Uriel
interview Robert Culat |
Interviewer un prêtre dans un webzine metal. Est-ce de la provocation? Ou bien une volonté douvrir nos colonnes à un représentant dun horizon souvent (toujours) pointé du doigt avec mépris et défiance ? Le Père Robert Culat, en metalleux actif et connaisseur, a tenu à nous exposer son projet de livre sur le metal ainsi quà faire partager sa vision très actuelle et sans complaisance du monde ecclésiastique et de ses rapports avec notre musique pas toujours si antagonistes quon veut bien le penser. Portrait
Ave Robert! Sois le bienvenu à
texprimer dans nos colonnes. Avant toute chose, je crois que je dois une explication
aux lecteurs qui vont forcément considérer dun il perplexe ton CV en
relation avec un webzine dédié au metal. Peut-être le mieux est-il de procéder par
étapes et donc de commencer par un petit portrait rétrospectif. Qui est à la base
Robert Culat, et quel est le cheminement personnel qui tas conduit à embrasser la
carrière ecclésiastique ?
Robert Culat : Tes questions ont lart de ne pas être superficielles ! La vocation sacerdotale est dune richesse infinie : tu vois, moi je suis curé de trois villages, ce qui est déjà différent dun curé en milieu urbain. Jai été pendant 6 ans vicaire aumônier des jeunes, cest encore un autre accent. Dautres soccupent des malades, des prisonniers, des pauvres, des loubards, des intellectuels, des hommes politiques, des artistes, des gens du voyage etc. Dans un avenir proche peut-être aurons-nous des prêtres aumôniers des metalleux ! La vision du prêtre que tu évoques nest pas valable pour mon cas : jai très peu de confidences, encore moins de confessions, et je ne suis pas dans mes villages un notable comparable au maire par exemple. On pense à moi surtout pour les enterrements, pour les baptêmes et les mariages. Mon " métier " a bien sûr un aspect difficile comme toute vocation authentique. Je pense, par exemple, que vivre le mariage chrétien est tout aussi difficile de nos jours. Un croyant sait quil peut compter sur la force de Dieu pour être fidèle à sa vocation, et cela change donc les perspectives. La difficulté se retrouve bien sûr dans les aspects négatifs : les fidèles ne sont pas nombreux à fréquenter les églises, ils sont vieillissants donc fatigués et peu aptes à insuffler le souffle nouveau dont nous aurions tant besoin. Les communautés catholiques dont je suis le pasteur sont donc petites et minoritaires. Le plus épuisant dans le rôle de curé cest de gérer les conflits de personnes, les sensibilités différentes au sein des paroisses. Un autre aspect difficile consiste à trouver la juste relation avec les catholiques non-pratiquants que je rencontre à loccasion des baptêmes, mariages et enterrements. A la fois jaccueille leur demande et jessaie de leur faire faire un pas de plus, de leur faire comprendre quon nest pas chrétien seulement au moment des grandes occasions, mais chaque jour. Et que lEglise, comme toute communauté humaine, a besoin pour être rayonnante de lengagement actif de tout ses membres. Beaucoup de catholiques sont " consommateurs " vis-à-vis de lEglise. Cest une souffrance pour un prêtre qui donne toute sa vie et sa personne pour le Christ. Les aspects positifs sont aussi présents heureusement : Des jeunes et des adultes de plus en plus nombreux demandent le baptême ou la confirmation. Puis de grands événements comme les dernières Journées Mondiales de la Jeunesse à Toronto me redonnent une grande espérance pour lavenir de lEglise. Il y a aussi toutes les rencontres personnelles que je peux faire avec des gens très différents, cest passionnant. Puis certains paroissiens sont vraiment des exemples de foi et de charité, cest très encourageant pour un curé. Jen parle en dernier mais cest essentiel : ma vie de prière, ma vie de relation au Christ. Cest toujours un point positif car même sil marrive de mendormir ou dêtre très fatigué ou distrait pendant un temps de prière, je reçois toujours dune manière ou dune autre lamour du Christ. Cest lui et lui seul qui me fait tenir à mon poste. Enfin je pense que les qualités primordiales pour être curé de paroisse sont la faculté dadaptation, la patience et la persévérance. Tout le monde ne les a pas forcément en entrant au séminaire. Mais dune manière ou dune autre nous devons acquérir ces aptitudes. Sans elles nous serions menacés de découragement.
Comment lEglise vit-elle la désaffection progressive vis-à-vis de la Religion ? Dabord, est-ce que tu ressens toi-même un dépeuplement des églises, et est-ce selon toi un phénomène exponentiel et inéluctable ? Quelles en sont à ton avis les grandes causes initiales ? Robert Culat : Encore une question qui demanderait une thèse entière ! Jai déjà un peu répondu avec les points négatifs. En 2000 ans dhistoire lEglise a connu des crises peut-être plus graves que celle de lathéisme et de lindifférence que nous constatons aujourdhui : la crise gnostique, arienne, la naissance du protestantisme, la révolution française et la terreur etc. Et elle est toujours là ! Et puis lEglise ne se confond pas avec la vieille Europe ! LEglise est catholique (= universelle) et cest ce qui fait sa vitalité aujourdhui. En Afrique et en Asie (En Corée par exemple) lEglise est en expansion. Pour lEurope la déchristianisation est-elle inéluctable ? Difficile à dire Je pense que nous aurons en Europe dans les années à venir une Eglise minoritaire mais peut-être plus fervente et plus convaincue, donc plus rayonnante. Ce nest pas le nombre des baptisés qui compte mais bien les baptisés qui essaient de vivre leur foi pleinement. Les causes du phénomène de déchristianisation ? Comme tu peux limaginer elles sont multiples et complexes. On nest toujours pas sorti du dogme scientiste et rationaliste selon lequel nest vrai que ce qui peut être mesuré par notre raison et notre expérience, doù lopposition dans beaucoup desprits entre foi et sciences. La vision selon laquelle la personne existe davantage par ce quelle possède et donc par son pouvoir dachat que par ce quelle est peut rendre la religion " inutile ". Car la religion sauve et perfectionne lêtre intérieur de lhomme, et cette recherche peut être considérée comme une perte de temps, une illusion dans une société de consommation. Par ailleurs je pense que la perte de la pensée personnelle et de l'esprit critique visible dans les masses contemporaines est mauvaise pour une redécouverte de la foi. Les gens pensent par procuration (les media lont dit, donc cest parole dEvangile etc.) et non plus librement. Et dans le pire des cas ils ne pensent même plus Il ny a quà voir combien certains mythes historiques ont la peau dure : les croisades, linquisition etc. Je ne nie pas ces réalités historiques reconnues par le pape lui-même, je remets en question la présentation tendancieuse qui en est faite. Or pour sengager dans une recherche spirituelle il faut pouvoir se poser des questions. Cest un grand privilège de rencontrer aujourdhui un lycéen qui se pose des questions et essaie de réfléchir par lui-même. Les notions de vérité, de bien et de mal sont devenues relatives pour la plupart de nos contemporains. Cela naide pas à trouver le chemin vers le Christ qui a osé dire : " Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ". La version contemporaine serait : " Je suis un chemin parmi dautres, une partie de la vérité, une source dénergie et dépanouissement ". Il y a entre ces deux visions un abîme difficilement franchissable. Enfin le christianisme est une religion révélée : Dieu se fait connaître en son Fils Jésus-Christ. La vertu principale pour accueillir la révélation chrétienne est lhumilité, je reçois de Dieu la vérité sur ce quIl est et sur ce que je suis. Or cest la vertu qui fait le plus cruellement défaut à lhomme occidental. Il est plutôt caractérisé par lorgueil et lautosuffisance.
