Le premier album de RÉGIMENT intitulé "On les Aura!" a déjà fait beaucoup parlé sur VS, nous vous proposons aujourd'hui d'aller à l'essentiel en vous proposant de découvrir cet album présenté par les membres du groupe via un track by track.



Titre de l'album : "On les Aura !"
H. :
C’est une des phrases clefs de la guerre, ou du moins, une de celles qui sont les plus marquantes. Prononcée par le général en photo sur la pochette, elle décrit moins un esprit revanchard dans ce que certains appelaient « la der des der » qu’une détermination. On a souvent compris dans « les », les Allemands. Pourtant, beaucoup ont du comprendre : toute l’adversité, le froid, la pluie, l’ennemi et même certains généraux.
« On les Aura ! » ; ça veut dire concentrer sa force et son énergie dans une petite phrase, une devise, qui ne laisse pas de place à l’hésitation.
Mais que cela veut-il dire au final ? Qu’est ce que « les avoir » ? Abattre l’ennemi ? Le blesser ? l’attaquer et le faire renoncer ? Ou simplement lui survivre ?
Cruelle guerre qui jette le frère contre le frère, et cruelle phrase qui résonne sur nos têtes de Visiteurs du futur : car au final, ceux qui se sont fait avoir étaient des deux côtés, sans aucun doute.

Quant à Régiment, cette petite phrase si forte de sens a réussi son œuvre : de la cuisine où je composais et j’enregistrais cet album, aux péripéties diverses qui ont retardé de 3 ans cette sortie ; cette devise s’est montrée prophétique. L’album est sorti, on l’a « eu », si on peut dire : malgré nos occupations diverses, malgré le temps qui efface tout, malgré les myriades d’ennuis qui sont autant d’obstacles à franchir, on les a eues, nos pistes, nos 8 chansons de peine, bien humble hommage aux souffrances de « ceux de 14 ». Aux autres membres et pour moi-même, je veux dire en toute modestie et en hommage à un immense artiste naïf :
« car c’est ta récompense, ô sculpteur gigantesque,
D’avoir réalisé ton rêve surhumain,
vas, tu peux bien graver ton nom à chaque fresque,
hier c’était le labeur, c’est la gloire demain ».

Artwork :
H. : Nous voulions un portrait, et le portrait d’une personnalité liée à la guerre. Mais pas un obscur officier. Nous avons hésité à prendre un poilu, mais ce serait peut-être une injure à leur masse que d’en mettre un seul. Et une foule, nous ne voulions pas non plus. Nous ne voulions pas une photo horrible de massacre, ni même un dessin d’Otto Dix comme cela se fait souvent (pour le côté horreur j’imagine).
Des hommes se sont engagés, se sont battus, et se sont mutinés ou ont déserté. Pris d’une panique indicible. Beaucoup ont été fusillés. Le général Pétain, sur la photo (de 1916 : première vraie belle photo faite de lui après la célébrité acquise à Verdun) a fait empêcher des massacres de mutins, comme s’il comprenait leur peur.
La réflexion est : combien parmi nous autres feraient acte de désertion, tout simplement ? En de pareille circonstance, la survie élémentaire de tout être ne lui commande t’elle pas de fuir ?
Le premier, en tout cas le plus célèbre, qui n’a pas fait qu’adresser un seau de vin rouge ou un cigare ou un verre d’eau de vie en guise de compensation avant une attaque : « le dernier verre du condamné » dit Dorgelès. Mais une lettre, et surtout une lettre après les jours néfastes : pas une vague supplique de sacrifice au nom du pays, mais une vraie lettre de courage, un remerciement.
Dans une guerre où tout ne pouvait qu’être perdu, nous pensons que cet homme-là remporta la seule vraie victoire : alléger la souffrance de ses hommes, autant qu’il le pouvait.

Réalisé dans une foule de détails évocateurs et d’allusions au déroulement de la guerre ou à la France, l’artwork présente la totalité des paroles, hormis les titres 1 et 8 qui sont un prologue et un épilogue où les textes sont très intelligibles. A l’intérieur, 5 dessins dans le style « dessin des tranchées » ou « affiche », réalisé par des proches du groupe.
Le tee shirt a été réalisé par Point Noir, un collectif d’artiste, et suit une ligne complexe et très conceptuelle qui est propre à ces artistes : le temps et l’espace sont tordus, et un groupe d’hommes-pions avancent depuis un univers futuriste obsolète. Après tout, la guerre de 14, c’est le déploiement d’une violence que nous-mêmes avons du mal à concevoir. Villes rasées, campagnes mutilées, était-ce tout le legs que ce début de siècle avait à donner ? Les enfants projetés que nous sommes se retournent et observent sans condescendance et sans jugement ces ancêtres du futur.



