Achernar (chant/basse/synthés) et Clevdh (batterie - ORAKLE par DUNGORPAT - 2328 lectures
Avec son deuxième album "Tourments et Perdition" sorti il y a quelques semaines, ORAKLE s'est positionné comme l'une des forces montantes les plus prometteuses de la scène black française. A en juger par l'entretien réalisé avec Achernar et Clevdh, deux musiciens lucides et forts sympathiques, il se pourrait bien que l'engouement qu'il suscite soit destiné à perdurer ; souhaitons-le en tous cas!


VS : Salut à tous ! Le deuxième album du groupe, « Tourments et Perdition », vient à peine de sortir chez Holy. Dans quelle mesure le label vous a-t-il aidé/a-t-il été impliqué dans sa réalisation ?
Achernar (chant/basse/synthés) : Salut Pat. Sur tout ce qui est purement artistique, nous avons toujours été très indépendants sur la manière dont nous fonctionnons, donc nous ne faisons aucun compromis sur l'artwork, la musique ou les textes. Par contre, Holy Records nous a effectivement aidés sur certains points importants. La rencontre avec Fernando Pereira par exemple (l'ingénieur du son du dernier Misanthrope), qui nous a ouvert les portes d'une grosse institution parisienne en matière de son, les studios Davout ; nous y avons enregistré batterie et basse, puis nous y sommes revenus pour traiter certains instruments lors du mixage, afin de profiter pleinement du matériel audio haut-de-gamme dont dispose ce studio. De même, j'avais réalisé l'artwork avec mon amie et Clevdh, mais Séverine (chez Holy Records) a ensuite tout mis aux normes d'impression, ajusté certaines teintes, etc… ce qui, il faut l'avouer, nous a été d'un grand secours.


Doit-on le considérer comme un album concept tournant autour des thèmes évoqués dans le titre ?
Oui et non. Non, car rien n'était prémédité et parce qu'à mon avis, chaque titre peut s'écouter individuellement sans perdre toute sa substance. Mais effectivement, au final la plupart des textes se sont imbriqués autour de cette thématique du tourment, d'un être qui ne met plus aucun obstacle devant sa lucidité, son inévitable confrontation avec le tragique de son existence et la mort. Je serais d'ailleurs tenté de dire qu'on retrouve ces mêmes thématiques sombres d'un point de vue strictement musical ; de fait, Amar Ru étant parti un an au Québec pour ses études, j'ai composé l'essentiel des parties pour cet album : elles sont sorties de l'état d'esprit qui était le mien, à savoir un conflit entre des choses très positives dans ma vie et paradoxalement un sentiment accru de vanité, de pessimisme... Un sentiment qui a pris sa source dans des événements malheureusement bien réels, certaines lectures également, et une attirance qui a toujours été naturelle pour les aspects les plus « sombres » et dissimulés de l'esprit. On pourrait d'ailleurs définir l'un des thèmes fondamentaux de cet album comme une conscience accrue de la lutte perdue d'avance qui agite l'être humain, le pressentiment d'un échec qui le pousse à inventer sans cesse de nouveaux artifices, de nouveaux masques pour dissimuler ses craintes. Et il est vrai que pendant le processus de composition, avec Clevdh, nous parlions de temps en temps de cette pente descendante, qui peu à peu s'affirmait naturellement comme la ligne directrice de l'album, à tous points de vue.


Les textes sont souvent écrits à la première personne du singulier, y a-t-il une raison à cela ?
Clevdh (batterie) : Pour être tout à fait franc, je n'avais jamais prêté attention à cette utilisation quelque peu récurrente. Je pense donc qu'il n'y a pas de raison purement consciente à cela ; par contre des motifs inconscients, il en existe sans doute. Le fait est que nos textes ne sont jamais totalement déliés du réel et donc de ce que nous sommes individuellement en tant que perception créatrice du monde qui nous entoure. Ainsi, si nos textes s'attachent à réfléchir sur des sujets existentiels susceptibles d'être entendus et compris par tout homme quelque peu curieux et attentif à ce qui l'environne, il me semble néanmoins important de comprendre que la pulsion première qui enclenche réflexion et intellection naît avant tout d'une introspection. Elle-même directement liée à la réception d'affects très personnels. De fait nos thématiques sont d'abord ressenties et vécues avant d'être analysées et réfléchies par la raison, pour devenir par la suite objets de débat, de communication ou de transmission. D'ailleurs tu noteras également que l'emploi du « nous » demeure lui aussi assez fréquent, ce qui selon moi caractérise ce degré d'ouverture au monde résultant de la phase introspective primaire, nous permettant d'établir nos réflexions sur un terrain quelque peu plus universel, c'est-à-dire au sein duquel identification et échange deviennent possibles.

