Une fois de plus rapide comme l'éclair pour répondre à nos questions (une constante chez le musicien), Shawter s'est prêté bien volontiers au jeu des questions de VS et ne s'est, une fois n'est pas coutume, caché derrière aucun bouclier de protection.

Salut, content de vous avoir à nouveau sur Vs ! Comment se porte Dagoba à l'aube de ce nouvel album ?
Salut ! Content aussi comme à chaque fois !
Tout va bien pour nous, l'album est sorti juste avant l'été, nous avons fait quelques festivals français et étrangers depuis, et nous mettons en place le show pour la prochaine tournée. Nous avons la volonté de mettre en place quelque chose de frais et peut-être un peu plus mis en scène que ce que nous proposions d'habitude, donc nous sommes sur le pied de guerre, très excités et enthousiastes.

Depuis "Post..." bien des choses se sont passées pour le groupe. Vous avez fait produire votre album par Logan Mader, accompagné les Japonais de Dir En Grey sur une tournée aux États Unis, joué un concert remarqué au Hellfest 2014, avant de revenir à nouveau sur le devant de la scène avec "Tales..." quel bilan et quels souvenirs tires-tu de ces divers événements ?
Ce fut une période intense et vraiment passionnante.
Nous avons toujours eu à cœur de maintenir une certaine progression pour le groupe. Et comme tu le dis, produire un album en Californie, tourner aux US mais aussi un peu partout en Europe, et avoir la confiance du Hellfest pour tenir une mainstage à un horaire plus qu'honorable, fut très gratifiant, encourageant, et pour finir bénéfique au groupe.
C'était pas gagné car nous venions de changer de line-up, mais en définitive, comme je le soupçonnais, cela nous a donné des ailes. Nous adorons rester dans une position de challengers, avoir tout à prouver est une manière motivante de se remettre en question et d'avancer.
C'est ce que nous faisons à chaque étape de la vie du groupe, et ainsi, j'espère que le bilan que nous pourrons tirer pour ce nouvel album sera tout aussi positif.

Si "Post..." marquait une évolution au niveau de la prod, "Tales..." continue dans le chemin qu'avait tracé son grand frère. Vous trouvez-vous désormais à l'aise avec ce type de prod ?
Tu as tout à fait raison de le souligner ! Nous sommes particulièrement ravis d'avoir trouvé le producteur idoine pour notre musique.
J'ai toujours été fan de ces groupes qui font corps avec un producteur. Comme Bob Rock et Metallica, Terry Date et Pantera, etc... Bien évidemment rien ne dit que nous ferons les prochains albums avec Logan (même si c'est mon souhait), mais c'est vrai que c'est relaxant de savoir qu'on confie notre musique à quelqu'un qui va savoir la sublimer, sans que nous soyons dans l'expectative de devoir sans cesse corriger ceci ou cela au fur et à mesure.

Dans votre dossier de presse, tu dis que l'enregistrement de "Tales..." s'est bien passé car vous aviez appris à mieux vous connaître avec Mader et que la communication était plus aisée. Quelle qualité manifeste a Mader comme producteur et quelles qualités trouve-t-il à Dagoba ?
Pour être exact ça s'était déjà très bien passé pour "Post...". Et c'était tacite que nous retravaillerons ensemble pour "Tales...". Mais en effet, on avait appris à se connaître, à s'apprécier et donc nous retrouver fut un moment cool. Humainement et professionnellement. La principale raison pour laquelle nous nous sommes rendus chez lui la première fois, est qu'il savait faire sonner du gros Metal, avec nos composantes (double kick à donf, grosses guitares, growls et chant clair, etc...) mais aussi les orchestrations et l'electro, car je suivais d'un œil attentif ses prods pour les musiques de jeux vidéo.
Et ces deux éléments sont aussi quelque chose d'important chez nous. Quand on débarque en studio, c'est avec les pistes classiques d'un groupe de Metal, celles de batterie, de grattes, de basse, de voix, mais aussi avec une tonne de pistes dédiées aux arrangements.
Il est donc important de trouver celui qui n'aura pas peur en ouvrant le disque dur ha ha ! Logan fait partie de ceux-là.
Qui plus est, sur "Tales of the Black Dawn", il nous a aussi prouvé qu'il savait taper dans un registre plus organique, puisque c'est - il me semble - une approche claire et voulue sur ce disque. Et dans ce qu'il aime dans notre musique, je crois que c'est la fluidité que nous proposons tout en gardant notre brutalité.