Production / Studio :
H. :
Nous avons tout fait nous-mêmes dans nos propres lieux de production attitrés. J’ai travaillé avec Isarnos (batterie) et GdW (chant) et Marc a travaillé seul, comme moi au tout début du projet.
L’atmosphère est bien évidemment pleine de doutes, de mystères, de tremblement et de questions. Mais dans l’ensemble très agréable. Le professionnalisme et la richesse des idées d’Isarnos alliés à la virtuosité de son art sont un plaisir toujours renouvelé : c’est un batteur qui va chercher parfois ailleurs que dans la batterie de quoi enrichir son jeu.
GdW pour ceux qui le connaissent, c’est la foisonnante, exubérante évocation des si nombreux sujets qu’il maîtrise et dont il sait parler. Sa voix c’est de l’émotion, c’est de la maîtrise et parfois de l’abandon, et les conversations qu’il porte avant l’enregistrement ajoutent à la qualité des paroles qu’il lance en véritable hiérophante.
Marc, j’ai fait sa connaissance avec le projet, et je ne suis pas surpris par la personne qu’il est car j’admire bien sincèrement ses groupes. Il incarne tout à fait ce que Régiment demande.

Gnarl a été exceptionnel pour le son, se pliant à chacune de nos corrections (moi en première instance, et Isarnos pour les vérifications) sans aucun problème. Nous sommes très heureux d’avoir bossé avec lui et il a vraiment donné l’atmosphère brumeuse et la dimension un peu aquatique que nous cherchions dans le son.



Musique, Cinema/DVD, livres, jeux ?
H. :
C’était en tout début 2012 pour la guitare, j’aurais du mal à me rappeler de tout. Je me souviens que j’avais très froid…

Je peux dire que nous avons réalisé la batterie avec Isarnos alors que lui et son père classaient des lettres de la guerre : étrange coïncidence que cette correspondance dont on tirait quelquefois après les prises de son un papier jauni, plein de détails, de noms de villages, d’indications sur le temps qu’il fait. Tout ce qui paraîtrait anecdotique me semblait d’une importance capitale.

J’invite d’ailleurs les lecteurs à se plonger dans cette correspondance passionnante publiée sur le site de France Culture : http://blog.franceculture.fr/conversation-des-absents (Transcription et classement par Michel J.)

Pendant les enregistrements de voix, je logeais chez Isarnos à nouveau et j’ai tiré un livre au hasard de la bibliothèque : les croix de bois, annotées et enrichies de souvenirs par une écriture violette, d’une main encore jeune.

Les films ou la musique n’ont pas du énormément me marquer, mais il y en a eu, certainement, et pour les jeux, je ne joue plus beaucoup je le crains.

Track by Track :
1. L’Ogre l’emporte encore à l’Est
Il s’agit d’un prologue pour poser le paysage d’une France dévastée. L’Ogre c’est évidemment celui qui parle sur le titre, l’empereur d’Allemagne Guillaume II. Il s’agit du premier enregistrement radiophonique d’un chef d’Etat, soit dit en passant. C’est en 1913 et il y déclare que l’Allemagne a le devoir de défendre l’Europe contre la barbarie et les agressions injustifiées de pays rapaces.
Etrange destin pour cet homme qui entre dans le cruel jeu de la guerre totale, avançant ses pions sans scrupules de les voir tomber, déclarant que « beaucoup de sang doit encore couler ». Et qui s’écrie depuis son yacht en croisière, quelques mois avant la fin de la guerre : « ça, je ne le savais pas », quand on lui montre les pertes alarmantes et la fin proche.
C’est donc un titre sur l’avancée à l’Est de la France, la force de frappe et la puissance allemande, et le terrible danger dans lequel se trouvent les Français.


2. Sauvagerie Prussienne
Une chanson sur les destructions volontaires de l’armée allemande sur le sol français. Ayant choqué plus d’une génération : le point de cible pris par les artilleurs sur les clochers des villages, la ruine des cathédrales. On pense à Reims. A Coucy, qu’un lieutenant et prof d’Histoire de l’Art fit sauter. Aux mines noyées pour endommager à long terme l’économie, aux lignes innombrables d’arbres fruitiers rasés pour stériliser le pays, et aux massacres de civils.
Il fallait rester proche de la barbarie utilisée en 1870 et si présente dans Maupassant, par exemple… d’où le terme prussien, caduque déjà, mais renfermant bien l’horreur de l’absorption d’une nation par une région.
Lors d’après-midi ensoleillées de 198.. , près de Paris, une vieille dame de ma famille racontait à ma mère l’anxiété des allemands tout proches… et le tonnerre de la « Grosse Bertha ».


