Darkhyrys (guitariste/conteur/troubadour) - DIAMOND EYED PRINCESS par PRINCE DE LU - 1811 lectures
Il était une fois... une formation française nommée DIAMOND EYED PRINCESS, qui venait de sortir son second album "Korlgueläal". VS Webzine, par l'album alléché, tint au meneur du groupe Darkhyrys à peu près ce langage...


Question bateau pour commencer: peux-tu nous expliquer ce qu’il s'est passé pendant les neuf années qui séparent "Pagan Rites" de "Korlgueläal"?
Tout simplement la composition et l'enregistrement de "Korlgueläal", l'enregistrement de la reprise de Falkenbach pour le tribute, la recherche d'un label qui veuille bien sortir un package contenant le concept, suivi de tous les aléas et contretemps de la vie.


Il me semble que vous avez profité de l'intervalle pour étoffer votre univers et vous perfectionner dans le jeu d'instruments traditionnels?
Etoffer l'univers... Oui. Il y a eu la création du livre II, des cartes géographiques et l'écriture du livre I et II.
Perfectionner le jeu d'instruments traditionnels... Pas vraiment le temps ni l'envie. Je joue de la cornemuse, du chalémie, luth et autres depuis plus de 10 ans et reste honteusement sur mes acquis car je ne cherche pas la prouesse technique avec ce type d'instruments mais les ambiances qu'ils créent.


J'ai catalogué DEP dans le black médiéval, ce qui me semble cohérent avec votre univers. Est-ce que cela te convient? C'est certainement mieux que le terme pagan qui te fait hurler?
J'ai du mal avec les étiquettes farfelues apposées aux différents styles de métal. Pour moi, Diamond Eyed Princess reste du black metal avant tout. "Pagan Rite" était très axé "médiéval" avec ses morceaux acoustiques composés à la façon "Josquin Desprez", alors que "Korlgueläal" reste du black metal avec quelques touches médiévales. Toutes les étiquettes données à Diamond Eyed Princess depuis 1999 ne sont pas de notre volonté.
Du coup, j'ai même nommé note musique "Ancient black metal", ce qui ne veut rien dire en soi, mais avait pour but d'effacer toutes polémiques sur le sujet. Je préfère que les discussions se focalisent sur l'atmosphère, la musique, sans a priori ni attente au préalable. Chaque album a et aura son propre style. D'ailleurs, le prochain album sera encore différent. Retour aux sources avec un mélange de musique médiévale psychédélique et un black metal très froid et malsain. Quel style donnera-t-on à cet opus? Pour ma part, c'est le dernier de mes soucis.


Avant l'effet de mode, le black pagan était à mes yeux représentés par des formations nobles comme Belenos ou Kampfar. Comment ce terme en est-il arrivé à une telle dévaluation aujourd'hui d'après toi? N'y a-t-il aucune formation pagan que tu sauves du lot?
Avant de répondre, je re-précise que je ne nous considère pas comme un groupe "pagan".
Pour moi, un groupe de black metal "médiéval" incorpore de vrais instruments et de la vraie musique médiévale dans son œuvre. Un groupe de black metal "pagan" évoque dans sa musique et son concept, comme le nom l'indique, le paganisme. C'est-à-dire faire honneur à la grandeur des dieux anciens, au berceau de la civilisation européenne; et le plus représentatif à mes yeux est et restera Falkenbach ! Pas besoin de vrais instruments d'antan pour ressentir cette force, cette emprise.
Maintenant, quand on voit débarquer (sans citer de noms) des groupes sans concept, sans histoire, sans "âmes", sans respect pour leurs Anciens, pour qui ils sont, qui plantent maladroitement un pauvre air de flûte des collèges ridicule et mal joué et qui s'affichent "Pagan Metal"... Je me dis qu'il est vraiment temps de se méfier de cette appellation ou alors de faire le ménage dans cette scène qui devient vraiment l'opposé de ce qu'elle était. Ça ressemble plus aujourd'hui à un refuge pour hippies-clochards-alcooliques qui se sont trompés de chemin qu'une représentation de guerriers païens !