Ensuite quel regard portes-tu sur les " alternatives " à la Religion proposées de nos jours ? Que tinspire la recrudescence des sectes sataniques, apocalyptiques et autres cultes polythéistes au cur même de sociétés autrefois très largement acquises au Christianisme ? Est-ce que cela provoque chez toi un sentiment concret dinquiétude ? Robert Culat : Cela ne minquiète pas. Rien de nouveau sous le soleil, comme le dit Qohélet ! A la fois cela me fait de la peine et cela me fait sourire. Cela me fait de la peine de voir tant de gens sengager dans des voies spirituelles qui, pour moi, sont une régression par rapport aux acquis du christianisme. Cela me fait sourire car ce bazar religieux contemporain est dune pauvreté doctrinale effrayante et dune irrationalité rarement atteinte. On retrouve un peu les errements de la gnose des premiers siècles. Le néo-paganisme, les sectes sataniques, le New Age me font penser à des péplums dHollywood ou à la soupe des vieilles paysannes qui récupéraient tous les restes de la journée pour la faire. Certains membres de ces mouvements sont sérieux et cultivés mais je pense quil sagit ici dune minorité. Comment peut-on aujourdhui adorer Odin, Isis et compagnie sans friser le ridicule ? Le syncrétisme propre à beaucoup de ces mouvements génère dans la pensée et dans les actes lirrationnel et cest très dangereux, beaucoup plus dangereux quune religion qui affirme enseigner la vérité ultime sur Dieu et sur lhomme. Un peu de franc-maçonnerie, un brin de sorcellerie, une pincée de paganisme, un zeste de satanisme, une once de réincarnation : voilà le portrait du parfait croyant européen qui dans sa vie quotidienne utilise les techniques et les sciences les plus perfectionnées ! Jai même rencontré des metalleux qui croient à lexistence des extraterrestres et simaginent quils fomentent un complot contre nous On a de quoi rester pantois et dubitatif ! Le problème du christianisme en Occident cest quil est étiqueté comme vieux, déjà connu. Cest du " déjà vu ". Et certains ont la démangeaison de la nouveauté, du " mystère ", du paranormal, de locculte, de lésotérique Plus cest compliqué plus ça marche. De fait le vrai christianisme est très peu connu des masses, et en constatant linculture religieuse actuelle ça nira pas en saméliorant. Malgré les apparences le christianisme est plus que jamais nouveau dans nos vieux pays européens et cest une chance pour lui.
Comprends-tu et respectes-tu la démarche des gens qui se réclament athées ou païens, essentiellement par rejet viscéral du Christianisme ? Sans entrer dans la grande spirale de débat théologique, que répondrais-tu à ceux qui affirment que la Religion fonde ses principes sur une gigantesque mystification véhiculée à travers les siècles ? Quelles valeurs, concrètes ou métaphysiques, mettrais-tu en avant pour justifier ta Foi et ta volonté de la propager ? Robert Culat : Encore une question très ardue ! En tant que chrétien et que prêtre je respecte la conscience et la liberté de tout homme. Simplement je pense que pour fonder correctement une adhésion au paganisme ou à lathéisme le seul rejet du christianisme nest pas suffisant. Si choisir une idéologie ou une religion se fait par un réflexe de rejet et dopposition alors on peut mettre en doute la validité rationnelle et spirituelle dun tel choix. Je ne suis pas catholique, par exemple, par rejet des protestants. Je suis catholique parce que je suis positivement attiré par la foi catholique. Il devrait en être de même pour un païen ou un athée. De plus, comme je lai dit plus haut, beaucoup ne connaissent pas grand chose du christianisme. Pour pouvoir le rejeter validement il faudrait auparavant sêtre informé objectivement des tenants et aboutissants. Mon expérience de prêtre me montre que certains rejettent une caricature ou une déformation du christianisme. Entre parenthèses cest lanalyse que je fais de la virulente critique de Nietzsche. Quelles " valeurs " mettre en avant pour justifier ma foi et la propager ? Cest tout le domaine de la théologie apologétique aujourdhui nommée fondamentale. Personnellement je mettrais en avant deux critères : Est-ce que ma foi de catholique me rend profondément heureux et épanoui ? Je veux dire par là : est-ce que je sens que mon attachement au Christ enrichit mon humanité et ma personnalité au lieu de les appauvrir (ce qui se passe dans beaucoup de sectes) ? Est-ce que les dons que jai reçu de Dieu grandissent dans le contexte de ma pratique religieuse ? Ou encore : est-ce que je vis ma foi comme une libération, une source extraordinaire de liberté intérieure ? Lautre critère : Est-ce que grâce à ma foi je peux rendre heureux les autres ? Est-ce que ma foi me permet de me dépasser, de sortir de mon égoïsme pour aimer autrui de manière concrète ? Je pense ici à la solidarité, à la compassion, au partage des biens. Ces critères je pense que tout un chacun peut les retrouver dans des figures charismatiques telles que le pape Jean-Paul II et Mère Teresa de Calcutta par exemple.
