Uriel interview POEMA ARCANVS
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Quand je pense à Poema Arcanvs ces temps-ci, je n’arrête pas de me désoler que cette formation chilienne ne bénéficie de quasiment aucune reconnaissance alors qu’avec " Iconoclast ", ils ont donné naissance à un fleuron du dark metal sombre et – un peu – progressif tel que l’on en a rarement vu depuis la relique " Omnio " de feu In The Woods… Reste à espérer que cette brève interview leur donne un petit coup de pouce pour commencer. Les questions ont été conjointement traitées par I: Igor Leiva (guitare) et C: Claudio Carrasco (chant).

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Pouvons-nous commencer de façon conventionnelle avec un récapitulatif des origines du groupe, du line up actuel et de vos productions à ce jour ?

I: Au départ le groupe était un hobby de lycée formé par Claudio (chant) et moi-même (Igor – guitare) en 1991. Ce n’est qu’en 1995 que nous avons commencé à travailler sérieusement, avec l’enregistrement de notre première démo (" Underdeveloped "). A cette époque nous nous appelions Garbage. Par la suite le groupe a changé deux fois de nom, et par la même occasion de style, qui est passé d’une mixture complexe de différents styles (death – grind – doom) à un concept plus défini, plus proche du genre doom que nous pratiquions dans le passé.
Après " Underdeveloped " (1995), nous avons sorti " "Innocent Shades " (démo – 1996); puis sont venus un promo deux titres (1997) et un live EP, " Southern Winds " (1998). En 1999 nous avons réalisé notre premier album appelé " Arcane XIII ", et enfin " Iconoclast ", paru en 2002.Notre line up présent se compose de : Claudio Carrasco (chant) / Igor Leiva (guitare) / Claudio Botarro (basse) / Michel Leroy (synthé et backing vocals) / Luis Moya (batterie).

 

Bien entendu, un groupe chilien sous un label norvégien n’est pas le genre de choses que l’on voit tous les jours. Est-ce que votre nationalité s’apparente à un handicap, que ce soit pour obtenir un deal ou même pour persuader le monde que le doom de qualité n’est pas nécessairement l’apanage des Européens ? Ou bien est-ce qu’au contraire les gens sont particulièrement enclins à s’intéresser à Poema Arcanvs du fait de ce facteur " exotique " ? Quoi qu’il en soit, avez-vous le sentiment d’être profondément ancrés dans une confrérie stylistique, ou bien vous sentez-vous quelque peu à part, du fait de la distance et de l’impossibilité de communiquer en tête-à-tête avec 99% des personnes qui président aux destinées de la scène à laquelle vous appartenez ?

I: Je dois dire que c’est davantage un inconvénient qu’autre chose, car il nous faut faire face à beaucoup de préjugés concernant les groupes sud-américains : mauvaise prod’, manque d’originalité, ce genre de choses… Je peux comprendre que certains de ces préjugés existent car il faut bien admettre que certains groupes sud-américains font tout sauf de la bonne publicité pour notre scène. La distance est également un problème de taille, car dans l’esprit des gens il est difficile de croire ne serait-ce qu’à l’existence d’un groupe qui réside dans le dernier recoin de la planète, et donc encore plus difficile de croire que ce groupe est valable, vu qu’ils n’ont pas l’opportunité de nous voir sur scène. En ce qui nous concerne, trouver ici les bonnes connexions pour faire bouger les choses n’est logiquement pas chose aisée. Enfin bon, nous pensons très sérieusement à venir jouer en Europe dès que l’occasion s’en présentera, afin de contrer ces handicaps et de promouvoir activement notre musique par chez vous.

 

J’ai parlé dernièrement avec un membre de Mourning Beloveth, qui sont également signés sous Aftermath Records, et il m’a certifié qu’il s’agisait d’un label profondément impliqué, très attentif à sa politique de signatures, et qui inspecte ses groupes jusqu’aux premières démos, etc. Avez-vous eu cette même impression que les gars d’Aftermath étaient très au courant et concernés lorsqu’ils ont entrepris les négociations avec Poema Arcanvs ? Honnêtement, avez-vous reçu d’autres offres sérieuses et, si oui, quels arguments ont fait pencher la balance en faveur d’Aftermath ?