Achernar (chant/basse/synthés) : J'ajouterai que paradoxalement le seul titre de l'album qui ne prend pas pour base cette individualisation par l'utilisation d'un « je » ou d'un « nous » est le titre qui ouvre l'album, à savoir « Les Mots de la Perte »… Ce qui n'est pas innocent. Dans ce texte, l'idée fondamentale est la disparition de tout ce qui masque l'individualité, mais avec la conscience que ces apparences sont, à notre plus grande déception, une grande partie de ce qui la constitue ; il y a dans ce texte une description lucide et désespérée de la vanité humaine, à l'image d'un être humain qui un instant prendrait congé de lui-même pour mieux observer sa réalité, d'où l'absence de « je » ou de « nous » au profit d'une position plus universelle. Selon moi cette idée dresse le tableau pour la totalité des textes de l'album : on peut s'imaginer un paysage vallonné, au sein duquel nos individualités vont continuellement évoluer dans les creux ou au bord des précipices. J'ai été en partie influencé par Samuel Beckett lors de l'écriture de ce texte, et justement dans ses œuvres le portrait qu'il dresse est celui de l'homme vidé, abandonné, errant, démuni jusqu'à l'absurde, pour qui les mots, au-delà de toute logique et d'utilitarisme lié à la compréhension, deviennent la seule preuve concrète de son existence : « Les mots parlent, mais ne disent rien – ils se répandent en actes de présence ».


Vous avez pris le parti de chanter en français, ce qui pourrait laisser croire qu’il est plus aisé de comprendre les paroles et donc de s’immerger dans votre univers, pourtant ce n’est pas toujours le cas.
Si « Vengeance Esthétique » et « L'imminence du Terrible » sont par exemple assez simples d'accès, il en va autrement des « Mots De La Perte » ou de « La Splendeur de Nos Pas ». Vous souciez-vous de la façon dont les auditeurs vont appréhender les chansons ?
Absolument pas. Que ce soit au niveau des textes ou de la musique, nous n'avons jamais intégré ce genre de variable dans nos choix. Nous prenons le parti de la sincérité, et il se trouve que nous apprécions l'écriture qui ne reste pas en surface mais creuse au plus profond pour déterrer des « vérités » pas toujours simples, quitte à placer une barrière devant certains auditeurs. Mettre au premier plan des attentes extérieures au groupe, ou l'aptitude des auditeurs à comprendre telle ou telle chose, serait d'un certain point de vue castrateur pour nos ambitions artistiques ; et au-delà de ça, ce serait faire offense à leur capacité de réflexion et de curiosité. Personnellement, j'ai toujours aimé rentrer dans l'univers d'un artiste lorsque j'achète un album – parcourir longuement les textes en fait partie – et souvent, plus cet univers est personnel et demandeur en terme de réflexion, plus il me séduit… J'ai le réflexe de croire que d'autres peuvent avoir la même démarche en écoutant nos chansons. D'autant que nous ne sommes absolument pas fermés lorsqu'il s'agit d' « expliquer », ou en tout cas d'apporter quelques éclaircissements dans les interviews ou directement lors des concerts.
Pour ce qui est des textes que j'ai écrits, j'avoue que j'ai une tendance à m'exprimer par métaphores et que parfois leur impact n'est pas frontal… Par exemple, dans « Les Mots de la Perte » dont je te parlais il y a quelques instants, tout est parti de certains textes de Beckett qui m'ont beaucoup touché et ont alimenté ma propre réflexion, et j'ai surtout tenté de recréer avec des images personnelles les conditions propices à la naissance de ce sentiment d'abandon, de désuétude, d'oubli ; cette forme de « nudité » totale et insurmontable une fois que l'homme s'est extirpé de tous les artifices qui façonnent sa vie. Mais il ne faut pas y chercher un sens unique, cette manière d'écrire ouvre au contraire différentes portes, et je pense que chacun peut y trouver une certaine forme de vérité qui lui sera propre.


