La Locomotive - MONIKA - La Locomotive par PRINCE DE LU - 3586 lectures



Monica, peux-tu te présenter rapidement?
Je suis directrice artistique de la Loco depuis 17 ans. Ça fait un moment et c'était mon premier boulot. Je m'occupe principalement de la programmation des concerts. La Loco produit et loue la salle, c'est à peu près moitié-moitié. Par exemple, on loue la salle à Fred Garmonbozia ou on peut co-produire aussi comme Cannibal Corpse. On produit tout ce qui est gothique et japonais en règle général. Par contre, je ne suis pas tourneur et je ne peux produire qu'à la Loco, contrairement à Garmonbozia qui va pouvoir produire plusieurs dates en France. Je suis centrée sur la Loco, c'est la raison pour laquelle je ne produis plus certains groupes. Mais en production ou location, je suis contente que ça se déroule à la Loco. Je m'occupe aussi de la comm sur tous les concerts de la Loco et du site internet.


Peux-tu nous rappeler l'historique de la Loco?
En 1960, il y avait déjà un petit club, qui était à peu près de la capacité de la petite salle. Il était tenu par André Pouce. Et dans les années 60, des groupes comme les Beatles ou Kinks sont passés à la Loco. Après, ils ont fait des travaux et c'est devenu un cinéma Paramount. Et en 1986, c'est devenu la Loco telle qu'elle est aujourd'hui, avec les trois étages et 2500 m². Au début, David Bowie a joué pour l'inauguration.


Depuis combien de temps faites-vous des concerts à la Loco?
La Loco existe depuis 1986 et il y a eu des concerts depuis le début. Je suis arrivée après les trois-quatre premières années. Il n'y en avait pas beaucoup.


Dans les années 90, la Loco a connu une période plus "faste" grâce à l'activité boîte de nuit.
Absolument, dans les années 90, c'était blindé tous les soirs, le jeudi, le vendredi et le samedi. A l'époque, pour faire venir 2000 personnes, on jouait la carte généraliste avec un DJ. Il y avait une salle années 80, le rock au bar central et encore une autre salle plus groove/black. Après, nous avons suivi la tendance vers les musiques plus électroniques. Mais c'est vrai que c'était une époque faste, parce que tu ouvrais la porte, tu mettais un DJ et tu avais du monde. Ce n'est pas comme aujourd'hui où il faut faire des flyers et de la comm.
Au niveau des concerts, ce n'est pas le cas parce qu'on avait des problèmes de nuisance avec le théâtre voisin. Et comme on ouvrait les portes à minuit pour commencer les concerts à une heure et demie, tu imagines que la programmation n'était pas au top. On n'a pas réussi à avoir énormément de groupes car les concerts terminaient à quatre-cinq heures du matin. On faisait plus des concerts pour l'image, avec une activité principale boîte de nuit.
Et après, les choses se sont inversées entre les concerts et la discothèque. J'ai trouvé un terrain d'entente avec les gens du théâtre avec qui on a de bonnes relations. On a pu programmer des concerts dès qu'eux n'avaient pas de représentations. A l'heure actuelle, on peut démarrer des concerts à 19 heures quand le théâtre n'a rien, ou à 21h ou 22h selon les jours de la semaine quand ils ont terminé la représentation. Grâce à cette entente, on a fait beaucoup plus de concerts et ça a contrebalancé l'activité discothèque. Quelque part, on n'est pas si mal par rapport à d'autres discothèques. Une discothèque comme la Loco qui a une longévité de 23 ans, c'est énorme. Généralement, la durée de vie est de dix ans. On a joué sur les trois étages pour varier les ambiances et on a aussi pu privilégier les concerts, là où d'autres clubs comme le Mix ou le Rex ferment la semaine et ne font que de la location. Et la Loco n'est pas encore exploitée à son maximum, au niveau de la fréquence des concerts. Pas mal de tourneurs ne viennent pas vers nous à cause des problèmes d'horaires avec le théâtre.