I: Le simple fait qu’Aftermath aient pris le risque de nous signer, sur la seule base de la qualité de notre musique, alors que nous étions totalement inconnus en Europe, est déjà un sacré gage de l’intégrité de ce label. Aftermath ont misé sur nous et, jusqu’ici, nous nous sentons très bien épaulés par eux, ils placent beaucoup d’espoirs en nous.
Nous avions reçu des offres tout à fait sérieuses de la part de quelques labels chiliens ou sud-américains, mais nous avons opté pour Aftermath car nous connaissions la qualité de leur travail. D’autre part, étant donné que nous cherchions un tremplin pour commencer à propulser notre musique en dehors des frontières du Chili, il était logique de franchir ce pas.

 

Je ne suis pas trop adepte des étiquettes tranchées lorsqu’il s’agit de décrire un groupe et sa musique. De ce fait, il est très ardu d’expliquer à quoi Poema Arcanvs ressemble à un néophyte. Comment traduit-on en mots simples et forts que la musique peut-être à la fois subtile, belle, mais aussi particulièrement dure ? Pourriez-vous m’aider un peu ?

I: Uhh, tu t’adresses peut-être aux mauvaises personnes, car nous sommes tellement impliqués dans le processus créatif qu’il nous est quasiment impossible de mettre en mots ce que nous faisons, mais je vais quand même essayer. Emotion – Complexité – Lourdeur. Ce sont les trois clés qui expliquent ce que nous essayons d’accomplir avec Poema Arcanvs.
Nous voulons créer de la musique qui soit émotionnelle, puissante et aussi intéressante d’un point de vue technique, de la musique qui s’adresse aussi bien à l’âme qu’au cerveau. Nous y parvenons en façonnant des mélodies tristes, sombres et belles, que nous travaillons un peu à coup de dynamisme pour donner quelque chose d’imprévisible, tu comprends ? Il ne s’agit pas de se contenter d’une seule mélodie catchy par chanson, mais de créer un voyage, une suite de paysages, différents niveaux d’intensité et, par dessus tout, un sens de la cohérence et de la totalité pour chaque morceau – nous voulons éviter de tomber dans l’auto-complaisance de certains groupes " progressifs " et de leur musique stérile, car trop technique et trop fragmentée. Par moments nous aimons flotter dans une atmosphère tendre et minimaliste, puis l’instant d’après nous voilà repartis vers des horizons plus complexes, sans jamais perdre d’objectif l’essence et l’unité de la chanson. Tu pourrais peut-être appeler notre musique du doom metal torturé et progressif…
Bon, j’ai fait de mon mieux, bien que j’imagine avoir été tout sauf clair, n’est-ce pas ? (NdJ : c’était parfait, Igor !)

 

ARCANUS2.jpg (20764 octets)Lorsque j’écoute la musique de groupes sombres et profonds comme le votre, je me demande toujours quelles peuvent être les motivations qui amènent à donner naissance à des compositions aussi emplied de douleur. Certains créent et jouent de la musique pour le plaisir immédiat que cela provoque, les mélodies qui font mouche, le groove et ce genre de trucs. Quelque part je ne peux pas me figurer une ambiance de fête dans votre local de répétition lorsque vous êtes au travail. En même temps je ne vous soupçonne pas d’être des épouvantails suicidaires du matin au soir… Donc ma question est la suivante : comment atteignez-vous l’équilibre émotionnel conduisant aux conditions de travail optimales, et qu’est-ce que votre musique vous apprend sur un plan personnel ? Est-ce un miroir de la somme des personnalités qui composent le groupe, ou bien quelque chose de différent ? Fictionnel ? Hors de portée ?