Sur la première page du livret, on trouve une seule inscription, en bas à gauche : « Tourments ». Sur la dernière, toujours en bas mais à droite cette fois, est inscrit « Perdition ».
Au centre, on décèle la même silhouette humaine qu'on voit sur la pochette tendre un bras vers le ciel comme un appel à l'aide. Tout cela n'est pas innocent je pense, peux-tu nous en dire plus ?
Ce personnage est un détail issu d'un tableau de Jean-Baptiste Carpeaux intitulé « Groupe de naufragés », tableau qui a d'ailleurs servi d'ébauche à l'une de ses sculptures. Effectivement, il semble y incarner la figure du « survivant », c'est-à-dire celui qui lutte encore pour vivre là où ses compagnons ont déjà péri. Dans l'artwork, sa position est pour le moins désespérée : situé au cœur de la tempête sur la couverture, il affronte symboliquement des tourments indissociables de sa propre existence ; à la fin du livret, on le retrouve plongé dans une trame noire, sans fondement, le mot « Perdition » ne laissant aucun doute quant à l'issue de sa lutte.


La place des deux inscriptions, si on prend en compte le sens de lecture de français de gauche à droite, peut être vue comme les symboles d’un commencement et d’une fin.
N'y aurait-il que la perdition comme issue aux tourments ?
Clevdh (batterie) :Eh bien écoute, je te laisse regarder autour de toi et si d'ailleurs tu crois qu'il est possible de trouver une autre issue à la vie que celle de la mort et donc de la perdition, fais-moi signe ! Effectivement, tu pourras facilement m'objecter le fait que les tourments d'une existence peuvent parfois trouver la voie de l'apaisement, mais ici le problème réside justement dans le fait que c'est cette inévitable issue qui provoque chez l'homme tant d'inquiétude et de difficulté à maîtriser la réalité qui l'entoure. Conscient de sa finitude et des contradictions qui accompagnent son être, l'individu ne pourra donc réellement connaître l'apaisement qu'une fois disparu.

Achernar (chant/basse/synthés) : La ligne directrice de l'album va clairement dans ce sens, même si avec nous mieux vaut ne pas trop se fier aux sens de lecture traditionnels ! Plus sérieusement, il y a effectivement une volonté de fermer les issues dans cette évolution, d'où l'utilisation du pluriel pour le premier mot et du singulier pour le second. Pour l'anecdote, « Tourments » a été proposé par Clevdh et « Perdition » par moi-même en réponse, car nous avions chacun un mot pour résumer le contenu textuel de l'album dont nous étions tous deux les géniteurs, à l'exception de « La Splendeur de nos Pas », écrit par Amar Ru. Chaque titre glisse donc quelque part sur la pente de ces « tourments », qui ne sont finalement que des prises de conscience relatives à la place que nous occupons au sein de la réalité : être solitaire, sacrifiant machinalement son « bien » dans « Celui qui Erre », se débattant pour regagner la faculté d'imagination dans « Dépossédés », révolté contre les fondations de son existence dans « Vengeance Esthétique », se nourrissant de ses propres luttes mais pressentant la chute dans « La Splendeur de nos Pas », pour enfin développer l'ultime et tragique intuition de la mort dans « L'Imminence du Terrible ». A mon sens, c'est vraiment ce dernier titre qui clôt réellement tout espoir… C'est le titre le plus épique que nous ayons jamais écrit, probablement le plus sombre et dramatique de l'album, et sa conclusion abrupte ne laisse de place qu'à un néant et une tragédie absolus. L'unique issue, en effet…