"Korlgueläal" est articulé autour des aventures de Gueläal, écuyer au service du seigneur de Ghämal. Peux-tu expliquer à nos lecteurs le récit que propose ce nouvel album?
Le récit de cet album (Livre II) est disponible en français sur notre site. Mais pour faire court, Gueläal entreprend un long périple pour réunir les différents éléments (eau-terre-feu-air), mais la vraie quête est celle de ses racines, de ses ancêtres, de son sang. Je me suis amusé à écrire ce concept de façon à ce que l'on puisse le lire de deux manières: le 1er degré (histoire héroïque fantaisie basique), ou en relevant le sens métaphorique.
Pour ce dernier, je laisse à chacun le soin de le découvrir et l'interpréter comme il l'entend.


Contrairement à beaucoup de groupes qui plaquent des textes rapidement bricolés sur la musique, DEP donne l'impression de ciseler sa musique selon ses écrits. Confirmes-tu cette manière de procéder? Peut-on parler d'un livre musical, au final?
Effectivement, l'écriture d'un album de Diamond Eyed Princess n'est pas une mince affaire.
J'ai toujours composé mes morceaux, quels qu'ils soient, en exprimant un ressenti, une émotion. Un riff ou un enchaînement de riffs me fait toujours visualiser une image, une couleur, une situation, une sensation. Ce sont ces visualisations qui m'ont donné l'idée de faire de Diamond Eyed Princess un groupe concept.
Je compose mes morceaux (avec les différentes ambiances qui en émanent ou bien volontairement créées), ce qui me donne le chemin à suivre pour l'histoire. J'écris ensuite l'histoire ou la suite de l'histoire en fonction de ces ambiances et adapte la musique pour que tout colle. C'est très rapide à expliquer, mais prend énormément de temps et demande beaucoup de travail.
C'est comme ça que l'on se retrouve avec des morceaux qui retracent exactement les moments-clés de l'histoire. Rien n'est laissé au hasard, aucun morceau ou riff n'a pour seul but de remplir la bande.

Par exemple:
Dans l'intro, on peut suivre le trajet et l'attente des soldats avant la bataille du Fihaal. On ressent la fierté mais aussi l'angoisse des protagonistes.
Suivi de "Kregan". Là, c'est la bataille elle-même (racontée par Tohrimorr) avec l'étrange sentiment, après l'angoisse, d'apaisement, de fierté de mourir pour sa terre.
"Tüm Fornhorvok", c'est le départ du voyage, la traversé de la forêt du Dral suivi de la deuxième partie du morceau: Les riffs blast et aériens évoquant son arrivée au sommet des falaises du Mörn et de sa rencontre avec les Kheleäs, purs et sages.
"Korlgueläal" retrace la quête dans sa globalité.
"Svarn Lak Dral" ressemble au niveau structurel et mélodique à "Kregan" car on se retrouve dans une nouvelle bataille. On pourra même entendre la cornemuse "zïmpah" citée dans le récit.
Dans "Tüm Dralver Flöna" on ressent toute la froideur et l'obscurité des terres de Karrahs. On y retrouve même les incantations du haazor (cité dans le journal) suivi d'une mélodie et d'un rythme lancinant et "spatial", évoquant la prise de conscience de Gueläal sur ses racines, sur qui il est.
"Klön" est son retour de Karrahs, long et ennuyeux, à travers le vaste empire de Klön (riff entêtant et répétitif).
Enfin, "Drytorr" évoque le reste de l'histoire. L'angoisse, la peur, la dépression et le suicide.
On retrouve à la fin un air entraînant soulignant la victoire mais les dernières notes redeviendront mélancoliques, rappelant le dernier écrit du prince dans le journal: son fidèle ami est mort malgré tout.

Je donne là une idée générale et non exhaustive de la corrélation entre le concept, les paroles et la musique. Donc oui, tu peux qualifier "Korlgueläal", comme "Pagan Rite" d'ailleurs, de livre musical.