Dans la scène metal en particulier mais aussi sur un plan général, nombreux sont ceux qui condamnent assez vertement lintolérance et les exactions de lEglise à travers les siècles, en pointant du doigt que des antagonismes religieux rôdent à laube de bien des chapitres sanglants de lHistoire. Selon toi, jusquà quel point est-ce quune autocritique par rapport à cet héritage controversé est-elle nécessaire ? Penses-tu quil serait temps que les gens considèrent lEglise du point de vue de ce quelle représente à lépoque actuelle ? Robert Culat : Lautocritique est faite et justifiée par le pasteur suprême de lEglise, le pape Jean-Paul II. Lors du Jubilé de lan 2000 il a posé un geste à la fois humble et prophétique en demandant pardon à Dieu pour les fautes graves commises par les fils de lEglise et cela au nom de Dieu. On attendrait de nos communistes européens une repentance de ce type pour leur soutien aveugle aux dictatures de leur camp en U.R.S.S, en Europe de lEst et ailleurs Cette autocritique était non seulement nécessaire mais pédagogique : cest comme si le Pape nous disait : Attention, ne retombons pas dans les erreurs du passé ! Vivons tout lEvangile et seulement lEvangile, ny mêlons pas des considérations humaines, des calculs politiques et des arrangements économiques ! Pour répondre à la dernière partie de ta question je pense quil est en effet grand temps que les gens considèrent lEglise quils ont sous les yeux en 2002. Cest une attitude malhonnête que de toujours brandir le spectre des croisades et de linquisition dautrefois pour refuser de sengager dans le christianisme aujourdhui ! Cest comme si je me refusais à fréquenter les allemands ou à visiter lAllemagne sous prétexte que cest le peuple dHitler et des camps de concentration. Ce serait une attitude stupide. Il est donc temps de tourner les pages dhistoire pour savoir comment nous voulons bâtir notre présent et notre avenir, et quelle place aura la foi chrétienne dans cet avenir.
Robert Culat : Je tavoue que les récents scandales de pédophilie jouent un peu le rôle des croisades et de linquisition dautrefois. Il y a des prêtres pédophiles, cela me donne un " bon " argument pour rejeter la religion. Il y a des bons et des mauvais dans toute institution, même dans les institutions qui devraient être les plus saintes comme lEglise. Parce que lEglise est composée dhommes pécheurs, faibles, en chemin vers la sainteté. La pédophilie est un crime horrible et injustifiable. Par contre il ne m'appartient pas de juger les personnes. Je laisse le jugement à Dieu qui seul pénètre les curs. Franchement mes frères dans le sacerdoce qui ont commis des actes pédophiles sont à plaindre tout comme leurs victimes. Car pour en arriver là il faut vraiment avoir de sérieux problèmes non seulement affectifs mais aussi psychologiques. Je ne leur lancerai pas la première pierre. Je prierais plutôt pour eux. Le rejaillissement sur lensemble de lEglise était malheureusement inévitable. Cest une épreuve de plus pour la grande majorité des prêtres et des religieux qui se dévouent auprès des enfants et des jeunes avec un zèle admirable. De même on ne pouvait empêcher que limage du black metal ressorte de manière très négative suite aux actes de lInner Circle Norvégien des années 90.
Est-ce que certains conflits perdurent au sein même de la communauté religieuse entre les traditionalistes et ceux qui sont tournés vers une optique résolument moderne ? Où est-ce que tu te situes sur ce plan là ? Autant que je sache tu es le plus jeune prêtre en activité dans ton diocèse. Comment se sont déroulées tes premières années de sacerdoce ? As-tu eu des difficultés à tintégrer auprès de tes ouailles ? Robert Culat : Malheureusement le conflit entre catholiques " traditionalistes " et catholiques " progressistes " perdure même sil sest beaucoup atténué ces dernières années grâce à laction de Jean-Paul II. Personnellement jai horreur de ces étiquettes, doù les guillemets. A mon sens une personne réfléchie et intelligente ne se laissera pas enfermer dans une catégorie par opposition à une autre. Dans ces conflits on en arriverait presque à oublier que l'essentiel cest dêtre chrétien ! Je me situe tout simplement en communion avec lEglise. Jai bien sûr mes goûts, mon caractère, mais je sais relativiser et distinguer ce qui relève de lEvangile de ce qui relève des traditions humaines. Je pense être un prêtre inclassable : par certains côtés je suis traditionaliste (jaime les offices en latin, je porte une tenue ecclésiastique toute noire, je suis respectueux de lautorité du pape et de la Tradition de lEglise, attaché à la doctrine catholique dans sa pureté et son intégralité, promoteur dune liturgie digne et belle), par dautres je suis plutôt " moderne " (jécoute du Metal, même du black, je suis très ouvert desprit et tolérant, je fais de la moto tout-terrain, je ne méprise pas les nouvelles technologies comme Internet par exemple, je fréquente sans problèmes et même avec plaisir des personnes non catholiques ou ayant des opinions différentes des miennes). Mes premières années de sacerdoce se sont déroulées à Orange. Jétais vicaire, aumônier des collèges et des lycées. Mes rapports autant avec certains laïcs quavec certains prêtres nont pas toujours été faciles, loin de là. Mais je nai pas envie de mattarder sur cette époque révolue de mon ministère dans laquelle jai eu aussi bien des joies, il faut le souligner.
Venons en à présent au vif du sujet. Tu as comme caractéristique peu banale pour quelquun de ta profession de non seulement tintéresser au metal, mais en plus den écouter ! Explique-nous comment tes venue cette illumination musicale. As-tu connaissance dautres prêtres qui partagent les mêmes goûts que toi ? Robert Culat : Parler dillumination musicale cest à mon sens exagéré. Comment ai-je découvert le metal ? Lorsque jétais aumônier des lycéens à Orange javais dans mon aumônerie des lycéens metalleux qui ne le cachaient pas (je pense à leur look : cheveux longs et tee-shirts). Lun deux, Eric, jouait même dans un groupe local de dark atmosphérique nommé Cortège. Ma première écoute de musique metal fut donc une répétition du groupe Cortège dans le garage dEric. Pour lanecdote le 8 décembre 2002 jai baptisé Lucas, le fils dEric Je suis très curieux de tempérament et assoiffé dagrandir le domaine de mes connaissances, voilà ce qui ma poussé vers le metal. Jai voulu étudier et approfondir le sens de cette musique et de cette culture. Je ne pouvais pas en rester à une approche purement théorique. Le metal cest avant tout une forme dexpression musicale. Cest dabord dans le cadre de mon étude que jen ai écouté comme un étudiant consciencieux qui ferait bien ses devoirs, puis après par plaisir, une fois faite ladaptation de mon ouie à ce style bien particulier. Je ne connais pas de prêtres appréciant le metal. Par contre je connais des jeunes catholiques, très engagés dans lEglise ou pratiquants, qui aiment le metal et sont même de bons connaisseurs de ce style.
