Tous - YEAR OF NO LIGHT par SEB ON FIRE - 5763 lectures
YEAR OF NO LIGHT, groupe bordelais, a livre ni plus ni moins que l'un des albums essentiels de l'année 2013. Avec "Tocsin", ils redéfinissent les limites du post hardcore, du metal instrumental et tout ce qui s'en suit. Comme les hommes sont aussi prolixes que talentueux, on se devait d'eller leur poser quelques questions.


Pouvez-vous commencer par succinctement présenter le groupe, ses membres et sa musique?
Pierre: YONL est un sextet instrumental qui sublime un rapport douloureux à la modernité à travers une vénération baroque de l'amplification. C'est un collectif de singularités en acte, et, parfois, c'est quand même le bordel. On aime construire des cathédrales soniques aux angles fous en prenant acte de la dévolution généralisée contemporaine. On apprécie aussi le whisky et les drogues de qualités, cela va sans dire.


Vous venez de sortir « Tocsin » et les retours sont pour le moment plus que positifs, j’imagine que ça doit faire plaisir ?
Mathieu : Beaucoup, oui. Le disque étant assez aventureux à nos yeux, on était un peu fébrile de la manière dont il serait reçu. Donc on est rassurés, c'est sûr.


Vous, avec le recul, comment considérez vous ce disque ?
Mathieu : Comme une nouvelle étape pour le groupe, une sorte d'affirmation de la singularité de ses six membres oeuvrant de concert pour une création collective unifiée. Pour Ausserwelt, on était surtout dans la volonté de sortir quelque chose de pertinent pour chasser les doutes que les gens auraient pu avoir sur le changement de line-up. Les morceaux étaient déjà assez avancés lorsque Shiran et moi sommes arrivés et l'ambition était de les faire sonner au mieux pour asseoir la nouvelle esthétique vers laquelle on tendait. Avec « Tocsin », on est vraiment entrés dans la composition de groupe, avec toutes les influences et les envies qu'on peut brasser à nous tous, et ce n'est pas peu dire car on embrasse chacun pas mal de champs esthétiques différents. On a vraiment essayé de les faire cohabiter au mieux, d'enrichir notre musique avec ce qu'on porte tous en nous.

Pierre : C'est aussi un disque qui nous a forcé à prendre conscience de nos limites et qui a été l'occasion d'une profonde remise en question. Les processus d'écriture, de mise en place et d'enregistrement ont été douloureux. On a aussi un peu bouleversé nos habitudes de fonctionnement et offert une assise plus démocratique à notre façon de sculpter le son.


Ce disque suit « Vampyr » qui était très différent dans son approche. Comment fait-on pour passer de l’un à l’autre ? En termes de composition et d’interprétation est-ce vraiment très différent ?
Mathieu : Vampyr était une expérience tellement différente de la composition d'un disque « normal » qu'on ne s'est pas du tout posé la question, c'était vraiment deux choses distinctes. Par contre, on savait que cette expérience nourrirait d'une manière ou d'une autre ce à quoi on s'attelait en composant Tocsin.

Pierre : Oui c'est vrai. « Vampyr » nous a permi d'élargir le spectre de YONL, de travailler sur les nuances et d'appréhender la narration de manière plus sensible/sensuelle et orchestrale. La translation en direction de « Tocsin » s'est faite, sur ce plan en tout cas, de manière naturelle il me semble.


Quelles sont les thématiques abordées dans « Tocsin » et quelle est la signification, la symbolique du titre « Tocsin » ?
Mathieu : Personnellement, je n'aime pas donner plus d'indices que ceux présents dans le titre du disque, les titres des morceaux et l'artwork. La musique est par essence abstraite et dès que le langage et l'image entrent en jeu, il y a réduction de cette abstraction, donc sans doute un appauvrissement de sa portée. On a lu dans une chronique que ce disque était une sorte de « Bal tragique en Occident ». Ca me va.

