Iskandar Hasnawi - ELEND par DARK TRANQUILOU - 2046 lectures
Avec "Sunward The dead" Elend apporte une pierre supplémentaire à un édifice musical déjà bien édifiant. Place au maître d'oeuvre Iskandar Hasnawi pour faire le point sur un groupe à part.


Avant de parler du présent et du futur d’Elend, permettez moi de revenir un instant sur votre passé. Maintenant que vous avez le recul nécessaire, quel regard portez-vous sur vos trois premières réalisations qui ont de façon certaine laissé une trace indé
Ce que tu dis est très flatteur pour nous, mais je ne sais pas quoi répondre : je nous vois comme un groupe très marginal et isolé.. Je ne crois pas que nous ayons un quelconque impact. Par ailleurs, je suis mal placé (ou peut-être trop bien placé) pour évaluer positivement notre travail passé : je ne vois que les défauts, les erreurs de compositions, les maladresses dans la réalisation.
À l'époque de l'Office, nous composions une musique d'inspiration néoclassique (sur LDT et LTDD) et post-romantique (sur The Umbersun) sombre et violente. Désormais nous avons trouvé un langage propre, qui rencontre parfois des techniques et des formes inventées par d'autres (Henry, Penderecki, Xenakis, Nono, Stockhausen, Eötvos…), mais qui n'a pas d'équivalent. Notre musique est hybride. Pour prendre une métaphore linguistique, imparfaite mais assez éclairante, je dirai que notre syntaxe vient de la musique populaire et notre lexique de la musique savante. Un compositeur de musique savante s'aventurant dans le champ de la musique populaire ferait l'inverse, il donnerait un syntaxe savante à un lexique populaire. C'est ce qu'on fait les compositeurs romantiques (Schubert, Brahms, Schumann, Chopin et d'autres moins illustres). Certains appliquent en plus une morphologie savante aux éléments venus de la musique populaire : c'est ce qu'ont fait Bartok, Lutoslawski, Ligeti, entre autres.


"Winds Devouring Men" marquait une nouvelle étape dans l’évolution musicale du groupe puisque vous aviez abandonné définitivement les hurlements. Bien qu’étonné lors de la première écoute, j’ai trouvé la métamorphose très réussie. Qu’elles ont été les ré
Pour une bonne part, les gens nous découvrent avec ce nouveau cycle, ils n'ont donc pas conscience du changement.
L'accueil a été favorable, pour autant que je puisse en juger. Il était vraiment dommage de n'avoir aucun contact avec le public : notre site n'était pas en ligne à l'époque et il n'y avait aucun moyen de nous contacter.


Venons en maintenant à Elend version 2004. Le fossé qui sépare "Sunwar The Dead" de "Winds Devouring Men" est moins grand que celui séparant "Winds Devouring Men" de son prédécesseur, pourtant ce disque possède son lot de surprise. Selon vous qu’est-ce qu
Tu as raison, il y a un fil conducteur entre WDM et STD, mais l'intensité est quand même montée d'un cran. À mesure que nous avancerons dans le cycle, l'écart avec WDM sera plus grand. Il se pourrait même, en termes de violence, que l'écart entre le sommet du cycle et WDM soit plus grand que celui qui sépare ce dernier de The Umbersun…
Par rapport à WMD, je dirai que la gamme chromatique a changé même si le cadre est le même, ce qu'exprime visuellement la pochette. Un journaliste anglais a écrit que nous avions repris la palette de WDM en y ajoutant beaucoup de noir, c'est assez juste. Ces deux premiers albums servent en quelque sorte d'exposition : ils mettent en place ce qui sera déployé et détourné par la suite.