Tu écoutes même à tes heures perdues du black metal, qui nest pourtant pas le style le plus amène envers la Religion, si jose dire Comment légitimes-tu ce paradoxe a priori violent ? Comment se fait-il que la vision dune croix inversée ou dune représentation corrompue du Christ sur une pochette ait attisé ta curiosité plutôt quun rejet systématique ? Robert Culat : En étudiant le metal je ne pouvais pas faire comme si le black nexistait pas. En tant que croyant et en tant que prêtre limage forte donnée par le mouvement black ainsi que lidéologie sous-jacente sont des aspects très intéressants pour moi. Je dirais même plus : sil ny avait pas eu le black dans le metal avec ses orientations satanistes ou néo-païennes mon étude naurait certainement pas vu le jour. Dès le début jai voulu comprendre ce qui se cachait derrière le mouvement black : effet de mode, provocation pure et gratuite, rébellion, haine véritable du christianisme, appât commercial pour adolescents en mal de sensations fortes etc. Et je tavoue que donner une réponse à cette question nest pas simple. Au-delà des images provocatrices et parfois blasphématoires jai voulu mintéresser à la critique du christianisme faite dans le mouvement black. Un vrai croyant na jamais peur de ceux qui pensent dune manière opposée à la sienne. Au contraire je trouve cette confrontation entre ma foi et le black très enrichissante. Je suis toujours pour le dialogue entre les personnes car cest ce que le Christ a pratiqué sur les routes de Palestine. Dailleurs je mintéresse davantage aux blackeux, cest-à-dire à des personnes, quau mouvement black en général. De cette confrontation avec le milieu black je peux retirer des choses positives pour moi-même. Si dans beaucoup de cas le black critique une caricature du christianisme ou bien se contente de citer quelques phrases de Nietzsche (cest sa faiblesse idéologique), il faut bien avouer que certaines de ses critiques (souvent dordre historique, nous lavons vu, par exemple la manière dont la Scandinavie a été " christianisée ") envers ma religion sont fondées. Ce qui minvite non pas à renier ma religion mais à être toujours plus fidèle à lesprit du Christ tel que nous pouvons le découvrir à travers les évangiles. Le black peut inviter chaque croyant à retravailler de manière personnelle certaines valeurs liées à sa foi. Je pense par exemple à loptimisme béat de certains croyants. LEvangile nous rend certes heureux, la relation avec le Christ vivant est source dune joie intense. Mais le christianisme nest justement pas lopium du peuple, une illusion de plus. Il nexige pas de ses adeptes lattitude consistant à faire lautruche : " Tout le monde il est beau ; tout le monde il est gentil ". Le pessimisme exagéré de certains groupes de black peut être salutaire dans le sens où il attire lattention du croyant sur notre monde dans sa réalité la plus crue, la plus dérangeante. Un croyant et un blackeux peuvent finalement faire le même constat sur létat actuel de notre société. La différence est ailleurs : dans les attitudes et les solutions quils proposent.
A quel degré interprètes-tu les messages blasphématoires et les attaques frontales envers les Chrétiens que génèrent ces groupes et leurs fans ? Ce mot dordre " violence, haine, destruction " : doit-on selon toi y voir une étroitesse desprit, de lignorance voire de la bêtise, ou bien au contraire lexpression de quelque chose de plus large, la traduction brute dune vraie révolte spirituelle et idéologique ? Robert Culat : Là réside justement toute la difficulté de mon travail : interpréter les messages variés que lon trouve dans les différentes chapelles du black (qui est, soulignons-le, un mouvement divisé en lui-même, les fans de Cradle of Filth et ceux de Darkthrone ne sapprécient guère, idem pour ceux de Dimmu Borgir et Dark Funeral ). Je ferai une première distinction qui me paraît importante : Il y a tout dabord le groupe de black et son idéologie. A lintérieur du même groupe il peut y avoir des nuances entre chaque musicien de ce point de vue là. Il y a ensuite les fans, ceux qui écoutent ce groupe. Et jai noté à plusieurs reprises la remarque suivante chez certains blackeux : Je men fous de lidéologie du groupe. Peu importe quil soit sataniste, néo-païen ou néonazi ou nationaliste, ce qui mintéresse cest sa musique. Ce qui est finalement rassurant. Ce qui montre les limites de limpact idéologique sur certains fans. Je reviens aux groupes eux-mêmes : tout au long de sa carrière musicale un groupe peut évoluer musicalement et idéologiquement. Je prends un exemple en dehors du black : je ne pense pas que le Max Cavalera du premier Sepultura soit comparable au Max Cavalera de Soulfly. Est-ce leffet de lâge, de lexpérience ? Et puis il y a le discours et les actes. Même si Cavalera me dit que le monde est pourri (je ne sais pas sil la dit dans ces termes), le fait quil ait sept enfants me montre le contraire. Lorsquon croit réellement que le monde est pourri, on est logique avec soi-même et on ne transmet pas la vie ! Pour les groupes vraiment convaincus (" violence, haine, destruction ") javance deux interprétations. 1°/ Jémets lhypothèse que certains membres de lInner Circle Norvégien devaient avoir de sérieux problèmes psychologiques pour en arriver là où ils en sont arrivés. Le metal na été pour eux quun moyen dentretenir et de fortifier le déséquilibre mental prononcé qui devait être le leur. 2°/ De manière plus large je pense que le message de haine et de destruction est lexpression dune profonde désespérance et impuissance face à une certaine décadence de nos sociétés occidentales. " La mort de Dieu " annoncée par Nietzsche débouche sur la folie de lhomme. Et de ce point de vue je pense que ce message mérite dêtre pris au sérieux par tous, y compris par les croyants.