I: Question intéressante... Avant tout je précise que nous ne sommes effectivement pas des suicidaires ou quoi que ce soit de ce genre. En fait nous sommes des gens normaux avec nos moments de joie et nos moments de tristesse, comme n’importe quel être humain.
Je vais te donner mon point de vue personnel sur ce sujet : j’ai toujours pensé que les sentiments liés à la tristesse, le mélancolie, etc., sont plus forts que ceux liés à la joie, à la gaieté, etc., parce qu’ils te forcent à plonger profondément en toi-même pour trouver les réponses. Quand tu es heureux, pas besoin de te faire chier à méditer, tu as tout ce qu’il te faut avec toi (ou du moins c’est comme ça que c’est supposé fonctionner), alors que la tristesse te pousse forcément à réfléchir. Les expériences douloureuses en général te rendent plus fort, et ainsi de suite. Je crois fermement que la seule façon d’atteindre le bonheur est d’avoir goûté à la tristesse. Tu connais la chanson : sans ténèbres, il n’y a pas de lumière.
Ceci s’applique aussi aux différentes formes d’art, y compris la musique. J’ai toujours trouvé que la musique triste est la plus transcendante, celle qui reste avec toi et qui va chercher le plus loin en toi. C’est la raison pour laquelle nous jouons ce type de musique et pas un autre, parce qu’elle libère une partie de ce côté sombre que nous cachons au plus profond de nous, c’est une façon d’exorciser ces sentiments. Comme je te l’ai dit, nous sommes des gens tout à fait ordinaires, nous adorons plaisanter, faire la fête et tout ça… C’est la partie de nous-même qui est visible la plupart du temps, mais notre partie la plus importante est celle qui coule dans notre musique, cette partie profonde que tu partages avec un très petit nombre de personnes.
Nos lyrics proviennent également directement de nos vies et du monde que nous voyons autour de nous. Si l’on a un tant soit peu de sensibilité, on réalise vite qu’il est facile d’extraire de la vie quotidienne suffisamment de réflexions et de sentiments pour alimenter l’humeur de notre musique. Pas besoin d’entrer dans un monde fictionnel pour trouver les bons sujets lorsque le monde réel en est rempli.

 

Dans pratiquement toutes les chroniques que j’ai lues à propos de " Iconoclast " (y compris la mienne), il y a une comparaison avec les travaux de jeunesse de Moonspell. Mais à force de revenir sur l’album encore et encore, ce parallèle a priori évident commence vite à manquer d’arguments solides, ne serait l’atmosphère catacombesque générale et les accents " gothiques " dans le chant. Je pense que sur une échelle d’écriture musicale et de talent, Poema Arcanvs est beaucoup plus proche de certains champions d’une race de dark metal avant-gardiste et cérébrale tels que In The Woods…, Drawn ou même Arcturus. Connaissez-vous ces groupes et, si oui, êtes-vous d’accord avec mon commentaire ?

I: Tu devrais d’abord réactualiser ta chronique !!! (je plaisante…).
En effet, je suis un gros fan d’In The Woods… Je suis un peu moins versé dans les albums de Drawn et Arcturus mais globalement oui, je suis d’accord, car cette fameuse référence Moonspell est selon moi tout sauf justifiée. Ce n’est pas que je n’aime pas Moonspell – au contraire j’apprécie beaucoup certains de leurs albums – mais nous ne sommes pas du tout sur le même chemin qu’eux.
Nos similitudes avec Moonspell se situent plus à la surface de la musique, comme tu l’as décrit, et c’est donc en toute logique qu’un chroniqueur qui n’a pas passé suffisamment de temps sur nos chansons va s’arrêter à ces similitudes et se contenter d’en faire l’argument central de son article. Si l’on accorde à l’album quelques tours de plus dans le lecteur, on constate que la structure des morceaux et le parcours musical en général sont complètement différents. Sur nos nouvelles chansons, cette différence est encore plus marquée, avec davantage de passages extravagants, de panoramas sonores étranges et d’expérimentations. J’aime à penser que notre album appartient à cette catégorie de disques qui révèlent toute leur signification avec le temps, parce que c’est ce genre d’albums qui finissent par devenir des favoris. Je pense que les termes " dark ", " avant-garde " et " cérébrale " conviennent parfaitement à notre musique. Je me permettrai juste d’ajouter " émotionnelle ".

 

Est-il vrai que l’objectif premier de Poema Arcanvs est de lever suffisamment de fonds pour financer l’opération de votre chanteur afin qu’il puisse postuler pour une place de frontman dans le clone de Rhapsody local ?