3. La Sape
Inspirée d’un passage particulièrement émouvant et terrifiant des Croix de Bois, de R. Dorgelès. Des français creusent une sape, et des allemands creusent une contre-sape. Quand le piège est découvert par les français, il est trop tard, et ils ont le désespoir de comprendre qu’ils vont sauter.
On remarque bien ici la guerre souterraine que se livrent les assiégés et les assiégeants depuis l’Antiquité. Avec quantité d’inventions et de contre-inventions, pour débusquer ou localiser l’adversaire : bols plein d’eau, tambours sablés. Le plus souvent des oreilles plaquées à la terre, des stéthoscopes… parfois l’instinct, probablement.


4. La mort du Nègre
Lui c’est LE Nègre. Comme dans Conrad. Pas n’importe lequel. Il a une individualité, il est unique et particulier. Le choix de ce titre, c’est proche de Conrad et de Vigny, de Senghor aussi. Il n’est pas agaçant ni manipulateur comme le héros de Conrad, mais il est tout autant un martyr oublié des siens, loin de chez lui.
L’idée du titre était de rapprocher la scène de la sculpture du XIXème : un titre qui pourrait évoquer une longue histoire mais qui n’en conte qu’un fragment. Aux autres d’imaginer, pourquoi, comment, par qui il a été tué. Il meurt simplement, un peu plus tard qu’un prussien à côté de lui, il a de la compassion, il est le seul de cet album à en avoir.


5 - …en dépit des assauts furieux du Kronprinz…
Voilà un titre instrumental pour faire une pause, sur la musique du Régiment de Sambre et Meuse. Chanson patriotique révolutionnaire, allusions à Valmy, le titre quant à lui veut montrer la poursuite des combats.


6 – En avant !
La difficile et lente remontée aux lignes, vers les combats, après un instant d’accalmie. Une chanson à la rythmique guerrière pour inspirer l’assaut hors des lignes et la progression.
Le caractère fatidique de cette chanson veut évoquer les pauses dans l’attaque, et le destin planant au-dessus des combats.
Les pièges laissés en arrière par l’ennemi peuvent être une cruelle vengeance et bien souvent le front change si vite que les soldats abandonnent les positions prisent peu avant et les retrouvent rapidement. Les mêmes objets dans les tranchées, parfois les mêmes trous où dormir.
Mais par-dessus tout, les pièges que l’ennemi a tissé devant sa position, nouveaux pièges, nouvelles armes. Et dans les trous, miracle des objets trouvés : objets utiles, restes dont se repaître, objets-dangers. L’inspiration pour se titre se situe plutôt du côté de Erik Maria Remarke.


7 – Des capotes à la popote
L’accalmie et le repos après l’attaque, tels qu’évoqués dans les récits de guerre et les lettres.
Une chanson rapide où la rage du texte est de déclamer des choses simples et une scène calme. J’ai toujours eu ce titre à l’idée en écrivant l’album, probablement le premier titre. Je voudrais dire là-dessus, que ceux qui ont lu des récits de guerre retiennent en général les passages de violence. Ceux qui ont l’occasion de lire des lettres verront à quel point, pour ne pas inquiéter les familles, et peut être à cause de la censure aussi, les poilus pensent et écrivent depuis les tranchées les descriptions de scènes de calme.
Malheureusement dans l’esprit populaire, c’est le traumatisme commun qui subsiste souvent et il reste peu de gens pour évoquer la « vie de tous les jours » dans ce qui était à peine une vie, mais bien un enfer.
La chanson se termine par un retour aux combats et c’est sur l’image du départ des hommes que se termine l’album.


8 – Credo
Le titre qui clôt l’album est un poème sur fond d’ambiances martiales réalisées par moi-même : tous les bruits de fusil, mitrailleuses sont rigoureusement authentiques. Il ne se trouve pas d’arme qui n’est été utilisée pendant la guerre de 14.
Le poème est de Déroulède, un nationaliste opposé à Jean Jaurès et très approbateur de l’entrée en guerre française. L’esprit de revanche est très fort chez cet écrivain, comme chez beaucoup de citoyens français.
Ayant perdu deux enfants, il ne trouve pourtant pas de rédemption et se montre très favorable à la « revanche ». C’est aussi ça le tragique de cet homme, mort quelques mois avant la guerre, et qui n’aurait pas manqué d’y être opposé s’il avait su à quel point le génie se renouvelle dans l’horreur.

Il annonce merveilleusement la lueur d’espoir que sera le second album de Régiment, c’était une belle fin sans aucun doute. Croire en Dieu en sachant ce que la guerre a pu être, quel plus grand défi ? Mais aussi, quel plus grand recours ?