Illustre sil te plaît par des exemples ton parcours dauditeur. Quels sont les groupes ou les albums spécifiques qui tont le plus marqué, soit dun point de vue de pur plaisir musical, soit parce quils tont amené à développer une réflexion ? Robert Culat : Mon parcours dauditeur ? Je commencerai par le plaisir musical. Jai constaté que jaccrochais avec enthousiasme à certains groupes de heavy (du style Stratovarius, Sonata Arctica, Edguy, Rhapsody ) mais aussi que je men lassais assez vite une fois la découverte effectuée. Alors que quand jaccroche à un groupe de thrash, de death, de dark ou de black le plaisir perdure généralement plus longtemps. Les deux groupes qui me marquent le plus c'est grâce à toi que je les connais, donc je te remercie au passage. Il sagit des autrichiens de Dornenreich et des irlandais de Primordial. La voix dEviga, chanteur de Dornenreich, est unique en son genre, et la musique de ce groupe réellement captivante et originale. Jajoute que le chant en langue allemande est un plus considérable pour une ambiance dark. Par ailleurs jaime beaucoup le groupe Death, tout particulièrement lalbum " Symbolic " ainsi que certaines chansons du groupe Sepultura (Exemple : " Roots Bloody Roots "). Metallica est aussi un groupe qui ma marqué, et dans une moindre mesure Iron Maiden dont japprécie certains passages (dans lalbum " Piece of Mind " la chanson " Revelations "). Japprécie aussi un groupe comme Orphaned Land. Le look du groupe nest peut-être pas très important, mais il est à mon avis significatif dun état desprit (il en est de même pour lartwork des pochettes). En général je préfère de loin la sobriété, la suggestion aux images fortes et provocatrices, tu le comprendras. La pochette de " Her von welken Nächten " de Dornenreich est un exemple de sobriété artistique. Du point de vue réflexif je me suis demblée heurté à une difficulté qui concerne tout amateur de metal : les textes en français sont rares ! Tu as beau connaître un peu danglais et dallemand, tu nas souvent pas le temps de te lancer dans une traduction. En écoutant " Her von welken Nächten " de Dornenreich jai compris quils nétaient pas dans le satanisme primaire mais en même temps je me suis dit que leurs paroles devaient être dune rare profondeur si elles correspondaient à leur recherche esthétique. Dans un autre style jai compris que Tobias Sammet dEdguy et dAvantasia était travaillé par le thème de la liberté, et quà ses yeux le christianisme était contraire à la liberté humaine.
Je crois savoir que tu as écrit des articles mettant en parallèle le metal et certaines uvres de musique classique Je reste pour ma part assez opposé à ce type de passerelles aventureuses. Par exemple dire comme certaines notoriétés de la scène que Wagner est le grand-père du metal ou que Mozart, sil avait vécu de nos jours, aurait joué du metal, sont selon moi des conneries caractérisées et surtout dangereuses car elles forgent un non-sens culturel difficilement récupérable dans lesprit des fans. Néanmoins je sais que ton analyse ne se limite pas à des clichés, tout comme je suis le premier à reconnaître que le metal véhicule sans doute mieux que nimporte quel autre style des impressions et des atmosphères qui se rapprochent du classique au sens large. Peux-tu nous faire un petit laïus expliquant ce qui ta motivé à écrire ces articles et quel est, en substance, léclairage quils apportent sur le propos ? Robert Culat : Jai seulement écrit un petit article intitulé : " Du classique à lusage des metalleux ". Cela ta marqué, mais ce nest pas le centre de ma recherche et de ma préoccupation. De par mon père jai baigné dans le classique depuis ma plus tendre enfance. Japprécie énormément les opéras de Mozart. Je suis conscient davoir fait au début un rapprochement trop hâtif entre ces deux styles musicaux. Pour le grand public et en caricaturant : le metal nest que du bruit, une musique peu recherchée et travaillée, et le classique est quelque chose dennuyeux ou dintellectuel. Les passerelles que jai pu établir entre classique et metal sont utiles pour rectifier ces clichés populaires. Ces deux styles ont en commun le fait dêtre des musiques " élitistes " que ce soit voulu ou non. Contrairement à la variété, à la techno et au rap ces styles exigent un investissement volontaire de lauditeur, dune part parce quils sont peu médiatisés (le classique lest plus que le metal), et dautre part parce quils ne produisent pas une musique " easy listening ", cest-à-dire directement accessible et consommable. Le metal se rapproche du classique par le fait que, contrairement aux apparences, il est une musique généralement travaillée, technique, et recherchée, faite par de vrais musiciens avec de vrais instruments. Le classique se rapproche du metal par le fait quil peut produire une musique rythmée, puissante, capable dexprimer toute la palette des sentiments humains et donc aussi la tristesse, la mélancolie, la révolte, la colère, le pessimisme. On peut aussi penser à un autre rapprochement. Le classique est quelque part une musique indémodable, une musique qui dure dans le temps. Très probablement on continuera à écouter du Mozart dans 100 ans. Bien sûr le Metal est encore " jeune ", environ 30 ans dexistence. Mais lhypothèse selon laquelle dans 100 ans certains " classiques " du Metal (Metallica, Iron Maiden etc.)feront encore partie du paysage musical est loin dêtre farfelue. Le Metal comme le classique semble avoir assez de puissance pour résister à lusure du temps. Il nest pas réductible en tout cas à une simple mode musicale. Je terminerai sur ce point en citant deux uvres du répertoire metal qui indiquent que la proximité avec le classique nest pas pure illusion. Tout dabord lalbum S&M de Metallica avec lorchestre symphonique de San Francisco. Au risque de choquer les puristes jaffirme que cet album est une belle réussite tant au niveau du plaisir musical que du symbolisme sous-jacent (la coopération parfaite entre deux mondes apparemment opposés, Metallica représentant la rébellion, et lorchestre de San Francisco la société policée, " lestablishment "). Ensuite luvre en deux volets de Tobias Sammet Avantasia. Il est intéressant de voir que Sammet a pris pour cette uvre ambitieuse un modèle de la musique classique, à savoir lopéra. Et quil a dans une certaine mesure respecté les règles de lopéra classique : un livret avec une histoire, des personnages, des chanteurs différents pour chaque rôle etc. Ladaptation métallique dune forme typiquement classique, surtout lorsquelle est réussie, ne peut donner qu à réfléchir sur les passerelles existant entre classique et metal.
Si jai choisi de faire cette interview, ce nest pas (seulement) afin de présenter une " bête curieuse " (si tu me passes lexpression) à la faune métallique, mais bien parce que tu es linstigateur dun projet qui touche le metal de très près. Certains de ceux qui liront cette interview se rappelleront peut-être avoir rempli entre 2000 et aujourdhui un questionnaire exhaustif sur le milieu du metal, les goûts et les murs des fans Cette enquête libellée " Planète Metal ", cest toi qui en es à lorigine. Commençons donc par le commencement : pourquoi cette initiative ? Robert Culat : Jai déjà répondu à ta question plus haut. Cette initiative (" Etude sur la Planète Metal ") est parti du fait que javais dans mon aumônerie de lycéens deux frères metalleux dont lun était chanteur dans le groupe Cortège. Cest un paradoxe qui est à lorigine de mon étude : à lépoque je narrivais pas à concilier le fait quon puisse être en même temps catholique convaincu et fan de metal, cela me semblait contradictoire. Cest ce paradoxe initial qui a suscité ma curiosité puis mon intérêt croissant pour le milieu metal.