Je sais qu'avec Dagoba vous aimez la scène metal du milieu des années 90 à laquelle a fortement contribué Machine Head et Logan Mader. Est-ce que vous avez évoqué son passé avec MH avec lui ? N'avez-vous pas eu envie de taper un petit bœuf sur "Davidian" ou "The rage to overcome" ?
Rapidement. Quand je suis avec lui c'est pas pour faire le relou à lui demander des autographes ou lui parler du bon vieux temps. On est plutôt sur le positif de la vie, le futur, nos ambitions, nos projets. Et non, on fait pas de bœuf sur "Davidian" ha ha ! ça nous est arrivé de faire tourner des riffs, mais c'était nos riffs, pas de reprises au coin du feu.

Avez-vous fait avec Mader son fameux test avec ses trois fils lors de l'écoute finale ?
Non, on est pas mal sorti pour des dîners avec eux, mais ils ont pas trop traîné dans le studio.

Parlons un peu plus de l'album. Pourquoi ce titre et pourquoi cette pochette ?
L'album traite d'une traversée de la nuit, avec ses mystères, ses dangers. Chaque titre est une petite histoire, une petite tranche de nuit. Il est construit en fonction d'une chronologie nette. Commençant au crépuscule et finissant à l'aube. "Les contes de l'Aube Noire" me semblait à propos comme titre. C'est à la fois inquiétant et romantique.
Et alors que nous nous dirigions vers quelque chose de très brut musicalement, et que nous voulions un son plus organique que jamais, il m'est apparu qu'un animal nocturne ensanglanté ferait une illustration parfaite de ce qu'est cet album.
La chauve-souris est devenu alors une évidence.

J'ai la nette impression que cet album est un des plus violents que vous ayez enregistré. Est-ce que c'est aussi ton sentiment ?
C'est un sentiment que je partage. C'est jamais évident d'aller vers la violence. Surtout quand notre musique est historiquement composée de parties brutales, mais aussi de parties très mélodiques. C'est plus facile d'aller vers le mélodique, vers l'accrocheur, y'a un peu moins de prise de risques, évidemment. Mais est-ce qu'on en a réellement quelque chose à foutre ? Non.
On est là pour faire ce qu'on aime, et aujourd'hui nous nous sentons confortables dans cette furie. De toute façon, nous savons que si nous avions mis plus de passages clairs, on aurait trouvé des mécontents, tout comme si nous les avions totalement éradiqués.
Du coup on reste sur "notre ligne de conduite" pour vous citer. C'est-à-dire qu'on fait strictement ce qu'on veut, et nous sommes très heureux comme ça.

Toujours au niveau de la violence j'ai l'impression que vos influences les plus extrêmes ressortent sur cet album. Est-ce que tu le ressens comme ça et, si tu en écoutes, quels groupes extrêmes apprécies-tu le plus ?
Bien sûr j'écoute pas mal d'extrême. Après je sais pas vraiment si ce sont les influences de ce style qui nous ont poussés vers cet album. En réalité j'ai du mal à vraiment mettre le doigt sur ce qui fait que "Tales..." est si brutal. Je crois qu'au fond c'est surtout les quatre mêmes mecs qui ont fait "Post Mortem Nihil Est", mais avec une réelle intention de casser des mâchoires !!
On théorise pas vraiment ce qu'on fait, nous restons intuitifs. Quand un refrain arrive, s'il doit être gueulé, alors je le gueule. S'il doit être chanté, alors j'ai pas de scrupules à le chanter. On s'est jamais fixé de frontières musicales.
Et je crois que cette absence de frontières représente - par définition - notre façon d'être extrême. Même s'il commence à dater, j'ai beaucoup aimé le premier album de Deafheaven, et je me suis refait la discographie d'Amenra récemment.

J'aime vraiment beaucoup le titre "Sorcery". De quoi parle cette chanson ?
De sorcellerie noire.

Au niveau des guitares, ce qui avait été amorcé sur le précédent album se corrobore aussi sur ce nouvel opus avec des riffs plus en avant que jamais. Comment Z, déjà présent sur le précédent album, s'est-il intégré au mode de composition et/ou d'enregistrement de Dagoba pour cet album ?
Depuis "Post Mortem Nihil Est", on joue ensemble sur album, chose qui était inconcevable avant son arrivée dans le groupe. Et c'est un réel plaisir que de passer ces moments ensemble en studio. Z et moi avons un jeu complémentaire, et cela participe à grossir le son du groupe. Ce qui pour moi nous manquait auparavant. De plus, Z est rapide pour enregistrer, et il arrive à faire des propositions harmoniques intéressantes sur certains riffs, certains chorus, ce qui est vraiment appréciable.
C'est un réel bonheur de le compter parmi nous !