Tu as senti le changement à quel moment?
Le monde de la nuit a chuté depuis quelques années, tout simplement parce que, je pense, la discothèque est passée de mode. Il y a eu pas mal de bars à thèmes et les gens ne voulaient plus mettre 15 euros (100 francs dans la monnaie des temps anciens) pour venir à la Loco ou ailleurs. Et il y a eu les soirées étudiantes, pas chères avec open bar, qui ont attiré notre "cible", la clientèle de 18-25 ans. Ces jeunes qui n'avaient pas beaucoup d'argent hésitaient à venir à la Loco et allaient plus dans les bars et les soirées étudiantes.
Et puis, les gens sortaient les jeudi-vendredi-samedi. Puis ils ont arrêté de sortir le jeudi. Ça s'est fait progressivement, il y a à peu près dix ans. Et depuis cinq-six ans, les gens ne sortent même plus le vendredi. C'est difficile de faire marcher le jeudi et le vendredi. Et on a beaucoup plus de frais, car on fait appel à des orgas pour organiser des soirées, on fait de la comm et on a moins de monde. On a aussi développé les locations de salles pour les soirées étudiantes ou soirées d'entreprise.
Il y a aussi la conjoncture. Et puis ce qui nous a achevés, c'est la loi anti-tabac. On a fait un espace extérieur qui a provoqué des nuisances avec le voisinage. On a donc créé un espace fumeurs à l'intérieur de la Loco, mais franchement tu n'as pas envie d'y aller. On est dans un monde où tout devient répressif. Tu viens à la Loco, tu ne vas pas pouvoir fumer, tu ne vas pas pouvoir boire car il y a des barrages de police, tu ne peux plus sortir à cause des nuisances sonores. Ce n'est plus comme avant et l'esprit Paris festif a disparu. Paris s'est aseptisée et les gens vont faire la fête en Belgique, à Berlin ou à Londres. Les mentalités ont changé. Et à tout cela, s'ajoute la fermeture administrative de dix jours qu'on a eue. Ça fait un manque qu'on n'a pas pu rattraper.


Je me souviens de concerts qui finissaient à quatre heures et après lesquels il fallait rentrer en taxi ou à pied. Est-ce que la mentalité du public a changé?
Oui, je suis d'accord avec toi, la mentalité a changé. Avant, ça ne gênait pas le public. Mais il y avait moins de monde à ces horaires-là. Maintenant, ils aiment bien qu'on termine à minuit et demi pour prendre le dernier métro. Peut-être qu'avant les gens étaient motivés car ils avaient l'habitude et car les places n'étaient pas trop chères. Maintenant, les concerts coûtent de plus en plus cher. Les affiches sont plus grosses.
Même dans le gothique, quand on organise un concert suivi d'une soirée, avant les gens restaient. Maintenant, ils viennent pour le concert et après ils partent. On vient d'avoir le cas avec Front 242. Les gens sont partis après le concert, alors qu'on avait un DJ.
Néanmoins, je trouve que la fréquentation générale des concerts n'a pas baissé. Je fais de plus en plus de concerts et je ne le constate pas. Les gens ne vont plus en discothèque, car ils vont s'emmerder avec un DJ. Ils n'achètent plus trop de disques parce qu'ils téléchargent et viennent aux concerts pour voir leurs artistes. Du coup, de plus en plus de groupes demandent de l'argent pour récupérer de la baisse des ventes d'albums. Les cachets sont de plus en plus chers.


Peux-tu nous parler de la situation de la Loco?
La Loco est en redressement judiciaire depuis 18 mois, avec un contrôle du tribunal tous les six mois. On a connu une baisse du chiffre en mai-juin (les mois les plus importants étant octobre-novembre-décembre), plus la fermeture administrative juste avant. Ça ne va pas dans notre sens par rapport à l'administrateur. Un plan de continuation a été proposé, mais les chiffres ne sont pas très bons. Le tribunal de commerce a donc décidé de ne pas donner suite au plan de continuation. Le jeudi 22 octobre, il a désigné le Moulin Rouge comme repreneur. On attend une décision en appel autour du 6 novembre pour confirmer la reprise par le Moulin Rouge. On va se battre, la situation n'est pas encore perdue.


Quelles étaient les solutions de reprise?
Le O'Sullivan voulait s'agrandir et faire un bar. Le Moulin Rouge vaut faire un musée, un bar, un snack pour accueillir les 1600 touristes qui viennent dans leur établissement. Le Moulin Rouge est le moteur de la place Blanche, mais cette solution n'apporte rien au quartier et n'intéressera que les touristes. La Loco fait vivre des gens. En plus des cinquante employés, elle fait vivre le café d'à côté, la petite crêperie, le Quick, bref les gens du quartier. Ça ne fera pas vivre les Parisiens, mais le Moulin Rouge uniquement.
Via le Parisien, le Moulin Rouge annonçait qu'il va préserver l'activité pendant six mois et garder vingt salariés. Je n'y crois pas du tout. Il ne va pas garder le bureau et veux garder les barmaids et les gens d'entretien, parce qu'ils savent qu'ils vont les payer aux vacations. S'ils font des travaux pendant six mois, la barmaid ne va pas rester là. Je ne crois pas une seconde qu'ils vont garder pendant six mois l'activité. Ce n'est pas très clair et je te dis ce que j'ai pu lire. S'ils ne gardent pas les gens du bureau, je vais logiquement annuler les concerts que je produis. Ils peuvent continuer à louer, mais ce n'est pas clair. On en saura plus d'ici la mi-novembre, ce qui était trop juste pour le VS Fest. On aura le temps devoir comment faire pour les concerts suivants.


