Uriel interview DORNENREICH

Il semblerait que la sortie en ce début d'année de l'album " Her von welken Nächten " ait enfin garanti au trio autrichien Dornenreich un statut international, essentiellement de par le fait que cet album, génial pour les uns, affligeant pour d'autres (ceux qui ont du mal à voir plus loin que le bout de leur Marduk) a provoqué une avalanche de réactions contradictoires. Dornenreich commence même à se faire un nom parmi le public français, dans sa majorité pourtant réfractaire à la langue allemande et plus généralement à ces modes d'expression fortement avant-gardistes et théatraux en provenace du pays des chapeaux tyroliens (cf. Korovakill, Angizia...). Il n'en fallait pas plus pour aller tâter le pouls du côté du grand Eviga Stock, leader charismatique de Dornenreich, et en savoir un peu plus sur les fondements et l'actualité de cette formation atypique.

VS. Entrons dans le vif du sujet sans plus attendre. L'album évènement " Her von welken Nächten " est sorti depuis février 2001. Quelles ont été les réactions à ce jour? As tu une idée des ventes?
Jusque là les réactions en provenance du monde entier ont été fantastiques. Aussi bien les media que les métalleux en général ont été apparemment complètement fascinés par " Her von welken Nächten " (" De Nuits fanées "). Pour nous au moins c'est vraiment époustouflant. Cela signifie pour nous la reconnaissance de notre authenticité artistique et émotionnelle. De plus toutes ces réactions intermédiaires enregistrées lors de la tournée européenne avec Marduk, pendant les festivals aux côtés de Graveworm et Vintersorg ou après nos nombreux concerts par ci par là nous ont beaucoup touchés. Nous avons pu sentir l'enthousiasme honnête de tous ces gens avec lesquels nous avons pu p
Dornenreich.jpg (2709 octets)arler.

VS. On dirait que la " Dornenreich-mania " a subitement décollé ces derniers temps, avec des chroniques fabuleuses un peu partout et votre popularité qui   s'accroit grâce au bouche à oreille. D'abord, penses tu que le phénomène se limite aux pays de langue germanique? Ensuite, est-ce que tu portes beaucoup d'attention à ce qui est écrit sur le groupe en général? Toutes ces preuves de reconnaissance doivent être flatteuses, non ? Pourrez vous réellement continuer comme si rien n'était arrivé?
Nous avons des liens forts avec les pays germaniques à cause de la langue, c'est une évidence. Cependant nous sommes en contact avec des gens des quatre coins du monde qui nous définissent comme leur groupe favori, à cause du fait que notre expression émotionnelle " pénètre notre subconscient directement " - comme ils le disent eux-même. Donc on peut dire que ce " phénomène " n'est pas du tout limité par une langue qui n'est pas forcément très répandue. Cependant je ne suis pas vraiment d'accord avec ce terme de " phénomène " pour décrire notre popularité actuelle, car je pense que nous sommes bien davantage qu'un groupe simplement dans l'air du temps. Depuis des années nous nous sommes efforcés de produire de la qualité. Nous avons persévéré dans notre vision artistique individuelle. Nous sommes aussi là pour montrer que le groupe est fiable. Nous pensons que la fiabilité est une chose très importante pour le lien entre le musicien et l'auditeur. Il n'y a rien qui puisse s'évanouir aussi vite que la popularité et la crédibilité. C'est pourquoi il faut rester en phase avec son intuition et ses intentions artistiques originales. C'est ce que nous essayons de faire. Nous savions dès le début que notre horizon artistique s'élargirait sans cesse. C'est pourquoi notre intention à la base était axée sur le développement - car le développement est également une chose primordiale pour nous. C'est pourquoi les principes artistiques de Dornenreich sont : l'authenticité (langue maternelle), une expression intense, l'intimité émotionnelle, la diversité artistique, une instrumentation individuelle, du dynamisme, des atmosphères mystiques en rapport avec la nature, une esthétique omniprésente et la capacité de surprendre. Il ne fait aucun doute que ces caractéristiques seront présentes également sur nos albums à venir. Nous resterons fidèles à notre vaste identité. Bien sûr je ne peux pas faire abstraction du charme qu'exercent toutes ces bonnes réactions, mais au bout du compte elles n'ont fait que nous encourager à poursuivre notre développement naturel, y compris les caractéristiques précitées sur lesquelles Dornenreich s'appuie profondément. Pour nous la question ne se pose même pas de savoir si nous devons continuer à utiliser l'Allemand ou pas. Nous comptons simplement enrichir un peu nos livrets en ajoutant une sorte de résumé conceptuel en Anglais. Nous voulions le faire sur le dernier album déjà. Aujourd'hui je me sens capable de procéder moi-même aux traductions, et même si elles ne seront pas tout à fait correctes grammaticalement - car je n'ai pas étudié l'Anglais - elles seront correctes du point de vue du message et du contenu car je suis l'auteur de la version originale en Allemand. Donc pour conclure cette question j'aimerais lâcher un grand " Oui ", nous pouvons continuer aussi naturellement que si rien ne s'était produit, parce que nous avons progressé d'album en album jusqu'ici.

