samples ambients à droite à gauche, un flanger toujours aussi excellent,une dernière plage acoustico-ambiante, des passages parlés par une jeune demoiselle, et en français s'il vous plaît, un plan de Botch vilainement chapardé (celui de "Transitions from to persona to object") sur "A Day Without Speaking"; on dira qu'ils ont bon goût. Mais toujours une musique dont on ne peut trouver d'influences directes.

Enfin le chant, au rendu très attendu tellement Grady incarnait Will Haven: étonnamment, Jeff Jaworski a un timbre très proche de son prédécesseur et va jusqu'à se confondre avec lui sur certains passages. Il effectue une très bonne prestation (et à son crédit il est arrivé en cours de composition de l'album) et propose des lignes de chant moins monocordes, beaucoup plus variées. Et heureusement qu'il diversifie ses vocaux, car sa voix hurlée manque cruellement de grain et de puissance sur une bonne partie de l'album et paraît très lisse, ce qui en laissera quelques-uns (dont moi) sur leur faim. Si quelques personnes veulent se cotiser avec moi pour lui envoyer une caisse de bourbon et de gitanes sans filtre...

Autre point de discorde, la production de l'album, un son toujours aussi énorme mais qui reste beaucoup moins "négatif" que sur les précédentes galettes du groupe. Le chieur que je suis chipotera également sur le son de caisse claire trop empâté et pas assez clinquant.

Et au final cela donne un bon album, mais sans mention spéciale du jury. Ceux qui suivaient déja le groupe ne retrouveront pas tout à fait le Will Haven qu'ils ont connu, moins noir et sans Grady; qui tire peut-être légèrement vers leur travail dans Ghostride. Les nouveaux convertis y découvriront un groupe à la musique et au son uniques. Ce Hierophant est rempli de monstres d'efficacités tels que "Sammy", "A day without speaking", "Singing in solitary"... En fait il n'y a pas de déchets, tous les titres sont bons, manque la valeur ajoutée qui transforme un album de grande qualité en album culte. Mais je suis vraiment tatillon. Ecoutez-le et appréciez-le à sa juste valeur, le gang de Sacramento le mérite amplement.


Rédigé par : Crown_me | 15.5/20 | Nb de lectures : 11566