Comment ty es-tu pris pour diffuser ton questionnaire au plus grand nombre de métalleux possibles ? As-tu visé une cible particulière ou bien toute réponse est-elle bonne à prendre ? Est-ce que tout laspect préparation-émission (voire promotion) a été très coûteux en temps et en moyens financiers ? Robert Culat : Cest en février 2000 que jai lancé mon questionnaire dans le milieu metal. Je voulais éviter que mon étude ressemble à certains livres déjà écrits dans le milieu chrétien, particulièrement ceux du père Régimbal et de Mgr. Balducci. Je désirais faire une étude bien documentée, la plus précise possible, témoignant dune bonne connaissance du milieu. Et surtout une étude sans a priori préalable. Bref je tenais au maximum dobjectivité. Cest pourquoi jai décidé de donner la parole aux principaux intéressés, cest-à-dire les metalleux ! Dans la distribution de mon questionnaire (3 pages et 22 questions) jai privilégié un double anonymat : dune part le metalleux ne savait pas que cette étude provenait dun prêtre catholique, et dautre part il nétait pas obligé de révéler son identité en répondant. Cela pour préserver la liberté de celui qui répondait et pour atteindre un maximum dobjectivité. En diffusant mon questionnaire jai tout simplement ciblé le public metal. La méthode pour obtenir des adresses a été assez simple : jai relevé dans les magazines, fanzines et webzines metal toutes les adresses que je pouvais trouver. Et il y en a beaucoup dans les courriers des lecteurs et dans les petites annonces par exemple. Chaque fois jenvoyais un exemplaire du questionnaire sans aucune explication et une enveloppe timbrée pour la réponse avec comme adresse une boite postale et lentête " EPM ", toujours dans le but de préserver lanonymat. Jai aussi envoyé mon questionnaire par mail. Une opportunité extraordinaire sest présenté à moi sans que je la recherche. Un fan a tellement été enthousiasmé par mon projet et mon questionnaire quil a écrit au magazine Hardn Heavy pour me faire de la réclame. Conséquence inespérée : ce magazine a publié in extenso mon questionnaire dans lun de ces numéros et jai reçu à partir de ce moment là beaucoup de réponses. Je nai pas calculé le temps que jai passé en vue de la diffusion de mon questionnaire, mais tu imagines bien que ce fut un certain investissement. Du point de vue financier jai dû payer les timbres, les enveloppes, les photocopies et bien sûr les magazines metal où je trouvais les adresses. Jestime le coût total à environ 4500 francs français (ce qui fait à peu près 692 euros). Mais heureusement cest sur une longue période, environ deux ans, que jai dû dépenser cette somme.
Aujourdhui tu as dépassé les 500 réponses. Estimes-tu que cela est un chiffre suffisant par rapport à tes attentes ? Est-ce que, dans lensemble, les réponses que tu as reçues ont satisfait ta curiosité ? A brûle-pourpoint et avant de les analyser plus en profondeur , y as tu dores et déjà appris des choses intéressantes qui ont modelé ou bouleversé ton opinion des fans de metal ? Robert Culat : Jen suis actuellement à plus de 550 réponses. Je considère ce chiffre comme suffisant. Je pense avoir là un échantillon représentatif du public metal. Noublions pas que mon étude porte sur un milieu " underground " et minoritaire. Dans ce contexte avoir dépassé les 500 réponses est plutôt satisfaisant. Ces réponses mont passionné, ce qui est bien plus quun simple assouvissement de ma curiosité, de mon désir de connaître. Chaque réponse reçue ma donné une certaine joie. Car cest toujours exaltant dentrer à travers ce type de questionnaire dans " lintimité " dune personne. Quai-je appris dintéressant en lisant ces réponses ? Question ardue ! Première constatation évidente : je ne porte pas maintenant le même regard sur les metalleux quil y a deux ans. Disons-le tout net : mon regard est plutôt bienveillant. A travers ces feuilles de papier je suis en quelque sorte entré en relation avec beaucoup de metalleux et je me suis attaché à eux sans même les connaître, un lien sest créé. Deuxième constatation que je présenterai sous la forme dun paradoxe : sur certains points jai ressenti une grande uniformité de pensée et de comportement. Un exemple bateau : le rejet massif, quand ce nest pas la haine, des musiques dites " commerciales ", de la Techno et surtout du Rap. En même temps jai perçu une très grande diversité qui reflète quelque part la diversité des styles musicaux à lintérieur du metal. En allant plus loin je dirais que cette diversité tient au fait très simple que chaque metalleux est une personne unique, avec son âge, son expérience, son éducation, son milieu de vie etc. Je me suis rendu compte quil y avait divers degrés dans lappartenance au metal : de celui qui se limite à aimer cette musique à celui qui vit à 100% pour cette musique il y a une différence de poids. Il en est de même au niveau des motivations. En généralisant au plus le metalleux est " vieux " et a de lexpérience dans le milieu, au plus il aura tendance à aimer la musique pour elle-même. Celui qui reste fidèlement attaché au metal y reste attaché pour des motifs sérieux et non pas pour le folklore qui entoure cette musique. Inversement le metalleux débutant, en général ladolescent, risque de privilégier les contours extérieurs de la musique : il est plutôt attiré par le look des groupes, lesprit de provocation, lambiance que lon retrouve dans le public metal, et le sentiment très fort dappartenir à une élite, une minorité. Pour schématiser à lextrême on peut sattacher au metal pour se donner une personnalité, pour se démarquer de " la masse des moutons et des ignares ". On peut aussi sattacher au metal parce que musicalement parlant on le trouve excellent, unique en son genre, irremplaçable. Et comme rien nest parfaitement pur on peut trouver chez le fan un dosage des deux motivations plus ou moins subtil. Un autre paradoxe ma marqué et ce sera ma troisième et dernière constatation : le milieu metal se caractérise à la fois comme très solidaire (cest une véritable fraternité, une espèce d " Eglise ", et jemploie le mot en sachant de quoi je parle) et très divisé (les guerres entre différentes chapelles sont souvent sans pitié quand cela ne va pas jusquau meurtre : cf. Varg Vikernes qui assassine Euronymous).