Les instruments à cordes et les percussions semblent être plus en avant que sur le précédent disque, notamment sur les morceaux "ardour" et "sunwar the dead" qui d’entrée de jeu installent l’ambiance générale de l’album. L’utilisation de bruitages synthét
Les sonorités synthétiques interviennent en fait dès le premier morceau, « Chaomphalos » et également à la fin de « Ardour ». Mais l'opposition ne se fait pas entre sonorités synthétiques, timbres acoustiques ou bruits concrets. Je n'établis pas de ségrégation entre les différents ensembles de timbres, et la structure du disque n'est pas basée sur ce type d'oppositions, même si elles jouent un rôle. Le véritable principe organisateur est un jeu entre ordre et désordre : comment l'ordre naît du chaos et comment l'équilibre se retrouve après le désordre, comment l'ordre est lui-même porteur et créateur de désordre. Les morceaux sont bâti sur un équilibre fragile constamment mis à mal et rétabli ; les différentes couleurs timbrales, qu'elles soient acoustiques, électroniques ou concrètes, servent ce dessein.
Pour en revenir à ta remarque initiale : il est vrai que nous ne composons plus pour grand orchestre post-romantique. C'est d'abord un choix esthétique ; cela rejoint ce que je disais au début. Nous avons élargi notre palette instrumentale tout en la limitant morceau par morceau pour accorder à chaque élément sa place. Nous avons vraiment appris à orchestrer dans la douleur : sur les morceaux complexes de The Umbersun, des pans entiers de ce que nous avions composé ont disparu dans les profondeurs du mixage et sont inaudibles - à notre grand désespoir. Il y avait beaucoup trop de choses ; nous manquions de discipline et de savoir-faire. Nous avions lu des traités d'orchestrations, mais ce n'est vraiment qu'en composant et en faisant de nombreuses erreurs que nous avons peu à peu acquis une certaine maîtrise. Et il reste encore à apprendre.


Si je ne me trompe pas, cet album est le deuxième volet de la trilogie des vents.
Il s'agit d'un cycle de 5 albums en fait. Il est vrai que j'avais annoncé une trilogie l'an dernier, mais cela ne nous permettait pas d'explorer tous les aspects qui m'intéressaient. 5 albums, cela nous donne le temps d'élaborer les paysages sonores, de déployer plusieurs palettes timbrales et d'organiser une progression dramatique en prenant le temps d'explorer chaque moment.


Les textes ayant toujours eu une importance capitale pour vous, pouvez-vous nous expliquer comment vous avez abordé ce thème sur ce disque ?
C'est le même poème qui sert de base (car, comme tu l'as peut-être remarqué, les textes imprimés différent de ce qui est chanté) aux textes de STD et de WDM, et il en sera ainsi avec les autres albums du cycle. Il double l'unité musicale de l'ensemble d'une unité littéraire.



Pourquoi avez choisi d’inclure quelques passages en français ?
Le poème est écrit en anglais et en français avec quelques citations en grec ancien. Il y a un jeu entre ces langues, entre leurs différents rythmes et l'imaginaire qu'elles charrient naturellement quand elles sont employées dans ce genre de contexte. Le passage que je chante en français dans « Ardour » est un extrait du premier poème des Vers nouveaux et chansons de Rimbaud, les autres passages, qui sont de moi, ne sont pas chantés.


J’ai eu l’impression pendant l’écoute du disque d’écouter la BO d’un film complètement déjanté et marginal. Est ce là une expérience qui vous tente ?
Je vais te décevoir, car nous avons des goûts très classiques en matière de cinéma : Tarkovski, Dreyer, Renoir, Antonioni, Sturges, Hawks, Kurosawa… rien de très marginal. A priori, composer une musique de film ne nous intéresse pas vraiment, mais, qui sait ? peut-être changerons-nous un jour d'avis.



Un de vos compagnon de label, Chris Antoniou de Chaostar a d’ailleurs franchi le pas et se lance dans la conception de musique de jeu vidéo. Avec quel autre expression artistique la musique d’Elend est plus à même de se marier ?
J'aimerais beaucoup composer des musiques de ballet. C'est, à mon avis, le seul art visuel dans lequel l'adéquation entre ce qu'il y a à voir et la musique est essentiel et non pas artificiel comme dans 99 % de la production cinématographique. J'aime cette idée que la musique travaille les corps et soit à l'origine du mouvement.


