Matthias Jungbluth - THROATRUINER RECORDS par ..::JU::.. - 5676 lectures
Matthias, ancien chroniqueur sur VS, est un passionné, un vrai. Qui, après plusieurs années de fac qui ne l'intéresse pas, décide de monter un label.
THROATRUINER Records est né.

5 ans plus tard, le petit label a grandit, et a acquis une réputation certaine dans l'UG HardCore / Crust and Co.
Avec 50 sorties, et un premier festival itinérant sur 3 jours, le ThroatRuiner Fest, qui se tient du 14 au 16 mai, respectivement à Paris, Strasbourg et Genève, c'était l'occasion d'aller embêter un peu ce chère Matthias à quelques jours de la première soirée du ThroatRuiner Fest...



Tout d'abord, Joyeux Anniversaire à ThroatRuiner....! Et bravo !
Cela fait 5 ans que tu as créé Throatruiner Records.
Quand tu prends un peu de recul sur cette aventure, qu'est-ce que ça t'évoque ?


Je suis plutôt satisfait de la trajectoire du truc, que ce soit celle du label ou des groupes avec qui je peux bosser - j'avais pas vraiment d'attentes, sinon d'essayer de faire de mon mieux, et que ça paye un jour ou l'autre, et jusqu'ici ça continue à aller dans le bon sens.

Après, j'y vois surtout des bénéfices au niveau personnel : ayant commencé le label à 21 ans, je sais que ça m'a pas mal aidé à me construire en tant qu'individu, ce qui était loin d'être gagné. Je reste une frêle petite fleur sensible, mais en parallèle ça m'a énormément appris à tout relativiser, à remettre régulièrement en question ce que je peux faire, et à moins me prendre la tête pour des futilités, pour mieux me concentrer sur ce qui est vraiment important.


Quand tu t'es lancé dans l'aventure, quel était ton objectif principal?
Le même qu'aujourd'hui, : aider des groupes en qui je crois à avoir au moins autant de visibilité que ceux qui, à mon sens, n'en méritent pas autant.
Ce qui est pas forcément évident lorsque tu cherches à contourner les contraintes et conventions du monde merveilleux du business de la musique...


Entre tous les groupes avec lesquels tu bosses, la promo, la gestion du site oueb de Throatruiner et des commandes, la préparation du ThroatRuiner Fest, j'imagine que tes journées sont bien remplies...!
Tu es seul à gérer tout ça ?
Comment tu concilies la gestion du label avec ta vie privée/pro ?


Oui, toujours seul à gérer tout ça, et ce (je l'espère) aussi longtemps que possible !
C'est toujours difficile de scinder le label et ma vie privée, parce qu'au final, tout à tendance à rapidement se mélanger ; mais je n'en souffre pas plus que ça hein, au contraire, faut pas déconner, c'est pas l'usine..!

Après, toute tentative d'essayer d'établir un semblant d'emploi du temps s'avère vaine, parce que tu restes tributaire des personnes avec qui tu interagis.
En terme d'organisation, je me démerde pour envoyer les commandes deux fois par semaine, j'ai une sorte de rétroplanning quand j'ai un disque à sortir, histoire de pas foirer son lancement ; mais pour le reste, je remplis comme je peux en faisant au plus urgent, ce qui n'est jamais un souci vu qu'il y a toujours beaucoup trop de choses à gérer...


Quand tu choisis de signer un groupe, et/ou de sortir un Lp (ou autre) d'un groupe, sur quels critères te bases tu pour prendre la décision (outre l'aspect affectif et subjectif) ?
Pas vraiment d'autres critères, excepté que j'essaie de ne me concentrer que sur des moyens/longs formats. Suffisamment longs en tout cas pour en faire un 12" ou un 2x12", qu'il s'agisse d'un gros EP ou d'un album.
Les formats plus courts ou bâtards, tout ce qui passe sur un 7", un 10" ou les splits, je laisse tomber, car je sais que ça va me mobiliser quasiment autant de ressources (en terme de temps et d'argent) qu'un album, pour des retours bien moindres à tous les niveaux.