Et si la perdition devait n’être que la seule issue, serait-elle si terrible puisque pour vous « le véritable tourment demeure l’existence » ? (« L’imminence du terrible »)
Clevdh (batterie) : La perdition en soi, ne me semble pas si terrible que ça... Mon propre retour vers le néant n'est pas finalement ce qui me tourmente le plus, car l'éternité qui s'écoulera après ma mort ne me paraît pas plus dramatique que celle qui s'est écoulée avant ma naissance (bien entendu c'est la raison et l'intellect qui s'expriment ici, bien plus que les passions et le corps). En fait, ce que pointe L'imminence du terrible c'est une inquiétude de vivant, car bien plus que la peur de mourir, c'est la peur de vivre la mort des autres qui est soulevée ici. Au final, ce qui nous fait tant souffrir dans la mort ou dans son idée ce n'est pas tant le sort qui attend ceux qui partent que ce qui se brise et disparaît dans cet événement, c'est-à-dire des relations entre des êtres. Des relations qui font partie intégrante de l'équilibre psychique de chacun de nous, et vis-à-vis desquelles nous devons désormais nous résoudre au tragique « plus jamais ». Certes le corps fait ce qu'il peut pour lutter et conserver dans sa mémoire ce qui a été, mais en vain... car comme le dit si bien Léo Ferré « Avec le temps, va tout s'en va, on oublie le visage et l'on oublie la voix ». Vivre avec ce sentiment d'effroi ou cette inquiétude permanente, être incapable de partager d'intenses échanges sans ressentir le poids d'une mort voleuse au-dessus de soi, voilà ce que traduit un titre comme "L'imminence du terrible". Et pourtant, l'évidence veut que personne ne sorte vivant de l'existence et nous fait donc comprendre que le fait même de vivre est une chose cruelle et douloureuse. Ainsi à travers la phrase « le véritable tourment demeure l'existence » ce sentiment d'inquiétude et d'effroi initial est ici approfondi, et se déploie en deux idées fondamentales, exprimant: d'une part, la constante cruauté contenue dans le fait même d'exister, car partagé entre une sensibilité qui nous pousse à nous attacher aux éléments du monde extérieur, et la vie dont le fin mot n'est pas l'amour mais la mort, qui sans cesse nous arrache ces branches (nos proches), éléments constitutifs et essentiels de ces arbres que nous sommes tous. Et d'autre part, une volonté de déculpabiliser l'individu qui, paralysé par la pudeur affective, demeure incapable d'exprimer ses sentiments, car derrière ce voile que la pudeur étend ce sont déjà les larmes futures de la perte de l'amour dans la mort qui se profilent.
Il n'en demeure pas moins qu'un tel constat n'engendre pas nécessairement une volonté d'abréger l'existence et d'anticiper notre perdition. En effet, le tragique se doit avant toute chose d'être vécu dans toute sa profondeur, car c'est d'ailleurs dans ces conditions que l'esthétisme du vivant s'exprime le mieux et prend tout son sens. En fait, il s'agit seulement de comprendre comme le dit Schopenhauer « qu'il n'y a qu'une erreur innée: celle qui consiste à croire que nous existons pour être heureux ».


L’un de nos VSeurs pense que l’artwork est basé sur une toile de William Turner, est-ce le cas ? Si oui, pourquoi n’est-il pas crédité dans le livret ?
Achernar (chant/basse/synthés) : Oui, c'est le cas de l'ensemble de l'artwork. La couverture est issue d'une œuvre de Turner intitulée « Snow Storm : Steamboat off a Harbour's Mouth », dont les teintes ont été pas mal retravaillées. La manière à la fois abstraite et pourtant criante de vérité avec laquelle ce peintre a représenté le tumulte et le mouvement est fascinante… La scène est véritablement vécue par procuration par celui qui la regarde avec attention, et en cela sa démarche est proche de la nôtre : nous essayons de matérialiser en notes et en mots les émotions qui nous animent, afin d'être en mesure de les revivre nous-mêmes, et de les faire vivre à l'auditeur, au plus proche de l'étincelle initiale. Nombre de ses toiles valent d'ailleurs le détour, notamment les plus abstraites qui malheureusement sont très rares et peu connues du public, mais dont on retrouve certaines parties à l'intérieur du livret.
Après, pour les crédits, j'avoue qu'il n'y a aucune raison particulière si ce n'est l'empressement lors de la finalisation du livret… Je ne pense pas qu'il nous en tienne rigueur là où il se trouve.