I: Non, non, non, tu te trompes complètement : en fait nous voulons carrément gagner de l’argent pour financer son changement de sexe. Il faudra couper un peu ici et là, greffer des nichons bien dodus, etc., afin que nous soyons parés à devenir le prochain groupe de gothic metal trendy avec une vocaliste pulpeuse.
Vérifie tes sources, mon gars !
C: C’est quoi ce bordel Igor ?!? Je t’avais dit que ça devait rester secret ! Est-ce que je balance tes penchants homosexuels persistants avec tous les ex-membres qui ont du quitter le groupe à cause de ça ?!? Je ne pourrai plus jamais te faire confiance ! Au fait, rappelle toi que nous devons absolument garder des poses doom bien sinistres !

 

En conséquence se pose la question de l’équilibre des vocaux dans votre musique. Rarement – pour ne pas dire jamais – j’ai entendu au sein de la scène metal quelqu’un chanter d’une telle voix de stentor et sonner convaincant plutôt que ridicule. Je suis d’avis que les vocaux clairs aident à déclencher l’atmosphère morose d’une manière splendide. Ceci peut-il remettre en question l’utilisation du chant death qui, lorsqu’il apparaît, semble presque hors de propos ? Pourriez-vous envisager de vous débarrasser entièrement des hurlements sans mettre en péril le côté extrême de votre musique ?

I: Je ne sais pas, c’est le job de Claudio, donc c’est lui qui te répondra. En attendant, je sais qu’il est un gros fan de grind/death, donc j’imagine que le chant extrême ne lui pose pas de problème particulier. Personnellement cela ne me dérangerait pas outre mesure que nous arrêtions un jour d’utiliser le chant death, tout comme ça ne me dérangerait pas de le conserver ad vitam aeternam. Nous ne faisons pas de plans à ce niveau, nous jouons ce qui nous semble approprié au moment où nous le créons et ne suivons en aucun cas une quelconque stratégie. Tout au plus, lorsque nous répétons, l’un ou l’autre membre va peut-être suggérer quelque chose du genre " les hurlements ne passent pas sur cette partie ", etc., mais c’est surtout Claudio qui conçoit et s’occupe de la plupart de ses lignes.
Je sais seulement que nous sommes un groupe de metal qui traverse une période d’expérimentations, mais en prenant bien garde de ne pas délaisser nos racines metal, ce qui suppose bien davantage que la question de savoir si, oui ou non, nous allons continuer à intégrer du chant sépulcral.

C: Pour aller droit au but, je n’ai pas l’intention de laisser tomber les hurlements… Ceux-ci comptent pour une bonne part du côté non-conventionnel de notre musique. En tant que metalhead et fan, j’ai horreur de ces vocalistes de doom qui ont de plus en plus tendance à renier les vocaux death. Personnellement, je m’efforce toujours de rester imperméable à toutes les tendences, les modes, etc. Je sais que certaines personnes aimeraient que j’utilise uniquement ma voix mélodique, mais il y en a aussi d’autres qui tiennent vraiment aux growls, et j’en fais partie ! D’autre part, je trouve que mes growls et mes cris ont un côté très brutal et pas du tout forcé, tu ne penses pas ? (NdJ : si, si…). Sur les nouveaux titres nous essayons de caser la bonne variété de vocaux exactement au bon endroit et au bon moment, avec un maximum de bon goût.

 

L’artwork de " Iconoclast " est très riche et raffiné au niveau du design et des jeux de couleurs, mais le symbolisme de la grenouille fossilisée sur la couverture (s’il s’agit bien d’une grenouille) m’échappe encore. Peut-on tracer un parallèle avec le concept de l’album, où bien doit-on y voir un simple élément de plaisir visuel ?