VS. Penses tu que le fait d'avoir un line-up stable est un facteur crucial du développement du groupe? Est-que tu te vois continuer avec d'autres musiciens?
Sans aucun doute. Je suis totalement convaincu que notre stabilité est déterminante pour Dornenreich. En plus de notre forte relation personnelle je sais parfaitement qu'il n'y a pas beaucoup de musiciens doués qui partageraient ces intentions artistiques spéciales que Gilvan, Valnes et moi-même avons. Nous sommes tous trois dédiés à Dornenreich d'une façon extrême. C'est pourquoi aujourd'hui je ne me représente pas un autre line-up. (NdJ : Depuis que cette interview a été réalisée, le batteur Moritz Neuner alias Gilvan a quitté le groupe, officiellement pour divergences d'ordre musical et manque de temps)

VS. Votre forte connexion avec la nature et les forces élémentaires coule de source... Comment faites vous pour retrouver cette cohésion essentielle lorsque vous êtes enfermés en studio avec des dates butoirs et tout le stress que cela implique ? Quel genre de livres ou icones gardes tu toujours à portée de main dans ces moments ?
Je pense que ma perception est très sensible. De plus le niveau psychique auquel j'accède progressivement me rend plus réceptif par rapport à mes racines humaines : penser et ressentir d'une façon archaïque, ce qui me met en connexion avec la nature et les forces élémentaires. Je traîte de sujets tels que la rage émotionnelle, le pouvoir de la volonté, l'éphémère, la solitude et l'intuition parce qu'ils signifient impulsion originelle et véracité pour moi. Evidemment les conditions habituelles de travail en studio, avec dates butoirs, concentration interminable et stress ne font rien pour arranger mon inspiration. Ceci dit elles ne me perturbent pas plus que ça non plus, car l'essence de l'expression est à l'intérieur de mon être. Je suis un être humain, je suis une personnalité individuelle, je perçois intensément et j'ai de fortes visions artistiques. C'est tout ce dont j'ai besoin lorsque je me retrouve devant un micro. Quoi qu'il en soit, j'essaie aussi de m'entourer de silence de façon à ce que mon " moi " le plus profond (de cette phase) ose sortir afin de s'insinuer à travers le micro dans l'album où il pourra (plus ou moins) déployer ses ailes dans la permanence. C'est une image sympathique pour décrire comment j'essaie de me donner entièrement à un album lorsque je travaille dessus et l'enregistre ; me libérer sans me renier. Pour en revenir à ta question, je dois dire que personne dans le groupe n'a réellement besoin de livres ou " icones " pour recréer cette atmosphère intérieure que nous préservons aussi durant la phase d'enregistrement.

VS. "The Light echoes the Light...", comme qui dirait... Ton inspiration semble puiser dans une source sans limite. Est-ce qu'il t'arrive parfois de buter contre un mur invisible qui empêche tes pensées de naviguer comme tu le souhaiterais ? As tu déjà été dans la peau du poète frustré qui tuerait pour une rime ?
Oui, je pense avoir déjà été en contact avec ce " mur invisible ", mais dès que je sens tomber ce rideau intérieur j'ai tendance à stopper le processus d'écriture, parce que j'essaie au maximum d'éviter que mes paroles ne se fondent pas sur un noyau d'intuition et de vérité. Parfois il est difficile de déterminer ou même de décider où se trouve et où devrait se trouver la frontière, cette fameuse frontière entre la fantaisie individuelle et l'intuition originale. Pourtant je suis à peu près certain que mes mots resteront authentiques tant que je conserverai ma capacité créatrice propre - par opposition au narcissisme artistique. Cependant, malgré tous ces idéaux enchanteurs j'ai déjà été présenté de temps à autres à ce poète frustré à l'intérieur de ma chair...