A présent les choses sérieuses commencent, à savoir comment comptes-tu concrètement utiliser la base de données que constitue ton enquête ? Est-ce que tu projettes de tappuyer dessus pour écrire un article, voire un livre ? Si oui as-tu déjà une idée de sa trame et de langle selon lequel tu vas aborder les choses afin dintéresser un lectorat sans recourir aux éternels clichés qui ont cours sur les métalleux ? As-tu déjà des pistes tangibles pour une publication ? Robert Culat : La première étape dans le travail qui mattend est de réaliser une synthèse fiable des réponses reçues, du type statistiques et pourcentages. Comme je nai que mon temps libre pour le faire, jai confié cette tache à B., un ami metalleux. Dès quil aura achevé ce travail qui requiert une grande rigueur scientifique, je me lancerai dans le commentaire de la synthèse question par question. Jenrichirai ce commentaire avec la correspondance très intéressante que jentretiens avec certains metalleux. Sans oublier lexpérience irremplaçable des rencontres faites avec des metalleux soit individuellement, soit au cours de répétitions ou de concerts (dont certains assez connus comme Alex dAgressor). Dès le départ le but était clair dans mon esprit : il sagissait décrire un livre sur le sujet, non pas pour gagner de largent mais pour faire partager mes découvertes au plus grand nombre possible. Et puis avoir lambition décrire un livre cela me force obligatoirement à un sérieux scientifique que je naurais pas si cette étude sétait limitée à mon usage strictement personnel. Pour que ce livre soit " complet " il faudrait y ajouter un historique du mouvement Metal et une définition des différents styles que lon trouve dans cette musique. Je verrais bien B. faire cela ! Au point où nous en sommes de cette interview je pense que tu es convaincu que ce livre ne sera pas un ramassis de clichés sur le sujet, mais une vue profonde et respectueuse du mouvement metal. Un chrétien, a fortiori un prêtre, se doit dêtre serviteur de la vérité. Et la vérité cest quen ce monde rien nest tout noir (pas même les metalleux) et rien nest tout blanc : la vérité se trouve dans un constant effort dapprofondissement, de précision et donc de nuances. Cest cet esprit, je lespère, que tu retrouveras dans notre livre !
Robert Culat : Par rapport à mon identité sacerdotale, jai choisi une " stratégie " progressive par prudence (il y quand même quelques déséquilibrés mentaux assez dangereux dans le milieu) et pour permettre la rencontre. Certainement pas par honte de ce que je suis ! Par exemple en débutant une correspondance avec un metalleux, je ne parlais pas demblée de mon " métier " de prêtre catholique. Idem lorsque je prenais un rendez-vous en vue dune rencontre en chair et en os. Dans le cas de la correspondance, au bout de deux ou trois échanges épistolaires je révélais mon identité. Les réactions nont jamais été, sauf dans un cas avec une fille, des réactions de haine ou de rejet. Cétait plutôt létonnement qui dominait. Et même dans un certain sens une réaction positive du type : " Cest cool de pouvoir correspondre avec un prêtre ! ". Il est clair que lors dune rencontre je ne pouvais pas cacher mon état sacerdotal puisque je me pointais au rendez-vous en tenue ecclésiastique, tout en noir (cest un plus !) et avec mon col blanc sans oublier ma croix ! Les réactions dans ces situations nont jamais été négatives. Certains étaient interloqués, comme pétrifiés par rapport à ce qui leur arrivait. Dautant plus quils me connaissaient sous mon pseudonyme de Bob. Comme jaime énormément les relations humaines et que jessaie de montrer de lamour et de la sympathie envers mon prochain, même inconnu, la glace se brisait généralement très vite. Cela me permet dévoquer le souvenir dune rencontre avec G. Le premier contact fut assez froid, cétait un blackeux. Il devait être 16h de laprès-midi. La glace sest tellement brisée que jai quitté son domicile vers 22h, il mavait invité à partager son repas et mavait déjà présenté son meilleur ami. Je lai ensuite invité à plusieurs reprises chez moi. De lui-même il a participé à la messe que je célébrais un dimanche matin (à 8h30). Il habitait assez loin de chez moi. Comme il navait pas de voiture, il a dû prendre le train à 5h du matin pour arriver à lheure à la messe ! Il a même accepté de passer en ma compagnie et celle de son ami une journée dans un monastère bénédictin (avec rencontre de lexorciste). Il avait gardé de ce moment un souvenir plutôt bon. Ces rencontres sont des moments inoubliables. En même temps elles peuvent être source de souffrance. Jai appris il y a quelques temps que G. sétait suicidé. Pour moi le lien nest pas rompu. Car je prie pour G. Cest la seule façon qui me reste pour lui dire mon amitié fidèle. Je pourrais parler aussi dune autre réaction lorsque lun de mes correspondants metalleux a fait ma connaissance en passant quelques jours chez moi (Il a débarqué chez moi à limproviste parce que son père lavait foutu à la porte). Cest létonnement qui a caractérisé sa réaction spontanée : " Comment peux-tu être aussi joyeux ? Pourquoi es-tu toujours souriant ? Je ressens en toi de lamour. " Apparemment il navait jamais connu une personne aussi heureuse que moi, et comme il ne croyait plus au bonheur, ça la profondément marqué. Puis je devais être le premier chrétien convaincu quil rencontrait. Ce fut comme un choc pour lui. Est-ce que ça valait la peine de se donner tant de mal ? Je réponds sans hésitation " oui ". Pour un prêtre cela vaut toujours la peine de rencontrer les personnes et détablir un dialogue aussi profond que possible avec elles.