Lorsque sur VS tu avais dit lors d'une interview avec Greg que Dave Chang (producteur sur "Poseidon") ne trouvait pas Izakar assez précis pour être placé plus en avant sur le mix, cela avait fait réagir pas mal de monde. Dans la mesure où j'imagine que Dagoba est un groupe qui joue au "clic" et qu'Izakar devait aussi répéter comme ça, comment peut-on interpréter cette phrase de Chang ? Est-ce que certains n'ont pas été trop vite en besogne en disant qu'Izakar ne savait pas jouer ?
Il n'y a pas trop d'interprétation à faire sur ce qu'a dit Dave Chang. C'est clair.
Quand on lui avait demandé de mettre plus de guitares sur "Poseidon", il nous avait dit "Non, sinon on va mettre en avant un élément qui va niquer votre album". C'était une constante depuis la création du groupe jusqu'à ce qu'on change de gratteux, et je crois que tu l'as toi-même souligné dans ta chronique de "Tales...".
Moi j'invente rien, hein. Depuis y'a plus de guitare, c'est un constat.
Jouer au clic ça veut pas forcément dire jouer précis au clic. Tu peux mouliner comme un taré sur un tempo de psychopathe, si y'a pas la précision, ça intéresse rarement les producteurs, les musiciens, et les auditeurs. Après moi je suis pas là pour juger le niveau du gonze, notre job à l'époque c'était de demander à l'ingé-son plus de guitare, ce qu'on a fait, il nous a répondu. Heureusement maintenant on a plus ce problème : on demande rien, y'a de la bonne grosse guitare et c'est très bien comme ça !

Vous commencez à avoir joué avec plusieurs groupes dont vous rêviez de partager l'affiche. Plus fort maintenant, avec qui aimerais-tu taper le boeuf sur scène et sur quelle chanson ?
J'aimerais jouer de la guitare avec les Deftones. j'aime beaucoup leur riffing, et je pense que cette lourdeur sur scène ça doit être quelque chose à vivre.

Francky et toi semblez sportifs. Vois-tu dans les activités physiques une sorte de complément à la rigueur de la musique de Dagoba ?
Werther et Z aussi le sont. Il est important pour nous d'être en bonne santé car nous passons beaucoup de temps sur la route. On peut pas se permettre d'être malade sans cesse, ça joue sur le moral et déjà qu'on passe des heures de fous dans notre van, dans les hôtels, dans les backstages, si en plus l'ambiance est plombée par un gars malade, c'est pas cool.
En ce qui me concerne, je fais beaucoup de chasse sous-marine et de musculation. J'avais fait pas mal d'arts martiaux mais avec le groupe il a fallu faire un choix.
La musculation je l'ai gardée quotidiennement car en plus de fortifier mon corps, ça forge mon mental. Le fait de se repousser, de progresser, de se lever le matin et d'envoyer du lourd, ça finit par payer. Le but n'est pas de devenir meilleur qu'un autre, mais meilleur que je ne l'étais la veille. Ça reste dans l'idée de se dépasser et de se discipliner, donc j'adore. En plus c'est un sport où pour avoir de réels progrès, il faut faire gaffe à son alimentation, et ça aussi c'est un sujet qui me tient à cœur.

Tu as récemment mis en ligne quelques morceaux en acoustique et reçu, je crois, de bons retours. Si tu devais faire un side-project, est-ce que cela serait dans un style acoustique, voire tout autre chose ?
Oui, j'aime bien revisiter des titres en acoustique. Si j'avais plus de temps je le ferais plus fréquemment. J'aime beaucoup la guitare classique, c'est un instrument qui marche tout seul. Pas besoin d'amplis, de câble, d'artifice. C'est tes idées, vibrantes dans l'air. Point. Une relation intime avec la musique.
Mais je sais pas vraiment si j'en ferai un side-project.
En fait j'aime pas trop les side-projects. C'est pas dans ma culture. Pour moi j'aime bien quand les musiciens sont identifiables à un groupe. Les nouveaux héros qui jouent dans 800 groupes, sans parler de mercenariat, ça me parle pas. J'ai l'amour du maillot comme on dit. Donc si un jour je venais à faire un truc en dehors du groupe, ce serait sûrement hors Metal. Mes idées que je juge bonnes en Metal, je les propose à Dagoba, c'est tout.