Pierre : Yep. Ou, pour citer Walter Benjamin : « l'humanité est devenue assez étrangère à elle même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre »…


Pour la composition comment travaillez-vous ? Vous composez ensemble ou chacun dans son coin, amène des idées, des riffs, des mélodies,… ?
Mathieu : Tocsin condense tous les cas de figure : démos quasi parfaites qu'il nous a fallu orchestrer au mieux, jam répété durant des mois pour aboutir à la version finale, composition en sextet… sans oublier le gros travail de labo en studio pour enrichir certaines parties, voire même restructurer entièrement un morceau. Mais de manière générale et comme dit plus haut, la part de chacun dans ce disque reste très importante.


Comment s’est passé l’enregistrement de « Tocsin » ?
Mathieu : Dans le chaos, à vrai dire. Après s'être retrouvés en galère de local de répétition, on a pas vraiment pu travailler comme on aurait dû les démos des morceaux enregistrés un an plus tôt pour les amener au mieux à Cyrille lors de l'enregistrement. Les sessions entre chaque instrument étaient longues à chaque fois, et ça a été un travail de longue haleine dont le risque premier était vraiment de se démotiver. Une fois tous les éléments en boîte, on bossait dessus à distance pour certains : on écoutait les mixes et on donnait des indications, nos ressentis. Beaucoup de synthés ont par ailleurs été fait à distance, et un morceau comme Alamüt s'est retrouvé vraiment « fini » à peine une semaine avant d'envoyer le disque au mastering.

Pierre : Alamüt a failli avoir notre peau, clairement…ce morceau illustre à sa façon les apories auxquelles nous avons du faire face dans notre évolution artistique. On doit énormément à Cyrille : sans ménagement, il nous a mis face à nos lacunes/certitudes/prénotions avant de les annihiler sans pitié en déchainant le feu vengeur des Enfers sur nos pauvres carcasses fébriles. On en tremble encore.


Le disque, à l’écoute, semble suivre une évolution logique via les 5 titres. Est-ce que comme certains réalisateurs, l’album a été composé chronologiquement ?
Mathieu : Oui et non. On pensait déjà au tracklisting après avoir enregistré les démos mais on a testé différentes narrations une fois l'album entier en boîte. Deux « récits » possibles nous sont apparus et il a fallu trancher. Personnellement, avec le vinyle, il m'arrive de revenir à l'autre narration parfois, même si le disque tel qu'il existe m'apparaît définitif dans sa logique.


« Tocsin », via certains aspecte possède une sensibilité illustrative que l’on retrouve dans certaine bande originale de film. Etait-ce un choix conscient de votre part ?
Mathieu : On ne se dit jamais qu'on va composer dans cet esprit, mais il me semble évident que lorsque tu choisis de t'exprimer par le biais d'une musique totalement instrumentale, tu es obligé de penser ton morceau dans une logique narrative différente de celle d'un morceau « pop » classique. Il faut que chaque son évoque quelque chose, soit là pour une bonne raison, fasse progresser le récit. A la limite, on pense peut-être plus à des constructions renvoyant à la musique classique mais le fossé la séparant de certaines musiques de film est aujourd'hui tellement ténue que bon…

Pierre : D'une certaine manière, la musique de YONL, ou tout du moins la manière dont on envisage la création musicale relève plus de la peinture qu'autre chose: chaque morceau est à la fois un tableau en soi (souvent une déclinaison amplifiée d'un triptique), un « tableau monde » qui dans le même mouvement s'intégre à la fresque stellaire que représente l'album.


Sur " Stella Rectrix " on retrouve certaines influences qui, moi, m’ont rappelées des compositeurs des années 80 comme Giorgio Moroder ou John Carpenter. Écoutez-vous beaucoup de musique instrumentale ?
Mathieu : Ah, je trouve ça très pertinent comme remarque ! Personnellement, j'avais effectivement Carpenter en tête pour ce morceau. Et pour tout t'avouer, la démo initiale était entièrement enregistrée aux synthés, donc là pour le coup, c'était vraiment du Carpenter Doom. Je trouvais que l'esthétique de YONL était parfaite en soi pour tenter de la combiner à celle, extrêmement évocatrice, de Carpenter. On a essayé de combiner trois socles sur lesquels cette dernière se base : simplicité, répétition et sonorités. D'où ces riffs très simples, tournant en boucle, et sur lesquels se développe un thème synthétique. De même, toute la basse du morceau est faite au Moog, ce qui, combiné avec le grain des guitares, pose une chape similaire à celle de certains morceaux de Carpenter. Pour Moroder, je peux effectivement y penser mais plus en rapport avec ses disques de « Disco Robotik » des 70's, comme « From here ton eternity », où chaque morceau correspondait à une section d'un morceau plus vaste dont la finalité était la transe. Il y a donc dans « Stella rectrix » quelque chose qui peut renvoyer autant au métal qu'à la musique électronique, c'est vrai. Et pour répondre vraiment à ta question, oui, ça m'arrive souvent.