Cela ne doit pas être évident de rendre justice à des compos aussi sophistiquées en concert : un son médiocre et une bonne partie de leur force peut s’évanouir…
Comment cela se passe-t-il généralement en live ? Arrivez-vous à capter l'attention de la salle sans trop de problème ?
Clevdh (batterie) : En fait cela dépend des concerts, toutes les dates ne se valent pas en terme d'ambiance. Mais ceci dit je ne pense pas que saisir l'attention de la salle soit si problématique que ça compte-tenu de la complexité de nos compositions. Plus les concerts passent, plus je commence à comprendre que ce n'est pas parce que les spectateurs ne bougent pas qu'ils n'apprécient pas la musique pour autant, surtout lorsqu'ils découvrent Orakle pour la première fois. Le fait est qu'en tant que musiciens nous préférons voir la salle en mouvement et réactive musculairement à ce que nous jouons, car indéniablement ceci nous aide également à atteindre cette ivresse dionysiaque que nous recherchons en live ; mais j'admets aussi pour ma part, qu'en tant que spectateur, je ne bouge pas forcément à tous les concerts que je vais voir, et que ceci n'est pas forcément lié à une réception négative de ce que j'entends ou vois sur scène : c'est même parfois le contraire (il m'est arrivé de passer des concerts entiers dans le « pogo », à libérer des pulsions, qui pour le coup m'empêchaient de porter une réelle attention à ce qui se déroulait sur la scène). « L'attention de la salle » peut donc s'entendre et s'incarner dans les faits de diverses manières. En ce qui concerne maintenant les conditions de scène et notre son, il est vrai que ceci peut avoir une réelle influence sur la qualité d'un concert. Ceci dit nous savons nous adapter… Nous avons fait de très bonnes dates dans de tout petits endroits, avec de faibles moyens techniques : le tout est plus « rock n' roll » et cela ne me déplaît pas forcément.


Il est assez rare de voir des groupes de death-metal se pencher sur des sujets aussi sombres que ceux qu’on peut trouver dans « Tourments & Perdition », alors que c’est plutôt courant dans le black.
A quoi penses-tu que cela puisse être dû ? A cette tristesse qui fait partie des fondements même du black ?
Je ne suis pas un spécialiste de l'analyse ni même de la définition des divers courants musicaux qui peuplent le monde du Métal. Si les catégories sont des outils utiles, je dois t'avouer que moins je disserte dessus, mieux je me porte… Toutes ces personnes qui se targuent de savoir comprendre et défendre le « vrai Black-Metal » essaient de se faire passer pour des « scientifiques » d'une science qui n'existe même pas. Ils me font penser à tous ces fanatiques religieux dont Voltaire se moque et critique dans Zadig, parce qu'ils passent leur temps à disserter sur rien et à condamner le monde entier pour n'avoir pas respecté les us et coutumes de ce « rien ». Ceci dit, pour soutenir ton idée, il est vrai qu'à l'écoute de mes premiers CD de black, j'ai été particulièrement sensible à l'essence tragique de ce style. Car plus que la simple tristesse, c'est en fait l'alliance improbable de la puissance et du désespoir, ou de la force et de la mélancolie, qui m'a semblé décisive dans ce style ; cette sensation d'un vouloir-vivre meurtri mais qui ne renonce pas et qui au contraire s'alimente de ce qu'il y a de problématique et de ce qui dans l'existence force à la lutte. Il y a dans le Black une flamme qui veut vivre, et qu'on ne retrouve pas par exemple dans la tristesse exprimée dans le Doom, qui selon mon propre ressenti, se trouve être plus dépressive que réellement tragique. Exalter les passions d'une existence qui a su se libérer de la contrainte des vaines illusions qui craignent l'aporie, voilà l'essence même du tragique. En fait, contrairement à d'autres styles de Métal, le Black-Metal m'a toujours incité émotionnellement à rechercher l'exaltation au sein de la solitude et des grands espaces, et donc à tourner le dos à la réunion des hommes en société. Sans vouloir être excessif, je crois que ce style de musique n'a pas besoin de grand-messe, et qu'au contraire c'est dans un rapport très individuel et propre à ce que chacun fait de lui dans son cheminement personnel qu'il peut développer toute sa force et son essence. Dans cette tension nature / culture, le Black-Metal me semble effectivement naître de la culture, mais cela dit définitivement tourné vers la nature.


D’où vient le nom du groupe ? Doit-on y voir un parallèle avec les oracles antiques ?
Achernar (chant/basse/synthés) : j'ai peur de ne pouvoir être très précis sur cette question ! Tu sais, nous avons créé ORAKLE avec Clevdh lorsque nous avions 14 ans, et à l'époque ce choix avait… autant de sens qu'un choix d'adolescent, tu vois ce que je veux dire ? Tout au plus, une certaine fascination pour l'aspect mystique de cette figure antique, sa position particulière entre le divin et l'humain, et un mot qui sonnait bien, assez « universel » car compréhensible dans de nombreuses langues… mais là, je te parle a posteriori, avec un cerveau qui a vieilli de plus de 10 ans (rires) ! Le changement du C en K était lui très terre-à-terre, nous avions juste appris qu'un petit groupe américain (qui ne doit même plus exister d'ailleurs…) portait déjà ce nom, ce qui nous a poussé à en modifier l'orthographe. Ce qui est certain par contre, c'est que le fait d'avoir conservé ce nom depuis le début, et malgré une évolution évidente de notre musique, lui a conféré un sens particulier pour nos parcours d'artistes, une existence à part entière.