I: En fait, il y a bien un concept derrière la couverture, bien que ça parte à la base d’une idée très simple. Sur " Iconoclast ", le concept qui relie les morceaux traite de la confrontation entre d’un côté l’artificiel, le construit, des choses ou des idées factices, et de l’autre côté l’essentiel, l’ancestral, le pur et l’éternel. Ce sujet est abordé sous des angles variés. Le côté graphique montre un fossile comme figure centrale, mais celui-ci est entouré d’autres choses qui apparaissent dans un plan trouble et secondaire. Ces autres choses sont des icônes religieuses, des immeubles ainsi que la carte d’une ville : des exemples de choses créées par l’homme, des choses que l’on croit importantes, transcendantes et puissantes mais qui, comparées à la véritable transcendance et à la pureté d’un simple petit fossile âgé de plusieurs centaines de milliers d’années, finissent par avoir l’air bien faible et éphémère. Que ce soit une grenouille est dû au hasard et, comme tu l’as dit, un plaisir visuel. J’avais plusieurs images de fossiles à disposition et celui de cette grenouille m’a semblé le plus attractif d’un point de vue esthétique.

 

Au cours d’un entretien donné à un ‘zine polonais dont j’ai oublié le nom, tu mentionnes que ton réalisateur favori est Krzysztof Kieslowski. Ca nous fait un point en commun. Comment t’y prendrais-tu pour, en quelques phrases, présenter ce cinéaste de façon à donner envie de voir ses films ?

I: De belles histoires, très simples et tristes, racontées d’une façon très complexe et profonde, avec un symbolisme omniprésent et un espace conséquent laissé pour les interprétations individuelles de chacun. Des films que tu peux voir une vingtaine de fois (comme moi) et continuer à chaque fois de découvrir de nouvelles significations derrière les images.
Ca pourra paraître incongru, mais je trouve que les films de Kieslowski contiennent pas mal de thèmes très " doom " dans l’esprit. Ils ont beaucoup en rapport avec des choses comme la solitude, la liberté, la mort, l’amour, la tristesse, la perte, etc., mais le tout étant traité de manière à te donner au bout du compte un étrange sentiment d’espoir. C’est la beauté derrière ces films : tu vas les voir au cinéma, et puis tu rentres chez toi avec un sentiment indicible : perplexité, tristesse, mais quelque part aussi plaisir.
Pour moi " La Double Vie de Véronique " reste le meilleur, mais bien entendu la trilogie " Trois Couleurs " est excellente, sans oublier le " Décalogue ".

 

Tu dois donc avoir une tendresse particulière pour la musique de Zbigniew Preisner, puisqu’il a contribué à la plupart des films de Kieslowski. Je dois dire que certains moments de “ Iconoclast ” – notamment bien sûr lorsque le synthé domine la trame sonore – se prêteraient tout à fait à accompagner des images mouvantes. Es-tu d’accord et, si oui, quel type de scénario ou d’impression te semblerait le plus adapté ? Avez-vous déjà été approchés pour composer la musique d’un film ? Est-ce éventuellement un objectif pour le futur ?

I: Bien sûr que je suis d’accord ! La musique de Preisner exerce depuis des années une énorme influence sur ma composition, ainsi que sur celle de Michel (notre claviériste, un des principaux compositeurs au sein de Poema Arcanvs). Le sens de la mélodie et du minimalisme de Preisner est tout simplement sublime. A propos de notre musique, effectivement je pense qu’elle a quelque chose de " visuel ", mais la question de savoir quel genre d’images elle génère dans mon esprit est bizarre, parce que je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Du fait que notre musique est tantôt subtile, tantôt rude, j’imagine qu’elle conviendrait assez bien à un truc du genre " Stalker " d’Andrei Tarkovski, vu que cette histoire est très sombre et désolée, tu vois, tout sauf mielleuse (en particulier les parties " Black " et " White "). Cette ambience post-nucléaire ravagée, avec ces personnages misérables à la recherche de leur rêve, la contradiction de leur condition pitoyable et de leur idée de la beauté et du bonheur est peut-être quelque chose que notre musique pourait relayer assez bien. Bien sûr ça a quelque chose de prétentieux que de mettre notre musique côte à côte avec l’œuvre de Tarkovski, mais c’est la seule chose qui me soit venue à l’esprit.
Pour l’heure, personne ne nous a demandé de faire de la musique de film, mais si cela se produit ce serait géant ! Dernièrement par contre, on nous a proposé de participer à une pièce de théâtre avec notre musique, c’est à dire de composer et de jouer live pendant les représentations. Ce n’est encore qu’au stade de projet, mais ça s’annonce très intéressant.

