Uriel interview Rowan de VIRGIN BLACK
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Leur premier album " Sombre Romantic " a été accueilli comme un nouveau souffle salvateur par tous ceux qui désespéraient de voir la musique gothic/dark faire autre chose que tourner en ronds interminables. Caractérisés dans le son comme dans l’ethétique par un profil à la fois glauque et altier, ainsi que par un savoir-faire inédit en matière de contrôle des éléments orchestraux, Virgin Black avaient alors beaucoup impressionné, et on les attendait au tournant avec leur seconde réalisation " Elegant… and Dying ", qui s’avère être un pas de plus vers la recherche d’une identité musicale et paramusicale inviolable. Entretien avec l’emblématique chanteur Rowan London au sujet d’un groupe phénomène que beaucoup - votre serviteur en tête - ont du mal à appréhender à sa juste hauteur…VirginBlack2.jpg (19206 octets)

Salutations et bienvenue dans notre webzine Violent Solutions ! Il me faut débuter par le passage obligé qu’est la question biographique. Virgin Black est en effet un nom encore un peu vert par nos contrées… Peux-tu s’il te plaît nous gratifier de quelques faits concernant vos origines, les membres, etc.
Virgin Black se compose de cinq personnes : Samantha Escarbe (guitare lead), Dino Cielo (batterie), Ian Miller (basse, vocaux), Craig Edis (guitare, vocaux), et enfin moi-même, Rowan London (vocaux, piano). Nous sommes basés à Adélaïde, en Australie. Le groupe a été formé par Samantha et moi-même. En 1995 nous avons produit une démo éponyme qui, en dépit de nos maigres attentes, s’est avérée être une étape très importante puisqu’elle nous a permis de nous constituer une petite base d’adeptes aux quatre coins du globe. 1998 vit la sortie d’un miniCD intitulé " Trance ", qui fut deux années plus tard suivie de notre va-tout, l’album " Sombre Romantic ". La quantité de travail injectée dans cet album était énorme. A l’origine nous l’avons sorti de manière indépendante, mais par bonheur il a suscité beaucoup d’attention, ce qui a abouti à un double-contrat avec Massacre Records et The End Records.

Votre album précédent, " Sombre Romantic " a apparemment pris beaucoup de monde à contre-pied, et a suscité les comparaisons les plus incongrues dans la presse… Mais au bout du compte, au-delà d’une simple tentative descriptive, l’unicité et l’unité de la musique parlaient d’elles-mêmes. Avez-vous été surpris de l’ampleur du feedback ? Quel type de personnes se sont vues selon vous le plus attirées par votre approche artistique ?
Compte tenu de la confidentialité dans laquelle le groupe est né, nous naviguons depuis quelques temps dans l’incrédulité la plus totale. Depuis toujours nous refusons de nous mettre la pression pour essayer à tout prix de sonner de façon originale ; et c’est cette expression honnête et naturelle de nous-mêmes qui nous a justement conduits à recevoir des critiques vantant notre originalité, et notre désintéressement envers les tendances. La seule chose qui nous a toujours intéressé est de jouer la musique que nous aimons. Que le produit de cette passion ait ou non des similitudes avec ce que font d’autres artistes, cela n’exerce sur nous aucune conséquence. Naturellement, cela me fait plaisir que nous recevions un feedback positif, et qu’on nous considère comme un groupe novateur, original, sincère, mais il est important de réaliser qu’il ne s’agit pas là d’attributs délibérés de notre musique. Il y a une chose que je trouve fort intéressante : tandis que beaucoup d’artistes font des pieds et des mains pour mettre en valeur un son " unique ", le fait que nous soyons justement considérés comme uniques peut jouer en notre défaveur, en cela que certaines personnes bien ancrées dans leurs schémas prédéfinis préfèrent jouer la sécurité et éviter de s’aventurer à la rencontre d’un groupe qu’ils ne parviennent pas à catégoriser. Le fait est que nous ne sommes pas un groupe pour tout le monde et parfois, suivant le type de personne à qui nous avons affaire, une réaction hostile s’apparentera à un compliment - car je crois fermement que notre musique s’adresse à des personnes averties, et non à la masse.