VS. Désolé de devoir poser une question que tu as sans doute déjà traîtée en long et en large, mais une personne non-germanophone qui tombe sur votre livret doit se demander ce que signifie ces nombreuses pages de texte accompagnées de toutes ces photos. Pourrais tu résumer le concept de " Her von welken Nächten " ?
Pour " Her von welken Nächten " j'ai choisi un scénario onirique et lugubre se déroulant dans une forêt nocturne. C'est un arrière plan fictionnel et romantique pour le voyage philosophique individuel d'un être humain qui se réveille au beau milieu de ce scénario. Il est confronté à sa solitude originelle rapportée à ses pensées, ses émotions et ses perceptions. Il commence à réfléchir sur les stades archaïques et élémentaires de la condition humaine. Des stades tels que tous ceux que j'ai mentionnés plus tôt : rage émotionnelle, éphémère et solitude (ainsi que le pouvoir de sa volonté et son intuition). En bref c'est une description du processus de familiarisation avec son " soi " intérieur. C'est l'essor de la sincérité émotionnelle personnelle, une tentative paradoxale de s'attacher à sa nature unique, ce qui est selon moi d'une importance capitale, car être confronté à son " soi " intérieur est le secret de nos relations terrestres et offre une possibilité d'appréhender la mort - le moment venu.

VS. D'ailleurs tu es certainement conscient qu'en écrivant en Anglais, la popularité de Dornenreich prendrait des allures de Mercedes après que vous  ayez conduit une Trabant... (après tout qui aurait parié un centime sur Dimmu Borgir lorsqu'ils chantaient en Norvégien ?). Pourtant mon petit doigt m'a dit que - fort heureusement - un tel changement n'est pas pour demain. Est-ce que j'ai raison ?
Comme je l'ai dit plus tôt dans cette interview, je resterai toujours fidèle à ma langue maternelle allemande à cause de valeurs intemporelles telles que l'identité, l'authenticité et l'individualité (d'ailleurs je n'ai pas de permis de conduire). Ton petit doigt a raison.

Comment ça se passe au niveau de la création d'un morceau ? Est-ce que vous avez toute sa structure dans la tête avant de commencer à répéter, ou bien grandit-il pas à pas ? A quel moment les paroles entrent-elle en jeu ?
En fait au début du processus d'écriture c'est entre Valnes et moi que ça se passe. A savoir que Valnes crée la première ossature à l'aide de son synthé et de sa voix, tandis que j'élabore moi-même des plans à la guitare sèche. Si ces visions de départ s'avèrent assez concrètes pour servir de base à un titre, nous travaillons sur les arrangements de base, les rythmiques et la dynamiques avec Gilvan à notre local de répèt'. Pendant ces répétitions je mets au point les premières lignes de guitare rythmique. En général nos répétitions tiennent davantage du travail concentré que de la " jam session ". Ensuite la chanson grandit - comme tu l'as supposé - pas à pas. Tous les instruments s'inspirent mutuellement, on rajoute quelques leads, la basse apparaît, les guitares sont définitivement posées. Ainsi, la communication inter-instruments se développe. En fait je pense que les paroles entrent en ligne de compte dès le début. Une sorte de connexion subtile et subconsciente, bien que forte et naturelle, existe entre la musique et les textes pour la bonne et simple raison que je suis impliqué dans les deux. D'autre part, Valnes et moi-même sommes ce qu'il convient d'appeler des " âmes-sœurs " au niveau de l'expression artistique. Enfin, maintenant que le premier mix instrumental " brouillon " est achevé, nous prenons des mois entiers pour bosser sur les vocaux, qui représentent à notre sens la véritable âme d'un album.

VS. Est-ce que tu écoutes toi-même beaucoup de zique en composant? Suis tu plutôt les tendances ou en es tu resté aux classiques?
Effectivement. Des fois j'ai pensé limiter un peu ma dose quotidienne durant l'écriture de nos morceaux, mais j'aime la musique à un tel point que je ne pourrais pas résister autant de temps sans une " expression étrangère " dans les oreilles. Lorsque nous composons nous mettons l'accent sur l'individualité bien entendu, mais je pense qu'il est encore plus aisé de parvenir à cette individualité si tu te soumets à d'autres musiques en même temps, parce que c'est un moyen de rester informé et tout le reste est une question d'auto-critique et d'être suffisamment vrai et ambitieux pour se débarrasser des influences sous-jacentes dans certaines oeuvres. De plus c'est à chacun de connaître sa propre force artistique intuitive, et je pense que nous en sommes capables. Au niveau des " tendances ", je pense personnellement que ce terme est bien trop superficiel pour être débattu dans le contexte de Dornenreich. Pour ce qui est de la musique que j'écoute (et par laquelle je suis fasciné), je compte aussi bien le black metal que d'autres choses genre pop, gothique, industriel, EBM, folklore, avant-garde, classique et la musique ancienne, rituelle, ambient, etc. - tant qu'elle parvient à me captiver profondément, à me toucher émotionnellement et à défier mon imagination. Malheureusement, citer tous les artistes que j'admire serait interminable. Donc mieux vaut éviter ça.