 

A propos de plans, que peut-on attendre de Poema Arcanvs dans les mois/années à venir ? Y a-t-il d’ores et déjà un nouvel album sur l’établi ? Avez-vous des opportunités concrètes de venir vous produire en Europe et de mettre le feu à nos scènes ?

I: En ce moment nous sommes enfermés au local de répétition pour composer de nouvelles chansons. Nous avons déjà sept morceaux finis, même si nous modifions constamment els arrangements de chacun d’eux. Deux ou trois autres sont encore à l’état d’ébauche, mais commencent à bien prendre forme. Bien sûr nous projetons d’enregistrer un album aussitôt que toutes les chansons seront prêtes. La musique sera plus expérimentale, heavy et toujours aussi émotionnelle. Nous ne voulons pas perdre les vibrations sombres et tristes de notre musique, mais nous voulons aussi lui faire franchir un pas, avec davantage de bidouillage et de sons bien zarbs. Je pense que l’atmosphère de nos nouveaux morceaux est extrêmement contrastée, ils peuvent être par moments très étranges, voire psychédéliques, et puis tourner rapidement en quelque chose de très émotionnel, tragique et saisissant.
Nous prévoyons sérieusement d’aller jouer en Europe l’an prochain, car c’est la meilleure façon de nous faire un nom dans l’underground. Nous sommes très satisfaits de nos performances en live, donc nous pensons que les metalheads européens ne seront pas déçus, et nous espérons que cela nous ouvrira certaines portes. Nous attendons vraiment cette opportunité avec impatience. Nous avons déjà quelques contacts et attendons que cela se précise.


ARCANE0310.jpg (25747 octets)Je dois admettre que Poema Arcanvs est le tout premier groupe chilien dont j’entends parler, mais j’imagine sans peine que, à l’image du Brésil ou du Mexique par exemple, votre scène est bouillonnante, un fort microcosme de groupes underground s’efforçant de faire rugir l’âme du metal toujours et encore… Comment caractériseriez-vous le degré d’activité, d’infrastructures et d’enthousiasme envers le metal dans votre pays ? Existe-t-il d’autres groupes – signés ou non – que vous pourriez nous recommander ?

I: Le mot " microcosme " est une très bonne définition pour notre scène. Il y a beaucoup d’activité, des concerts toutes les semaines, des ‘zines, pas mal de groupes, etc., mais ce dont la scène sud-américaine manque cruellement est du type d’interaction entre les pays que vous pouvez avoir en Europe, par exemple. Ici il y a très peu de contacts entre, par exemple, les scènes d’Argentine, du Brésil et du Chili. Au Chili la connaissance des groupes argentins ou brésiliens est très limitée, excepté pour les groupes qui ont déjà une exposition internationale, comme Krisiun. Et c’est réciproque, Poema Arcanvs n’est pas vraiment connu dans ces pays, donc nos chances de prendre part à une tournée sud-américaine d’envergure sont minces, et le marché pour nos albums est à 90% basé au Chili, ce qui ne représente pas des ventes faramineuses vu que le Chili reste un très petit pays. C’est donc la raison pour laquelle lae qualificaytif de " microcosme " est assez adapté, parce que notre marché est restreint, de même que les ressources pour faire bouger les choses. Nous en sommes arrivés à un point où nous avons le sentiment d’avoir " touché le plafond " dans la scène chilienne : nous avons joué partout où nous pouvions jouer, nous sommes un groupe reconnu, nous avons vendu autant d’albums que cela est envisageable ici pour un groupe underground, donc il est temps de passer la vitesse supérieure et c’est pourquoi nous avons vraiment envie de venir jouer en Europe. A propos des groupes, il y en a quelques très bons, la plupart non signés, bien sûr. Je pense à Norphelida (une sorte de death metal complexe et dissonant), Mar de Grises (doom, il me semble qu’ils ont signé avec un label finlandais nommé Firebox et qu’ils enregistrent leur premier album en ce moment), Necrosis (power thrash metal) et plein d’autres.
C: Mes favoris sont : Splattered Excrements (hyper-blast death/grind), Regnant (death/grind), Psicosis (death thrash technique dans une veine Oblivion/Cynic), Mar de Grises, Wothan (doom) et sûrement d’autres que j’oublie…

 

Je me permets de tourner un peu la question précédente à l’envers… D’habitude, les gens que j’interviewe sont bien en peine de me citer des groupes français qu’ils apprécient. Seriez-vous assez aimables pour inverser cette tendance ? Et sur un plan plus large, êtes-vous déjà venus en France ? Quelle vision avez-vous de notre pays ?