La Loco est en fait locataire du Moulin Rouge?
La Loco est juste locataire et paye un loyer comme tout fond de commerce. Le Moulin Rouge a pratiquement tout le pâté de maisons.


Quelle était la solution de reprise proposée par les employés?
Un des employés a réussi à avoir un prêt du même montant que le Moulin Rouge, à savoir 1,2 M€. Mais ça a été refusé. J'ai un avis là-dessus. Ça a peut-être été présenté un peu tardivement, ça peut être ça. Mais je pense surtout que le Moulin Rouge a le bras long. La Loco dérange l'image pour touristes de la place Blanche, car il y a pleins de tribus. Les metalleux, les gothiques, les blacks le vendredi, les gays le samedi ou le dimanche, donc ça dérange. Ça participe au Paris aseptisé.


Que deviennent les membres de l'équipe?
Sur la proposition du Moulin Rouge, ce n'est pas clair concernant ceux qui conservent leurs emplois ou non, contrairement à d'autres propositions. Mais la sécu, le bureau et les ingés son et lumière ne seraient pas gardés.


Quelle autre salle parisienne pourrait remplacer la Loco?
Je n'en vois pas. Je cherche une autre salle, car je vais produire ailleurs. J'ai produit un concert au Bataclan samedi dernier, mais ça revient très cher. Donc si je continue, je veux travailler pour une salle ou trouver une autre salle, mais je veux les locaux pour payer moins cher. Je vais visiter une salle limitrophe de Paris. Si ce n'est pas dans Paris, ça ne m'intéresse pas. Je pense qu'il y a des lieux sur Paris où ils n'ont pas développé l'activité en semaine comme on l'a fait à la Loco. C'est à moi de trouver un lieu qui puisse accueillir 900-1000 personnes, parce que c'est ce qu'il faut. Si je la trouve, je développerai les petites niches comme je l'ai fait pour la Loco, avec le metal, l'electro, le gothique, le japonais, etc.


Quels sont tes goûts musicaux personnels?
Je fais moins de metal maintenant et je me suis plus ouverte aux musiques électroniques. Mais je viens du metal et j'ai l'âme metal. Mon groupe préféré, c'est Rammstein et j'aime beaucoup Rage Against the Machine. J'ai été la première à faire Rammstein, en 1998 si je ne dis pas de bêtise. Le premier concert de Rammstein à Paris, 1300 personnes. Et je serai à Bercy en décembre, peut-être les deux dates.


Tu n'as pas eu de regrets de voir le groupe partir ailleurs?
Je ne suis pas tourneur et je fais le concert à la Loco uniquement. C'est déjà beaucoup de travail. C'est vrai que c'est dommage de ne pas pouvoir les garder, mais ça fait plaisir pour le groupe. Ce sont des bons souvenirs.


Premier concert metal organisé?
Je pense que c'est Dream Theater, je ne sais plus la date.


Alors, le public metal, est-ce des gens sympas et passionnés ou des sales types avinés qui cassent des bières devant la salle?
Les metalleux restent les plus adorables. Je n'ai jamais eu de problèmes, ni avec les groupes ou le public. Je n'ai jamais eu de bagarres, ils sont toujours très polis (NDR : ça craint cette vision des metalleux!!). Je ne pourrais pas travailler avec certains autres publics, mais les metalleux sont fantastiques.


Quels sont tes meilleurs souvenirs de concerts?
Il y en a plein. La Loco, c'est grand et c'est petit. Quand on fait des concerts metal, on revoit un peu toujours les mêmes, comme dans une famille. Les gens viennent te voir et te remercier pour les concerts et le fait de faire vivre le metal, alors qu'on fait juste notre boulot. On voit qu'on fait plaisir et les étincelles dans les yeux des gens et c'est le plus beau souvenir qu'on puisse garder. J'ai eu Behemoth et Front 242. Et plein de gens viennent me voir et regrettent la fin de la Loco.


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