A présent le second album, " Elegant…and dying " est sur la voie d’une reconnaisance élargie et il me semble que vous avez placé la barre assez haut en matière d’ambition musicale. Avant tout, est-ce que les retombées de " Sombre Romantic " vous ont permis d’augmenter substantiellement votre investissement dans Virgin Black ? Je parle non seulement de moyens financiers, mais aussi d’un facteur plus difficile à estimer qui est la force d’impulsion, cette fusion de l’expérience, de confiance et d’envie de nouveaux territoires qui anime une entité créatrice après un premier achèvement ?
Il faut bien comprendre qu’étant originaires d’Australie, nous avons eu tout le temps nécessaire pour nous " trouver " - vu la nature de non-compétition de la scène par ici… Nous avons appréhendé le second album à peu près de la même façon que le premier. " Sombre Romantic " a été pour nous un gros pas en avant, et il est vrai que certains groupes calent au moment de composer et de présenter un successeur à un premier album réussi. D’un côté Virgin Black est ma vie et est extrêmement important à mes yeux, mais en même temps nous sommes loin d’être un groupe majeur, un constat auquel bien d’autres groupes doivent se soumettre. NOTRE monde n’est pas LE monde, et nous écrivons nos albums dans notre monde, nous contentant de poursuivre ce qui nous passionne. Certains pourraient croire qu’une approche toujours similaire ne peut que produire un résultat similaire, mais pourquoi ? Lorsqu’un artiste est confronté à une toile blanche - la même toile blanche que la fois d’avant - il ne pense pas à ce qu’il en a fait la fois d’avant. Ce n’est pas la toile qui gouverne, c’est le premier coup de pinceau sur cette toile. Techniquement parlant, nos moyens n’ont pas énormément changé, et par conséquent réaliser un album plus ambitieux requiert un investissement décuplé en terme de temps. Nous n’avons pas les moyens d’engager des spécialistes qui viendraient faire les choses à notre place, donc nous devons nous-mêmes devenir les spécialistes.

Là où " Sombre Romantic " était - à mon sens - une collection de chansons possédant une forte connexion en terme de couleurs et de tempéraments, le nouvel opus évoque davantage un noyau indivisible, qui pourrait constituer la trame d’une scénographie opératique. Peux-tu expliquer ta propre visualisation du concept de Virgin Black ? Y a-t-il une signification à chercher du côté du contraste de tons total entre les artworks de " Sombre Romantic " (noir) et de " Elegant…and Dying " (blanc) ? A ton avis, laquelle de ces deux couleurs symbolise au mieux la plus pure virginité ?
" Sombre Romantic " est le genre d’album qu’il faut absolument écouter soit dans sa totalité, soit à travers une chanson isolée, en particulier lorsque l’on n’est pas encore familiarisé avec le disque. Zapper au petit bonheur la chance entre les morceaux peut déconcerter l’auditeur, car le style varie souvent. Cependant, les morceaux sont assemblés avec soin et l’atmosphère générale reste la même d’un bout à l’autre. " Elegant…and Dying " tend à évoluer en phases. Bien entendu l’album a une cohérence lorsqu’on l’écoute en intégralité, mais à défaut il serait recommendable d’au moins éprouver l’une de ces phases dans son entier. Personne ne l’a encore remarqué, mais il se trouve que certains des titres indiquent implicitement la délimitation de ces segments : " Velvet Tongue / And The Kiss Of God’s Mouth ", " The Everlasting / Cult Of Crucifixion ", " Beloved / Our Wings Are Burning ". Alors que l’extérieur de " Elegant… and Dying " est marqué par un blanc brillant, l’artwork dans son ensemble révèle une profonde noirceur intérieure, ce qui reflète notre désir de raccorder le concept, la musique et l’artwork en un tout. Le titre " Elegant…and Dying " implique que la société est dans un état où les personnes les plus authentiques, brillantes et honnêtes se trouvent persécutées et insultés à travers leur ouverture même - d’où une personne " élégante " avec une réalité tragique. De même, les premiers morceaux renferment certaines des parties les plus édifiantes, avant que la musique ne soit implacablement tirée vers les profondeurs. Cette progression vers les eaux les plus troublantes et inquiétantes est incarnée par le diptyque " The Everlasting " et " Cult Of Crucifixion ", puis la conclusion de l’album apporte un sursis. Il est intéressant de noter que " Sombre Romantic " était dès le départ cerné par les ténèbres mais moucheté de touches de lumière, tandis que le nouvel album vient de la direction opposée mais finit par sombrer dans un territoire plus obscur encore. Pour moi, le concept de " Sombre Romantic " est plus pur dans l’idée. " Elegant… and Dying " est pur également, mais pas autant, et surtout il emprunte l’importante transition du principal vers la réalité.
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Sur le nouvel album, l’interaction entre le raffinement du tissu orchestral et la colère faisant rage dans les guitares est pour le moins subtile, et guide l’auditeur à travers une quantité d’états différents. Pour moi il est presque nouveau de penser que la guitare est un élément complètement intégré dans le cadre musical global, alors que l’expérience montre que la plupart des groupes s’adonnant au symphonique conservent des structures dominées par la guitare pour venir y greffer synthés et instruments acoustiques en tant qu’auxiliaires plus ou moins importants. Peux-tu apporter ton commentaire sur ce sujet ? Considères-tu seulement Virgin Black comme appartenant à une quelconque scène " metal " ?
Je nous vois comme un groupe de metal, et ce même si certains groupes utilisant bien moins d’éléments symphoniques que nous clament une affiliation moindre avec le metal. La musique de Virgin Black est un tout et toutes les facettes de l’instrumentation en sont une partie intégrante. Qu’est-ce qui rend une musique " metal " ? S’il s’agit uniquement de la lourdeur des guitares, alors j’ai loupé un chapitre. Je considère par exemple que bien des groupes de néo metal ont davantage en commun avec la pop music qu’avec le metal, et pourtant leurs guitares sont généralement plus agressives que celles de - disons - Iron Maiden, dont la musique est pour beaucoup considérée comme la forme la plus pure de metal. C’est quelque chose qu’il est difficile de retranscrire par des mots. Quoi qu’il en soit, les guitares sont à mon avis plus lourdes sur le nouvel album, et de cette façon elles se marient mieux avec les sections de cordes et les autres éléments symphoniques. Pour revenir à ce que je disais plus haut, le black metal symphonique est pour moi une étrangeté, car il s’apparente souvent plus à de la musique synthétique new age, atmosphérique, qu’à du metal. Au bout du compte, j’aimerais surtout voir arriver le jour où les groupes joueront ce qui est naturel pour eux, et où les gens écouteront ce qu’ils aiment (et non pas ce qu’ils sont censés aimer) ; c’est facile à dire mais je pense que la scène est encore loin de cette situation. Les groupes n’auraient pas tous ces soucis de mix instrumental incohérent s’ils n’essayaient pas à tout prix de tasser telle ou telle influence dans leur musique.