I: Massacra étaient un nom incontournable sur la scène death metal au début des 90's, j’ai encore certaines de leur démo et je les trouve très bonnes. L’autre groupe français que j’aime énormément est S.U.P.. Leur musique est grandiose, hyper originale, sombre et psychotique. Je me souviens aussi que Misanthrope a fait un split avec un groupe chilien du nom de Torturer au début des années 90. Il y en a sûrement d’autres dont je ne me rappelle pas en ce moment.
A propos de l’autre question, non, je n’ai jamais mis les pieds en Europe (j’espère vite y remédier). Ma vision se fonde en priorité sur le cinéma et l’architecture (je suis architecte). Ayant visionné un maximum de films européens, j’ai certainement en tête quelques images de la France. Je m’intéresse aussi beaucoup à l’architecture à la française, aussi bien ancienne que moderne, il y a beaucoup de choses très intéressantes à étudier. Et puis naturellement, les clichés sur les jolies filles et les bons vins sont une règle, tout comme l’arrogance supposée de beaucoup de Français, mais je suis bien conscient que cette vision là est sans doute aussi éloignée de la réalité que peut l’être ta vision du Chili.
C: Je suis fan de S.U.P., je possède presque tous leurs albums… J’adorerais pouvoir jouer avec eux lors de notre tournée européenne… he he ! Petit coucou à Philippe et Misanthrope !!! Un autre groupe que j’admire : Agressor… Ils existent toujours ?

 

Vous arrive-t-il d’avoir de la neige là-bas au Chili ? Il y a cette Grande Cordilière qui borde l’océan si je ne m’abuse… Voyez-vous, je suis d’avis que l’hiver norvégien pourrait faire des miracles sur votre inspiration ! Puisqu’on en est là, avez-vous besoin d’un environnement spécifique afin d’atteindre un niveau de concentration satisfaisant ? Existe-t-il un type de conditions, saisonnières ou géographiques, qui stimulent substantiellement votre potentiel crétif ?

I: Bien vu, il neige beaucoup dans les Andes. A à peine une heure deroute de la capitale Santiago, il est possible de pratiquer toutes sortes de sports d’hiver. En fait, la géographie du Chili est extraordinairement variée, avec au sud d’immenses forêts, des glaciers et de vastes champs de glace, tandis qu’au nord on trouve la région la plus aride du monde (le désert Atamaca). Je ne suis pas nécessairement d’accord avec le truc de l’hiver norvégien, parce que l’on peut puiser beaucoup d’inspiration dans les paysages désolés de nos déserts, avec une forte présence cosmique et un sentiment de solitude extrême, écrasant – c’est quelque chose que tu comprends mieux si tu es sur place. Peut-être que la simple présence de la nature en chaque endroit de notre pays est quelque chose qui nous a affectés, et aussi ce sentiment d’isolation qu l’on a forcément lorsque l’on vit dans le pays le plus austral du globe, dans un petit territoire d’Amérique du Sud coincé entre les montagnes et l’océan. Bref, au niveau des paroles, notre inspiration actuelle vient de l’existence au cœur d’une grande ville et de l’absurdité qui en découle, la solitude parmi la multitude, l’inutilité de tout cet attirail technologique prétendument inventé pour pour mieux communiquer entre nous, etc. – pour tout dire, Santiago est vraiment un coin de merde pour vivre. Nous voulons transposer l’atmosphère du doom dans le contexte de la vie urbaine contemporaine, parce que c’est là que prennent racine nos chagrins, nos angoisses et nos combats intérieurs. Bien sûr nous faisons ça à travers les arcanes d’un langage intime afin que l’auditeur puisse en tirer sa propre interprétation, c’est comme cela que nous avons toujours procédé. Nous voulons éviter que cela sonne comme une critique sociale basique, ce qui n’est pas notre tasse de thé.