Inversement, quel regard portent tes confrères hommes dEglise et tes paroissiens sur ce que tu fais de ton temps libre ? Te heurtes-tu là aussi à un mur dincompréhension, voire de désapprobation ? As-tu déjà fait mention du metal pour étayer un sermon dominical ou mieux, passé un instrumental de Rhapsody pendant leucharistie ? Robert Culat : Je nétale pas sur les places de mes paroisses le fait que je mintéresse au metal. Jen parle à certaines personnes seulement. Il était normal que jen parle tout dabord à mon supérieur hiérarchique, larchevêque dAvignon, ainsi quà mon père spirituel. Je nai reçu de leur part que des encouragements. Mgr. Bouchex sest même montré très attentif et intéressé lorsque je lui ai exposé ma démarche. Certains prêtres connaissent aussi mon activité par rapport au metal. Leurs réactions sont variées. Dans le pire des cas ils me disent que je perds mon temps, que Satan va mennuyer ou bien que je suis trop bienveillant envers cette musique, dangereuse à leurs yeux. Dautre comprennent que mon étude nest pas seulement dordre intellectuel mais quelle fait partie en quelque sorte de mon ministère sacerdotal, car à loccasion de cette étude je peux témoigner de ma foi auprès de jeunes qui pour la plupart nont jamais rencontré un prêtre de leur vie. Quant à mes paroissiens une petite minorité seulement est au courant de ma démarche. Les réactions vont du scepticisme à lenvie de connaître. Jai enfin eu loccasion décrire un article sur le Metal dans un magazine catholique destiné à un lectorat de jeunes. Mon article na pas laissé les jeunes catholiques indifférents. Le rédacteur en chef a reçu et reçoit encore aujourdhui beaucoup de réactions. Certaines sont positives, mais beaucoup sont négatives. Il semble quune grande partie des lecteurs nait pas compris ma démarche perçue comme trop tolérante. Pour eux jai en quelque sorte trahi la foi en entrant en dialogue avec les metalleux au lieu de condamner leur musique comme intrinsèquement mauvaise. Ils attendaient de moi, surtout en tant que prêtre, le discours suivant : " Rejetez cette musique car elle vous éloigne de Dieu. " Jutilise ma culture Metal dans ma prédication ou dans mes feuilles paroissiales mais de manière indirecte et implicite. Je mexplique : avec toutes les critiques sur lEglise que lon peut trouver dans le milieu metal je suis certainement plus sensible que dautres prêtres à certaines thématiques. En tout cas jai moins peur quavant de regarder en face ce qui ne va pas dans lEglise et en moi, ce qui dans son histoire a été indigne de lEvangile. Les critiques émanant du milieu metal me font prêcher avec insistance sur le respect et la tolérance. Sur le fait aussi quil ne faut en aucun cas juger une personne sur son look ou sur son apparence mais quil faut prendre le temps de la connaître dans la rencontre et dans lamour, en suivant lexemple du Christ. Il mest arrivé de citer littéralement dans un sermon un passage dune lettre dun de mes correspondants metalleux parce que ça correspondait bien à lEvangile du Dimanche. Mais je nai pas commencé en disant : voilà ce que ma écrit un metalleux car " metalleux " ne veut rien dire pour 99,5% de mes paroissiens. Voilà ce quun jeune ma écrit récemment Je nai jamais passé un instrumental de Rhapsody pendant la Messe (je passerais plutôt certains passages " soft " de Metallica !). Par contre jai invité un jeune guitariste de ma paroisse pour animer la messe de confirmation. Il aime le metal (surtout le néo) et fait partie dun groupe de fusion (je sais, certains diront que ce nest plus du metal ). Il a très bien fait cela à la guitare électrique et pendant loffertoire et la communion il a joué ce quil voulait, certainement un morceau de metal je ne saurais dire lequel. En tout cas personne na été choqué.
Es-tu en contact avec des groupes de metal chrétien ? Que penses-tu de ce mouvement ? Est-il né comme une forme de réaction ? Robert Culat : Ce nest pas mon intérêt premier car jai bien conscience que le white metal est un mouvement très marginal, non pas quil ny ait pas des groupes de qualité dans cette mouvance (Horde par exemple) mais à cause de ses circuits de distribution trop fermés au public habituel. Les " grands labels " ne veulent malheureusement pas promouvoir ce genre de groupes. Je connais un seul groupe, à Lausanne en Suisse, il sagit de Demoniciduth. Ce mouvement part du principe quon peut dissocier un style musical des paroles qui habituellement lui sont associées. Ainsi des groupes de white font du très bon black avec des paroles chrétiennes ! Il suffit de remplacer " Hail Satan " par " A mort Satan " ou " Vade Retro Satanas " ! Emmanuel de Demoniciduth défend le principe en affirmant quon trouve dans la Bible des passages violents, des guerres et quon peut louer le Seigneur avec un gros son bien bourrin. Dans cette optique lintention compte plus que la forme. Ce qui sous-tend la démarche cest quun chrétien ne peut pas écouter les groupes traditionnels de death ou de black sans mettre en péril son âme. Et que même les non-chrétiens se font du mal en écoutant ce genre de musique " consacrée à Satan ". Le white metal a donc une visée de substitution. Je prendrais la comparaison suivante : lorsquun drogué veut arrêter la consommation dhéroïne par exemple, le médecin lui prescrira au début des produits de substitution. De même celui qui est accro à la musique black peut sans problème la retrouver dans le white mais purifiée du poison satanique quelle contient habituellement. Javoue être assez dubitatif par rapport à limpact réel du mouvement sur les non-chrétiens (ce qui est tout de même le but recherché). La question de fond étant : est-il possible de séparer dans le style black la forme musicale de lidéologie haineuse ? La plupart des blackeux répondent non, pour eux le black cest un tout. Les groupes de white metal font une autre option. Cette option est pleine despérance et daudace, mais facilement discutable. Le " chant " black ou death metal me semble bien peu adapté à la prédication de lEvangile, même à une prédication musclée ! Je ne dirais pas la même chose si ladaptation en question portait sur le style heavy.
Il y a quelques temps tu mas relaté une anecdote insolite concernant ta rencontre avec un musicien de dark symphonique. Nos lecteurs sont friands de sensationnel, donc pourrais-tu avoir la gentillesse de narrer ici même les circonstances de lévénement (sans citer de nom si cela te paraît gênant) ? Robert Culat : Il ny a rien de très sensationnel dans cette rencontre. Javais commandé à ce metalleux sa démo et puis on a voulu se rencontrer. Il a pu venir chez moi accompagné de son meilleur ami, en mavouant ensuite quil avait prévu son garde du corps au cas où il tomberait sur un fan nappréciant pas sa musique! Quand il a découvert que jétais prêtre, il a été immédiatement rassuré sur la nature de ce rendez-vous intrigant
Bien, je crois quil est temps de clore cet épître. Jespère que tu as pris du bon temps à répondre à cette interview et que tu la juges utile pour la promotion de ta démarche. Nhésite pas à conclure de la façon dont tu le souhaites (adresse de contact, dernier message, etc.) Robert Culat : Un grand merci à toi Uriel, ce fut passionnant de répondre à ton interview réalisée tout en finesse et qui ma forcé à mettre de lordre dans mes idées. Je laisse aux lecteurs de ton webzine mes coordonnées, car jaime toujours entrer en contact avec les metalleux et échanger avec eux : Robert CULAT. 13 RUE PASTEUR.
F.84420.PIOLENC. France. |