Tes vocaux sont une idiosyncrasie de Virgin Black. Il a été dit que tu avais bénéficié de l’enseignement d’une sommité de la scène classique. Peux-tu nous résumer de quoi il retourne ?
A la suite de l’enregistrement et de la sortie de " Sombre Romantic ", j’ai eu vent de la présence dans notre ville d’un professeur d’opéra d’élite. Il s’agit d’Agim Hushi, qui en son temps a eu le même professeur que Pavarotti. Je l’ai contacté avec l’espoir qu’il puisse me venir en aide et ainsi contribuer à embellir les vocaux de Virgin Black. Une audition fut arrangée et je m’y suis rendu, totalement dans l’inconnu, pensant que j’allais probablement me couvrir de ridicule. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Il a trouvé ma voix intéressante et m’a accepté parmi ses élèves à la condition que je laisse tomber le groupe pour me concentrer sur mon entraînement avec lui. Il n’avait bien sûr jamais entendu parler de Virgin Black, et dans son esprit tout se qui se rapportait au rock, à la pop ou au metal était irrémédiablement détestable. Ma réponse fut un " non " fort et décidé. Comme on peut se l’imaginer, cela l’a intrigué. Je ne voulais pas lui faire écouter notre musique, par crainte de son aversion envers tout ce qui sortait de la sphère classique… pourtant après avoir maintes fois objecté, j’ai fini par lui présenter " Sombre Romantic ". Il a adoré ! Ses commentaires ont carrément débordé de toute proportion, nous comparant à Mozart et suggérant que nous étions exactement ce dont la scène classique avait besoin ; cet écho louangeur de sa part ne cesse aujourd’hui encore de m'abasourdir, et inutile de préciser que j’ai été accepté dans son groupe de travail, Virgin Black ou pas ! Donc je me forme désormais à son école, dans l’optique de jouer un jour dans des opéras traditionnels en parallèle à Virgin Black.