As-tu écouté l'album d'Arstidir Lifsins? Cette odyssée lyrique dans l'Islande des temps anciens mitonnée par le guitariste de Kerbenok fait également penser à un livre musical qui illustre une histoire.
Hé bien, j'ai malheureusement du mal à être touché par les ambiances qu'il veut créer. Je ne comprends pas ce qu'il veut que je ressente en écoutant sa musique. Je ne peux donc pas donner un avis intéressant.
Mais encore une fois, tout est subjectif. Peut-être que toi, Arstidir Lifsins te transcende alors que je ne ressens pas d'émotion particulière. C'est pareil pour Diamond Eyed Princess: certains seront touchés à tel ou tel moment par un sentiment bien précis que j'ai voulu créer, par une ambiance et comprendront ma musique et le concept, alors que d'autres s'ennuieront car n'ont pas la même vision, le même ressenti que moi.
Toucher tout le monde avec une musique est très difficile, voire impossible surtout s'il s'agit d'une musique voulant véhiculer des visualisations bien précises, une musique qui "parle". Il est évident que si le but est simplement de faire bouger les culs et headbanger, ça devient beaucoup plus facile! (Mais pas forcément moins agréable à écouter).


J'imagine que vous êtes amateurs de romans d'heroic fantasy, vu les thèmes abordés. Quels auteurs ont ta préférence? Pratiquez/pratiquiez-vous le jeu de rôles?
Je ne suis absolument pas amateur de ce genre de lecture et encore moins des jeux de rôle.
Juste la MUSIQUE!!!


L'enregistrement s'est déroulé "à la maison". Était-ce une volonté de mieux contrôler votre rendu ou était-ce par soucis d'économie? Ne craigniez-vous pas de ne pas atteindre vos objectifs ambitieux en enregistrant seul?
En fait, c'est pour les 2 raisons. Je désire contrôler la production de A à Z. J'ai tout enregistré et mixé dans mon studio (Wolfsangel Studio), ce qui m'a permis de bien travailler les prises de son (enfin... bien pour l'époque) et les différents montages. Mais aussi car nous n'avions pas encore de label pour payer le studio (rien que les prises batterie ont duré 3 semaines, alors imagine le prix si on avait dû payer un studio).
Quant à nos objectifs, ils ne sont pas si ambitieux que ça, il faut juste que ça "sonne", qu'il y ait les ambiances voulues. Peu importe la couleur et/ou la propreté du son.
Je pense avoir atteint l'objectif avec cet opus et y arriver également pour le prochain. Entre les deux derniers Hegemon, les deux Brutal Rebirth, "Korlgueläal" et quelques autres, je commence à avoir une petite expérience... Enfin... J'espère...


L'enregistrement s'est très longuement étiré (depuis 2004, si j'ai bien lu). Avez-vous remis en question vos prises, complété vos prises au fil du temps par manque de disponibilités ou enregistré les morceaux petit à petit au fur et à mesure de la composition?
A vrai dire, il y a eu un manque de disponibilité et un excès (à tort) de perfectionnisme.
Les compos et le concept ont été travaillés et bouclés entre 2001 et 2004, enregistrés en grande partie en 2004 suivi de 2 ans d'attente liés au manque de temps pour des raisons professionnelles et des soucis avec les prises de basse et de voix.
Nous avons enfin terminé l'enregistrement et mixé l'album avec Ghroth en 2006. S'en est suivie une longue période d'écriture définitive des livres-concept I et II, de création des cartes géographiques et de recherche de label qui a d'ailleurs failli se faire avec Napalm Record en 2007 mais n'a finalement pas abouti. Nous recherchions un label voulant sortir également le concept en entier et pas seulement l'album dans un simple boîtier cristal. Ce n'est qu'en 2009 que le deal avec Northern Silence Productions a été conclu. Le temps de créer l'artwork du digibook... L'album n'est sorti que fin 2010.


Après avoir géré enregistrement et mixage, pourquoi avoir confié à Neb Xort le mastering? Une oreille extérieure était nécessaire ou est-ce un procédé technique que tu ne maîtrisais pas?
Encore une fois, pour ces deux raisons à la fois.
Je ne masterise jamais un album que j'ai enregistré pour profiter d'une oreille neuve. De plus, quand tu as passé tout ton temps immergé dans tes morceaux à composer, visualiser, enregistrer et mixer, tu n'es vraiment plus du tout objectif sur ton travail. Une vision plus générale, plus détachée est nécessaire pour cette délicate dernière étape qu'est le mastering. Mon rêve serait même de faire mixer l'album, toujours en gardant un œil dessus évidemment, par un autre ingé son.
Et l'autre raison est que je maîtrise très mal cette étape et que surtout, je n'ai pas le matos adapté. On ne masterise pas avec un simple PC ou Mac et 3 plugins! La pièce elle-même, les écoutes et le moindre périphérique coûte un bras en mastering!