Je ne peux sortir qu'une poignée de disques par an, donc là-dessus, il faut faire des choix.
Après, savoir si un disque s'écoule vite ou pas, c'est toujours difficile à jauger. Mais même quand ça part mollement, c'est pas hyper grave, car j'ai un catalogue suffisamment large pour faire tourner le truc en attendant.


Quels sont les modalités de base d'un "contrat" entre Throatruiner Records et un groupe ? (responsabilités réciproques, rôles de chacun, etc)
Est-ce d'ailleurs un contrat moral uniquement, comme cela se fait beaucoup dans l'Underground, ou bien un truc signé ?

On en reste à la bonne vieille poignée de main digitale ... Tu m'envoies ton album, je le presse, je t'envoie 20% des copies, et si tu peux éviter de splitter dans les six mois, c'est cool... :)
On est dans une relation horizontale entre le label et le groupe - on planche ensemble sur une sortie, et si pour une raison ou pour une autre, l'un des deux acteurs n'est pas plus convaincu que ça du travail de l'autre, ça ne va pas plus loin...


Il se murmure qu'en 5 ans et 50 releases, Throatruiner n'a sorti que des coups de cœur...
Quelle serait ta réaction si un groupe que tu apprécies beaucoup souhaite, par exemple, sortir un truc vraiment tout naze...?
Te sens tu avoir un devoir ou un rôle de conseil également, auprès des groupes que tu connais bien ?


Disons que vu que le rapport "effort investi/retours" est toujours aussi déséquilibré, quitte à te saigner sur un disque, vaut mieux que ce soit un truc dans lequel tu crois à 100%...

Pour les groupes avec qui je bosse déjà, je leur fais confiance. Quand on y pense, faut vraiment y aller pour sortir un album inférieur au précédent. Je veux dire, entre deux disques, n'importe quel groupe est censé être meilleur, parce qu'il aura acquis de l'expérience, que ce soit en matière de son, de technique, humainement parlant ou au niveau de sa vision musicale…

On évolue dans des créneaux où il n'y a pas de thunes en jeu, pas d'obligation à devoir fournir un disque sous tel délai ou coûte que coûte, chacun taffe à son rythme et a, j'aime à le croire, un niveau d'exigence suffisant pour que son prochain effort soit à ses yeux son meilleur.
T'auras toujours ce cliché du "notre nouvel album est ce qu'on a fait de mieux" mais bon, encore heureux ; si tu le penses pas, pourquoi t'es pas resté travailler dessus six mois de plus?

Donc au final, si scission il y a, ce sera essentiellement axé autour de la façon qu'à le groupe de gérer sa barque, et que je ne me reconnais pas dans cette gestion, plutôt qu'au niveau du contenu musical.
Je donne mon avis uniquement lorsqu'on me le demande, que ce soit sur le son, le visuel ou autres. Mais après, j'estime que les groupes sont les plus à même de savoir ce qui est bon pour eux.
Donc, qu'ils prennent en compte ou non mes remarques, je ne leur en tiens aucunement rigueur.


5 ans d'existence donc, pour Throatruiner, et tu organises un mini festival itinérant, le Throatruiner Fest...
Comment t'es venue cette idée ?
Quel est le truc le plus compliqué, quand on organise 3 soirées de concerts ..?


L'idée datait déjà un peu, mais jusqu'à récemment, je ne me sentais pas forcément assez "légitime" pour monter un gros truc comme ça.
C'est pas beaucoup plus le cas aujourd'hui, mais ça permettait de bien marquer le coup pour les cinq ans d'existence du label, et également de rassembler des groupes qui, pour la plupart, se connaissent déjà bien les uns les autres.

Sinon, et bien tout est extrêmement compliqué, surtout quand les emmerdes s'accumulent, que ce soit au niveau pro ou perso ; et mener tout ça de front quand t'as toujours refusé d'organiser un concert parce que c'est pas ton domaine de prédilection, c'est pas la folie...
Au final je me retrouve "malgré moi" à organiser la date de Paris, tandis que de bonnes âmes s'en chargent sur Strasbourg et Genève.
Les collègues de Kongfuzi ainsi que les groupes m'ont également bien aidé à chapeauter tout ça, et je les en remercie.