La plénitude et la complexité de votre son peut devenir intimidante pour l’auditeur metal lambda. Es-tu d’accord que, peu importe l’affection envers un album comme " Elegant… and Dying ", le degré de connivence entre la musique et l’auditeur peut varier jusqu’à un point où le plaisir est souligné par la distance, voire l’appréhension ?
Les qualités paramusicales de Virgin Black sont très complexes et créent par moments des scénarios horriblement difficiles où tous les sons semblent être présents et actifs, mais n’ouvrent pas cette dimension supplémentaire que tu évoques. Ce serait inacceptable pour nous, et c’est pour cela que nous nous donnons une année pleine pour parfaire la réalisation de chaque album, parce que ce n’est pas chose aisée (NdJ : je doute qu’on se soit bien compris mais ce n’est pas grave…). Avec une telle focalisation sur le feeling, beaucoup de gens survolent l’essentiel, mais je reconnais que nous ne sommes certainement pas easy-listening. " Elegant…and Dying " en particulier met en place une situation dans laquelle, vers le milieu de l’album, le concept et la musique sont projetés de concert toujours plus profondément dans un maelström, ceci en vue de créer une expérience hallucinée avec " Cult Of Crucifixion " en clé de voûte de ce mouvement. Quelques chroniqueurs ont dirigé leurs critiques là-dessus en suggérant que la confusion résultant de cette section de l’album était due à une incapacité de notre part, mais bien sûr lorsqu’un artiste vise un niveau artistique tel que nous le visons, on ne doit pas s’attendre à ce que les junkies de la musique fast-food puissent tout suivre. Que les morceaux qui concluent l’album prêtent à la vision d’ensemble une simplification opportune est loin d’être accidentel. Parfois, étrangement, une chronique négative est la meilleure des récompenses, suivant la personne de qui elle émane.

Je ne te demande pas si Virgin Black est un groupe actif au niveau religieux, mais ayant à l’esprit la présence récurrente de symboliques bibliques dans les paroles (Dieu, Sacré, Crucifixion...), je me demande comment tu envisages personnellement l’implication allégorique de ce champ lexical rapporté à votre musique ?
La plupart des membres du groupe ont vécu à un moment ou à un autre ce que l’on pourrait décrire comme un " abus spirituel ", et nous en avons également été les témoins tout autour de nous. Nous écrivons à l’intérieur de ce contexte, mais en élargissons intentionnellement les paramètres afin d’y envelopper une plus grande variété de situations personnelles qui peuvent toucher au religieux, à la politique, au social ou à bien d’autres points de vue. A titre personnel, j’espère contribuer à ce que les gens comprennent la différence entre l’Eglise et Dieu, car j’ai le sentiment que les deux sont de plus en plus disparates à mesure que Dieu doit souffrir de l’amalgame avec les atrocités de l’Eglise.

Avez-vous déjà quitté l’Australie pour des tournées ? Comptez-vous venir tourner en Europe dans un avenir proche ? A quoi ressemble un concert de Virgin Black ? Tentez-vous de restituer l’atmsophère des enregistrements ? Est-ce que les circonstances appellent à une accentuation de l’agressivité ou (au contraire) de l’intimisme ?
A la mi-2003, nous avons tourné aux USA en compagnie de deux groupes formidables : Agalloch (USA) et Antimatter (UK), à la suite de quoi nous sommes passés par l’Allemagne pour une poignée de dates. Nous envisageons très sérieusement une grosse tournée européenne, c’est pourquoi nous avions booké des dates pour octobre/novembre 2003, mais au vu des circonstances ça va devoir attendre 2004. En ce qui concerne Virgin Black sur scène, la principale chose à retenir c’est que, tout en " sonnant " différemment de l’album, le feeling est identique. Nous sommes plus agressifs et plus intimistes à la fois. Certains ont laissé entendre que Samantha et moi-même apparaissons comme possédés par le voyage personnel que traversent nos morceaux.

Ce sera tout pour aujourd’hui… Au nom de l’équipe de Violent Solutions, je souhaite à Virgin Black le plus prospère des avenirs. Avant de nous quitter, veuille mentionner pour nos lecteurs le contact/website de Virgin Black… Farewell.
L’adresse du website est la suivante : http://www.listen.to/virginblack. Vous pouvez nous écrire à : virginblack@hotmail.com. Merci pour cette interview intéressante, et merci pour le temps que tu y as consacré.