Bien que vous sembliez pas austères, l'humour semble assez absent de l'univers de Dagoba. Le seul clin d’œil qui m'avait fait sourire dans votre musique, c'était à la fin du Hellfest quand Z avait joué un des thèmes de Star Wars pendant le "bordel" final. Est-ce que tu penses que c'est parce que vous commencé "sérieux" que vous êtes maintenant obligés d'y rester ?
Nous sommes en effet loin d'être austères ha ha ! Il suffit de nous suivre sur les réseaux sociaux pour voir qu'on est plutôt sur la déconnade. On vient du Sud, hein, donc rigoler c'est un peu la base de nos rapports humains.
Par contre c'est vrai qu'on mélange pas l'humour et la musique.
Je veux pas me mouiller pour le groupe, mais je crois qu'on est tous pas trop porté sur ce style. Les groupes caricaturaux, ou qui écrivent des paroles drôles. Certains le font très bien, j'ai plusieurs fois assisté à des shows de Steel Panther, mais bon, j'en écoute pas régulièrement. L'humour un peu "pouet pouet" fait totalement partie de la sphère Metal, mais on garde nos blagues les plus pourries pour nos longues heures sur la route !

En tant que parolier, est-ce que tu as des modèles particuliers qui t'inspirent (que cela soit en littérature, cinéma, musique) ?
J'essaie toujours de rester fidèle à une certaine idée de la poésie. J'aime quand ça rime, avec des punchlines de temps en temps. J'ai remarqué que bien souvent dans le Metal les rimes ne sont pas trop respectées, peu importe comment finissent les phrases, suffit de finir par une gueulante pour camoufler cette absence de rime. Je préfère faire moins long pour respecter cette poésie.
Après, je ne fais jamais dans le message politique, ou la démagogie. Je préfère faire passer un sentiment, une mélancolie, ou de la fureur, plutôt qu'une injonction ou une interpellation. En cela, j'aime me référer si ce n'est à un poète ou un écrivain particulier, à la poésie que je peux déceler dans un moment de vie, ou dans un film ou n'importe quel autre média.

Tu sembles un individu assez pragmatique qui prend du recul sur les événements. Dans quelle mesure cela se répercute sur ta musique ?
Je suis pragmatique car j'évolue dans un milieu très passionnel. Or je sais qu'on ne peut pas tout résoudre par la passion. Certains seront toujours là pour te mettre des bâtons dans les roues, inventer des rumeurs ou répandre le début d'une incompréhension comme étant une vérité absolue. On ne peut pas avancer en se référant à tout cela. Ni même en se focalisant sur les seuls messages d'encouragement.
Il faut faire son chemin, en restant droit dans ses bottes. Donc je prends du recul sur ce qui peut se dire. De toute façon personne va écrire les riffs à notre place, personne ne va nous donner des millions d'euros, donc ce que nous voulons vivre, nous devons aller le chercher nous-mêmes en définitive.
Aujourd'hui nous sommes très fiers de vivre de Dagoba, de voyager autant, et de générer de l'emploi aussi, puisque nous avons toute une équipe technique pour faire en sorte que notre spectacle vive. Nous avons beaucoup à faire pour maintenir cela en place, donc nous ne nous attardons pas trop sur tout ce qui pourrait nous détourner de notre but, qui est de vivre grâce à une musique qui est loin d'être normale dans notre société.

Quel est ton dernier coup de cœur musical ?
Le DJ Gesaffelstein.

Quels sont vos projets dans les mois à venir ?
Tourner en Europe, préparer les tournées dans les autres territoires pour 2016, mettre en place un show en béton, et penser au prochain album.

Un dernier mot pour les lecteurs de VS ?
Je voudrais profiter de la tribune que tu m'accordes pour rectifier un détail de ta chronique. Cela est sûrement dû à un dossier de presse que je n'ai pas rédigé moi-même (c'est souvent l'œuvre de management ou de label, ce genre de truc), mais le raccourci disant que je compose nos albums en une dizaine de jours est tout à fait imprécis.
Bien que le temps de riffing ne soit pas excessivement long, je prends énormément de temps à penser à chacun de nos albums. A en définir les contours, les atmosphères, les sonorités.
Pour exemple je suis déjà en train de penser au prochain album, au concept, à ce que je vais vouloir mettre dedans. Mais pour autant je n'en ai pas écrit un seul riff.
Donc on peut dire que cela me prend comme tout le monde beaucoup de temps à concevoir un album, j'essaie juste de ne pas écrire un riff par ci, un riff par là, pour ensuite passer du temps à les reconnecter entre eux. J'ai essayé cette méthode, je n'y arrive pas.
Je préfère réfléchir à une idée directrice qui s'affine avec le temps, comme un scénario, et ensuite bloquer une période pour créer les riffs à la chaîne. Pour figer les émotions dans une globalité cohérente. C'est tout pour la rectification.
Merci encore pour votre intérêt VS, et à bientôt !