Northern Silence est plutôt un label habitué des éditions limitées peu ambitieuses. J'imagine que vous avez suivi la conception du digibook d'un bout à l'autre. Comment avez-vous réussi à persuader le label de ne sortir l'album que sous cette forme, alors que c'est un risque financier pour lui?
J'ai réalisé la conception du digibook moi-même, sur mon Mac (d'où le délai entre fin 2009 et fin 2010). J'ai été aidé par Wolffoss pour la couverture, Amélia et Blacksshark pour les cartes et dessins et d'autres amis qui m'ont donné des photos perso des alentours de chez moi (Occitanie) ou d'autres régions et pays bien précis. Photoshop et Indesign sont devenus depuis des amis très proches!!!
Quant à Northern Silence Productions, nous avions signé à l'origine avec eux pour un livret A5 40 pages mais au dernier moment, Torsten (NSP) a voulu passer sur le format digibook A5 que je n'avais jamais même osé évoquer. Forcément, nous ne nous sommes pas faits prier pour accepter.


Je n'ai pas vu de dates de concerts prévues pour ce nouvel album. DEP a-t-il prévu de faire vivre en live ses compositions? Si oui, comment allez-vous procéder pour recréer sur scène le récit enregistré?
Pas de concerts prévus pour "Korlgueläal" car nous cherchons actuellement un batteur (avis aux intéressés) et n'avons pas encore les moyens techniques (cela ne saurait tarder) de faire ce que nous voulons sur scène.
Une tournée sera prévue après la sortie de "Tarüm Verhgget", le 3ème album, pas avant... un petit moment.
Pour ce qu'il y aura sur scène, il faudra venir voir! Je peux juste te dire que ce sera à l'image des albums. Quand tu écoutes un de nos opus, tu peux suivre le fil du livre, du concept en t'immergeant dans l'atmosphère qu'elle soit visuelle, écrite ou musicale. Ce sera pareil sur scène.


Outre DEP, ton actualité est assez chargée, avec Hegemon qui a refait surface il y a deux ans et Brutal Rebirth qui est bien actif. Tu ne crains pas les collisions d'emploi du temps?
Si et c'est déjà un peu le cas. Mais comme on dit: quand on aime, on ne compte pas !


On se reparle dans neuf ans pour le troisième album?
Hahaha, honnêtement, maintenant que je n'ai plus de studio et que les labels ne règlent plus les factures des enregistrements, je ne sais pas. Mais en restant positif, j'opterais pour un délai de deux à trois ans avec l'album probablement le plus sombre de la carrière de Diamond Eyed Princess.


Merci pour ton temps et tes réponses! Je te laisse conclure, si tu le désires.
Merci à toi. Ca fait plaisir de voir un journaliste/chroniqueur qui fait réellement son boulot, qui cherche à s'immerger, à comprendre un groupe conceptuel comme le nôtre, qu'il aime ou qu'il n'aime pas!
J'espère que les gens saisiront mieux notre concept, arriveront à s'y retrouver, entendront le vrai message de cet album et du coup, comprendront mieux notre musique, notre démarche.
Un journaliste m'a dit il n'y a pas longtemps dans un Email qu'il ne servait à rien de mettre des documents de concepts, des livres, des cartes et explicatifs sur notre site Internet car les gens ne prennent même pas la peine de le lire... Et il a complètement raison.
Mais ma réponse reste la même: Je fais tout ça d'abord et principalement parce que j'en ai envie, pour mon propre plaisir. Le partager avec tout le monde est excessivement plaisant, mais n'ait pour moi que la cerise sur le gâteau. Alors que ça ne serve à rien ou pas, je continuerai à écrire, composer et créer la suite des histoires du royaume de Ghamäl.
A bientôt pour le livre III...


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