Les références à EMPEROR et ARCTURUS sont toujours aussi présentes et même si les chansons sont très bonnes, ce qui est finalement le principal, ne craignez-vous tout de même pas d’être rejetés
simplement parce qu'on vous reprochera de ne pas avoir assez de personnalité ? Vous semblez en effet avoir une culture musicale très vaste, pourquoi ne pas inclure d'autres éléments dans la musique d'ORAKLE et vous construire ainsi une identité plus marquée ?
Achernar (chant/basse/synthés) : Je ne suis absolument pas d'accord avec cette façon de voir les choses. A mes yeux, et notamment en comparaison avec notre premier album, « Tourments & Perdition » est tout sauf un album qui manque de personnalité… Et je vais te dire pourquoi : je suis bien placé pour savoir comment ont été créés les riffs puisque j'en ai écrit la majeure partie dans mon home-studio ; certes, c'est impossible de faire une croix sur ma culture musicale en matière de Metal – Emperor et Arcturus en font partie et la création ex-nihilo n'existe pas –, mais pas une seule fois je n'ai consciemment écrit un riff en me disant « c'est cool, ça ressemble à… ». J'avais à cœur d'y mettre toute ma sensibilité du moment, en expérimentant certaines choses (j'ai par exemple été influencé par les vieux PINK FLOYD, DEVIL DOLL, RADIOHEAD, certains compositeurs de musique classique), et crois-moi nous étions tous dans cet état d'esprit… Nous avions même tendance à écarter les parties qui faisaient trop penser à tel ou tel groupe… Même chose pour la batterie : Clevdh a composé ses parties de batterie avec une originalité hallucinante voire déconcertante par moments, qu'heureusement certains remarquent et mentionnent, et je ne vois pas en quoi son style se rapproche d'un Trym ou d'un Hellhammer… C'est même farouchement opposé.
Le fait est qu'il faut bien séparer deux choses lorsqu'on parle de « personnalité » : effectivement d'un côté il y a la pure « originalité », et bien que je reste convaincu que cet album propose des parties innovantes (je pense à des titres comme « Les Mots de la Perte », « Vengeance Esthétique » ou la partie presque jazzy au centre de « La Splendeur de nos Pas »), effectivement nous ne prétendons pas révolutionner quoi que ce soit. Par exemple, on me dit que ma voix ressemble à celle de … : très bien, super, mais lorsque ça sonne comme un reproche, j'aimerais qu'on me dise ce que je peux y faire ? Pour être honnête, j'ai tenté de chanter différemment de mes habitudes lors de la création des parties vocales, justement pour sortir des éternelles comparaisons, et ça se terminait nécessairement par quelque chose qui n'était ni naturel, ni honnête. Quel intérêt ? Pour moi une identité marquée impose obligatoirement une honnêteté par rapport à qui tu es à un instant donné… Là où je veux en venir, c'est que je ne vois aucun intérêt dans l'originalité pour l'originalité. C'est génial de faire quelque chose de totalement décalé et novateur – si c'est encore possible aujourdhui… –, pourquoi pas, peut-être même qu'on le fera sur un prochain album, mais le fait est que la musique, les textes, la production, l'artwork, tout dans « Tourments & Perdition » correspond parfaitement à notre vision à une période bien précise. C'est ce que j'appelle avoir une vraie identité, le reste n'est que connerie.
Et puis, et j'en terminerai par cette remarque, concernant ces fameuses références, EMPEROR et ARCTURUS sont quand même deux groupes fondamentalement différents musicalement ! Alors, outre le fait qu'il y a moins flatteur comme comparaisons, et que, bien évidemment, il est plus logique de nous comparer à ce genre de groupes qu'à Britney Spears ou 50 Cent, je trouve que c'est déjà une belle prouesse si nous avons pu ou su mélanger ces deux groupes dans un style qui me semble, en tout cas personnellement, homogène… Au final, je préfère penser que nous sommes quasiment les seuls à pouvoir être comparés à de telles figures emblématiques, quitte à éveiller les sarcasmes des uns, plutôt que d'être encensés grâce à une énième répétition de Black-Metal ou de Death-Metal traditionnels, comme il en existe des dizaines et des dizaines a(ci)dulées que je ne citerai pas. La musique s'écoute avant tout avec ses oreilles.