Quand on tient un label, derrière beaucoup de 'signatures' avec des groupes, il y a souvent une rencontre, une convivialité, voir une amitié...
Est-ce qu'il y a une rencontre, une histoire en particulier, qui t'a marqué depuis les débuts de Throatruiner ?

En fait, pas tant que ça, les liens se tissent et se renforcent plus au fil de la sortie qu'en amont. Je ne tiens pas à ce que le facteur amical pèse dans la balance au moment de choisir si je vais sortir un truc, même si j'évite les groupes avec qui je sais que je n'aurais probablement pas de grandes affinités en terme de valeurs, de vision des choses...

Je retiens quand même la rencontre avec le petit noyau de la scène Lavalloise (As We Draw, Birds In Row et cie), ville qui reste l'épicentre du label - au final l'un d'eux a enregistré la majorité de mes sorties, ce sont tous des gens hyper talentueux et bosseurs qui ont réussi à accomplir des trucs assez monstrueux avec leurs groupes tout en continuant à sentir très bon humainement parlant. J'ai monté mon groupe avec certains d'entre eux... C'est bien pour ça que pour tenter d'arriver à leur niveau, je viens d'y emménager.


Quelle est la chose la plus complexe à gérer ou à appréhender quand on gère un label ?
Si quelqu'un venait te voir, en expliquant qu'il veut monter un petit label UG, et s'il te demandait un conseil, quelle est la première chose que tu lui dirais ?

Si "succès" il peut y avoir, ça reste quand même du succès d'estime.
Avoir ton album en streaming sur Pitchfork et 17000 chroniques élogieuses t'empêcheras pas de te fader des dates à six entrées (dont deux chiens) de temps à autres. C'est pas dramatique hein, ça apprend à relativiser.
Pareil niveau ventes, j'ai arrêté de chercher à voir une quelconque corrélation entre les retours et les ventes, vu qu'au fil des sorties j'ai eu tous les cas de figures possibles à investissement égal...

A part ça, pas de grand conseil à donner, vu qu'à différents niveaux pas forcément perceptibles côté public (la hausse prohibitive des frais de ports, des frais de pressage, les délais de fabrication qui deviennent ahurissants), 2015 est une bien belle ribambelle de coups de surin dans l'abdomen pour les labels, et est de fait l'année la plus pourrie depuis que j'ai commencé...
C'est moyennement marrant de toujours faire le nécessaire pour garder la tête dans le guidon lorsque ça tire à la chevrotine dans tes roues, mais bon, c'est comme tout, t'apprends à trouver des solutions.

Après, histoire de ne pas être trop négatif, en terme de conseils je pourrais dire : abnégation, gestion de budget en bon père de famille, constamment redoubler d'efforts tout en divisant ses espérances par deux, sont les meilleurs amis d'un jeune label.
Commencer à sortir des Tapes pour se constituer un réseau et un nom, sans devoir hypothéquer sa vie, me semble aussi plutôt judicieux en ces temps incertains.


Tu as déjà une idée des futurs sorties prévues pour Throatruiner ?
Est-ce qu'il y a quelque chose que tu regrettes, sur ces 5 années passées ?
Et un souhait, un rêve, un projet, pour les années à venir ?


Quelques re-pressages, et pas mal de groupes du label ont enregistré ou enregistrent prochainement, donc tout ça se met en place tranquillement, mais rien d'officiel à annoncer pour l'instant ..!

Pas vraiment de regrets ni de grands souhaits, considérant que tout ce qui se révèle foireux est là pour servir de leçon, et que le milieu dans lequel j'évolue est beaucoup trop bancal et changeant pour pouvoir avoir des attentes sur le long terme.

Mais tant que je peux continuer à faire ce que je fais sans avoir à trop me poser de questions, j'en demande pas plus...