VS. Si on te donnait la possibilité de rencontrer quelqu'un qui a de l'importance à tes yeux - mort ou vivant - qui est-ce que ce serait et pourquoi ?
Peut-être que j'aimerais rencontrer J.R.R. Tolkien afin de lui demander le secret de son esprit de logique gigantesque et de sa patience pour créer son propre monde, un monde qui de plus est un feu d'artifices d'innombrables détails vivaces. D'autre part, j'aimerais réellement me jouer de la décadence et des contradictions de cette réalité pour quelques instants - avec le jeune Oscar Wilde. Ou bien me projeter à Novalis juste pour ressentir la présence d'une autre " âme-sœur ".

VS. Lorsque quelqu'un est à ce point impliqué dans son art, est-il possible de garder un œil tolérant sur les courants musicaux " opposés " ? Comment réagis tu lorsque tu entends du hip-hop à la radio ?
En général je me considère comme quelqu'un d'ouvert et de tolérant envers tout courant musical, même si un courant n'est pas du tout ma tasse de thé. Avec le hip-hop, je dois admettre que c'est exactement le cas. Toutefois, étant un être rythmique (ou quelque chose comme ça...) j'ai du respect pour les capacités vocales rythmiques de certaines de ces troupes. Par contre je n'aime absolument pas ce timbre hip-hop particulier dans leurs vocaux qui sonne si monotone, condescendant et indifférent à mes oreilles. Pour ce qui est de la musique en elle-même, elle est bien trop minimaliste et simplement trop insignifiante émotionnellement à mon goût.

VS. Et quelle est ton opinion sur la paternité? Penses tu que tu élèverais tes enfants dans une éducation musicale stricte et définie ?
A ce sujet certains problèmes me viennent à l'esprit. Par exemple celui de savoir faire la différence entre protéger l'enfant et influencer son dévelopement, ou le danger lorsque l'on tente de projeter ses propres rêves, souhaits et objectis, inachevés ou pas, sur son enfant. Ainsi, l'idéal pour moi serait serait d'essayer de fournir à mon (mes) enfant(s) une atmosphère de soutien, de patience, de compréhension et de sécurité, dans laquelle l'enfant pourra apprendre à se découvrir et à se développer. Ce n'est bien sûr pas du gâteau d'être père, et un tas de situations délicates peuvent se produire. Néanmoins je vois cela comme un idéal à garder à l'esprit. Pour ce qui est d'une éducation musicale définie ou stricte, j'ai tendance à penser que j'essaierai probablement de les laisser dévoiler leur créativité propre autant que possible sans les forcer à faire quoi que ce soit. En d'autres termes, il est toujours possible de révéler l'existence de tel ou tel instrument, mais la première impulsion, l'intérêt originel doit venir de l'enfant lui-même. Si c'est le cas, alors il faut tenter d'approfondir cet intérêt - du moins c'est ce que je pense à l'heure actuelle. Par dessus tout je suppose qu'il est essentiel de trouver le juste équilibre entre la théorie générale, c'est-à-dire la logique, et la créativité individuelle. Cela me paraît ardu en fait.

VS. Dernière question : j'ai lu quelque part que le successeur de " Her von welken Nächten " est d'ores et déjà sur l'établi! Tu confirmes? Des indices quant à l'évolution prévue?
Très juste, nous travaillons déjà sur notre quatrième album. Celui-ci révélera un nouvel aspect de Dornenreich - c'est certain. Nous entrerons en studio en février de l'année prochaine, et nous espérons donc pouvoir présenter un produit fini à l'automne 2002. Pour l'heure je crois qu'il est trop tôt pour mentionner certains détails, mais nous sommes convaincus que le prochain album de Dornenreich sera (encore une fois !?) " the welcome surprise ".

VS. Je te laisse conclure en souhaitant à Dornenreich tout le succès mérité...
Pour en finir brièvement je tiens à te remercier pour ces questions originales et délibérées. Ce fut un plaisir que d'y répondre. Merci beaucoup !