Quelles ont été vos influences pour ce disque ? Quelles soient musicales, littéraires, cinématographiques ou tout autres.
Mathieu : Elle sont trop vastes pour être toutes convoquées. Perso, au niveau musical, je dirais Bowie/Eno, John Carpenter, Bolt Thrower, Neu!, Sonic Youth, Ligeti et Burzum. Et McCarthy pour la littérature.

Pierre : Burroughs, Bloy, Saint Paul, Saint Thomas, Foucault, l'Ancien Testament, la nature, la folie, les écrits de William T. Vollmann…


« Vampyr » était basé sur le film de Dreyer. Forts de cette expérience, et du côté très évocateur de votre musique, aimeriez-vous collaborer à la bande originale d’une œuvre de cinéma ? Est-ce une chose qui vous intéresserait ?
Mathieu : Tout dépend du type de projet dont il s'agit.


Sur le premier titre de l’album « Tocsin » on peut entendre un riff qui ressemble étrangement à « Through The Ages » de Bolt Trower ? C’est surprenant car on ne s’attend pas à retrouver du Bolt Trower dans YONL. Est-ce une sorte d’hommage, de clin d’œil ou une pure coïncidence ? Vous êtes fan du groupe d’ailleurs ?
Pierre : Héhé, bien vu ! Disons que c'est un hommage inconscient. Bolt Thrower est un de mes groupes favoris et envers lequel je fais preuve d'une certaine vénération. Le riff conclusif de « Tocsin » auquel tu fais référence est venu de manière totalement instinctive, comme une sorte d'éclair et, sur le coup (et quelques temps après aussi d'ailleurs) ni moi ni personne n'a capté le rapprochement. C'est un clin d'œil qu'on assume totalement mais, étrangement, peu de gens s'en rendent compte. Ceci dit, YONL n'est pas encore devenu un groupe de death metal.


Vous avez prévu de tourner pour défendre l’album sur scène ?
Pierre : On a déjà commencé à fouler les planches en novembre dernier avec des concerts en Espagne, au Portugal, quelques dates en France et une tournée anglaise incluant une apparation au Damnation Festival. On reprendra la route à partir du mois de mars. De chouettes projets sont dans les tuyaux.


Quels sont vos projets pour cette année ?
Pierre : Dans un premier temps, terminer le split avec les magnifiques Bagarre Générale. Puis s'atteler à l'écriture pour un autre split, mais cette fois ci avec une figure culte du bm que nous respectons beaucoup. Puis reprendre la route, découvrir de nouveaux endroits et de nouveaux continents. On aimerait aussi beaucoup retourner en Russie. Et continuer à écrire et à tenter de se tenir debout.


A vous le mot de la fin
Mathieu : Merci à toi pour cette interview !
Pierre : Merci

Crédit photo: Flowlstorm & Manu R. TOUMS


Auteur
Commentaire
chouchow
IP:91.88.230.78
Invité
Posté le: 19/02/2014 à 17h45 - (1081)
Excellent album indeed, excellent groupe, un disque instrumental avec un tel propos ça me laisse sans voix

HayrVay
IP:77.203.53.196
Invité
Posté le: 19/02/2014 à 18h49 - (1082)
A titre d'information, le split annoncé avec "une figure culte du BM" sans le citer... il s'agit de Blut aus Nord !

Pelo
IP:195.132.174.3
Invité
Posté le: 20/02/2014 à 03h50 - (1083)
Merci pour cette interview fort sympathique!
Et +1 chouchow, Tocsin est une vrai tuerie (les précédents étaient déjà impressionnants)!

ecrasatator
IP:78.249.13.214
Invité
Posté le: 26/02/2014 à 09h29 - (1084)
ENORME ALBUM.....bon il ne passera pas sur NRJ...

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