« Tourments & Perdition » semblait très attendu à en juger par les coms laissés à chaque news sur ORAKLE ! Cela vous a-t-il mis la pression quand vous avez commencé à composer ?
Non, pas du tout. Il y a évidemment des personnes qui attendaient l'album, mais je crois qu'on ne fait absolument pas attention à ça… Le seul objectif quand nous avons commencé à composer était de réaliser le meilleur album possible, rien de plus, rien de moins. Nous sommes intègres et j'ai du mal à imaginer qui que ce soit dans le groupe se sentir sous pression. Composer de la musique correspond pour moi à un besoin très fort, or je pense que ce genre de pressions n'arrive que lorsque cela tend à devenir une nécessité. Notre seul but est d'exprimer de la meilleure façon les sentiments qui nous tiennent à cœur, c'est avant tout un processus d'apprentissage, de développement personnel. Après, si le produit de cette expression croise la sensibilité des auditeurs, nous en serons très heureux.


Avez-vous déjà eu quelques retours concernant son accueil à l’étranger ? A-t-il été aussi bien reçu qu’en France ?
Il est bien trop tôt pour faire un bilan de quelconques retours, y compris en France. L'album vient de sortir, la promotion est en cours, et nous n'avons fait qu'une seule date, en France. Les chroniques sont par contre pour la plupart très élogieuses ; personne ne nous enlèvera la conviction que cet album est réussi, mais parfois je t'avoue que nous sommes nous-mêmes étonnés à quel point certaines chroniques portent « Tourments & Perdition » encore plus haut, faisant parfois de nous une sorte de nouvelle référence. On se sent moins seuls (rires). Sérieusement, ça fait toujours plaisir, on ne va pas se le cacher. De même, gérant le côté « administratif » du groupe, notamment le site et le Myspace, j'ai eu droit à une bonne quantité de mails de soutien, très flatteurs, de la part du public étranger qui a découvert quelques nouveaux titres par l'intermédiaire d'Internet. La distribution à ce niveau-là se met tranquillement en place, je ne me fais pas trop de souci puisque Plastichead, Audioglobe, Avant-garde et bien d'autres ont déjà référencé l'album ; Holy fait du bon boulot.


Merci d’avoir répondu à cette interview ! Cette dernière question est la vôtre, atelier expression libre…
Merci beaucoup pour ces questions, et merci aux lecteurs de VS qui ont eu le courage d'arriver jusqu'à ces lignes ! Pour finir, et puisqu'en ce moment on parle beaucoup d'Internet, de la dématérialisation de la musique, de sa multiplication également car tellement de groupes sortent des albums aujourd'hui… A défaut d'être original, je suis assez nostalgique de l'époque où il n'y avait pas encore ce phénomène du « je prends puis je jette », totalement irrespectueux du travail des artistes. Je voudrais juste rappeler que derrière nombre de disques il y a des musiciens qui ont donné beaucoup d'eux-mêmes, et bien que n'étant pas un grand matérialiste, conscient également que le prix d'un produit pourtant « culturel » est parfois exorbitant, je rappelle que des passionnés permettent encore d'acheter des disques à prix abordable. Au sein du groupe nous avons tous un travail et un revenu (je précise pour qu'il n'y ait aucun doute quant à mes intentions ;), mais « moralement » je préfère voir quelqu'un se pencher longuement sur l'objet, la musique, l'artwork, les textes, plutôt qu'un autre qui se contentera de télécharger 1 ou 2 titres dans un I-Pod, de vaguement écouter puis de s'en retourner à sa gloutonnerie quotidienne. Comme tu l'auras compris, nous sommes très fiers de ce deuxième album, c'était à nos yeux le plus important, mais maintenant qu'il est achevé, j'espère vivement que le public aura la curiosité de se pencher sur ce « Tourments & Perdition ». A très bientôt !


Auteur
Commentaire
Aucun commentaire

Ajouter un commentaire

Pseudo :
Enregistrement Connexion







Proposez News | VS Story | F.A.Q. | Contact | Signaler un Bug | VS Recrute | Mentions Légales | VS-webzine.com

eXTReMe Tracker