"Winds Devouring Men" s’est fait attendre un bon moment alors qu’à peine plus d’un an sépare "Sunwar the dead" de son prédécesseur. D’un phase d’anorexie vous êtes passés à une autre de boulimie ?
Je n'aime pas tellement ta métaphore pathologique : notre retraite de 5 ans était volontaire, heureuse et très fructueuse. Nous avions décidé de ne plus rendre notre travail public, d'échapper au processus de commercialisation et surtout de fuir les labels. C'était donc une période particulière. Il est fort possible que nous retournions au silence une fois ce cycle terminé, mais à partir du moment où nous avons décidé de retravailler avec des labels, nous le faisons vraiment, nous ne sommes pas là en touristes. Les albums de l'Office sont tous parus à 12-18 mois d'intervalle, il en ira de même avec ce cycle. Nous composons très rapidement (3 semaines pour Sunwar the Dead), c'est l'enregistrement et le mixage (et les agendas des maisons de disques) qui nous empêchent de réduire ce délai ; s'il n'y avait que la composition, nous pourrions sortir plusieurs albums par an.


D’ailleurs qu’en est il exactement de tous les projets annexes que vous mentionniez à la sortie de "Winds Devouring Men"?
Deux d'entre eux (A Poison Tree et un projet centré sur la voix féminine) devraient voir le jour en 2005. Pour ce qui est d'Ensemble Orphique, c'est en train de devenir une sorte de laboratoire permanent. Je retravaille et transforme les morceaux chaque année, et, pour l'instant, c'est un état de fait qui me convient parfaitement.


Si je me souviens bien, à l’époque de "The Umbersun", un distributeur japonais spécialisé dans le black extrême trouvait l’album trop malsain pour son catalogue. Selon vous, que penserait le même bonhomme aujourd’hui en 2004 avec ce nouveau disque.
Je ne sais pas. Je ne crois pas qu'il y ait de limite à la bêtise. Notre musique ne s'adresse ni aux rustres ni aux paresseux : elle ne génère qu'incompréhension, haine et invectives chez ces gens-là. Ils ne « comprennent pas »… et ils ont l'impression que tout est dit une fois qu'ils ont dit cela. Mais c'est leur problème et non le nôtre. « Les chiens aboient, la caravane passe ». Ils ont été mal informés s'ils ont pu penser que cette musique leur était destinée et qu'elle allait leur plaire. Et si c'est en lisant des propos que j'ai tenus qu'ils ont pu penser cela, j'en suis vraiment désolé.
Oui, notre musique est (un peu) difficile : elle peut demander un temps d'adaptation, d'effort et, si on veut apprécier toutes les références, les allusions, les pastiches, les renversements et les distorsions, il faut une culture littéraire et musicale… Et alors ? On ne voudrait quand même pas que nous nous excusions de cela. Il y a suffisamment de fast-food music disponible pour qu'on nous laisse nous adresser à un public plus exigeant, mature, amateur de nouveauté et de sensations plus corsées. La tyrannie de la facilité et l'exigence de compréhensibilité immédiate sont insupportables.


Les médailles et les records d’Athènes ne sont pas encore trop loin, je ne crois pas me tromper en disant que vous détenez encore le record des ventes de votre label Holy Records ?
Il me semble bien.


Le groupe sans guitare meilleure vente d’un label de métal, n’est-ce pas un peu ironique tout ça ?
Il faut plutôt parler de belle histoire : un jeune label métal qui est parmi les premiers, sinon le premier, à prendre le risque de signer un groupe bizarre qui n'a rien à voir avec le métal et qui en est récompensé au-delà de ses espérances.