 

Pouvez-vous citez les albums qui tournent régulièrement dans vos platines ces derniers temps, et donner pour chacun un petit commentaire ?

I: Voivod – " Voivod " : mon groupe de chevet, je suis tout sauf objectif en ce qui les concerne. Je suis aux anges que Snake (vocaux) soit de retour, et j’aime beaucoup l’album, en particulier la deuxième partie où se concentrent les morceaux les plus psychédéliques, typiques de Voivod. Piggy est définitivement un guitariste hors-pair. OK, ce n’est ce n’est peut-être pas leur meilleur album (de toute façon je me demande si quoi que ce soit pourra jamais surpasser " Dimension Hatröss " or " Nothingface "), mais c’est déjà un des meilleurs albums de l’année. Qu’est-ce que je peux dire d’autre ? Voivod Rules!!!!!!
Zbigniew Preisner – " Preisner's music " : un album live enregistré dans une mine de sel abandonnée en Pologne. Il regroupe des morceaux de presque tous les soundtracks de film qu’il a composés et d’autres titres que je ne connaissais pas. C’est une musique belle et terriblement émotionnelle, certains morceaux sonnent mieux dans ce cadre que dans leurs versions originales (par exemple le thème principal de " Bleu "). Cet album ne quitte pour ainsi dire jamais mon lecteur et pourrait facilement être mon " CD à emporter sur une île déserte ".
In The Woods… – " Strange in Stereo " : un album étonnant qui peut être très difficile d’accès, mais une fois qu’il t’a attrappé, impossible d’end écrocher : complexe, insolite, profond et ensorceleur. C’est vraiment trop dommage qu’ils aient splitté (NdJ : et un tour de manche dans la plaie, un !).
Et puis cette liste ne saurait être exhaustive sans: Memory Garden – " Tide " ; Nuclear Assault – " Handle with Care " ; Napalm Death – " Order of the Leech " ; Pain of Salvation – " Remedy Lane " ; King Crimson – " Thrak " ; Fields of the Nephilim – " Elizium " ; Kreator – " Renewal ", et une liste interminable de trucs très hétérogènes, du vieux comme du récent.
C: S.U.P. – " To Live Alone " (un parfait ouvrage de lourdeur psychédélique) ; Kind Diamond – " Conspiracy " (mon album préféré de ce groupe) ; Repulsion – " Horrified " (un classique du grindcore) ; Dead Horse – " Peaceful Death And Pretty Flowers " (du thrash décalé et comique : unique) ; Autopsy – " Mental Funeral " (le meilleur album de doom/death) ; Blood – " Gas, Flames, Bones " (le dernier truc en date de ces timbrés) ; Cumchrist – " Cumplete " (grind/death parodique et blasphématoire) ; My Dying Bride – " Voice Of The Wretched " (encore une performance live excellente avec tous les grands classqiues des maîtres) ; Shape of Despair – " Angels of Distress " (du doom finlandais extrême, sombre et pachydermique) + tout ce que je possède par Napalm Death, Carcass, Candlemas et Field of the Nephilim.

 

Je vais à présent tirer le rideau… Vous êtes libres de dire ce que vous voulez à nos lecteurs, et n’oubliez pas de laisser l’adresse de votre contact/website ! Adios !
I:
Je n’ai plus qu’à dire " Merci [Uriel] " (NdJ : en français dans le texte) pour cette intéressante interview, ce fut un plaisir de répondre à tes questions. Merci aussi pour ton intérêt envers Poema Arcanvs. Pour les lecteurs, et bien n’hésitez pas à vous procurez " Iconoclast " par l’intermédiaire de notre label norvégien Afermath, et bien sûr nous espérons vous voir bouger en masse dès que nous viendrons vous rendre visite ! Notre website : www.poemaarcanus.cl. Nous allons bientôt reconstruire tout le site pour le rendre beaucoup plus attractif et disponible tout en anglais et en espagnol, mais vous pourrez toujours télécharger quelques mp3 et notre vidéo tout petit budget mais très cool pour le titre " Iconoclast ". Pour nous contacter : arcanexiii@hotmail.com. Nous répondons à tous les e-mails. Keep metal alive ! Cheers !

C: Attend nous avec une bonne bouteille de vin local !