Eblouissante arrivée en pleine lumière pour ce duo italien qui a été l'un des deux premiers groupes (avec Rakoth aujourd'hui aussi sous Elitist) à faire les beaux jours du label hors-norme Code666. "Rephormula" est une initiative pleine de bon sens, à savoir la remise au goût du jour du premier album "Phormula", un beau bébé de sympho black metal entre Limbonic Art et Arcturus, passé plus ou moins inaperçu en l'an 2000 dans le berceau encore timide de Code666.

Un peu à l'exemple du diptyque "Demanufacture" - "Remanufacture" de Fear Factory, Ephel Duath ont donc pendant ces deux années retravaillé leurs morceaux en les trempant au passage dans un bain cybernétique, mais surtout en ébavurant les irrégularités. On se retrouve donc avec un produit qui possède et les qualités indéniables du prototype et le ticket originalité plus maturité apporté entre temps, sans compter qu'il bénéficie désormais d'un mix pimpant. La richesse de la musique est immense, des dizaines de petits ornements subtils ou de lignes parallèles inattendues explosant les uns à la suite des autres comme autant de bouquets finaux de feux d'artifices sans faire obstacle à la fluidité ou à la cohérence des chansons.

Ephel Duath font depuis leurs débuts étalage d'une sensibilité toute particulière dans la recherche de leurs harmonies. Ne se contentant pas d'envelopper leur black de nappes de claviers, ils lui donnent une dimension culturellement spécifique à travers des entrejeux rapides et enflammés tels qu'on peut s'imaginer les rencontrer dans une pièce de théâtre baroque et grand-guignolesque - une touche très "Italienne" en somme, qui apporte un peu de sang chaud revivifiant sans pour autant qu'on ait l'impression d'être sous un chapiteau de cirque. Car la violence extrême - pour ne pas dire parfois extrémiste - dégagée presque de bout en bout se charge de nous l'ôter de la tête.

Et pourtant on ne peut pas dire qu'Ephel Duath manquent de raffinement ou de mesure, je leur tire même mon chapeau d'avoir su éviter la tentation de pousser les beats de leur boîte à rythme constamment à toute berzingue, ce qui aurait été facile mais aurait sans doute noyé la profusion de détails, de ces duels enivrants entre piano, synthés et effets divers dont aucun ne ressort nettement vainqueur, mais tous éminemment grandis. La violence d'Ephel Duath, ce sont des variations soudaines dans la cadence des percussions programmées qui claquent comme des déflagrations de tonnerre rapprochées dans une nuit de tempête. Au milieu de la grêle d'acier de guitares mordantes et volubiles, par moments ultra-mélodiques (presque progressives - cf. "The Danza" - ou joliment épiques - cf. "Insomnia's Desert"), l'adrénaline peut ainsi passer de 0 à 100 en quelques dixièmes de secondes comme elle peut retomber subitement dans une période d'aphasie où l'on se laisse glisser sur de calmes courants qui n'hésitent pas à mêler accents trip-hop à de très beaux accords vocaux de type déploratoires ("Greynesses Grow already Old").

Avant-garde est un adjectif pour une fois bien employé en parlant d'Ephel Duath, qui parviennent comme peu avant eux à caser une musique tentaculaire, tantôt fine ou chaotique, tantôt passéiste ou futuriste, tantôt aérée ou ultra-dense, dans un réceptacle bien carré où toute particule tient ses positions sans fléchir devant le flot d'intensité et la multitude de geysers sonores générés. En tirant de la sorte le meilleur parti possible de leurs fonds de tiroirs, Ephel Duath vont se ménager une bonne base de fans sans se condamner à l'exploit pour émerger du ventre mou des nombreux groupes qui aspirent à se défaire de leur étiquette black et errent en quête pathétique du philtre magique qui rendra leur musique irrésistible. En bref si vous n'êtes pas opposé à l'idée d'un Diabolicum un peu plus varié et virtuose, ou si vous adorez "La Masquerade Infernale" mais aimeriez la voir arborer un visage un peu plus tonique par instants, j'imagine que "Rephormula" couronnera vos attentes avec bonheur et vous garantira un parangon ardu à détrôner pour pas mal de temps.

Par souci d'exhaustivité, je mentionnerai qu'outre les huit titres "réguliers", on trouve deux remixes carrément technoïdes/jungle/noise/ambient et tout le catalogue réalisés par des DJ professionnels, dissections encore plus pointues et désarticulées d'œuvres de départ qui, on a du mal à se le figurer, étaient du black metal symphonique d'excellente facture. Pas forcément indispensable mais intéressant.

Enfin, l'album est clôt par les trois titres également retravaillés de la démo "Opera", histoire de témoigner d'une évolution fulgurante aux mille contrastes comme de sortir de l'oubli des morceaux déjà très classieux, personnels et structurés qui feraient plus que de la résistance sur un "best-of" de la scène black actuelle, et bien bonne figure sur un "Moon in the Scorpio" ou un album d'Obsidian Gate. Ecoutez-moi ce "Falling..." ou si Yann Tiersen faisait du black metal: monumental ! Les - sans doute rares - possesseurs de "Phormula" devront néanmoins y réfléchir à deux fois avant d'investir, mais bon on voit bien des gens acheter toutes les éditions possibles et imaginables de leurs groupes favoris même s'il n'y a qu'un morceau bonus, une croix inversée en hologramme ou un volet de carton en plus pour toute différence, alors pourquoi rechigner son plaisir lorsqu'on est certain de ne pas être floué sur la marchandise ? Car en vérité je vous le dis mes frères: "Rephormula" est un album que je suis sincèrement heureux de savoir bien au chaud dans ma collection pour toutes les fois où je me sentirai l'âme d'épicer mon ordinaire.


Rédigé par : Uriel | 16/20 | Nb de lectures : 7621