Auteur
Commentaire
ringoherrera
Membre enregistré
Posté le: 14/05/2015 à 13h09 - (1624)
Interview très intéressante. Le ton est posé, les réponses lucides. Vraiment agréable à lire. Longue vie à Throatruiner auprès duquel j'ai déjà commandé pas mal de musique.

mika
IP:77.146.231.71
Invité
Posté le: 14/05/2015 à 14h06 - (1625)
'Tain la violence des affiches, ça va être fou ces dates...
Sinon, beau boulot, belle attitude, beau catalogue, respect et longue vie !

Poney
IP:132.212.216.155
Invité
Posté le: 14/05/2015 à 15h19 - (1626)
Throatruiner a réussi sans problème à devenir le label français pour lequel j'ai le plus de respect : des groupes de qualité avec une personnalité propre, de très beaux vinyles à un coût plus qu'honnête (sincèrement Mathias, comment tu arrives à atteindre la rentabilité?) et une attitude qui a tout compris au marché du disque avec le téléchargement gratuit et légal du catalogue. Total respect et total support.

Fred / INHUMATE
Membre enregistré
Posté le: 14/05/2015 à 18h55 - (1627)
Pas ma scène, mais je connais un peu ayant tourné avec DAGGERS et ELZB à Cuba, des gens bien sympas au demeurant.

Ceci dit, je rejoins ringoherrera. L'interview est vraiment intéressante, tant les questions que les réponses. On dirait que ça a été mené en face à face. Rare qu'un boss de label soit aussi franc. Après, comme dit Poney, comment fait-il pour s'en sortir financièrement :-O

BassFrog
IP:2.92.220.73
Invité
Posté le: 14/05/2015 à 20h38 - (1628)
Depuis les débuts de ce label : Support total

Interview très intéressante comme dit au dessus, sincérité / intégrité font plaisir à voir.

Je suis bien dégouté de ne pas pouvoir me rendre à une des dates, ça s'annonce porcin comme truc !! Bon ramassage de dents à ceux qui y seront

Et longue vie à Throatruiner !

GabinEastwood
Membre enregistré
Posté le: 15/05/2015 à 19h27 - (1629)
Super interview très intéressante. Ca fait plaisir de voir qu'on peut faire rimer qualité et intégrité.

Beau boulot Mr Ju et que tout continue pour le mieux pour Matthias

zeb
IP:78.209.27.39
Invité
Posté le: 15/05/2015 à 21h06 - (1630)
Pas de date à Laval ??? Mince alors c'est pourtant le fief de pas mal de groupes du catalogue.

djabtrash
Membre enregistré
Posté le: 15/05/2015 à 23h09 - (1631)
RESPECT !

..::Ju::..
Membre enregistré
Posté le: 17/05/2015 à 21h04 - (1633)
Merci à tous pour vos retours! C'est cool si ça vous plaît!
Un chouette type ce Matthias, et un chouette label!
Total support également

FWF
IP:145.226.30.81
Invité
Posté le: 18/05/2015 à 11h04 - (1634)
Super interview, Throatruiner (donc Matthias) est un label pour qui j'ai beaucoup d'estime, il gère son truc de façon passionnée et réaliste, jamais avare en conseils et très franc !
J'espère qu'il mènera ça jusqu'au bout de ses ambitions en tout cas. Longue vie !

Kongfuzi
Membre enregistré
Posté le: 18/05/2015 à 19h14 - (1635)
LONG LIVE THROATRUINER !!



Zebrowsky
Membre enregistré
Posté le: 09/06/2015 à 22h26 - (1653)
Wow que de chemin parcouru. Total respect.

Jme rappelle de Matthias pion à Issoudun y'à 5 ans, je l'avais rencontré là. La question qui tue : tu fais quoi dans la vie?

Réponse : "un peu la fac, et sinon j'ai monté un label de Hardore UG".

Je me suis dit, truc louable mais voué à l'échec, impossible de toucher un salaire. Et finalement le bougre l'a fait! Chapeau bas.



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