Plus généralement quel regard portez vous sur la scène actuelle ? Où se trouve selon vous la véritable originalité ?
Ceux qui, comme nous, ont connu le métal à la fin des années 80 ont vécu une décennie de créativité extraordinaire : la scène actuelle ne peut que leur paraître médiocre, fade et terriblement ennuyeuse.
Depuis le projet solo de Fredrik Thordendal et le succès de The Dillinger Plan, je ne vois pas bien ce qui est arrivé de bon à la scène métal. Et encore… dans le cas de Dillinger, je les préfère quand ils s'inspirent de Naked City plutôt que de Faith No More, comme sur leur dernier album. Isis, Dysrhythmia, The End, même s'ils sont des suiveurs, sont d'un écoute agréable.
Pour le reste… le Black Metal dans toutes ses composantes a sombré dans la clownerie la plus sinistre ; la scène Death/Modern Thrash suédoise n'en finit pas de (mal) digérer ''Slaughter of the Soul'' ; le Brutal Death américain est resté bloqué sur Devourment (et qu'y a-t-il de plus ennuyeux que ces groupes d'hyper blast ?) ; le Funeral Doom ne se remet toujours pas de Thergothon et d'Unholy. Heureusement, il reste quelques groupes comme Beyond Dawn, Neurosis, Lux Occulta, Esoteric, Primordial, Meshuggah et Monumentum, qui ont encore une ambition musicale, et de vieux maîtres qui arrivent encore à sortir de bons albums : Immolation (''Close to a World Below'' était une divine surprise), Suffocation, Voivod et, je l'espère, Celtic Frost.


Comme sur "Winds Devouring Men" la voix a par moment des intonations de feu "Dead Can Dance". En tant qu’acteurs de la scène dark, quel regard portez vous sur ce groupe culte, et sur les autres ?
Ah ! la référence à Dead Can Dance… Il y a effectivement une vague ressemblance entre nos voix et celle de Perry, mais elle est fortuite. Nous aimons Dead Can Dance, et plus encore le travail solo de Brendan Perry, mais musicalement nous n'avons rien en commun, si ce n'est l'envie d'explorer pleinement et le plus librement possible une voie personnelle.
Existe-t-il une scène dark dans la musique populaire ? Je ne crois pas. Il n'y a que très peu de groupes qui s'attaquent réellement à cette musique et le public concerné n'est pas très large : 10 à 20 000 personnes dans le monde, tout au plus. Est-ce suffisant pour parler de scène ? Nous sommes dans les marges de plusieurs scènes. Je ne vois donc pas vraiment à quoi tu fais allusion. Quant à Dead Can Dance, c'est un groupe quasi mainstream. Une autre différence (de taille) entre eux et nous…
En ce qui me concerne, en tant qu'auditeur, il n'y a que dans la musique savante contemporaine que je trouve ce que je recherche en matière de musique sombre et violente.


Pour mieux vous cerner, qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui pour composer ?
Un poème, un son, une image, un autre morceau de musique, parfois dans un style qui n'a rien à voir avec le nôtre, peuvent provoquer un mécanisme d'association et générer l'idée d'un morceau. Il n'y a plus qu'à déplier cette idée et en quelques heures, le morceau est là.


Comment voyez-vous l’évolution de la musique en général depuis qu’internet est rentré dans les données à prendre en compte ? Pensez vous qu’on court les yeux fermés vers le tout commercial et qu’à plus ou moins long terme on ne trouvera plus que de la sta
Je ne sais pas. Il est certain qu'il y aura de la casse chez les indépendants, mais étant donné la médiocrité générale de la production actuelle et le problème de surproduction démentielle, cela ne sera peut-être pas un mal pour la musique.


Et puisqu’on parle des disquaires, celui qui reçoit votre album à mettre en bac, il doit le mettre où (je sais, toujours les étiquettes) ?
Pour ce qui est du référencement de notre musique, je crois que le plus simple est d'opérer le classement en fonction du label : Holy Records a une image métal et dirige ses informations en grande partie vers cette scène. De toute façon, internet permet de faire voler en éclat ce type d'étiquettes.


Comment décririez-vous Elend à quelqu’un qui ne vous connaît pas ?
Nous composons une musique hybride, entre musique populaire et musique savante. C'est une musique orchestrale plutôt sombre et parfois complexe qui utilise des techniques des avant-gardes de la fin du XXe siècle.


Quels sont selon vous les points forts et les points faibles de votre musique pour le néophyte ?
Point fort : nous sommes les seuls à proposer cette musique. Point faible : nous sommes les seuls à proposer cette musique.


Un dernier petit mot pour les lecteurs de VS, vous avez carte blanche :
Je te remercie pour cette interview.


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